Dans le tableau intéressant de la communauté copte-jacobite contemporaine que contient l'histoire écrite et publiée par Nakhleh Bey Roufîeh (1), la figure qui se détache le plus clairement du canevas est celle du patriarche Cyrille IV, qui succéda à Pierre VII en 1854, et mourut en 1861.

C'est lui qui a jeté les fondations des changements sociaux et intellectuels qui ont transformé ses compatriotes depuis le milieu du siècle dernier. C'est de son école que sont sortis ces jeunes hommes, ennemis de l'ignorance et de la barbarie, pleins de zèle pour la science et le progrès, qui ont réussi à se faire les égaux des Européens dans tout ce qui vaut le mieux de notre civilisation. C'est lui qui a semé les germes de ces sociétés éclairées et charitables, lesquelles ont secouru les pauvres, établi partout des écoles pour les filles aussi bien que pour les garçons, fait imprimer des livres, fondé des journaux, créé une littérature périodique, et enfin amené une amélioration des mœurs sociales.

Il vaut donc la peine d'étudier le portrait d'un tel homme, qui peut bien soutenir la comparaison avec les modèles fournis par les pays qui peuvent se vanter d'un plus haut degré de civilisation matérielle. Bien qu'il ait appartenu à une église séparée, tout le monde peut apprendre quelque chose en regardant de plus près un tel caractère. Pour le bien comprendre, il faut nous placer au point de vue des Orientaux, et le peu que l'on en dira ici est emprunté à l'ouvrage arabe qui vient d'être cité, dont aucune traduction européenne n'a été imprimée, que je sache.

David, — car tel était le nom de baptême de celui qui, lorsqu'il monta plus tard sur le trône de saint Marc, s'appela Cyrille IV, —
naquit dans un petit village près de Girgeh. Le nom du village veut dire « Les Ermitages Orientaux » et semble indiquer l'origine monastique du lieu. Cette partie de la Haute-Égypte est restée un centre chrétien. C'est à Girgeh, par exemple, on peut se le rappeler, que naquit ce Copte savant qui a tant travaillé pour faire connaître en Europe la langue ancienne et les formulaires chrétiens de son pays, je veux dire l'évêque Raphaël et-Toukhi, mort à Rome en 1787.

Le jeune David naquit de pauvres parents à Es-Saouàmi' ech-Charqieh. Il se distingua par sa haute taille et sa force physique, aussi bien que par son désir avide de s'instruire. Malgré la pauvreté de sa famille et l'ignorance partout répandue, le jeune paysan réussit à apprendre les éléments de l'arithmétique et parvint à lire et à écrire couramment non seulement l'arabe, mais aussi le copte. Cette dernière étude fut une tâche difficile, puisque, à cette époque, il n'y avait en Égypte ni grammaire imprimée ni dictionnaire de la vieille langue. Tout ce qu'il y avait, c'étaient des traductions arabes écrites à côté du texte copte des livres liturgiques et bibliques, et des sullam (échelles), espèces de vocabulaires élémentaires, assez rares à trouver, à la tête desquels on avait ajouté quelquefois des ébauches de grammaire, très défectueuses au point de vue moderne.

À un âge plus mûr, David lia amitié avec une tribu de Bédouins du voisinage, qui lui apprirent à monter à cheval, si bien que, dans les courses qu'ils aimaient à faire à travers le désert, il les battit souvent ; et tout le monde sait que ces Arabes sont des cavaliers de première force.

Le professeur copte de David a probablement été quelque moine plus ou moins instruit, car à vingt-deux ans, il se détermina à embrasser l'état monastique, et les prières de ses parents ne purent le détourner de cette résolution. Il trouva un bel endroit, consacré par tous les souvenirs de l'antiquité chrétienne, pour son entrée dans la vie religieuse. Ce fut, en effet, au monastère de Saint-Antoine, près de la mer Rouge, que David se fit novice. Plus haut, sur une pente escarpée de la montagne, s'ouvre la caverne où il montait pour prier à l'endroit même où le fondateur du monachisme a prié il y a mille cinq cents ans. C'est une vue magnifique, mais sévère, qui s'étend là sous les yeux du spectateur. Il n'y voit que des déserts et des rochers et, au loin, la mer et le mont Sinaï, le tout entouré de l'auréole de cette lumière éblouissante de la vieille Égypte. En face du monastère, selon la croyance des Coptes, les Israélites ont traversé la mer lorsqu'ils échappaient à leurs cruels ennemis, qui les avaient tant opprimés durant des siècles. Combien de fois le jeune David a dû chanter intérieurement le psaume In exitu Israël, en regardant cette mer lointaine, en rêvant à la délivrance de son peuple des puissances de l'ignorance et du mal !

