QUESTION PREMIÈRE - (Nomb. I, 1-14). Sur les chefs institués dans chaque tribu .
D'où vient que Dieu ordonne d'élire un chef dans chaque tribu, et que signifie le nom de Kiliarques, imposé à ces chefs, nom qui semble venir de mille (1), et qu'un certain nombre d'interprètes latins ont traduit par tribuns? Voici la réponse à cette question. Jothor, beau-père de Moïse, ayant donné à son gendre le conseil, d'ailleurs approuvé par Dieu, de répartir entre plusieurs princes le gouvernement de son peuple, afin que toutes les causes des particuliers ne fussent point un fardeau au-dessus de ses forces (2), Moïse établit des Kiliarques ou chefs de mille hommes, des écatontarques; centurions, ou chefs de cent, des pentacontarques, ou chefs de cinquante, et des décardarques, décurions, ou chefs de dix hommes, leur donnant à chacun un nom en rapport avec le nombre de ceux à qui ils commandaient. Mais est-ce à dire que chacun des Kiliarques n'était établi que sur mille hommes ? Assurément non : car, à cette époque douze mille hommes ne formaient pas tout l'effectif du peuple d'Israël. Moïse établit un chef de ce nom dans chaque tribu , et chacune des douze tribus contenait certainement, non pas. un millier d'Hommes, mais bien des milliers. Le nom de ces chefs leur est donc commun avec ceux que l'Exode appelle Kiliarques, parce que chacun de ceux-ci avait mille hommes sous ses ordres ; mais qu'il y en ait mille ou des milliers qui obéissent à un seul, le nom étant le même en grec, on pouvait toujours les appeler Kiliarques.
II. (Ib. I, 20-46.) Sur les nombres mystérieux quatre et cinq.
On demande, et à juste titre, ce que signifient les expressions suivantes, employées dans le dénombrement de tous les enfants d'Israël en âge de porter les armes : « Suivant (505) leurs parentés, leur peuple, les maisons de leurs familles, le nombre de leurs noms, et leur tige, » et ces cinq expressions se trouvent répétées d'une manière absolument identique- à chacune des tribus, depuis la première jusqu'à la dernière comme s'il y avait quelque différence entre les parentés, les peuples, les maisons des familles, le nombre des noms et la tige des enfants d'Israël, tandis que tout cela parait plutôt ne signifier qu'une seule et même chose sous des termes différents. Ce soin minutieux de répéter les mêmes expressions à propos de toutes les tribus, semble nous marquer que nous ne devons pas juger ici à la légère, quand bien même nous ne comprendrions pas le sens de ce passage. Le nombre lui-même voile ici quelque mystère : car ce n'est pas sans raison que cinq fois la même chose est désignée sous des noms différents. Le nombre cinq, qui est celui des livres de Moïse, jouit effectivement d'une autorité considérable dans l'ancien Testament. Mais il y a nécessairement de la différence entre les quatre particularités mentionnées plus loin, savoir : que le dénombrement comprendra les mâles, depuis vingt ans et au-dessus, tous ceux qui sont capables d'aller à la guerre; et reconnus pour tels: quoique la même formule soit également répétée à propos de toutes les tribus. En effet, quand il était question de fixer le nombre de toute la multitude appartenant à une tribu, il fallait d'abord déterminer le sexe ; c'est pourquoi il est dit : « Tous les mâles . » Et pour que les enfants n'entrassent point dans ce compte, l'Ecriture a ajouté : « depuis vingt ans et au-delà. » Et pour que la vieillesse, qui est impropre aux armes, n'entrât point non plus dans le dénombrement, il a été dit encore : « tout ce qui est capable d'aller au combat. » Enfin il est un mot qui est la conclusion convenable de cette opération « Et reconnus comme tels. » Cette reconnaissance complétait le dénombrement des milliers d'hommes jugés propres au service militaire. Ces cinq choses : la parenté, le peuple, les maisons de la famille, le nombre de noms et la tige, et ces quatre autres : le sexe, l'âge, la force pour le service et la reconnaissance de ces qualités, présentent donc peut-être un sens mystérieux. En effet si l'on multiplie ces deux nombres entre eux, quatre par cinq, ou cinq par quatre, on aura vingt au produit. Ce nombre désigne aussi l'âge des jeunes gens. Il est rappelé, au moment de l'entrée dans la terre promise, et il est dit de cet âge de vingt ans, qu'il n'a penché ni à droite ni à gauche. Je crois voir en ceci une image des Saints de l'une et l'autre Alliance, qui ont conservé fidèlement le dépôt de la vraie foi. Car l'ancienne Alliance n'est-elle point surtout remarquable par les cinq livres de Moïse, et la nouvelle, par les quatre Evangiles?
III. (Ib. I, 51.) De l'étranger, dans le langage de l'Ecriture.
Après avoir prescrit la manière de détendre, de lever et de dresser le tabernacle, Dieu ajoute : « Et l'étranger qui en approchera, sera mis à mort : » cet étranger, c'est aussi l'Israëlite qui n'appartient pas à la tribu de Lévi, chargée du service du tabernacle. Mais il est étonnant que l'Ecriture emploie ici dans un sens abusif ce mot étranger, qui signifie proprement un homme d'une autre nation, allogènes au lieu de allophulos, qui veut dire un homme d'une autre tribu : tandis que, quand elle parle des hommes appartenant aux autres nations, elle se sert préférablement de ce dernier terme, comme si elle voulait désigner des hommes appartenant à d'autres tribus.
IV. (Ib. III, 5-7.) Sur les veilles que les Lévites devaient observer autour du tabernacle.
« Et le Seigneur parla à Moïse, et lui dit : Prends la tribu de Lévi ; et tu les établiras devant Aaron grand-Prêtre, et ils le serviront ; et ils seront sa garde, et la garde des enfants d'Israël, devant le tabernacle du témoignage . » Nos traducteurs ont rendu, les uns par custodias, garde, les autres, par excubias, faction, le mot phulakas du texte grec. Mais je serais bien trompé, si le terme le plus convenable n'était pas vigiliae, qui signifie les veilles observées de trois en trois heures dans les camps. C'est en ce sens qu'il est écrit : « Il vint à eux à la quatrième veille de la nuit, marchant sur les flots de la mer (1) : » c'est-à-dire, après la neuvième heure dé la nuit, ou après trois veilles. Et en beaucoup d'autres endroits de l'Ecriture, nos interprètes ont traduit par veilles, vigilias, l'expression phukas des grecs. Il est hors de doute qu'il est question alors des divisions de la nuit: eh bien! selon mon sentiment, c'est de cela aussi qu'il est fait mention dans ce passage. Pourquoi, en effet, cet ordre donné aux Lévites, de faire la garde d'Aaron et la garde des enfants d'Israël, phulakas ? Ne serait-ce pas dans la crainte qu'ils ne vinssent à croire que le privilège de servir dans le tabernacle, les dispensait de garder les veilles qui s'observent a proprement parler dans les camps, tandis que le service du tabernacle ne les exemptait nullement, en réalité, de veiller à leur tour auprès des autres tentes des enfants d'Israël
V. (Ib. III, 10.) Sur la loi qui punit de mort quiconque n'étant point lévite s'ingérera dans les fonctions sacrées.
« L'étranger, qui y touchera sera puni de mort. » Il faut rechercher quel est le sens de ces paroles du Lévitique : « Celui qui touchera le tabernacle, sera sanctifié (1); » puisque nous lisons ici : « L'étranger qui y touchera, sera puni de mort, » ce qui doit s'entendre de tous ceux qui ne sont pas de la tribu de Lévi. Toucher, dans ce dernier passage, ne signifierait-il point : exercer les fonctions sacrées dans le tabernacle, honneur qui était exclusivement réservé aux Lévites par Dieu lui-même ? C'est de cela effectivement que traitait le texte.
VI. (Ib. III, 12-31. ) Sur le rachat des premiers-nés.
Comment Dieu prend-il les Lévites à la place des premiers-nés des enfants d'Israël ? Le nombre des premiers-nés du peuple s'étant trouvé plus considérable que celui des Lévites, comment Dieu ordonne-t-il qu'ils soient rachetés au prix de cinq sicles chacun ? La même chose n'eut pas lieu pour les troupeaux, quoique Dieu ait pareillement exigé pour lui-même les troupeaux des Lévites en échange des premiers-nés des troupeaux d'Israël. Comment ensuite leurs premiers-nés ou ceux de leurs troupeaux appartenaient-ils à Dieu, puisqu'il fut prescrit d'échanger contre dés brebis les premiers-nés impurs, même des hommes ? Comment les fils des Lévites n'étaient-ils pas aussi, dans la suite, censés tenir lieu de ces premiers nés ; car cette tribu pouvait en se perpétuant, tenir lieu des premiers-nés à venir : si ce n'est parce qu'il était juste que Dieu considérât comme siens propres, les enfants nés de ceux qui lui appartenaient, et qui lui avaient été donnés en place des premiers-nés sortis d'Egypte ? Ceux qui appartenaient déjà à Dieu, pouvaient-ils, sans injustice, servir en échange pour d'autres premiers-nés ? Dieu reçut en effet, à la place des premiers-nés, une portion tirée du peuple et des troupeaux, et cette portion, c'était les Lévites et leurs troupeaux qui la formaient. Ce qui en naissait, Dieu en était le maître ; le peuple ne pouvait plus le donner, puisqu'il ne lui appartenait plus ; dès lors les premiers-nés appartenaient à Dieu et devaient lui être présentés ; et les enfants des Lévites ou les petits de leurs troupeaux ne pouvaient en tenir lieu.
