Il y a une différence entre les chrétiens et les hommes de ce monde. En effet, ceux-ci, ayant l’esprit du siècle, sont retenus dans les liens terrestres par le cœur et par l’intellect, tandis que ceux-là, assoiffés de l’amour du Père céleste, n’ont que lui devant les yeux, avec un grand désir.
Autres sont le monde des chrétiens, leur manière de vivre, leur langage et leur comportement, et autres la manière de vivre, la pensée, le langage et le comportement des hommes de ce monde. Autre chose sont les premiers, autre chose sont les seconds ; grande est la différence qui les sépare. En effet, les habitants de la terre et les enfants de ce siècle ressemblent à un froment jeté dans le crible de cette terre ; ils sont secoués comme dans un crible par les pensées toujours en mouvement de ce monde, et Satan agite les âmes par l’agitation incessante des choses terrestres et la complexité des pensées matérielles, et il secoue dans le crible des choses terrestres tout le genre humain, depuis la chute d’Adam, lequel transgressa le précepte et passa sous la domination du prince du mal. Celui-ci a reçu pouvoir que lui, et désormais il secoue et entrechoque dans le crible de la terre, par des pensées incessantes, trompeuses et tumultueuses, tous les fils de ce siècle.
De même, en effet, que le froment est secoué dans le crible par celui qui fait le criblage, et y est agité et retourné sans arrêt, ainsi le prince du mal s’empare-t-il de tous les hommes au moyen des choses terrestres et, grâce à elles, les agit e, les troubles et les secoue par des pensées vaines, des convoitises honteuses et des liens terrestres et mondains ; ainsi, sans cesse, il réduit en captivité, jette dans le trouble et prend au piège toute la race pécheresse d’Adam, comme le Seigneur l’avait annoncé aux apôtres : « Satan vous a réclamés pour vous secouer dans le crible comme le froment, mais j’ai prié mon Père pour que votre foi ne défaille pas » (Lc, 22, 31*32). En effet, la parole adressée à Caïn par le Créateur, _ cette sentence destinée à s’accomplir visiblement : « Tu seras gémissant, tremblant et agité sur la terre » (Gen., 4, 12), - était la figure et l’image de ce qui arrive d’une manière secrète à tous les pécheurs. Car c’est ainsi que la race d’Adam, après avoir transgressé le commandement et être devenue pécheresse, a été marquée de cette image d’une manière secrète ; elle est agitée par des pensées toujours en mouvement, par la crainte, la peur, toutes sortes de troubles, de désirs et de plaisirs multiples et variés. Cela vient du prince de ce monde, qui agite toute âme qui n’est née de Dieu, met sans cesse en mouvement, de diverses manières, comme le blé secoué dans le crible, les pensées des hommes, les trouble et les séduit par les attraits du monde, les plaisirs de la chair, des craintes et des inquiétudes.
C’est pourquoi le Seigneur, pour montrer que tous ceux qui suivent les séductions et les attraits du Malin, portent l’image de la malice de Caïn, les blâme en disant : « Vous voulez accomplir les désirs de votre père ; celui-ci a été homicide dès le commencement, et il n’a pu se maintenir dans la vérité » (Jn, 8, 44). Ainsi toute la race d’Adam a reçu d’une manière caché cette condamnation: « Vous serez gémissants et tremblants, et vous serez agités dans le crible de la terre par Satan qui fait le criblage » (cf. Gen., 4, 12). De même en effet que tout le genre humain s’est multiplié sur la terre à partir du seul Adam, ainsi l’unique malice des passions s’est répandu dans la race pécheresse des hommes, et le prince du mal les agite tous par des pensées toujours en mouvement, matérielles, vaines et pleines de trouble. De même en effet qu’un unique vent trouble et agite toutes les plantes et toutes les graines, et que l’unique obscurité de la nuit s’étend sur tout l’univers, ainsi le price du mal, qui est lui-même l’obscurité spirituelle d la malice et de la mort, ainsi qu’un vent mystérieux et sauvage, agite sur la terre toute la race des hommes, la trouble par des pensées toujours en mouvement, et séduit par les désirs du monde les cœurs des hommes ; il remplit des ténèbres de l’ignorance, de l’aveuglement et de l’oubli toute âme qui n’est pas née d’en-haut et qui n’a pas été transférée par sa manière de penser et par son intellect, dans un autre monde, selon cette parole : « Votre cité est dans les cieux » (Phil., 3, 20).
Voici en quoi les vrais chrétiens se distinguent de tout le genre humain et quelle est la grande différence qui les en sépare, comme nous l’avons dit : ils ont toujours l’intellect et l’intelligence appliqués à des pensées célestes, et ils contemplent les biens éternels, grâce à la communion et à la participation à l’Esprit-Saint. Il leur a été accordé de naitre d’en-haut (cf. JN, 3, 3), de Dieu, et de devenir enfants de Dieu (cf. Jn, 1, 12) en vérité et avec puissance ; après beaucoup de luettes, de peines et de temps, ils sont parvenus à la stabilité, au calme, à l’absence de trouble et au repos ; ils ne sont plus secoués comme dans un crible et agités par des pensées toujours en mouvement et vaines. Ils sont plus grands et meilleurs que le monde, parce que leur intellect et la pensée de leur âme se trouve dans la paix du Christ et dans la charité de l’Esprit. C’est ce que le Seigneur a dit à leur sujet : « Ils sont passés de la mort à la vie » (Jn, 5, 24).