Parmi les moines, les talents de David, son industrie, son originalité et son bon sens se firent bientôt valoir. Il devint vite un professeur dont ses frères cherchaient les leçons. Ils s'assemblaient autour de lui et l'écoutaient volontiers pendant qu'il lisait et expliquait ce qu'il venait de lire. La vieille règle exige trois ans de noviciat, mais peut-être la supériorité du caractère de David l'a-t-elle emporté sur la loi écrite, puisqu'il était, semble-t-il, dès son entrée, plutôt maître qu'élève. Il se plaça naturellement à la tête du couvent, comme Joseph fut préposé tout de suite à la maison de Putiphar. Quelques années plus tard, le père supérieur mourut, et les moines, d'un commun accord, élurent David pour lui succéder.

La route qui mène du Nil au monastère de Saint-Antoine part de la rive orientale du fleuve vis-à-vis de la ville de Bousche. C'est à ce point qu'a existé depuis le quatrième siècle un autre couvent du même nom, d'où l'on envoyait les provisions nécessaires à la maison-mère. Cette dépendance, que Palladius nomme le monastère de Pispir (éd. Dom C. Butler, II, p. 63 suiv.), fut souvent visitée, selon lui, par saint Antoine même, avec lequel le moine Cronius y a causé. L'entretien a dû être en copte, puisque c'était la seule langue que comprenait le fondateur du monachisme, et Cronius a servi d'interprète entre lui et Eulogius, qui ne savait que le grec.

Dans ce voisinage, le monastère ancien possède toujours des biens, et Bousche est encore un des grands centres chrétiens de l'Égypte. Dans les premières années du gouvernement du jeune abbé, il prépara un bâtiment dans un hameau près de Bousche et le consacra à une première réalisation des projets qu'il avait déjà conçus au sujet de l'instruction publique parmi ses coreligionnaires. Dans cette maison, il recueillit tous les livres qu'il put se procurer, y compris quelques-uns provenant de la bibliothèque de Saint-Antoine. La maison devenait entre ses mains une salle d'études, où des maîtres zélés expliquaient à des étudiants enthousiastes les éléments de la religion, de la littérature et de l'histoire.

David fonda aussi une école pour enseigner à la jeunesse copte de Bousche la langue arabe selon ses règles grammaticales, les différentes branches de la littérature arabe, et enfin la langue copte. Il est touchant de lire que, pour le bien de ses élèves, l'abbé travaillait lui-même à perfectionner sa connaissance du copte, de sa syntaxe et de ses inflexions.

Vers la fin de la vie du patriarche Pierre VII, des désordres se produisirent parmi le clergé abyssin, dont la plupart des membres s'opposaient à leur métropolitain. Par malheur, le gouvernement abyssin prit le parti des prêtres indigènes contre leur chef copte. Pour terminer cette crise, il fallait que quelqu'un, muni de pleins pouvoirs, allât en Abyssinie. Le patriarche ne vit personne plus apte à concilier les rebelles et à arranger la difficulté avec fermeté et courage que l'Abbé de Saint-Antoine. Pierre manda donc ce prélat au Caire et lui confia cette mission délicate, en lui révélant tout ce qu'il savait des vraies causes de la révolte. La discorde entre les deux partis était tellement sérieuse qu'il y avait raison de craindre un schisme. Le patriarche aurait entrepris lui-même, dit-il, l'œuvre de conciliation, s'il avait pu voyager aussi loin ; mais son âge avancé lui défendait d'y penser. Puisque David lui était connu pour son érudition, sa sagesse et sa résolution, il fut choisi pour cette œuvre exceptionnelle. Il est remarquable que cet homme a fait, dans le cours de sa vie, deux expéditions en Abyssinie, malgré les dangers et les difficultés de la route et la répugnance des Orientaux pour les longs voyages.