VII. (Ib. IV, 7.) Sur les pains de proposition.
Dieu veut qu'en prenant la table, on prenne en même temps les pains : Vous prendrez encore, dit-il, « les pains qui sont toujours sur la table. » Il est évident que ce ne sont pas toujours les mêmes pains, mais de semblables, qui étaient placés sur cette table : chaque jour on ôtait les anciens, pour les remplacer par de nouveaux ; il était seulement prescrit de ne laisser jamais la table sans pains. Ces mots de l'Ecriture : « qui sont toujours sur cette table, » signifient donc que la table était toujours couverte de pains, mais non toujours des mêmes pains.
VIII. (Ib. IV,11.) Sur la manière de couvrir l'autel quand on décampait ; difficulté littérale.
« Ils couvriront aussi sur l'autel d'or un drap d'hyacinthe, et ils étendront par-dessus une couverture de peau d'hyacinthe. » On pourrait voir ici une locution dans laquelle les interprètes latins ont trouvé quelque chose de bizarre et d'inachevé. Aussi se sont-ils refusés à la traduire, pensant qu'il fallait dire : « Ils envelopperont aussi l'autel d'or d'un drap d'hyacinthe. » Car « ils couvriront un drap d'hyacinthe » semble signifier que le drap lui-même était enveloppé par quelque autre chose, et non qu'il couvrait l'autel. Mais je vois moins ici une locution qu'un sens un peu obscur. On peut croire, en effet, que dans le texte précité, Dieu commande de couvrir d'autre chose le drap qui enveloppait l'autel, et qu'il prescrit en peu de mots, et de couvrir l'autel d'un drap d'hyacinthe, et en même temps d'étendre sur ce drap une autre couverture. Il indique ensuite de quelle couverture on devait envelopper le drap d'hyacinthe, quand il a ajouté : « Et ils étendront par-dessus une couverture de peau d'hyacinthe. »
IX. (Ib. V, 6, 7, 8.) De la restitution pour certains péchés.
« Lorsqu'un homme ou une femme auront commis quelqu'un des péchés ordinaires à l'homme, et qu'ils auront été coupables de mépris, et auront commis un délit, cette âme avouera le péché qu'elle aura fait et restituera pour son délit le capital, auquel elle ajoutera le cinquième, et elle restituera à celui à qui elle a fait tort. Mais si cet homme n'a pas de proche à qui on restitue le dommage, la restitution qui est due au Seigneur appartiendra au prêtre, outre le bélier d'expiation par lequel le prêtre priera pour (507) lui. » Il est ici question des péchés commis en des matières où la restitution est possible à prix d'argent. Autrement l'Écriture ne dirait pas de quelle manière il faut réparer des dommages qui échappent à une appréciation. La loi exige donc la restitution du principal et le cinquième en surplus, c'est-à-dire la totalité du dommage commis, et un cinquième en plus, outre le bélier qui doit être offert en sacrifice pour l'expiation du délit. Elle veut, en outre, que l'objet de la restitution, le capital plus un cinquième, appartienne au prêtre, dans le cas où la personne lésée n'a point de proche. Il est évident que c'est à Dieu lui-même qu'on rend ce qu'on donne au prêtre, lorsque le propriétaire est mort, sans laisser de proches, c'est-à-dire, je pense, sans laisser d'héritiers. Mais l'Écriture ne parle point de l'homme lésé dans ses propres droits; cependant lorsqu'elle dit : « S'il n'a point de proche, » elle insinue suffisamment dans ce peu de mots qu'il n'est,question des proches, qu'à défaut du possesseur lui-même. Et dans le cas où il n'existe point d'héritier, c'est à Dieu lui-même qu'il faut restituer, parce que la faute ne doit pas demeurer impunie : la restitution n'est cependant pas destinée aux sacrifices; elle appartient au prêtre. Voici la saine interprétation de ces mots de l'Écriture : « Mais si cet homme n'a pas de proche, à qui on restitue le dommage à lui-même : » ad ipsum est un idiotisme particulier à la langue sacrée, ou bien il signifie que la restitution appartient au proche lui-même, qu'il en devient le possesseur. L'Ecriture ajoute : « Le délit qui est rendu au Seigneur, « sera pour le prêtre. » Elle entend par le délit la chose restituée à titre de réparation pour le délit.
X. (Ib. V, 6, 7.) Encore sur la restitution.
On lit dans l'Exode que si quelqu'un vole un veau ou une brebis, il doit restituer cinq veaux ou quatre brebis, dans le cas où il les aura tués ou vendus; et que si ce qu'il a dérobé se trouve encore vivant chez lui, il devra restituer le double (1). On peut demander comment il est possible de concilier ce passage avec le précédent, où la loi n'exige à titre de restitution que le principal et un cinquième en surplus, ce qui est bien éloigné du double, et à plus forte raison du quadruple et du quintuple de la chose dérobée ? Dans cette phrase : « Lorsqu'un homme ou une femme auront commis quelqu'un des péchés ordinaires à l'homme, » l'Écriture n'a-t-elle point voulu parler des péchés d'ignorance ? Il est possible, en effet, -qu'un homme, par défaut d'attention ou par négligence, s'approprie ce qui ne lui appartient pas : et ce qui prouve -qu'il y a péché dans ce cas, c'est qu'on n'y serait pas tombé, si l'on avait eu la précaution de veiller sur soi-même. Tels sont les péchés que la Loi ne punit point comme des vols, mais seulement par la restitution du capital et du cinquième. Pense-t-on au contraire qu'il ne s'agit point ici de péchés d'ignorance, mais de vols et de fraudes commis avec préméditation, péchés appelés humains, parce qu'ils se commettent parmi, les hommes? Alors, sans erreur, voici la solution de cette question :si le coupable n'est pas même tenu de rendre le double, c'est parce qu'il n'a pas été surpris en faute ou convaincu de son délit, et qu'il est venu de lui-même faire l'aveu de sa faute à ceux qui l'ignoraient ou n'en connaissaient point l'auteur. En effet, après avoir dit: « Lorsqu'un homme ou une femme auront commis quelqu'un des péchés ordinaires,à l'homme, et qu'ils auront été coupables de mépris, et auront commis un délit, » en d'autres termes, quand ils auront commis ces fautes au mépris de la loi, l'Écriture ajoute : « Cette âme avouera le péché qu'elle a fait, et restituera pour son délit le capital, auquel elle ajoutera le cinquième : » l'aveu de la faute est donc peut-être le motif de l'atténuation du châtiment ; c'est pour cela que le coupable n'est point condamné aussi sévèrement que 'le voleur surpris en faute ou convaincu de son délit.
XI. (Ib. V, 21.) De la malédiction prononcée sur la femme soupçonnée d'adultère.
Quand le mari amène sa femme qu'il soupçonne d'adultère, voici les paroles que l'Écriture met sur les lèvres du prêtre : « Que le Seigneur la maudisse, et l'ait en exécration. » Or, le grec porte ici enorkion. Ce mot paraît renfermer un serment imprécatoire, comme dans cette phrase : Que pareille chose ne m'arrive point! et plus clairement : Que telle et telle chose m'arrive, si je ne fais point ceci! C'est dans ce sens que le prêtre dit « Que le Seigneur te maudisse et t'ait en exécration; » ce qui revient à dire : Que sur toi tombent les imprécations de ceux qui jureront Que pareille chose ne leur arrive, ou qu'elle leur arrive s'ils ne font ceci ou cela!
XII. (Ib. VI, 14-17.) La victime reçoit son nom de la fin pour laquelle elle est offerte.
« Il (508) présentera ensuite son offrande au Seigneur, un agneau d'un an, sans tache, pour l'holocauste, et une brebis d'un an, sans tache, pour le péché. » Plusieurs de nos interprètes n'ont pas voulu traduire ici littéralement, dans la crainte d'introduire une locution contraire à l’usage ; ils ont dit: pro peccato au lieu de in peccatum, tandis que cette dernière expression renferme un sens qu'il fallait respecter. En effet, in peccatum, a été mis précisément parce que l'oblation présentée pour le péché, portait elle-même le nom de péché. De là ce mot de l'Apôtre relatif à Jésus-Christ : « Pour l'amour de nous, il a rendu péché Celui à qui le péché n'était point connu (1); » c'est-à-dire, Dieu le Père a rendu, pour l'amour de nous, Dieu le Fils victime pour le péché. De même donc que quand on offrait un agneau en holocauste, cet animal était lui-même l'holocauste, ainsi la brebis pour le péché doit être elle-même le péché; en d'autres termes la victime immolée pour le péché plus loin, le bélier offert pour le salut porte aussi le nom de salut, parce qu'il est la victime réservée à ce genre de sacrifice. La suite justifie cette explication. En effet ce que l'Ecriture avait appelé péché, elle l'appelle ensuite sacrifice pour le péché, et ce qui portait le nom de salut, elle le nomme sacrifice du salut (2).
XIII. (Ib. VIII, 24.) Règlements pour les Lévites.
« Le Seigneur parla à Moïse et lui dit : Ceci est pour les Lévites. » D'autres ont traduit : « Voici la Loi pour les Lévites; » mais ces paroles Ceci est pour les Lévites, s'entendent clairement en ce sens : Voici ce que j'établis pour les Lévites.