Voila pourquoi ce n’est ni par l’apparence, ni par l’aspect extérieur que les chrétiens sont différents, contrairement à l’opinion de tous ces chrétiens qui pensent que la différence et la distinction entre eux et le monde consiste dans cette apparence et cet aspect extérieur. Et de fait, ceux-là, par l’intellect et la pensée, sont semblables au monde, ayant en commun avec tous les hommes l’agitation et l’instabilité des pensées, la manque de foi, la confusion, le trouble et la crainte. Certes, ils diffèrent du monde par leur aspect et leur apparence et par certaines œuvres extérieurs de vertu ; mais quant au cœur et à l’intellect, ils sont enchainés dans les liens terrestres, et ils ne possèdent ni le repos qui vient de Dieu, ni la paix céleste de l’Esprit-Saint, car ils ne les ont pas demandés à Dieu, et ils n’ont pas cru qu’ils les obtiendraient.
C’est donc par la rénovation de l’intellect, la paix des pensées, la charité envers le Seigneur et l’amour céleste, que la nouvelle création que sont les chrétiens diffère de tous les hommes de ce monde. Et la venue du Seigneur a eu lieu pour qu’il accorde ces biens spirituels à ceux qui croient véritablement en lui. En effet, la gloire des chrétiens, leur beauté, leur richesse céleste, sont ineffables et s’acquièrent par beaucoup de peine, de sueurs, d’épreuves et de combats. Et tout cela est l’effet de la grâce de Dieu. Tout homme ne désire-t-il pas contempler l’empereur de la terre, et quiconque demeure dans la capitale ne souhaite-t-il pas au moins voir sa beauté, la splendeur de ses vêtements, l’éclat de la pourpre, le chatoiement de ses joyaux, la majesté de son diadème, la prestance des dignitaires qui l’entourent ? Cependant, les spirituels tiennent tout cela pour rien, parce qu’ils ont l’expérience d’une autre gloire, céleste et incorporelle, parce qu’ils ont été blessés par une autre beauté, qui est ineffable, ont eu par à d’autre richesses, et ont le sentiment, quant à l’homme intérieur, de participer à un autre Esprit. Ainsi donc, les hommes de ce monde, qui ont l’esprit de ce monde, ont un grand désir, ne serait-ce que de voir l’empereur terrestre dans toute sa majesté et toute sa gloire, tant sa condition, sur le plan des choses visibles, dépasse celle de tous les hommes, tellement elle est glorieuse, tellement elle inspire à tous le désir de seulement la contempler. Et chacun se dit en lui-même : « Si je pouvais obtenir une pareille gloire, une pareille majesté, une pareille splendeur ! » - proclamant bienheureux son semblable, terrestre, passible et mortel come lui, qu’il envie pour une majesté et une gloire éphémères.
Si donc les hommes charnels désirent à ce point la gloire d’un roi terrestre, combien plus ceux en qui s’est infiltrée la rosée de l’Esprit de vie, de l’Esprit de la Divinité, et dont elle a blessé le cœur d’un amour divin envers le Roi céleste, le Christ, sont-ils attachés à cette beauté, à cette gloire ineffable, à cette majesté incorruptible et à cette richesse inconcevable du Roi éternel et véritable, le Christ, dont le désir et l’attrait les a captivés. Ils sont entièrement et totalement tendus vers lui, et ils désirent obtenir ces biens ineffables qu’ils voient par l’Esprit-Saint et pour lesquels ils méprisent tout ce qu’il y a sur la terre n fait de beauté, de majesté, de gloire, d’honneur et de richesse royales et princières. En effet, ils ont été blessés par la divine beauté, et la vie céleste et immortelle s’est infiltrée dans leurs âmes. C’est pourquoi ils aspirent à cet amour pour le Roi céleste, et ils n’ont que lui devant les yeux, avec un grand désir. C’est ainsi qu’ils se libèrent de tout amour du monde et rompent tout lien terrestre, afin d’être capables de ne posséder constamment que ce seul désir dans leur cœur et de n’y rien mélanger d’autre.
Mais ils sont très peu nombreux, ceux qui finissent aussi bien qu’ils ont commencé, qui marchent jusqu’au terme sans faire de faux-pas, qui n’ont qu’un seul amour, pour Dieu seul, et qui se sont détachés de toutes choses. Beaucoup, en effet, sont touchés de componction, beaucoup deviennent participants de la grâce céleste et sont blessés par l’amour céleste ; mais, à cause des combats, des luttes, des travaux et des diverses tentations du Malin qui leur adviennent, ils ne persévèrent pas ; ils se laissent détourner par les diverses et multiples convoitises de ce monde, parce que chacun veut aimer quelque chose de ce monde et n’a pas rompu de tous les côtés les liens de son amour. Ils sont ainsi arrêtés et submergés dans l’abîme de ce monde ; à cause de la lâcheté, de la mollesse et de la pusillanimité de leur propre volonté, ou de quelque amour pour une chose terrestre.
Car ceux qui veulent véritablement avancer jusqu’au bout dans le bon chemin, ne doivent pas admettre volontairement un autre désir ou un autre amour à côté de cet amour céleste, ni les mélanger avec lui, pour éviter d’être entravés dans les choses spirituelles, pour ne pas retourner en arrière, et ne pas être finalement exclus de la vie. Grandes, inexprimables et indescriptibles sont les promesses divines, notre foi, notre espérance, nos grands labeurs et nos grands combats, nos nombreuses épreuves, doivent être en proportion. Car ce n’est pas une petite chose que les biens que l’homme espère obtenir. Tu aspires au Royaume des cieux, tu veux régner avec le Christ pendant les siècles sans fin, et tu ne voudrais pas accepter de bon cœur, jusqu’à la mort, les combats, les labeurs, les épreuves, les tentations de ce peu de temps que dure la vie présente ? Le Seigneur nous crie : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce lui-même et prenne sa croix, avec joie, et qu’il me suive » (Lc, 9, 23). Et encore : « Si quelqu’un ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à son âme, il ne peut être mon disciple » (Lc, 14, 26). La plupart des hommes veulent arriver au Royaume et hériter de la vie éternelle, mais ils ne cessent pas de vivre selon leurs propres volontés et de les suivre, bien plus, de suivre le Semeur de vanité. Sans renoncer à eux-mêmes, ils veulent hériter de la vie éternelle, ce qui est impossible.