David partit pour le royaume du Négus au printemps de 1851 et, une année plus tard, pendant que l'envoyé était toujours absent, le patriarche Pierre acheva son long pontificat de quarante ans en mourant le 7 avril 1852. Peu de temps après, les évêques arrivèrent au Caire pour concourir avec les laïques principaux à l'élection d'un nouveau chef de leur communauté. À la première réunion, dans une salle du patriarcat, le nom de l'Abbé David fut l'un de ceux qui furent mis en avant. Mais quelques-uns des assistants y firent des objections, d'abord parce qu'il n'était pas encore de retour de son voyage, et ensuite parce qu'ils alléguèrent qu'il n'était pas assez connu. On savait cependant qu'il avait quitté l'Abyssinie depuis quelque temps. Avant la deuxième séance, l'un des amis de David reçut une lettre annonçant qu'il avait déjà passé la frontière égyptienne. Cette coïncidence encouragea ses partisans à demander de nouveau son élection. Mais un autre candidat, l'évêque d'Akhmîm, avait aussi bon nombre d'adhérents. Cette concurrence fut tellement vive que la deuxième séance ne donna pas de résultat, et la dispute continua jusqu'à ce que David lui-même arriva au Caire.

À ce moment, le parti opposé, voyant que David pouvait compter sur une majorité, se décida à avoir recours à un stratagème. Ils s'assemblèrent de nuit à eux seuls et nommèrent l'évêque d'Akhmîm patriarche, de sorte que son élection fut annoncée au peuple le lendemain. Ce résultat fut obtenu conformément à la volonté du vice-roi d'Égypte, Abbas Pacha, comme l'a affirmé Djad Efendi Chiha, l'un des adhérents de l'évêque. Il est à remarquer que jusqu'aux temps modernes les Coptes ont obéi avec la plus parfaite loyauté à l'ancien canon de Nicée, qui défend la translation d'un évêque au siège patriarcal. Aussi les amis de David empêchèrent par force l'intronisation de l'intrus, en fermant la porte de l'église à clé après en avoir chassé les assistants. En même temps, on présenta au gouvernement une requête dans laquelle on se plaignait de l'attitude de quelques-uns des électeurs. Par suite, les autorités suprêmes nommèrent arbitre de la querelle le vartabed des Arméniens, qui devait amener un accommodement entre les deux partis.

Comme l'explique Nakhleh Bey, le point de vue de ceux qui soutenaient David était bien différent de celui des autres. Ces derniers pensaient qu'il suffisait qu'un patriarche fût vertueux, prudent et pieux, comme leur candidat choisi ; selon eux, ses devoirs ne seraient que de réciter les prières et d'être juge dans certains procès particuliers, qui avaient le droit de se soustraire aux tribunaux musulmans, et dans lesquels il serait question de réconcilier des époux ou d'autres qui se seraient brouillés, ou de traiter des différends au sujet des testaments. Mais les amis de David savaient que, de plus, il se distinguait par ses études et ses connaissances, et qu'il était enthousiaste des réformes. C'était la lutte entre les conservateurs et les progressistes.

Pendant que la dispute restait encore indécise, malgré les efforts du vartabed, les adversaires de David entrèrent en campagne contre lui en répandant des calomnies. Un prêtre abyssin, qui se rangea avec eux à cause de l'affaire que David venait de terminer au royaume de Théodore, l'accusa de s'y être mal comporté et d'avoir rompu ses vœux monastiques en épousant une Abyssine. Abbas Pacha s'indigna surtout lorsqu'on lui dit, sur l'autorité de ce même prêtre, que David se serait livré à des intrigues politiques à l'insu du gouvernement égyptien. Le vice-roi commanda à Hasan Pacha Monastirli, ministre de la guerre, de s'informer de cette affaire, et l'on découvrit tout de suite que le prêtre abyssin n'avait débité que des mensonges.

Nonobstant cela, la querelle traîna pendant dix mois environ. Enfin, par la médiation du vartabed arménien, on arriva à cette transaction : David serait nommé métropolitain, et plus tard, s'il s'en montrait digne, on le ferait patriarche. Abbas Pacha approuva ce compromis et témoigna sa bienveillance tardive envers le nouvel élu lui-même. David fut sacré métropolitain le 18 avril 1853.

Cette qualité lui donna le droit de présider aux affaires matérielles du patriarcat. Il se décida donc tout d'abord à fonder un collège. Ce devait être la première école supérieure destinée à l'instruction de la jeunesse copte, digne d'être rapprochée de celles que Mohammed Ali avait déjà établies pour les musulmans. Pour arriver à son but, le nouveau métropolitain acheta et démolit plusieurs maisons, et, sur leur emplacement, il fit bâtir un grand édifice. Cette fondation, qui était vraiment un grand événement dans l'histoire de la communauté, hâta l'intronisation de David comme patriarche. Il fut installé le dimanche 18 juin 1854, et prit le nom de Cyrille IV. Tous les évêques coptes assistèrent à la cérémonie, excepté ceux d'Akhmîm et d'Aboutîge.