XIV. (Ib. VIII, 24-26.) Suite du même sujet.
Nous lisons ensuite: « Depuis vingt-cinq ans et au-dessus, ils entreront pour s'occuper à leur ministère dans le tabernacle du témoignage; et à partir de cinquante ans, il cessera de remplir ces fonctions et ne travaillera plus ; (et son frère servira;) il fera la garde dans le tabernacle du témoignage; mais il ne remplira plus ses anciennes fonctions. » Une transposition malencontreuse met ici de la confusion dans le texte; il semblerait que la charge de veiller dans le tabernacle revient au frère qui servira à la place du lévite quinquagénaire; tandis que l'Ecriture dit formellement de celui qui se retire de ses fonctions, qu'il demeurera là « pour faire la garde dans le tabernacle du témoignage, et qu'il ne remplira plus ses anciennes fonctions; » mais son frère, c'est-à-dire, celui qui a commencé de servir à vingt-cinq ans, et n'a pas encore atteint la cinquantaine, servira à sa place. Voici donc le sens précis du texte : « A partir de cinquante ans, il cessera de remplir ses fonctions, et ne travaillera plus, et son frère servira. » Puis revenant au lévite quinquagénaire, l'Ecriture achève d'exprimer en ces termes sa pensée à son sujet : « Il fera la garde, custodire, dans le tabernacle du témoignage; mais il ne remplira plus ses fonctions. » Devant custodire, il faut sous-entendre incipiet, il commencera à; c'est comme s'il y avait, en un mot: « custodiet. » Cette sorte de locution, qui consiste à employer l'infinitif au lieu d'un mode déterminé, est usitée même en latin.
XV. (Ib. IX, 6.) Quand devaient célébrer la Pâque ceux qui étaient obligés de la différer.
Au temps de la Pâque, plusieurs Israëlites, devenus impurs au sujet de l'âme d'un homme, c'est-à-dire, pour avoir approché d'un mort, demandèrent comment ils célébreraient cette fête : car ils devaient, aux termes de la Loi, se purifier pendant sept jours de leurs impuretés. Moïse ayant consulté le Seigneur, reçut pour réponse que tout Israëlite, a qui survenait un accident semblable, ou qui se trouvait engagé dans un si long voyage qu'il ne pouvait revenir, devait célébrer la Pâque le mois suivant, au quatorzième jour du cycle lunaire. Mais si l'on demande ce qui se faisait, quand l'impureté se contractait dans le second mois, je répondrai qu'à mon avis, la règle de conduite à observer dans le second mois devait être également suivie dans le troisième, ou que sans aucun doute, l'infraction à la Pâque dans une nécessité pareille ne constituait pas un péché.
XVI. (Ib. IX, 15-23.) Sur la Colonne de nuée.
(1). « Et au jour où le tabernacle fut établi, une nuée couvrit le tabernacle, la maison du témoignage; et depuis le soir jusqu'au matin, elle était sur le tabernacle comme une espèce de feu. Ainsi en était-il toujours; la nuée-le couvrait pendant le jour, et pendant la nuit, une espèce de feu. Et lorsque la nuée s'élevait au-dessus du tabernacle, les enfants d'Israël levaient ensuite, et postea, le camp; et partout où s'arrêtait la nuée, les enfants d'Israël établissaient leur camp. Les enfants d'Israël camperont au commandement du Seigneur, et au commandement du Seigneur ils lèveront leur camp. Tous les jours où la nuée (509) couvre le tabernacle de son ombre, les enfants d'Israël resteront dans le camp, et quand la nuée sera demeurée plusieurs jours sur le tabernacle; et les enfants d'Israël observeront la garde de Dieu, et ne décamperont point. Et quand la nuée aura couvert le tabernacle un certain nombre de jours, il arrivera qu'à la voix du Seigneur ils seront dans le camp, et au commandement du Seigneur ils le lèveront. Et quand la nuée sera demeurée depuis le soir jusqu'au matin, et qu'elle se sera élevée le matin, ils décamperont pendant le jour; si même elle s'élève la nuit, ils lèveront leur camp : le jour ou le mois de jour pendant lequel une nuée abondante couvrira le tabernacle, les enfants d'Israël seront dans le camp, et ne se mettront point en marche. Car ils partiront au commandement du Seigneur. Ils observeront la garde du Seigneur, suivant le commandement qu'ils en avaient reçu par la main de Moïse. »
2. Tout ce passage demande une sérieuse explication, parce qu'il est plein de locutions inusitées qui en obscurcissent le sens. « Au jour, lisons-nous, où le tabernacle fut établi, une nuée couvrit le tabernacle, la maison du témoignage (1) : » c'est le tabernacle que l'Écriture désigne sous cet autre nom de maison du témoignage. « Et depuis le soir jusqu'au matin, elle était sur le tabernacle comme une espèce de feu. Ainsi en était-il toujours (2). » Suit l'explication minutieuse de ce qui arrivait toujours. « La nuée le couvrait pendant le jour, et la nuit, une espèce de feu (3). Et lorsque la nuée se retirait de dessus le tabernacle, les enfants d'Israël levaient ensuite, et postea, le camp. » Le sens ici n'est pas obscur, pourvu qu'on supprime la particule et. Car, sans cette conjonction, la phrase est complète, et peut se construire ainsi : « Et quand la nuée se retirait de dessus le tabernacle, les enfants d'Israël levaient ensuite le camp ; » même sans ce mot, ensuite, le sens serait parfait. Le texte ajoute : « Et partout où la nuée s'arrêtait, les enfants d'Israël établissaient leur camp. »
3. Or, tout ce qu'ils faisaient se réglait sur les ordres de Dieu ; c'est ce que l'Écriture exprime en ces termes : « Les enfants d'Israël camperont au commandement du Seigneur, et au commandement du Seigneur ils lèveront leur camp (4). » Elle appelle commandement duSeigneur, le signal donné par la nuée, de s'arrêter, quand elle couvrait le tabernacle de son ombre, et de marcher à sa suite; quand elle s'élevait et allait en avant. Il est vrai que le ton de la narration change en cet endroit et que l'Écriture semble prédire et annoncer les choses comme si elles étaient à venir. En effet, nous ne lisons pas : Les enfants d'Israël campaient au commandement du Seigneur, mais camperont; ni : ils levaient leur camp au commandement du Seigneur, mais ils lèveront leur camp. Et cette manière de parler, tout-à-fait contraire à l'usage de l'Écriture, se poursuit dans le reste de ce passage. Nous savons bien que les prophéties emploient souvent la forme du prétérit; par exemple, quand il est dit : « Ils ont percé mes mains et mes pieds (1), » et encore : « Il a été conduit comme une brebis pour être sacrifié (2); » il y a des passages sans nombre semblables à ceux-ci; mais que le narrateur raconte au futur des événements accomplis, comme nous venons de le voir, il serait extrêmement difficile d'en trouver un exemple dans toute l'Écriture:
4. Or, après avoir dit à quel signe le peuple doit, le jour et la nuit, se mettre en marche ou s'arrêter; dans la crainte qu'on ne croie qu'il devait marcher pendant la nuit et faire halte pendant le jour, et que cela se reproduisait uniformément, Dieu ajoute : « Tous les jours où la nuée couvre le tabernacle de son ombre, les enfants d'Israël seront dans le camp (3) ; et quand la nuée sera demeurée plusieurs jours sur le tabernacle. » Puis, voulant faire comprendre que tout cela s'accomplissait d'après la volonté divine, et non pour satisfaire au besoin qu'ils en avaient : « Et les enfants d'Israël observeront, dit-il, la garde de Dieu, » c'est-à-dire la garde que Dieu leur a commandée ; « et ils ne décamperont point. » Et comme pour aller au-devant de cette question : A quel moment partiront-ils donc ? « Il arrivera, répond-il, que quand la nuée aura couvert le tabernacle des jours sans nombre (4), » c'est-à-dire, un certain nombre de jours, qui est laissé au bon plaisir de Dieu, « à la voix du Seigneur, ils seront dans le camp, et au commandement du Seigneur, ils le lèveront. » Cette voix du Seigneur, c'est vraisemblablement le signal de s'arrêter ou de se mettre en marche donné au moyen de la nuée; car la voix de celui qui parle n'est pour nous que l'expression de sa volonté. Je crois que ces mots : Son commandement, ont aussi le même sens. La voix et le commandement du Seigneur pourraient néanmoins s'entendre encore en ce sens que Dieu parlant à Moïse, selon sa coutume, avait ordonné qu'il en fût ainsi. Les Israëlites, en effet, n'auraient pas su qu'ils devaient s'arrêter ou se mettre en marche avec la nuée, s'ils n'avaient été instruits par avance de leur devoir.
5. Mais, dans tout ce qui précède, il n'apparaît pas clairement encore si la marche n'avait lieu que pendant le jour, où si elle s'opérait également pendant la nuit au signal de la nuée. Car bien que les Israëlites aient pu rester plusieurs jours dans leur camp, à cause de l'immobilité de la nuée, rien n'empêche que celle-ci ne se soit élevée que pendant le jour, pour donner le signal du départ. Aussi lisons nous : « Et quand la nuée sera demeurée depuis le soir jusqu'au matin, et qu'elle se sera élevée le matin, et ils décamperont pendant le jour (1). » La conjonction copulative n'est placée là que par un usage familier à l'Ecriture. Car, en la supprimant, cette phrase offre un sens complet : « Et quand la nuée sera demeurée depuis le soir jusqu'au matin, et qu'elle se sera élevée le matin, ils décamperont pendant le jour. » Puis, comme ils levaient le camp, lors même que la nuée s'élevait pendant la nuit, et qu'ils se mettaient aussitôt en marche à ce signal, voici ce que l'Ecriture ajoute : « Et si la nuée s'élève même pendant la nuit, ils lèveront leur camp. » La locution employée ici : vel nocte et si, est fort contraire à l'usage; car nous n'y trouvons pas seulement la particule et, mais nous voyons qu'elle y occupe une place où elle ne se trouve pas d'ordinaire. Ce renversement de l'ordre grammatical des mots me paraît donc une de ces transpositions admises dans la langue latine elle-même. Ainsi qu'on dise: « Si la nuée monte même encore la nuit, » ou bien : « si même la nuit la nuée monte, ils lèveront le camp, » le sens est parfait dans l'un et l'autre cas.