En effet, la parole de Dieu est véridique. Seuls avancent sans tomber ceux-là qui, conformément au précepte d Seigneur, se sont complètement reniés eux-mêmes, ont pris en horreur toutes les convoitises du monde, tous ses liens, ses distractions, ses plaisirs, ses occupations, qui ne gardent que le Seigneur seul devant les yeux et désirent accomplir ses commandements. Ainsi, c’est par sa propre volonté que chacun est détourné du Royaume ; cela vient de ce qu’il ne veut pas prendre de la peine et se renier lui-même, et de ce qu’il aime quelque autre chose en même temps que Dieu, garde des ménagements envers certains plaisirs et certaines convoitises de ce siècle, et ne dirige pas tout son amour vers le Seigneur, autant qu’il serait au pouvoir de son libre choix et de sa volonté.
Un seul exemple te fera comprendre tout ce que je veux dire. Il arrive à chacun de discerner clairement et de voir que ce qu’il veut faire ne convient pas ; mais, parce qu’on aime la chose et qu’on n’y renonce pas, on est vaincu par elle. Tout d’abord, une lutte et un combat se livrent à l’intérieur, dans le cœur ; on met en balance l’amour de Dieu et l’amour du monde, on les soupèse, on en compare le poids. Puis on va plus loin, et on se demande si l’on va en venir à livrer bataille et à combattre sin frère, en se disant en soi-même : Vais-je parler, ou ne rien dire ? Vais- je répliquer, ou me taire ? On se souvient bien de Dieu, mais on veut aussi sauvegarder sa propre gloire, et on ne se renie pas soi-même. Si l’amour du monde et son poids viennent à prévaloir, qi peu que ce soit, sur la balance du cœur, aussitôt le mot méchant vient sur les lèvres. Alors l’intellect, tendant intérieurement son arc, en quelque sorte, dirige ses flèches contre le prochain, au moyen de la langue, et lui décoche intentionnellement les traits de paroles blessantes, voulant préserver sa propre gloire. Il continue si bien à décocher ces paroles mauvaises, qu’à la fin le péché se communique aussi aux membres, pour les entrainer à échanger des coups. Alors, tantôt on en vient à des blessures provoquées par le combat de nos membres contre ceux d’autrui, tantôt le désir inspiré par le Malin conduit au meurtre et à l’homicide. Vois donc par où commence et où conduit l’amour de la gloire mondaine, quand le poids de la volonté propre l’emporte sur la balance du cœur. Tous ces méfaits viennent de ce qu’on ne s’est pas renoncé soi-même et qu’on a aimé quelque chose du monde. Il en va ainsi, crois-moi, pour chaque péché et chaque action mauvaise : la malice flatte la volonté de l’intellect et l’incline vers les convoitises du monde, vers ses illusions et vers le plaisir de la chair. Telle est l’origine de toute œuvre mauvaise, adultère, vol, avarice, ivresse, cupidité, vaine gloire, jalousie, ambition, et tout autre péché. Des actes bons en apparence sont parfois accomplis pour obtenir la gloire et les louanges des hommes ; mais, devant Dieu, ils sont semblables aux injustices, aux vols et aux autres péchés. Car Dieu a dit : « Il disperse les ossements de ceux qui veulent plaire aux hommes » (Ps. 52, 6). C’est ainsi que le méchant veut se servir d’œuvres qui semblent bonnes. Il s’entend en effet à parer d’artifices variés et de tromperies les convoitises du monde.
Quand un homme porte volontairement les chaines d’un amour terrestre et charnel, le mal se sert de ce moyen pour le séduire, jusqu’à ce que cet amour devienne un lien, une entrave, un fardeau pesant qui l’enfance dans le mal et l’y suffoque, qui l’empêche de prendre son essor et d’aller vers Dieu. En effet, tout ce qu’on aime de ce monde fait descendre l’intellect, le maintient au sol et l’empêche de reprendre son essor. Tout le genre humain est suspendu à cette balance et soumis à ce test du mal, pour y être pesé et éprouvé, y compris les chrétiens, qu’ils habitent les villes ou les montagnes, les monastères ou la campagne, ou les déserts. En effet, si un homme, séduit par sa propre volonté, aime quelque objet, dès lors son amour est enchainé quelque part et ne tend plus tout entier vers Dieu. L’un aimera, par exemple, les richesses, un autre l’or et l’argent, d’autres ce qui satisfait le ventre ou les désirs de la chair, d’autres encore se complairont dans l’éloquence mondaine qui procure la gloire humain, ou dans le commandement, le ressentiment – car lorsqu’on cède facilement à la passion, on en vient à l’aimer, - ou dans les fréquentations qui ne conviennent pas, la jalousie, les journées passées dans des plaisirs futiles, les raisonnements creux et illusoires ; on aimera jouir d’une réputation de juriste consommé, pour une gloire humaine, ou se livrer aux délices de la mollesse et de l’insouciance ; on s’attachera aux vêtements et aux chiffons, aux soucis de la terre, au sommeil, aux conversations plaisantes ou obscènes. Qu’il soit petit ou grande, l’objet de ce monde qui lie un homme le retient et l’empêche de prendre son essor. Celui qui ne lutte pas généreusement contre la passion en vient à l’aimer ; elle le domaine alors, l’accable incapable d’élever son intellect vers Dieu, de lui plaire et de ne servir que lui seul, et aussi de travailler pour lr Royaume et d’obtenir la vie éternelle.