Cyrille IV était désormais libre de la surveillance qui l'avait gêné jusque-là, et il se hâta de réaliser du moins quelques-uns de ses plans de réforme. Dans son court pontificat de sept ans, il finit la construction de son collège de l'Esbékieh dans l'enceinte du patriarcat, et il en fonda un autre dans le quartier lointain de Hart es-Sakkà'în ; il établit une imprimerie au patriarcat, et en fit venir tout le matériel de l'Europe par le moyen d'un Grec, Rafleh Obaid ; il fit élever une grande église et aussi une petite ; il organisa des réunions hebdomadaires pour le clergé ; il établit un conseil d'administration pour régir les biens de l'église et pour corriger des abus qui s'étaient introduits au patriarcat ; il fit des tentatives pour la réunion des églises.

Il fit tout cela, quoique son court séjour au Caire fût interrompu par son deuxième voyage en Abyssinie. Cette fois, ce ne fut pas une mission religieuse, mais une ambassade diplomatique. Le nouveau vice-roi, Saïd Pacha, chargea le patriarche copte de cette expédition, dont l'objet nous est caché, probablement parce qu'il n'y avait personne, parmi les officiers civils ou militaires, aussi capable ni aussi influent sur les Abyssins. C'est au mois d'août 1856 que le prélat énergique partit du Caire. Pendant le voyage, il remplissait ses moments inoccupés, malgré les fatigues, en apprenant la langue turque, tellement différente de l'arabe, de l'un des deux officiers turcs qui l'accompagnaient.

Le roi Théodore montra sa vénération envers son père spirituel en allant au-devant de lui à une distance de trois journées de la capitale. Mais ses pauvres ouailles de l'Égypte, et surtout du Caire, ressentaient de vives inquiétudes au sujet de leur pasteur, puisqu'on ne reçut pas de ses nouvelles durant une année et quatre mois. Enfin, il arriva une lettre qui leur fit part de son retour jusqu'à Khartoum, avec le chapelain royal et l'un des vizirs. Cyrille IV fit son entrée solennelle au quartier de l'Esbékieh le 17 février 1858. Toutes les rues se remplirent d'une foule débordante et enthousiaste.

Dans cette mission prolongée, on entrevoit les dangers qui entourent la diplomatie en Orient : on fit croire au roi Théodore que le patriarche était venu dans son pays surtout pour s'y livrer à des intrigues hostiles à la dynastie indigène. Au même moment, le monarque fut averti que Saïd Pacha était en train de marcher, à la tête d'une troupe nombreuse, vers le Soudan égyptien. Ce n'étaient que des évolutions ordinaires, pour exercer les soldats, mais Théodore commença à croire à une invasion imminente de ses États. Indigné de la perfidie imaginaire de Cyrille, le souverain noir, malgré son respect pour le pontife, ordonna qu'il fût strictement surveillé, et il l'aurait même fait assassiner, dit-on, si la reine n'avait pas joué le rôle de la femme de Pilate. Peu de temps après, le roi apprit que l'armée égyptienne était de retour en Égypte, et, en constatant la sincérité de Cyrille, il lui demanda pardon de ses soupçons. On dit qu'il y avait un Européen parmi les calomniateurs ainsi déjoués.

De retour au Caire, Cyrille continua ses efforts de réforme et de progrès. Lorsqu'il obtint une audience du vice-roi, il formula les griefs de ses coreligionnaires, qui voulaient être égaux aux musulmans au point de vue politique. Le pacha promit de considérer ces demandes, mais il est à craindre qu'il ne voulût que différer une question qui lui était désagréable. Cyrille rendit aussi visite à son monastère de Saint-Antoine où il fit construire des bâtiments neufs. Le patriarche grec l'accompagna une fois à cette retraite, et il semble que ce fut à cette date que Cyrille commença à faire des efforts sérieux pour la réunion des communautés chrétiennes.

On dit que ces efforts ont hâté la mort du zélé prélat. Nakhleh Bey n'en dit pas davantage sur la cause de ce décès subit et prématuré. Ce fut la nuit du mercredi 3 février 1861 que Cyrille IV fut « appelé à la miséricorde de Dieu », après un court pontificat de sept ans et quelques mois.