6. Une autre question se présentait à l'esprit. On sait que les Israëlites se mettaient en marche ou restaient campés des jours et des nuits, suivant ce signal de la nuée. Il s'agissait de savoir encore s'ils campaient seulement le jour, quand ils devaient marcher pendant la nuit. L'Ecriture me semble avoir résolu cette question dans les paroles suivantes: « Le jour ou le mois de jour pendant lequel une nuée abondante couvrira le tabernacle, les enfants d'Israël seront dans le camp, et ne se mettront point en marche (1). » Comme elle venait de dire: « si la nuée s'élève la nuit, ils décamperont,. » elle devait en quelque sorte achever la pensée en disant : mais si elle ne s'élève pas pendant le jour, ils ne marcheront point, lors même qu'ils croiraient devoir continuer leur marche: Cependant, comme il pouvait arriver que l'on marchât, pendant plusieurs nuits, sous la conduite de la nuée, et qu'on s'arrêtât avec elle, le même nombre de jours, l'Ecriture a voulu précisément l'indiquer dans ces paroles : « le jour ou le mois de jour. » Elle n'a pas dit simplement : le mois, dans la crainte qu'on ne comprit les nuits avec les jours de ce mois; mais elle a dit: le mois de jour, en prenant pour point de départ, le jour, et non la nuit. « Donc le jour ou le mois de jour, lorsqu'une nuée abondante couvrira, » en d'autres termes, donnera une ombre abondante, ou couvrira d'une ombre très-abondante « le tabernacle, les enfants d'Israël seront dans le camp, et ne le lèveront point. » Enfin l'Ecriture répète de nouveau que tout cela s'accomplissait d'après les ordres de Dieu, contre lesquels ne devait s'élever aucune résistance : «Car, ajoute-t-elle, ils marcheront au commandement du Seigneur. Ils observèrent la garde du Seigneur, suivant le commandement qu'ils en avaient reçu parla main de Moïse. » A ces mots, ils observèrent, le récit de l'Ecriture reprend la forme du passé, Enfin ces dernières paroles : par la main de Moïse, sont un idiotisme fréquemment en usage dans le langage scriptural, et qui signifie que Dieu se servait de Moïse pour communiquer ses ordres.
XVII. (Ib. X, 7.) Sur l'usage des trompettes.
« Et lorsque tu auras assemblé le peuple, tu sonneras de la trompette, et ce ne sera pas un signal. » Dieu ne fait donc point sonner de la trompette, pour assembler le peuple, sans quoi ce serait un signal ; mais, une fois le peuple réuni, il veut que la trompette sonne, et alors c'est comme un chant qu'elle entonne, et non un signal qu'elle donne pour faire quelque chose. Quand un homme du Testament nouveau interprète dans un sens spirituel ce concert des trompettes au moment où tout le peuple était réuni, ce fait est un signe pour lui, parce qu'il en comprend la raison ; mais c'était une énigme pour ceux qui ne comprenaient pas qu'on pût sonner de la trompette, autrement que pour intimer l'ordre de faire quelque chose.
XVIII. (Ib. XI, 17.) Sur la participation des soixante-dix vieillards à l'esprit de Moïse.
« Je prendrai de l'esprit qui est en toi, et je le ferai reposer sur eux : et ils supporteront avec toi le fardeau du peuple, et tu ne les porteras pas seul. » La plupart des traducteurs latins n'ont pas rendu fidèlement le texte grec ; ils ont dit : « Je prendrai de ton esprit qui est en toi, et je le mettrai en eux, ou sur eux : » il en est résulté un sens d'une interprétation difficile. On peut croire en effet qu'il est question de l'esprit de l'homme, de cet esprit qu'on désigne également sous le nom d'âme, et qui, uni au corps, constitue notre nature humaine. L'Apôtre en parle en ces termes : « En effet, qui des hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, si se n'est l'Esprit de Dieu (1). » Ce qu'il ajoute : « Or, nous n'avons point reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui procède de Dieu (2), » rend sensible la différence qui existe entre notre esprit et l'Esprit de Dieu, dont l'esprit de l'homme est rendu participant par la grâce, divine. Néanmoins on pourrait encore, avec certains commentateurs, admettre que ces mots : « de ton esprit qui est en toi, »peuvent s'entendre de l'Esprit de Dieu de ton esprit, parce qu'en effet l'Esprit de Dieu, venant en nous devient aussi nôtre ; c'est ainsi que l’Ecriture attribue à Jean « l'esprit et la vertu d'Elie (3). » Ce n'est pas que l'âme d'Elie se fût transportée en lui : car si quelques uns tombent dans cette hérésie (4), comment expliqueront-ils ce passage de l'Ecriture : « L'esprit d'Elie reposa sur Elisée (5) ? » Elisée n'avait-il pas déjà son âme ? Cela ne signifie-t-il pas que l'Esprit de Dieu opérait par lui des merveilles semblables à celles qu'il faisait par le ministère d'Elie ; sans qu'il eût besoin de se retirer de celui-ci pour remplir celui-là, et en se partageant, d'être moins dans l'un, afin de pouvoir être au même moment partiellement dans l'autre ? Car il est Dieu et par conséquent il peut être avec la même perfection dans tous ceux en qui il daigne habiter par sa grâce. Mais comme il est écrit : « Je prendrai de l'esprit qui est sur toi, » et non « de ton esprit, » la question se résout dès lors très-facilement : nous comprenons en effet ce que Dieu a voulu faire entendre : c'est que les soixante-dix vieillards recevront l'assistance du même Esprit de grâce qui soutenait Moïse, et qu'ils y participeront autant que Dieu voudra, sans que les dons accordés à Moïse en soient diminués.
XIX. (Ib. XI, 21-23.) Moïse a-t-il manqué de confiance en Dieu ?
« Moïse lui dit : Il y a six cent mille hommes de pied, dans ce peuple au milieu duquel je suis ; et vous dites : Je leur donnerai de la chair, et ils en mangeront pendant tout un mois. Faudra-t-il égorger les brebis et les boeufs, afin qu'il y en ait assez pour eux ? ou ramassera-t-on tous les poissons, pour qu'ils en aient suffisamment ? » On demande ordinairement si Moïse parle ici én homme qui doute, ou en homme qui interroge. Si nous admettons que son langage est inspiré par la défiance, alors se présente cette question : Pourquoi Dieu ne lui en fait-il pas un reproche, comme il le reprit d'avoir semblé mettre en doute sa toute-puissance, auprès du rocher d'où l'eau sortit (1)? Si au contraire nous disons qu’il a voulu demander à Dieu la manière dont s'accomplirait ce prodige, la réponse du Seigneur, formulée dans les termes suivants: « La main du Seigneur ne pourra-t-elle y suffire (2) ? » semble renfermer un reproche adressé à la foi de Moïse. Mais si Dieu lui fit cette réponse, je crois plutôt que c'était dans le dessein de lui cacher ce qu'il voulait savoir, c'est-à-dire la manière dont ce fait arriverait, se réservant de montrer à l'oeuvre sa toute-puissance. Lorsque Marie s'exprimait en ces termes : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme (3) ? » des langues mauvaises auraient pu aussi objecter qu'elle avait manqué de foi ; tandis qu'elle demandait à Dieu le moyen dont il se servirait, sans pour cela mettre en doute , sa toute-puissance. Quant à la réponse qui lui fut adressée : « Le Saint-Esprit viendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre (4), » elle pouvait, sans que rien fût changé au sens, se formuler comme dans le cas présent: Cela est-il impossible à l'Esprit-Saint, qui descendra en toi ? Au contraire Zacharie fut repris de son manque de foi, pour avoir tenu un langage semblable, et, en punition de sa faute, il fut privé de la parole (5). Pourquoi ? si ce n'est parce que Dieu juge les coeurs, et non les paroles.
Ainsi, les paroles de Moïse, au moment où il fit sortir l'eau du rocher, pourraient trouver une excuse, si nous ne savions clairement par Dieu lui-même, qu'elles étaient l'expression d'un doute. En effet, voici ces paroles: « Ecoutez-moi , incrédules : Ferons-nous sortir pour vous de l'eau de cette pierre? » Et ensuite: « Moïse, ayant levé la main, frappa deux fois la pierre avec la verge, et il en sortit une eau abondante, et le peuple en but ainsi que leurs troupeaux (1). » C'est pour cela, sans aucun doute, qu'il rassembla le peuple; c'est pour cela qu'il prit la verge, instrument de tant de miracles entre ses mains; il en frappa la pierre, et l'effet miraculeux fut produit comme à l'ordinaire. Ces mots, dans la bouche de Moïse : « Ferons-nous sortir pour vous de l'eau de la pierre? » pourraient donc s'interpréter en ce sens : Vous ne croyez point qu'il soit possible de tirer de l'eau de cette pierre; eh bien! en frappant le rocher, je vais vous montrer que ce que votre incrédulité regarde comme impossible, peut se faire par la puissance divine. Ne venait-il pas de leur dire: « Ecoutez-moi, incrédules ? » Tel est effectivement le sens qu'on pourrait donner aux paroles de Moïse, si Dieu, qui voit au fond du coeur, ne nous avait révélé dans quel esprit elles furent prononcées. Mais l'Ecriture ajoute : « En même temps le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous n'avez pas cru en moi et ne m'avez pas glorifié en présence des enfants d'Israël, pour cette raison vous n'introduirez point ce peuple dans la terre que je leur ai donnée (2). » On comprend dès lors le sentiment qui inspira les paroles de Moïse : il frappa le rocher, mais avec une certaine défiance ; l'effet miraculeux venait-il à manquer? on devait croire que le prophète l'avait annoncé, quand il disait: « Ferons-nous sortir de l'eau de cette pierre? » et cette faute serait demeurée dans le secret de son âme, si Dieu n'eût porté contre elle un arrêt de condamnation. Ici; au contraire, nous devons croire que Moïse ne douta point de l'accomplissement de la promesse divine, mais qu'il demanda seulement la manière dont elle s'accomplirait : Dieu, en effet, ne le punit point en cette circonstance, mais il lui fit plutôt une réponse instructive.