En effet, quand une amé s’élance véritablement vers le Seigneur, elle dirige vers lui tout son amour, s’attache délibérément à lui seul de toute sa force, obtient en outre le secours de la grâce, se renonce elle-même, ne suit plus les volontés de son intellect, lequel est trompeur parce que le mal nous habite et nous séduit ; au contraire, cette âme se livre totalement à la parole du Seigneur, s’arrache, autant qu’il est possible à sa volonté, à tout lien visible et s’abandonner sans réserve au Seigneur ; et c’est ainsi qu’elle pourra traverser sans difficultés les combats, les peines et les tribulations.
En effet, dans ce qu’on aime, on trouve un secours ou un poids qui nous entraine. Si l’on aime quelque chose du monde, cet amour devient un fardeau et un lien qui entrainent vers le bas et empêchent de s’élever vers Dieu. Aime-t-on au contraire le Seigneur et ses commandements, on trouvera en cela aide et soulagement, et tous les préceptes du Seigneur deviendront alors faciles à observer, pourvu qu’on garde entièrement son amour pour le Seigneur. Cet amour, comme un poids, entraine vers le bien ; mieux encore, il rend aisé et léger tout combat et toute tribulation. Grace à la puissance divine, l’homme met en pièces le monde et les forces du mal, qui tendent des pièges à son âme et l’enchainent dans l’abime du monde par les lacets de convoitises de pénibles, par le secours d’en haut – ce lieu où tend son amour – il en sera délivré, il sera jugé digne du Royaume éternel, qu’il a aimé véritablement, de sa propre volonté, et, avec le secours de Dieu, il ne sera pas privé de la vie éternelle.
Nous pouvons montrer, en prenant des exemples parmi les choses visibles, comment, du fait de leur propre volonté, beaucoup d’hommes périssent, sont engloutis dans la mer ou trainés en captivité. Suppose qu’une maison soit dévorée par le feu : celui qui veut avoir la vie sauve, dès qu’il perçoit l’incendie, s’enfuit, nu, abandonnant tout ; son unique souci est de préserver sa vie, et il est sauvé. Mais un autre veut emporter quelques meubles de la maison, l’enveloppe alors qu’il est encore à l’intérieur, et le consume. Tu vois comment, à cause de l’amour dont il a aimé un objet transitoire, il périt dans le feu par sa propre volonté. Il en va de même quand, sur mer, des hommes sont surpris par la tempête et font naufrage. Celui qui enlève ses vêtements et se jette nu dans la mer, voulant seulement sa vie, est ballotté par les vagues et nage à la surface, parce que rien ne l’entrave ; il parvient ainsi à traverser les flots amers et sauve la vie. Au contraire, celui qui voulant sauver aussi ses vêtements, croit qu’il pourra nager et se tirer d’affaire en gardant tout sur lui, s’enfonce dans la mer, alourdi par ce qu’il a emporté. Pour un gain minime, il se perd, incapable de sauver sa vie. Tu vois comment, par sa propre volonté, il perd la vie.
Suppose encore que l’on apprenne que des ennemis lancent une attaque. L’un prend aussitôt la fuite, sans différent dès qu’il entend la nouvelle, et il s’échappe nu. Un autre hésite à croire que l’ennemi approche, ou veut encore prendre avec lui quelques unes de ses affaires, et retarde sa fuite. Mais les ennemis surviennent, le saisissent ; l’emmènent en captivité en pays ennemi et le réduisent en esclavage. Tu vois encore comment, par sa propre volonté, à cause de sa lâcheté, de son amour pour quelques objets, il a été trainé en captivité. Il s’en va de même pour ceux qui ne suivent pas les commandements du Seigneur ne renoncent pas à eux-mêmes et n’aiment pas exclusivement le Seigneur, mais qui, au lieu de cela, se laissent volontairement enchainer par des liens terrestres. Quand le feu éternel fera irruption, il les trouvera captivés par l’amour du monde, et ils seront consumés, engloutis, dans l’amer océan du mal, et trainés en captivité par les ennemis, c’est-à-dire par les esprits mauvais, et ils périront.
Si tu veux apprendre des Ecritures saintes et inspirées de Dieu l’amour parfait du Seigneur, dans toute sa rectitude, porte les yeux sur Job, qui s’est, pour ainsi dire, dépouillé de tout ce qu’il possédait : enfants, biens, troupeaux, serviteurs, et le reste ; ainsi dépouillé, il s’est enfui pour se sauver, ayant renoncé même à son vêtement, qu’il jeta aux pieds de Satan ; son cœur et ses lèvres se refusèrent à blasphémer devant le Seigneur, mais au contraire, il bénit le Seigneur en disant : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a enlevé ; comme il a plu au Seigneur, ainsi en est-il advenu. Que le nom du Seigneur soit béni ! » (Job, 1, 21). Il semblait posséder beaucoup ; mais quand il fut éprouvé par le Seigneur, il apparut qu’il ne possédait rien, sinon Dieu seul.