Son monument le plus en vue est peut-être son collège de l'Esbékieh. Un écrivain français l'a caractérisé comme remplissant toutes les conditions de confort et d'hygiène. « Il y a partout, dit M. Dor (L'Instruction publique en Égypte, Paris, 1872, p. 192), une prodigalité d'air, de lumière et d'espace qui séduit dès l'abord. » Cyrille IV y assembla des maîtres capables, et y accueillit des élèves sans distinction de race ou de confession. M. Dor y trouva en 1872, parmi les élèves coptes, une vingtaine de musulmans, quatre Arméniens et une dizaine de Syriens catholiques. Il va sans dire que l'instruction y était gratuite, et le patriarche supportait les frais des livres et du matériel scolaire. Ce qui est vraiment admirable, il y surveillait les leçons lui-même, et s'informait, une ou plusieurs fois par jour, de ce qui s'y passait. Une salle y fut arrangée pour la réception des visiteurs, et Cyrille avait l'habitude d'inviter tous ceux qu'il rencontrait, soit des étrangers, soit des naturels du pays, s'ils s'étaient distingués par leurs talents linguistiques ou scientifiques, ou s'ils étaient compétents en matière d'instruction, à faire une visite à son collège. Il les introduisait dans les classes, et les priait d'inspecter les élèves et de lui proposer des améliorations de méthode.

L'humilité, qui était une des belles qualités de ce prélat, l'a amené quelquefois à faire l'élève lui-même. De temps en temps, il faisait de longues visites à une classe, et y écoutait avec attention ce que le maître disait aux écoliers. Alors, avant de sortir, il disait tout haut : « J'ai profité aujourd'hui aussi bien que les étudiants, car j'ai appris quelque chose que je ne savais pas auparavant. » Mais son érudition lui permettait souvent d'ajouter aux leçons du professeur des exemples tirés de l'histoire ou de la littérature. Ces explications, il savait bien les adapter à la capacité de ses auditeurs et au niveau de leurs connaissances.

La langue copte était son étude de prédilection, et lui-même présidait au cours que l'on y consacrait.

Les commencements cependant sont toujours petits, et malgré tous les soins de Cyrille et la générosité qui lui fit épargner tous les frais aux parents, le nombre des élèves de ce grand collège de l'Esbékieh n'a pas dépassé, pendant la vie du fondateur, le chiffre de cent cinquante. Ce fut sans doute une déception pour le zélé réformateur. Bien qu'il insistât sur la nécessité de l'instruction éclairée, les parents préféraient pour leurs enfants les écoles primaires sales et mal aérées. Seulement, pour compenser ce malheur, ceux qui ont répondu à l'invitation de Cyrille étaient l'élite de la communauté et ceux qui en faisaient la meilleure espérance pour l'avenir. Aussi a-t-il eu des motifs pour rendre son collège de plus en plus conforme à son but.

Ce que Cyrille désirait de tout son cœur pour les Coptes, c'était qu'ils méritassent un haut rang parmi les nations par leurs qualités morales et leur sincérité d'esprit. Il voulait faire donner aux étudiants les conseils moraux qui se trouvent dans la bonne littérature et dans l'histoire des grands hommes. Un jour, il dit à l'un des maîtres : « Je m'attends à ce que, par la persévérance, nos élèves s'apprêtent à aborder des études philosophiques, telles que la logique et la rhétorique, et les autres branches supérieures de la science, par lesquelles l'esprit s'élargit et s'enrichit. »

Il y avait donc un abîme, dit Nakhleh Bey, entre lui et ceux qui pensent que l'objet des écoles supérieures n'est que de permettre à la jeunesse d'y apprendre assez de langues étrangères pour qu'elle puisse obtenir des emplois dans des établissements publics ou dans les ministères, après avoir vaincu ses concurrents dans un examen. Cyrille a dit aussi : « Pour nous élever de notre condition actuelle jusqu'à un niveau de culture qui nous rendra les égaux des autres races, il serait besoin d'un progrès de l'industrie et du travail, qui demanderait une vie aussi longue que celle de Noé et une patience aussi grande que celle de Job. »

L'arrivée du matériel d'imprimerie, que le patriarche fit venir d'Europe, donna lieu à une preuve touchante de son amour pour les sciences et les lettres. Il obtint du vice-roi la permission de faire admettre quatre jeunes Coptes à l'imprimerie gouvernementale de Boulak, pour qu'ils pussent y apprendre le métier d'imprimeur. À ces apprentis, il donnait un salaire mensuel et un habillement annuel à ses frais. L'entrée dans l'enceinte du patriarcat des caisses qui contenaient les instruments matériels de l'instruction spirituelle fut accompagnée d'une solennité religieuse. Cyrille était en retraite au couvent de Saint-Antoine, mais il fit transmettre à son économe un ordre selon lequel les enfants de chœur, habillés de leurs vêtements d'église, devaient se ranger autour du portail et y chanter des hymnes et des psaumes.