XX. (Ib. XII, 1. ) La femme de Moïse, que l'Ecriture qualifie d'Ethiopienne, est-elle la fille de Jéthro ?
On demande ordinairement si cette Ethiopienne, femme de Moise, est la fille de Jothor ;ou bien s'il épousa une autre femme, ou s'il eut en même temps deux femmes? L'opinion la plus probable est que cette Ethiopienne est la fille de Jothor : car elle était de la race des Madianites, que les Paralipomènes appellent Ethiopiens dans le récit des batailles de Josaphat contre cette nation (1). II y est rapporté, en effet, que le peuple d'Israël les poursuivit dans les contrées habitées alors parles Madianites, aujourd'hui par les Sarrasins. Mais, de nos jours, c'est à peine si on leur donne encore le nom d'Ethiopiens, en raison des transformations diverses que le temps fait subir aux noms des pays et des nations.
XXI. (Ib. XIII.18-26.) Des espions envoyés dans le pays de Chanaan.
« Et il leur dit: Montez de ce désert, et vous monterez sur la montagne, et vous verrez quelle est cette terre, et quel est le peuple qui y est établi: s'il est fort ou faible, s'il y a peu ou beaucoup d'habitants.» On comprend que ces mots: « s'il y a peu ou beaucoup d'habitants, » expliquent la signification de ces autres paroles : « si ce peuple est fort ou faible. » Comment en effet des espions pouvaient-ils se rendre compte de la force de ce peuple, en se tenant sur le haut de la montagne ? On peut encore admettre un autre sens, beaucoup plus en rapport avec la vérité: « Vous monterez sur la montagne » désigne le pays même qu'ils devaient explorer. On ne comprend guère en effet des espions qui se contenteraient de considérer tout comme en passant. Si nous pensons qu'ils ont considéré et exploré le pays du haut de la montagne, comment ont-ils pu se livrer à cette étude minutieuse et attentive commandée par Moïse ? Comment ont-ils pu entrer dans ces villes où l'Ecriture nous dit qu'ils ont pénétré Comment encore- ont-ils pu emporter une branche de vigne de cette vallée., qui fut dans la suite, en souvenir de cet évènement, surnommée la vallée du Raisin (2)? L'exploration du pays se fit donc sur une montagne, parce qu'en effet le pays formait un plateau élevé, et il y avait là un Terrain légèrement incliné, une vallée d'où les espions rapportèrent une branche de vigne.
XXII (Ib. XIII, 33.) Peur des espions.
« Et ils rapportèrent la peur du pays qu'ils avaient exploré. » Il n'est pas question ici de la peur qu'éprouvait ce pays, mais de l'épouvante qu'en avaient conçue les espions.
XXIII. (Ib. XIV, 9.) Discours de Caleb et de Josué, pour rassurer le peuple.
Pour que le peuplé né craignit pas d'entrer dans la terre promise, Caleb et Jésus fils de Navé, lui adressèrent, entre autres, ces paroles. « Ne craignez point le peuple de ce pays, car ils seront pour nous une bouchée. Le temps n'est plus pour eux, tandis que le Seigneur est en nous ne les craignez point. » Quand ils disent: « Ils seront pour nous une bouchée, » cela signifie: Nous les anéantirons. Ils ajoutent: «car le temps n'est plus pour eux, tandis que le Seigneur est en nous; » ils ne disent point: Le Seigneur n'est plus pour eux, et c'est de leur part une preuve de grand discernement, car ces peuples étaient impies de longue date : or, comme Dieu, dans les secrets desseins de sa providence, accordé à l'impie un temps de prospérité.et de triomphe « Le temps, disent-ils, n'est plus pour eux, tandis que Dieu est avec nous. » Ils ne disent pas « Le temps n'est plus pour eux, et commence pour nous, » mais: le Seigneur, et non le temps, est pour nous. En effet, les premiers ont eu le temps pour eux, mais ceux-ci ont pour eux le Seigneur Dieu, le créateur et l'ordonnateur des temps, celui qui s'en réserve la dispensation selon son bon plaisir.
XXIV. (Ib. XV, 24-29.) Des péchés involontaires.
La loi, qui règle la manière d'expier les péchés involontaires, donne lieu à cette question Qu'entend-on par péchés involontaires ? Sont-ce ceux qu'on commet sans le savoir ? ou bien encore faut-il entendre par là ceux qu'on commet sous l'impression de la contrainte? car on dit ordinairement de ces derniers qu'ils se font contre le gré de la volonté. Mais, dans ce cas, on veut ce qu'on se propose en péchant: quelqu'un, par exemple, voudrait bien ne pas se parjurer ; mais, tenant à la vie, il fait un faux serment pour échapper à la mort dont on le menace en cas de refus. Il veut donc se parjurer, parce qu'il veut vivre; non pas que de lui-même il tienne à se souiller d'un faux serment, mais le faux serment est pour lui un moyen de salut. D'après cet exposé, je ne vois pas qu'on puisse ranger ces fautes parmi les péchés involontaires, dont la loi règle ici le mode d'expiation. En effet, à le bien prendre, il n'est peut-être personne qui veuille le péché pour, lui-même, mais le pécheur se propose quelque chose en dehors de son péché. Tous les hommes qui font le mal sciemment voudraient qu'il fût permis : tant il est vrai que personne ne désire pécher précisément pour le plaisir de pécher, mais pour arriver au résultat qu'il se promet en péchant. S'il en est ainsi, les péchés involontaires sont ceux que l'on commet sans le savoir: une différence tranchée les sépare des fautes volontaires.
XXV. (Ib. XV, 30. 31.) Comment s'expient les péchés d'orgueil.
« Toute âme qui aura péché dans la main de son orgueil, soit des indigènes, soit des prosélytes, celui-là irrite Dieu, et cette âme sera exterminée du milieu de son peuple, parce qu'elle a méprisé la parole du Seigneur et foulé aux pieds ses commandements cette âme sera brisée de douleur, son péché est sur elle. » L'Ecriture elle-même explique suffisamment ce qu'il faut entendre par ces péchés commis dans la main de l'orgueil, c'est-à-dire, par orgueil, quand elle ajoute : « Parce qu'elle a méprisé la parole du Seigneur. » Donc, autre chose est de mépriser les commandements ; autre chose, de les avoir en haute estime, en les transgressant par ignorance ou par faiblesse. Ces deux circonstances atténuantes appartiennent peut-être aux péchés involontaires, pour lesquels Dieu se laisse apaiser par le sacrifice expiatoire qui vient d'être décrit ; c'est après cela qu'il parle des péchés d'orgueil, dont le caractère propre est la perpétration du mal accompagnée du mépris des commandements. Pour cette sorte de péché, il n'ordonne point de sacrifice comme moyen d'expiation: c'est à ses yeux un mal en quelque sorte incurable; ou du moins, les sacrifices prescrits dans l'Écriture ne sont pas capables d'y porter remède : il est vrai que ces sacrifices ne peuvent par eux-mêmes remédier à aucune faute. Mais si l'on pénètre le mystère qui est caché dans ces sacrifices, on pourra se convaincre qu'ils purifient du péché.
Ces mots de l'Écriture : « Quand le pécheur est descendu aux dernières profondeurs du mal, il méprise (1), » s'appliquent au même péché qu'elle décrit ici en disant : Cette âme a péché « dans la main de son orgueil. » Ce péché ne peut être effacé que par le châtiment du coupable; il ne peut rester impuni et c'est par la pénitence que s'en opère la guérison : car l'affliction et le repentir sont le châtiment, quoique médicinal et salutaire, du péché. Sans doute, le péché paraît grand, lorsqu'il consiste dans le mépris orgueilleux des commandements; mais pour le guérir, Dieu ne méprise point « un coeur contrit et humilié (2). » Et comme cette guérison ne se fait point sans douleur, l'Écriture a dit : « L'homme coupable de cette faute irrite Dieu (1), — parce que Dieu résiste aux superbes (2). Et cette âme, ajoute le texte sacré, sera exterminée du milieu du peuple (3) : » car elle ne peut, à aucun titre, être classée parmi ceux qui appartiennent à Dieu. « Parce qu'elle a méprisé la parole de Dieu, et foulé aux pieds ses commandements, cette âme sera brisée de douleur (4). » Pourquoi ce brisement et cette douleur? Ce qui suit en donne la raison: « Son péché, dit l'Écriture, est sur elle:» par conséquent, si le pécheur superbe, se repentant de sa faute, en éprouve une douleur suffisante, Dieu, nous le répétons, ne méprisera pas ce repentir. Toutefois le grec ne dit pas dans ce passage : « Cette âme sera brisée de douleur, contritione conteretur, » mais « sera entièrement broyée, extritione exteretur, » ce qui peut signifier qu'elle sera pour ainsi dire broyée de toute manière, au point d'être réduite au néant. Mais d'abord l'âme étant immortelle de sa nature, il est impossible d'admettre cette interprétation. Ensuite, si tout ce qui est broyé, exteritur, était entièrement anéanti, Dieu ne dirait pas en parlant du sage : « Et que ton pied presse, exterat, souvent le seuil de sa porte (5). » Quoiqu'il en soit, il est nécessaire d'étudier plus sérieusement la question de savoir si l'on peut pécher autrement que par ignorance, ou par faiblesse, ou. par mépris : sujet trop vaste pour que nous puissions nous en occuper ici.