De même Abraham, quand il eut reçu du Seigneur l’ordre de sortir de sa terre, de sa famille et de la maison de son père, se dépouilla sur le champ, pour ainsi dire, de tout : de sa patrie, de sa terre, de sa parenté, de ses père et mère, et il suivit la parole du Seigneur. Dans la suite, des épreuves et des tentations de toute sorte fondirent sur lui : sa femme lui fut enlevée, il dut habiter à l’étranger et subir l’injustice. Par tout cela, il montra qu’il n’aimait que Dieu seul, par-dessus toutes choses. Quand, plus tard, après de longues années, conformément à la promesse, il eut obtenu le fils unique tant désiré, il reçut l’ordre de l’immoler lui-même de bon cœur : il se dépouilla de lui-même et se renonça véritablement. Par le sacrifice de son propre fils, il montra qu’il n’aimait rien en dehors de Dieu. Car, s’il se dépouilla de bon cœur de son fils, combien davantage était-il prêt, si on le lui avait demandé, à renoncer à toute autre possession ou à distribuer en une fois tous ses biens aux pauvres. Vois-tu ce qu’est, dans toute sa rectitude, l’amour parfait du Seigneur, procédant de la volonté ?
Ceux qui veulent devenir les cohéritiers de ces hommes doivent eux aussi ne rien aimer en dehors de Dieu, de sorte que, quand ils seront éprouvés, ils soient trouvés utiles et de bon aloi, pour avoir gardé en eux un amour parfait pour le Seigneur. Ceux-là seuls pourront tenir jusqu’à la fin du combat qui d toute leur volonté n’aiment que Dieu seul, en tout temps, et se dépouillent de tout amour terrestre. Il est vrai qu’on ne trouve qu’un très petit nombre d’hommes qui soient capables d’un tel amour et qui renoncent à tous les plaisirs et à toutes les convoitises du monde, et soutiennent courageusement les assauts et les tentations du Malin. Nombreux sont ceux qui, en essayant de passer des fleuves, sont emportés par les eaux. Mais n’y en a-t-il pas aussi qui traversent les flots bourbeux des multiples convoitises du monde et des tentations variées des esprits malins ? Et si, en mer, beaucoup de navires sont submergés par les vagues et font naufrage, n’y en a-t-il pas aussi qui réussissent la traversée, glissent sur les vagues et parviennent au havre de paix ?
Il nous faut donc toujours une grande foi, de l’endurance, des combats, de la patience, des labeurs et des peines, la faim et la soif du bien, de la pénétration d’esprit, de l’audace, du discernement et de l’intelligence. La plupart des hommes, en effet, veulent entrer dans le Royaume sans peine, sans combat et sans sueur, - chose bien impossible. Dans le monde, il arrive que des gens viennent trouver un homme riche pour travailler à la maison ou à quelque autre ouvrage, afin de se procurer ce dont ils ont besoin pour vivre. Mais certains d’entre eux sont nonchalants, mous et inactifs ; ils ne prennent pas la peine qu’il faut et ne fournissent pas un labeur suffisant ; or, bien qu’ils ne se soient pas fatigués et n’aient pas peiné dans la maison du riche, ils veulent cependant recevoir le même salaire que ceux qui ont travaillé courageusement, vite et de toutes leurs forces, comme s’ils avaient accomplir leur travail. Ainsi, quand nous lisons dans l’Ecriture comment tel juste a plu à Dieu, comment il est devenu un ami et un familier de Dieu, comment tous les Pères sont devenus les amis et les héritiers de Dieu, quelles tribulations ils ont supportées, quelles souffrances ils ont endurées pour Dieu, quel bien ils ont fait et quels combats ils ont menés, nous les félicitons, nous voulons obtenir les mêmes récompenses et les mêmes honneurs, nous concevons un ardent désir de ces dons glorieux, mais nous passons à côté de leurs labeurs, de leurs combats, de leur tribulations et de leurs souffrance. Nous acceptions volontiers de recevoir les mêmes honneurs et les mêmes dignités qu’eux, mais non de partager leurs fatigues, leurs labeurs et leurs combats.
Je te le dis : cela, tout homme le désire et le veut, y compris les prostituées, les publicains et les malfaiteurs ; ils voudraient volontiers entrer dans le Royaume sans fatigues et sans combats. Mais il se présente des tentations et de nombreuses épreuves, des tribulations, des combats et des sueurs, qu’il faut supporter en chemin, précisément pour que l’on voie lesquels aiment véritablement le Seigneur seul, jusqu’à la mort, de toute leur volonté et de toutes leurs forces, et ne tiennent pour désirable rien d’autre que l’amour envers lui. Voilà pourquoi ceux-là entrent légitimement dans le Royaume, qui se sont reniés eux-mêmes, selon la parole du Seigneur, et qui n’ont aimé que le Seigneur seul, plus que leur propre souffle. Voila pourquoi leur amour suprême aura pour récompense les suprêmes dons célestes. Car dans les tribulations, les souffrances, la patience et la foi, sont cachées les promesses, la gloire et la réintégration dans les biens célestes, comme est cachée la récolte dans le blé qu’on jette en terre, ou dans l’arbre que stimule le fumier et qui pousse à travers les immondices, mais qui apparaîtra ensuite revêtu de splendeur et de gloire et couvert de fruits. En effet, s’ils n’étaient pas passés à travers cette infamie et cet anéantissement, ils ne seraient pas apparus avec cette beauté resplendissante, cet aspect éclatant et cette abondance de fruits. Comme le dit l’Apôtre : « C’est à travers de multiples tribulations que vous pourrez entrer dans le Royaume des cieux » (Actes, 14, 21). Et le Seigneur a dit : « Vous posséderez vos âmes par votre patience » (Lc, 21, 19). Et encore : « Dans le monde, vous aurez des tribulations » (Jn, 16, 33). Il faut beaucoup de labeur, d’efforts, de sobriété, d’attention, d’intensité et d’importunité dans la prière au Seigneur, pour échapper aux pièges des convoitises terrestres, aux lacets des plaisirs, aux tempêtes du monde et aux attaques des esprits mauvais ; pour bien comprendre aussi combien il a fallu ici-bas aux saints de foi et de charité vigilante et ardentes pour acquérir dans leurs âmes le trésor céleste, c’est-à-dire la force du Saint-Esprit, qui est le gage du Royaume. Le bienheureux apôtre Paul traite de ce trésor céleste, qui est la grâce du Saint-Esprit ; il reconnaît que les tribulations sont sans mesure, mais en même temps il montre ce que chacun doit chercher à en retirer et ce qu’il doit obtenir : « Car nous savons, dit-il, que, si notre tente terrestre vient à être détruite, nous avons une demeure qui est l’œuvre de Dieu, une maison éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les cieux » (2 Cor., 5, 1).