Le peuple du Caire ne comprit pas bien le sens de cette cérémonie, et l'on fit part au patriarche de leurs observations critiques aussitôt qu'il fut de retour du désert. « Cette censure m'étonne, répondit-il ; quant à moi-même, si j'avais été là, j'aurais dansé comme le roi David devant l'arche d'alliance. »

Lorsque, peu d'années après la première ouverture des collèges coptes, quelques-uns des élèves en sortirent pour faire leur entrée dans le monde, les avantages de l'instruction éclairée qu'ils avaient reçue se firent bientôt valoir. L'État les nomma volontiers, à cause de leur connaissance des langues européennes, aux meilleurs emplois dans les chemins de fer que l'on venait d'introduire en Égypte. Quelques-uns ont trouvé des charges dans des banques et dans des maisons de commerce, surtout parce qu'ils avaient étudié l'italien.

La meilleure preuve peut-être de cet accueil sympathique fait aux étudiants coptes, c'est qu'à la prière du patriarche Démétrius II, le successeur de Cyrille IV, le khédive Ismaïl Pacha donna aux écoles coptes du Caire un fonds de 1 500 feddans, ou 612 hectares, lequel devait produire une somme annuelle de 48 000 francs. Ce prince leur assigna aussi une rente de deux cents livres égyptiennes ou 5 200 francs ; mais les embarras financiers du gouvernement ont empêché, dit-on, le paiement de cette subvention.

La mort prématurée de Cyrille coupa court à ses tentatives de réforme purement ecclésiastique, mais, du moins, il avait déjà fait quelque chose. Le 7 mai 1859, il jeta les fondements de l'église de Saint-Marc dans l'enceinte du patriarcat. Cette église était beaucoup plus grande que les autres édifices sacrés destinés au culte, et l'on peut ajouter que c'était la seule grande église des Coptes. Elle pouvait à peu près rappeler des églises anciennes, telles que celle de Saint-Pacôme à Faou, ou celle du monastère Blanc.

C'est encore une preuve de la tolérance qui a régné en Égypte sous la domination musulmane, que non seulement les chefs des croyances, mais aussi les musulmans principaux du pays et les officiers du gouvernement assistèrent à la cérémonie inaugurale. La même chose s'est vue tous les ans aux fêtes scolaires des collèges coptes.

Cyrille fixa aussi pour les prêtres des réunions de chaque semaine au grand collège, pour discuter et examiner les affaires de la religion. Il assistait lui-même le plus souvent à ces débats, et maintes fois il prononça de longs discours sur les devoirs et la discipline du clergé, les moyens de le rendre plus digne de sa mission élevée, et plus utile à la société. Le conseil d'administration qu'établit Cyrille au patriarcat fut divisé par lui en deux sections, dont l'une se consacrait aux affaires de la religion et à l'étude du droit canonique, et l'autre dispensait les revenus de l'église et se chargeait de la correspondance officielle. Le patriarche surveillait lui-même les travaux des deux sections.

Pour ajouter à la décence du culte, il proposa l'amélioration de la musique d'église et de la discipline des enfants de chœur. L'agent du patriarche dans cette œuvre pieuse était l'higoumène Tékla, desservant de Saint-Marc, qui passait pour connaître le plain-chant à l'antique. On choisit pour la maîtrise ceux des élèves du collège neuf auxquels on avait déjà conféré l'ordre du diaconat. Ce terme de « diacre », en arabe chemmûs, s'applique parmi les Coptes à tout clerc au-dessous du rang des prêtres. Les jeunes « diacres », qui devaient chanter l'office à l'église patriarcale, reçurent à cette époque, des mains de Cyrille IV, un habillement nouveau. On les coiffa de mitres surmontées de la croix grecque en or, et on les enveloppa de riches étoles de soie et velours couvertes de broderies dorées. Dès lors, l'assistance à l'église devint plus nombreuse.

Oxford, 24 septembre 1911.