XXVI. (Ib. XVI,13 , 14.) Sur la révolte de Dathart et d'Abiron.
Dathan et Abiron, révoltés et rebelles à la voix de Moïse, lui adressent cette réponse aussi outrageante que superbe : « N'est-ce pas assez que tu nous aies entraînés vers une terre où coulent le lait et le miel, pour nous faire périr dans le désert ? Car tu es à notre tête, tu règnes sur nous: et tu nous as conduits dans une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel, et tu nous as donné en partage des champs et des vignes. » Ils ajoutent: « Tu aurais arraché les yeux à ces hommes :nous ne montons pas.» Quel est le sens de ces mots? De qui veulent parler Dathan et Abiron? Est-ce du peuple d'Israël? Alors le sens serait celui-ci : Si tu avais procuré au peuple ces bienfaits, tu lui aurais arraché les yeux, c'est-à-dire, il aurait pour toi tant d'affection, qu'il s'arracherait les yeux pour te les donner. Au jugement de l'Apôtre lui-même, c'est là une grande marque d'amour : « Car, dit-il aux Galates, s'il était possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner (1). » Ce qu'ils ajoutent met le comble à leur révolte : « Nous ne montons pas, » c'est-à-dire : Nous n'irons point, car Moïse les avait fait appeler. Ces rebelles faisaient peut-être, au contraire, allusion dans leur réponse aux ennemis qu'on leur avait dépeints si forts et si terribles; le sens reviendrait alors à ceci : Quand même tu leur aurais arraché les yeux, nous ne t'obéirions point; un temps du verbe serait mis pour un autre, « Nous ne montons pas, » au lieu de, Nous ne monterions point, par un tour de phrase particulier à l'Écriture.
XXVII. (Ib. XXVI, 20, 21.) Dieu sépare les bons des méchants, quand il punit ces derniers.
« Le Seigneur parla à Moïse et à Aaron et leur dit : « Retirez-vous du milieu de cette assemblée. » Chose remarquable ! lorsque la vengeance divine est sur le point d'éclater contre les méchants, le Seigneur veut qu'une séparation soit établie entre les personnes; c'est ainsi que Noë se sépare avec sa maison des hommes condamnés à périr dans le déluge (2); que Loth et les siens se séparent des habitants de Sodome destinés à être consumés par le feu du ciel (3); que le peuple d'Israël lui-même s'éloigna des Egyptiens quand les flots de la mer allaient les engloutir (4) ; et qu'enfin, dans la circonstance présente, Moïse et Aaron se séparent de Choré, Dathan et Abiron, les premiers instigateurs de la scission et de là révolte : ces saints personnages, vivant et demeurant au milieu de ces rebelles et de ceux que Dieu réprouvait, comme il le dit lui-même en les reprenant, ne cédèrent point cependant à l'entraînement de leurs mauvais exemples; le Seigneur ne leur donna pas non plus l'ordre de se séparer des coupables, tout le temps qu'il différait sa vengeance, ou que celle qu'il tirait d'eux laissait les innocents à l'abri de tout péril et de toute atteinte : ainsi en fut-il de la morsure des serpents, ainsi en fut-il du grand massacre dans lequel Dieu frappait celui qu'il voulait et comme il voulait, sans toucher aux autres; alors ce n'était plus comme l'eau du déluge, ou la pluie de feu, ou les flots de la mer, ou enfin la terre entrouverte, qui pouvaient engloutir toute espèce de personnes à la fois ; sans doute, même dans ces circonstances, Dieu aurait pu conserver les siens; mais qu'était-il besoin d'opérer un miracle et de commander à l'eau, au feu ou à l'abîme de dévorer toutes les victimes qu'ils trouveraient, dès lors que la séparation d'avec les méchants était possible ? C'est ainsi qu'à la fin le froment sera séparé de l'ivraie : les méchants brûleront dans les flammes, et les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père (1).
XXVIII. (Ib. XVI, 30.) Sur le sens de: in visione.
Moïse dit, à propos de Choré, Abiron et Dathan, que : « Dieu montrera manifestement, in visione, et que la terre s'entrouvrant, les dévorera. » Quelques uns ont traduit : « Le Seigneur montrera dans l'abîme ouvert; » je pense qu'ils ont lu khasmati à la place du mot phasmati qui signifie : manifestation; en sorte que le sens de la phrase est que le prodige frappera. tous les yeux. In visione ne signifie donc point dans ce passage les visions qui apparaissent dans le sommeil ou dans l'extase : mais, comme je l'ai dit, une éclatante manifestation. Plusieurs prenant le mot grec dans une autre acception, ont voulu le traduire par « fantôme ; » mais cette expression est si opposée aux habitudes de notre langage, que nous l'employons presque exclusivement pour signifier les illusions dont le sens de la vue est victime; il est vrai que, selon l'étymologie, il pourrait signifier la vue d'un objet véritable; mais, je le répète, l'usage a prévalu de se servir d'un autre mot.
XXIX. (Ib. XVI. 32,33.) Que faut-il entendre par l'enfer où furent précipités Choré, Dathan et Abiron?
« Et ils descendirent vivants aux « enfers, avec tout ce qui leur appartenait. » Il faut observer qu'il s'agit ici de l'enfer terrestre, en d'autres termes, des entrailles de la terre. Car ce nom d'enfer revient souvent dans l'Écriture et avec des acceptions très-différents, suivant l'objet auquel il se rapporte ; on l'emploie surtout en parlant des morts. Mais comme l'Ecriture rapporte que ces hommes descendirent vivants aux enfers, et que le récit fait assez entendre ce que cela signifie, il est évident que les parties inférieures du sol reçoivent ici le nom d'enfer, par opposition avec cette partie de la terre dont la surface est habitée : c'est ainsi que l'Écriture dit, par opposition avec le ciel supérieur où demeurent les saints Anges, que les Anges prévaricateurs furent précipités dans les ténèbres de l'air et en quelque sorte réservés aux châtiments des cachots de l'enfer. « Car si Dieu, dit-elle, n'a point épargné les Anges qui ont péché, mais, les ayant refoulés dans les cachots ténébreux de l'enfer, les a livrés afin qu'ils fussent tenus en réserve pour être punis au jugement (1); l'Apôtre Paul n'appelle-t-il point aussi le démon « prince de la puissance de l'air, qui agit maintenant dans les âmes incrédules (2)? »
XXX. (Ib. XVI, 36-40.) Dieu veut que les encensoirs de Choré, Dathan et Abiron lui soient consacrés.
« Le Seigneur dit ensuite à Moïse et au prêtre Eléazar, fils d'Aaron : Prenez les encensoirs d'airain du milieu de ceux que les flammes ont dévorés, et sème là ce feu étranger parce que les encensoirs de ces pécheurs ont été sanctifiés parleurs âmes (leur mort) ; et fais-en des lames flexibles pour les placer autour de l'autel, car ils ont été offerts devant le Seigneur et sanctifiés , et ils sont devenus un avertissement pour les enfants d'Israël. » Voici, selon moi, la raison pour laquelle Dieu ne s'adresse point ici, comme précédemment, à Moïse et à Aaron, mais à Moïse et à Eléazar, fils d'Aaron. Il s'agissait de montrer de quelle race devaient être les prêtres, car le crime de ces trois hommes fut précisément d'avoir voulu, quoique étrangers à la tribu de Lévi, usurper le ministère sacerdotal; de là le châtiment terrible et surprenant qui mit fin à leurs jours. Dans ce dessein, Dieu ne veut point adresser la parole à Aaron, qui était déjà grand-prêtre, mais il l'adresse à Eléazar, qui devait lui succéder et remplissait déjà les fonctions secondaires du sacerdoce; par là il assure au sein de la même famille l'ordre de succession dans le ministère sacerdotal. Aussi l'Écriture ajoute-t-elle : « Eléazar, fils du prêtre Aaron, prit tous les encensoirs d'airain, dans lesquels ceux qui furent brûlés avaient fait leur offrande, et il les plaça comme un nouvel ornement autour de l'autel, afin de rappeler par là aux enfants d'Israël que nul étranger à la famille d'Aaron ne doit s'approcher pour offrir de l'encens devant le Seigneur; c'est ainsi qu'il éviteront le châtiment de Choré et de ses complices, selon ce que le Seigneur a dit parla main de Moïse. » Le dessein de Dieu, dans cette démarche qu'il commande à Eléazar, était donc d'assurer en sa personne, non point le sacerdoce, qui appartenait à Aaron, mais le droit de succession dans le ministère sacerdotal. Quant à ces mots : « Sème là ce feu étranger, » ils signifient : Disperse ça et là. Ce qui suit : « Les encensoirs de ces pécheurs ont été sanctifiés dans leurs âmes, » renferme, il est vrai, une formule singulière de langage ; mais cette nouvelle manière de s'exprimer veut dire que les encensoirs sont devenus une chose sainte par la punition de ceux qui ont commis ce péché : car leur exemple est une leçon qui apprend aux autres à trembler. Nous voyons ensuite le motif pour lequel Dieu veut que ces encensoirs soient placés autour de l'autel; c'est « parce qu'ils ont été offerts devant le Seigneur, et que, ayant été sanctifiés, ils sont devenus un avertissement, à Israël. » L'indignité de ceux qui ont fait l'offrande n'est pas pour Dieu une raison de la rejeter, mais il préfère attirer l'attention sur Celui à qui cette offrande à été faite, c'est-à-dire, sur le Seigneur; afin de faire comprendre que le nom du Seigneur, à qui les encensoirs ont été présentés, a plus clé vertu que le crime de ceux qui les avaient offerts.