Il faut donc que chacun combattre, s’efforce de pratiquer toutes les vertus et croie ; c’est ainsi qu’il acquerra cette maison. Car, si la maison de notre corps s’écroule, nous n’en avons pas d’autre pour recevoir notre âme, « si toutefois, dit l’Apôtre, nous sommes trouvés vêtus et non pas nus » (2 Cor., 5, 3), c’est-à-dire dépouillés de la communion et du mélange avec le Saint-Esprit, dans lequel seul l’âme fidèle peut se reposer. Voila pourquoi ceux qui sont véritablement chrétiens et qui agissent comme tels sont pleins de confiance et se réjouissent quand ils émigrent de leur corps, parce qu’ils possèdent cette maison qui n’est pas faite de main d’homme et qui est la vertu du Saint-Esprit habitent en eux. Si donc la maison de leur corps est détruite, ils sont sans crainte, puisqu’ils ont la maison céleste de l’Esprit et cette gloire incorruptible qui, au jour de la résurrection, relèvera et glorifiera la maison du corps, comme le dit l’Apôtre : « Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit, qui habite en vous » (Rom., 8, 11). Et ailleurs : « Pour que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle » (2 Cor., 4, 10). Et ceci : « Pour que ce qui est mortel soit absorbé par la vie » (2 Cor., 5, 4).
Combattons donc, par la foi et par une conduite vertueuse, pour obtenir ce vêtement, afin que, lorsque nous nous dévêtirons de notre, on ne nous trouve pas nus, et qu’il ne nous manque pas ce qui en ce jour glorifiera notre chair. Car le corps sera alors lui-même glorifié dans la mesure exacte où chacun, grâce à sa foi et à son zèle, aura été rendu digne de participer au Saint-Esprit. Les trésors que l’âme recueille maintenant en elle-même, seront alors révélés et paraitront extérieurement dans le corps. C’est ainsi que les arbres, quand l’hiver est passé, réchauffés par la vertu invisible du soleil et des brises, produisent de l’intérieur et se tissent comme un vêtement de feuilles, de fleurs et de fruits. De même, en cette saison, les fleurs des champs sortent du sein de la terre, le sol se couvre et se revêt d’un manteau, et l’herbe pousse comme les lis, dont le Seigneur dit : « Même Salomon, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux » (Mt., 6, 29). Ce sont là des exemples, des figures et des images des chrétiens à la résurrection.
C’est pour cela que toutes les âmes qui aiment Dieu, c’est-à-dire tous les vrais chrétiens, considèrent le xanthique, qu’on appelle aussi avril, comme le premier des mois, car c’est le temps de a résurrection, où, par la puissance du Soleil de justice, la gloire du Saint-Esprit surgit de l’intérieur des âmes, couvre et enveloppe les corps des saints des saints. Cette gloire, ils la possédaient jusque-là cachée à l’intérieur des âmes. Maintenant, ce qui était caché se manifeste au dehors dans le corps. Ce mois, dis-je, est le premier de l’année ; il apporte de la joie à toute créature, il habille les arbres dénudés et ouvre le sein de la terre, il apporte de la joie à tous les êtres vivants, il met tout chose en liesse. Ce mois de xanthique est le premier mois des chrétiens, le temps de la résurrection, où les corps seront glorifiés par la lumière ineffable qui habite dès maintenant en eux, c’est-à-dire par la vertu du Saint-Esprit, qui sera pour eux vêtement, nourriture, boisson, allégresse, joie, paix, ornement et vie éternelle. L’Esprit divin, qu’ils ont été jugés dignes de recevoir dès maintenant, deviendra alors pour eux beauté totale et éclatante et splendeur céleste.
Comment alors chacun d’entre nous ne devrait-il pas croire, combattre et s’efforcer de mener une vie ornée de toutes les vertus, et attendre, avec une grande espérance et une grande patience, d’être trouvés digne d’obtenir maintenant la force céleste et a gloire du Saint-Esprit à l’intérieur de l’âme, afin d’avoir, lorsque le corps se dissoudra, quelque chose qui nous revête et nous vivifie ? Il est écrit : « Si toutefois nous sommes trouvés vêtus et non pas nus » (2 Cor., 5, 3). Et ailleurs : « Il ressuscitera nos corps mortels par l’Esprit qui habite en nous » (Rom., 8 ; 11). Le bienheureux Moise, par la gloire de l’Esprit qui rayonnait de sa face et que personne ne pouvait regarder fixement (cf. Ex., 34, 29), nous a donné une préfiguration de la manière dont, à la résurrection des justes, les corps de ceux qui en seront dignes seront glorifiés. Or cette gloire, les âmes des saints et des fidèles ont été jugés dignes de la posséder dès maintenant dans l’homme intérieur. Car il est écrit : « Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à son image, de gloire en gloire » (2 Cor., 3, 18). Et ailleurs : « Pendant quarante jours et quarante nuits, Moise ne prit ni pain ni eau » (Ex., 34, 28). Mais il est impossible que la nature corporelle ait pu subsister si longtemps sans pain, si elle n’avait pas reçu une autre nourriture, spirituelle celle-là, nourriture que les âmes des justes reçoivent dès maintenant invisiblement de l’Esprit.
C’est donc d’une double manière que le bienheureux Moise a préfigurée quelle gloire lumineuse et quels délices spirituels de l’Esprit posséderont les vrais chrétiens lors de la résurrection ; elles leur sont d’ailleurs accordées dès maintenant d’une manière cachée, mais alors elles se manifesteront aussi dans le corps. Car la gloire que les saints, comme il a été dit, possèdent déjà maintenant dans leurs âmes, recouvrira et revêtira les corps nus et les enlèvera au ciel, et alors nous nous reposerons de corps et d’âme dans le Royaume avec le Seigneur pour les siècles. Quand Dieu créa Adam, il ne le pourvut par d’ailes corporelles comme les oiseaux, mais il tint en réserve pour lui les ailes du Saint-Esprit, c’est-à-dire les ailes qu’il lui donnera lors de la résurrection, pour qu’elles le soulèvent et l’emportent où le veut l’Esprit. Ces ailes, les âmes des saints les possèdent dès maintenant, pour s’envoler par l’intellect vers des pensées célestes. Car les chrétiens ont un autre monde que les autres, une autre table, un autre vêtement, un autre plaisir, une autre communion, une autre manière de penser. C’est pour cela qu’ils surpassent tous les hommes. La capacité de tout cela, ils ont été jugés dignes de la recevoir de l’Esprit, dès maintenant, au-dedans de leurs âmes. C’est pourquoi, à la résurrection, leurs corps seront jugés dignes de posséder ces biens éternels de l’Esprit et d’être mêlés à cette gloire, dont leurs âmes ont reçu dès maintenant l’expérience.
C’est pourquoi chacun d’entre nous doit lutter, peiner, s’appliquer avec zèle à la pratique de toutes les vertus, croire et demander au Seigneur de faire participer dès maintenant notre homme intérieur à cette gloire et à cette sainteté de l’Esprit, afin que, purifiés de la souillure du mal, nous ayons aussi à la résurrection quelque chose qui puisse revêtir nos corps nus ressuscités, couvrir notre nudité, nous vivifier et nous donner le repos pour les siècles dans le royaume des cieux. Car le Christ va descendre du ciel et ressusciter tous les descendants d’Adam qui se sont endormis depuis le commencement, conformément aux Saintes Ecritures. Il les placera tous sur deux rangs. Ceux qui porteront le signe distinctif, c’est-à-dire le sceau du Saint-Esprit (cf. Apoc., 7, 2), seront désignés comme lui appartenant et placés à sa droit. « Mes brebis entendent ma voix » (Jn, 10, 27), dit-il, et « je connais les miens et je suis connu des miens » (Jn, 10, 14). Et leurs corps seront alors enveloppés d’une gloire divine, en vertu de leurs bonnes œuvres, et eux-mêmes seront remplis de la gloire de l’Esprit, qu’ils possédaient déjà dans leur âme. Ainsi glorifiés par la lumière divine et enlevés dans les cieux à la rencontre du Seigneur dans les airs, comme il est écrit, nous serons toujours avec le Seigneur (cf. 1 Thess., 4, 17), et nous règnerons avec Lui dans les siècles sans fin. Amen.
Sur le royaume des ténèbres, c’est-à-dire du péché ; et que Dieu seul peut nous libérer du péché et nous délivrer de l’esclavage du prince de la malice
Le royaume des ténèbres, le Prince pervers, a, dès le commencement réduit l’homme en captivité ; il a enveloppé et revêtu son âme de la puissance des ténèbres. Comme on fait d’un homme un roi, comme on le couvre de vêtement royaux, de telle sorte que de la tête aux pieds il est revêtu d’ornements royaux, ainsi le Prince pervers a-t-il revêtu du péché l’âme et toute sa substance, il l’a souillée tout entière et l’a réduite toute entière en servitude dans son royaume. Il n’a laissé en liberté aucun de ses membres : ni ses pensées, ni son intellect, ni son corps ; mais il l’a couverte entièrement de la pourpre des ténèbres. De même que le corps ne souffre pas seulement dans l’une de ses parties ou dans l’un de ses membres, mais est tout entier sujet à la douleur, ainsi l’âme tout entière subit les passions du mal et du péché. C’est donc l’âme tout entière, cette partie et ce membre principal de l’homme, que le Malin a enveloppé de sa malice, c’est-à-dire du péché. Et ainsi le corps est devenu passible et corruptible.