2. L'Ecriture ne suit pas toujours l'ordre chronologique dans la narration du fait.
Au reste, l'Ecriture avait déjà mentionné le fait en question, au livre de l'Exode, dans l'endroit où elle parle de la fabrication de l'autel (1) : on voit par cet exemple que les saints livres ne s'attachent pas à décrire les choses suivant l'ordre des temps, mais suivant la nature de leur objet. C'est ainsi que ce livre des Nombres rapporte comment la verge d'Aaron poussa des fleurs et des fruits, pour confirmer le choix que Dieu avait fait de lui comme prêtre (2). Or, au livre de l'Exode, quand Dieu donne ses ordres pour l'érection du tabernacle, nous lisons déjà que cette verge doit être déposée dans l'arche avec la manne au milieu du Saint des Saints (3). Il est évident que Dieu prescrit cette particularité longtemps avant l’érection et l'achèvement du tabernacle : car le tabernacle fut dressé le premier mois de la seconde année après la sortie de l'Egypte (4); et ce livre commence au premier jour du deuxième mois de cette seconde année. Si l'on considère l'ordre des livres entre eux, il en résulte donc manifestement que ces détails sont rétrospectifs et rappellent des faits anciens, tandis qu'une attention superficielle ferait voir dans ces livres une narration des événements dans l'ordre exact de leur date.
XXXI. (Ib. XVIII, 1.) Le mot péché employé dans le sens de sacrifice pour les péchés.
« Le Seigneur dit à Aaron : Vous recevrez les péchés de ce qui est saint, toi et tes fils, et la maison de ton père avec toi ; et vous recevrez les péchés de votre sacerdoce; toi et tes fils. » Ces péchés sont ce qu'on appelle les sacrifices pour les péchés. Par conséquent « les péchés de ce qui est saint », ne veut pas dire les péchés des saints ; maison les appelle péchés parce que ce sont des sacrifices pour les péchés: et on dit, de ce qui est saint, parce qu'ils sont offerts dans le Sanctuaire; de là leur nom : « les péchés de ce qui est saint. Les péchés de votre sacerdoce » signifient également les sacrifices offerts pour les péchés, sacrifices dont les victimes, selon la déclaration formelle du Lévitique, appartiennent de droit au prêtre (1).
XXXII. (Ib. XVIII, 12.) Tous les premiers fruits, présentés au Seigneur, sont réservés aux prêtres.
« Tous les premiers fruits, primogenita, qui sont « dans leur terre, et qu'ils auront apportés au Seigneur, seront à toi. » Primogenita ne signifie pas ici les premiers-nés des animaux, car on les désigne en grec par le mot prototoka, tandis que primogenita a pour terme correspondant protogenemata, Mais le latin n'a pas deux mots pour exprimer ces objets. De là vient que plusieurs interprètes ont traduit protogenemata par prémices: mais c'est à tort, car les prémices se nomment en grec aparkhai, et renferment un sens différent. Voici donc la différence tranchée qui distingue ces trois choses: prototoka désigne les premiers-nés des animaux, et même des hommes ; protogenemata les premiers fruits obtenus de la terre, soit des arbres, soit de la vigne; les prémices enfin, les premiers fruits tirés de la terre, il est vrai, mais rentrés des champs, comme ce qu'on ti rait d'abord de la pâte, du grenier, du tonneau ou de la cuve.
XXXIII. (Ib. XIX, 1-22. ) Significations figuratives des prescriptions de la Loi, relatives à la Vache rousse et à l'eau d'expiation.
Nous ne pouvons nous abstenir de parler de la génisse rousse, dont la cendre doit, aux termes de la Loi, servir à l'eau d'aspersion et à la purification de ceux qui ont touché un mort; car elle est une figure éclatante du nouveau Testament; et cependant nous ne pouvons, pressés comme nous sommes, parler assez dignement d'un mystère aussi sublime. D'abord, qui ne serait frappé du ton solennel avec lequel l'Ecriture aborde ce sujet ? et qui ne se sentirait très-vivement excité à sonder les profondeurs de ce mystère ? « Le Seigneur parla encore à Moïse et à Aaron, et leur dit : Voici la distinction de la Loi entre toutes les choses que le Seigneur a établies. » Il est évident qu'une distinction ne se produit qu'entre deux ou plusieurs objets : une chose ne peut être distinguée d'elle-même. Or, il n'est pas question ici d'une distinction par rapport à un objet quelconque, puisque l'Écriture ajoute ce mot : « de la Loi; » ni par rapport à une loi particulière, quelle qu'elle soit ; car, quand l'Écriture formule une loi, elle se sert toujours des expressions suivantes : Voici la loi de telle ou telle chose; ce qui montre que cette loi n'est pas la Loi générale, où sont contenus tous les commandements ; tandis que, dans ce passage, après avoir dit : « Voici la distinction de la Loi, » le texte ajoute « : entre toutes les choses que le Seigneur a établies, » non pas évidemment dans la création, mais dans ses commandements. Aussi plusieurs des nôtres ont-ils traduit : « entre tout ce que le Seigneur a commandé. » Si donc cette distinction se produit entre tout ce que le Seigneur a prescrit par la Loi, il n'est pas douteux qu'elle ne soit d'une grande importance et l'on doit voir ici la distinction qui.existe entre les deux Testaments. Ce sont, il est vrai, les mêmes objets dans l'Ancien et dans le Nouveau ; mais dans l'un, c'est l'ombre et la figure; dans l'autre, la révélation et le plein jour de la vérité. Il y a de la différence, non seulement dans les Sacrements, mais encore dans les promesses. Là, Dieu propose des récompenses temporelles, figure mystérieuse de la récompense spirituelle; ici, ses promesses sont évidemment spirituelles et éternelles à la fois. Mais où voyons-nous, entre les biens temporels et charnels d'une part, et les biens spirituels et éternels de l'autre, une ligne de séparation plus certaine et plus frappante que dans la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Sa mort nous dit assez que la félicité terrestre et passagère n'est pas la grande récompense que nous devons désirer et espérer du Seigneur notre Dieu : car en condamnant son Fils unique à souffrir si cruellement, Dieu distingue manifestement cette félicité, du bonheur que nous devons lui demander et attendre de lui L'immolation de la génisse rousse, racontée dans l'Écriture, est donc un symbole assez frappant de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ligne de démarcation entre les deux Testaments.
2. « Le Seigneur parla à Moïse et à Aaron, et leur dit : Voici la distinction de la Loi entre toutes les choses que le Seigneur a établies : » puis viennent les ordres de Dieu : « Parle, dit-il, aux enfants d'Israël. » La phrase peut encore être construite de la manière suivante : « Le Seigneur parla encore à Moïse et à Aaron, et leur dit: Voici la distinction de la Loi, entre toutes les choses que le Seigneur a établies quand il disait. » Il n'est pas question ici des choses que Dieu a établies, quand il créait, par exemple, le Ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, mais de tout ce qu'il a établi par sa parole, c'est-à-dire dans les deux Testaments; puis nous lisons : « Parle aux enfants d'Israël, et qu'ils t'amènent une génisse rousse sans défaut. » La génisse rousse est l'image de la chair du Christ; son sexe marque l'infirmité de la chair, et sa couleur, le sang de la passion. Ces mots : « qu'ils te l'amènent, » nous montrent dans Moïse la personnification de la Loi : car les Juifs se sont imaginé être fidèles à la Loi quand ils ont mis le Christ à mort, pour avoir, suivant eux, profané le sabbat et violé les observances légales. Il n'est pas étonnant que cette génisse doive être exempte de défaut; car les autres victimes destinées au sacrifice devaient être aussi sans défaut, et toutes figuraient avec elle la chair du Christ. Or, cette chair, semblable à la chair de péché, n'était pas cependant une chair de péché (1). Mais dès lors que Dieu a voulu établir clairement ici la distinction de la Loi, c'était peu de dire que la génisse devait être sans défaut, si l'Écriture n'eût ajouté « qu'elle n'aura pas de défaut en elle: » cette répétition n'a pas été peut-être placée là sans dessein, car, en insistant sur le même fait, elle eu est une confirmation sérieuse. Il est cependant une autre interprétation, qui ne s'éloigne pas de la vérité : si l'Écriture dit d'abord que « la génisse sera exempte de défaut » et ensuite « qu'elle n'aura pas de défaut en elle, » cela signifierait que la chair personnelle du Christ n'a pas eu de défaut, mais qu'elle en a eu dans les autres, qui sont ses membres. Quelle est en effet, dans cette vie, la chair exempte de péché, sinon celle-là seule qui n'a pas de défaut en soi ? « Et le joug n'a pas été posé sur elle. » La chair du Christ n'a point en effet porté le joug de l'iniquité, elle est venue opérer la délivrance de ceux qu'elles y a trouvés soumis et elle a brisé leurs fers, suivant ces paroles qui s'adressent au Christ. « Vous avez brisé mes chaînes, je vous offrirai en sacrifice une victime de louanges (1). » Celui qui avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre (2), n'a point porté le joug sur sa chair.