Quand l’Apôtre dit : « Dépouillez le vieil homme » (Eph., 4, 22), il entend par là un homme tout entier, ayant des yeux en plus de nos yeux, une tête en plus de notre tête, des oreilles en plus de nos oreilles, des mains en plus de nos mains, des pieds en plus de nos pieds. Car c’est l’homme tout entier, âme et corps, que le Malin a souillé et renversé ; et il a revêtu l’homme d’un « vieil homme » souillé, impur, ennemi de Dieu et qui ne se soumet pas à la loi de Dieu (cf. Rom., 8, 7), le péché même, de sorte que l’homme ne voit plus comme il veut, mais voit et entend de façon perverse, que ses pieds sont empressés à faire le mal (cf. Prov. 6, 18), que ses mains commettent l’iniquité et que son cœur a de mauvais desseins. Prions donc Dieu, nous aussi, pour qu’il nous dépouille du vieil homme, car seul il peut nous enlever notre iniquité. En effet, ceux qui nous ont réduits en captivité sont plus forts que nous et nous tenons prisonniers dans leur royaume. Mais Dieu lui-même nous a promis de nous libérer de cette servitude mauvaise. Le soleil a son propre corps et propre nature, et de même le vent a sa propre nature et son propre corps, et cependant personne ne peut séparer le vent du soleil, sauf Dieu seul ; à qui il appartient de calmer le vent pour qu’il ne souffle pas ; de même, le péché et l’âme sont mêlés, bien qu’ils aient chacun leur propre nature.
Il est donc impossible de séparer l’âme du péché, si Dieu ne calme et n’arrête ce mauvais vent qui habite dans l’âme et dans le corps. Autre comparaison : un homme qui voit voler un oiseau et voudrait voler lui aussi en est incapable, parce qu’il est dépourvu d’ailes ; de même, chez l’homme, il y a bien la volonté (cf. Rom., 7, 18) d’être pur, sans reproche et sans souillure, libre de toute malice, et d’être toujours avec Dieu : mais il lui en manque le pouvoir. L’homme voudrait bien s’envoler dans l’atmosphère divine et dans la liberté du Saint-Esprit ; mais, aussi longtemps qu’il ne reçoit pas d’ailes, il ne peut le faire. Supplions donc Dieu de nous donner « les ailes de la colombe » (Ps. 54, 7) du Saint-Esprit, afin que nous volions vers lui et que nous reposions, et pour que soit apaisé et séparé de notre âme et de notre corps le vent mauvais, le péché, qui habite dans les membres de notre âme et de notre corps. Lui seul en effet est capable de le faire. N’est-il pas écrit : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » ? (Jn, 1, 29). Lui seul a accordé aux hommes qui croient en lui cette miséricorde qui consiste à les délivrer du péché, et il sauve de cette même manière ineffable ceux qui espèrent continuellement en lui, et qui l’attendent et le prient sans cesse.
Comme un vent sauvage qui souffle dans une nuit obscur et ténébreuse, ébranle, agite et secoue toutes les plantes et toutes les graines, ainsi l’homme qui est tombé au pouvoir de la nuit, des ténèbres et de Satan, et qui vit dans cette nuit ténébreuse, est violemment secoué, agité et ébranlé par le vent terrible du péché, qui souffle et pénètre toute sa nature, son âme, ses pensées, son intellect, et qui secoue tous les membres de son corps ; aucun membre du corps ni de l’âme ne demeure libre et impassible à l’égard du péché qui habite en nous. Il en va de même du jour lumineux et du vent divin de l’Esprit-Saint : il souffle et réconforte les âmes qui vivent dans le jour de la lumière divine ; il imprègne toute les membres du corps et les remplit d’une paix divine et inexprimable. C’est là ce que disait l’Apôtre : « Mais nous, nous ne sommes pas les enfants de la nuit et des ténèbres, car vous tous, vous êtes enfants de la lumière et du jour » (1 Thess., 5, 5). Et de même que là-bas, dans l’égarement, le vieil homme se dépouille de l’homme parfait et porte le vêtement du royaume ténébreux, le vêtement du blasphème, de l’incrédulité, de l’insolence, de la vanité, de l’orgueil, de l’avarice et de la convoitise, et les autres vêtements loqueteux, impurs et souillés du royaume des ténèbres, de même ici, à l’inverse, ceux qui se dépouillent du vieil homme, de l’homme terrestre, ceux auxquels Jésus enlève les vêtements du royaume ténébreux, revêtant l’homme nouveau et céleste, Jésus-Christ, et possèdent, d’une façon semblable, des yeux en plus de leurs yeux, des oreilles en plus de leurs oreilles, une tête en plus de leur tête, de sorte que l’homme devient entièrement pur et porte l’image céleste.
Et le Seigneur le revêt des vêtements du royaume de la lumière ineffable, des vêtements de la foi, de l’espérance, de la charité, de la joie, de la paix, de la bienveillance et de la bonté, ainsi que de tous les autres vêtements divins et vivants de la lumière, de la vie, du repos ineffables, afin que l’homme nouveau devienne par grâce ce que Dieu est : amour, joie, paix, bienveillance et bonté. Et de même que le royaume des ténèbres et le péché sont cachés dans l’âme jusqu’au jour de la résurrection, et qu’alors le corps des pécheurs sera lui-même enveloppé dans les ténèbres qui sont à présent encore cachés dans l’âme, ainsi le royaume de la lumière et l’image céleste, Jésus-Christ, illuminent maintenant mystiquement l’âme et règnent dans l’âme des saints ; caché aux yeux des hommes, le Christ n’est vraiment visible qu’aux yeux de l’âme, jusqu’au jour de la résurrection, où le corps lui-même sera enveloppé et glorifié par la lumière du Seigneur, lumière qui est déjà dans l’homme quant à son âme, afin que le corps lui aussi règne conjointement avec l’âme, laquelle reçoit dès à présent le Royaume du Christ, avec son repos et sa lumière éternelle. Gloire soit à sa compassion et à sa tendresse, car il a pitié de ses serviteurs, il les illumine, les délivre du royaume des ténèbres et leur accorde sa lumière et son royaume. A lui soient la gloire et la puissance dans les siècles. Amen.