3. Le texte ajoute : « Et tu la donneras au prêtre Eléazar. » Pourquoi pas à Aaron ? N'était-ce point une annonce figurative que la passion du Seigneur ne devait pas arriver dans ce temps-là, mais sous les successeurs du sacerdoce d'alors ? « Et ils la jetteront hors du camp : » c'est ainsi que le Sauveur fut conduit hors de la ville pour souffrir sa passion. Quant à ces mots : « Dans un lieu pur, » ils signifient que le Christ est mort innocent. « Et ils l'immoleront devant lui, » c'est ainsi que la chair du Christ fut immolée en présence de ceux qui allaient devenir les prêtres du Seigneur sous le Testament nouveau.
4. « Eléazar prendra de ce sang, et il en fera sept fois l'aspersion vers la face du tabernacle du témoignage. » Ce rit est la preuve que le Christ a, conformément aux Ecritures, répandu son sang pour la rémission des péchés (3). « Vers la face du tabernacle du témoignage, » c'est-à-dire, que tout dans ce grand évènement, est arrivé selon le témoignage que Dieu lui-même avait rendu par avance. Enfin « sept fois, » nombre sacré qui signifie la sanctification spirituelle opérée parle sang du Christ.
5. « Et ils la brûleront en sa présence. » Je pense que ce rit est un symbole de la résurrection. Car le feu tend de sa nature à monter, et à transformer en sa substance ce qu'il brûle. Cremare, brûler, vient d'ailleurs d'un mot grec qui veut dire : suspendre, entraîner après soi. L'Ecriture ajoute : « en sa présence, » c'est-à-dire, en présence du prêtre : paroles qui sont placées là, ce me semble, pour marquer l'apparition du Christ ressuscité à ceux qui devaient avoir part au sacerdoce royal. Ce qui suit : « On brûlera sa peau et ses chairs, et son sang avec ses excréments, » explique en détail la manière dont on brûlera la victime; ce passage renferme en même temps de mystérieuses significations : la peau, les chairs et le sang sont une figure de la substance mortelle du corps de Jésus-Christ; et le mépris et les outrages du peuple, figurés, à mon sens, par les excréments de la victime, doivent tourner à la gloire du Christ, symbolisée à son tour par la flamme du bûcher.
6. « Le prêtre prendra ensuite du bois de cèdre, de l'hyssope et de l'écarlate, et il les jet» fera au milieu du feu où brûle la génisse. » Le bois de cèdre est le symbole de l'espérance, qui doit toujours habiter dans les cieux. L'hyssope, plante modeste qui fixe ses racines dans le rocher, est l'image de la foi. L'écarlate, qui emprunte au feu ses vives couleurs, figure la charité, qui n'est autre que la ferveur de l'esprit. Voilà les trois choses, que nous devons jeter dans la résurrection du Christ comme dans une sorte de foyer embrasé, afin que notre vie soit cachée avec la sienne, selon ce mot de l'Apôtre « Votre vie est cachée en Dieu avec le Christ (1). »
7. « Le prêtre lavera ses vêtements, et son corps dans l'eau ; il entrera ensuite dans le camp, et sera impur jusqu'au soir. » Que signifie cette ablution du corps et des vêtements, si ce n'est la pureté extérieure et intérieure à la fois ? Voilà pour le prêtre. On lit ensuite : « Et celui qui la brûlera, lavera ses vêtements et son corps dans l'eau, et il sera impur jusqu'au soir. » Cet homme qui brûle la victime est, selon moi, la figure de ceux qui ensevelirent la chair du Christ, la préparant ainsi à la résurrection comme à une sorte de bûcher glorieux.
8. « Et un homme pur ramassera la cendre de la génisse, et la placera hors du camp dans un lieu pur. » Que devons-nous entendre par la cendre de la génisse, en d'autres termes, par les restes de la victime immolée et livrée aux flammes, si ce n'est la renommée glorieuse qui a suivi la passion et la résurrection du Christ ? « Car des restes demeurent à l'homme pacifique (2).» En effet, le Christ était une sorte de cendre, parce qu'il passait, aux yeux de ceux qui n'avaient pas la foi, pour un mort digne de mépris; et néanmoins il purifiait en même temps les âmes, en qui existait la foi à sa résurrection. Et comme cette renommée jeta son éclat le plus vif parmi ceux qui vivaient au milieu des gentils, sans appartenir au peuple ,juif, j'estime que c'est la raison d'être de ces paroles : « Et un homme pur ramassera la cendre de la génisse ; » cet homme sera évidemment pur de la mort du Christ, qui fut le crime des Juifs. «Et il la placera dans un lieu pur, » c'est-à-dire qu'il la traitera avec honneur ; cependant il la portera « hors du camp, » parce que la gloire de l'Evangile a brillé en dehors des cérémonies célébrées chez les Juifs. « Et l'assemblée des enfants d'Israël la conservera, c'est l'eau de l'aspersion, elle purifie. » Dieu déclare ensuite avec plus de clarté la manière dont on faisait avec cette cendre l'eau d'aspersion, qui effaçait l'impureté contractée au contact des morts : image assurément de la purification des iniquités qui se commettent dans cette vie toujours morte on mourante.
9. Ce qui vient ensuite est surprenant : « Et celui, dit l'Écriture, qui ramassera la cendre de la génisse, lavera ses vêtements, et il sera impur jusqu'au soir. » Comment l'action de cet homme, qui était pur auparavant, le rendra-t-elle impur? N'est-ce point une figure de ce qui se passe dans la foi chrétienne, où ceux-mêmes qui se croient à l'abri de toute souillure apprennent à se connaître, car « tous ont péché et ont besoin de rendre gloire à Dieu, parce qu'ils ont été justifiés gratuitement parle sang du Christ (1)? » Cet homme n'est cependant pas tenu de laver son corps, mais seulement ses habits : je crois que la démarche qu'il accomplit en ramassant la cendre et la plaçant dans un lieu pur, entendue dans le sens spirituel, signifie qu'il était déjà purifié intérieurement : c'est ainsi que Cornélius, entendant Pierre et croyant à sa prédication, fut purifié d'une manière si parfaite, que le Saint-Esprit lui fut donné, même avant le baptême visible, ainsi qu'à tous ceux qui étaient là (2). Il ne négligera point cependant de recevoir le sacrement qui se donne sous une forme sensible; ce fut pour lui la purification extérieure, une sorte d'ablution de ses vêtements. « Et ce sera, dit le texte sacré, une loi éternelle pour les enfants d'Israël et pour les prosélytes qui se sont joints à eux. » Qu'est-ce que ces paroles nous font voir, si ce n'est que le baptême, figuré symboliquement par l'eau d'aspersion, profitera également aux Juifs et aux Gentils, c'est-à-dire, aux enfants d'Israël et aux prosélytes, les uns étant comme les rameaux naturels de l'arbre, et les autres, une sorte d'olivier sauvage greffé sur le tronc vigoureux (3)? Mais qui ne serait étonné de voir qu'il est dit de l'un et de l'autre, après qu'ils se sont lavés : « Il sera impur jusqu'au soir ? » Et ce n'est pas seulement dans cette circonstance, mais dans toutes ou presque toutes les purifications semblables, que l'Ecriture se sert des mêmes expressions. Je ne sache pas qu'on puisse donner à cette particularité une interprétation différente de celle-ci : c'est que tout homme, après la rémission la plus entière de ses fautes, contracte, en demeurant dans cette vie, les imperfections qui le rendent impur ,jusqu'à la fin de cette même vie; qui est pour lui comme le soir d'un jour.
10. L'Écriture décrit ensuite la manière dont doit se faire, avec l'eau d'aspersion, la purification des hommes devenus impurs : « L'âme, dit-elle, de quiconque aura touché un mort, sera impure pendant sept jours; cet homme se purifiera.le troisième et le septième jour, et il sera pur. » Ici encore je ne vois pas ce qu'on peut entendre par le contact d'un mort, sinon l'iniquité de l'homme. L'impureté qui dure sept jours se rapporte, je pense, à l'âme et au corps; à l'âme, pour le nombre ternaire ; du corps pour le nombre quatre . Le motif pour lequel il en est ainsi demanderait de longs développements. C'est en ce sens que j'interprète ces paroles du Prophète : « Je ne montrerai pas d'aversion après trois et quatre impiétés (1). » Viennent ensuite ces mots: « S'il n'est pas purifié le troisième et le septième jour, il ne sera pas pur. Quiconque aura touché le corps mort d'un homme, et sera mort, et n'aura pas été purifié, » c'est-à-dire, sera mort avant d'avoir été purifié de ce contact, «souillera le tabernacle du Seigneur : cette âme sera retranchée d'Israël. » Il est extrêmement difficile de trouver dans les livres de Moïse quelque chose de plus formel en faveur de la vie de l'âme après la mort. Ici, en effet, l'Écriture nous dit que si cet homme est mort avant d'être purifié, son impureté demeure, et que cette âme est retranchée d'Israël, en d'autres termes, de la société du peuple de Dieu. Or, que veut-elle nous faire entendre par là, sinon que le châtiment pèse sur cette âme, même après la mort, quand au temps de la vie elle n'a pas été purifiée par ce sacrement qui est la figure du baptême chrétien ? « Il sera impur, dit le texte sacré, parce que l'eau d'aspersion n'a pas été répandue sur lui; son impureté est encore en lui. » Encore, c'est-à-dire, même après la mort. Quant à ces mots, cités plus haut : « Il a souillé le temple du Seigneur, » comprenez : autant qu'il était en lui de le faire. C'est ainsi que l'Apôtre dit: « N'éteignez point l'Esprit (2), » quoiqu'il soit impossible à l'homme de réaliser ce crime. Si le tabernacle eût été réellement souillé, Dieu n'aurait pas manqué d'ordonner qu'on le purifiât.
11. Dieu prescrit ensuite la manière dont doivent être purifiés ceux qui sont devenus impurs au contact des morts, image des oeuvres mortes ou du péché: « Ils prendront, dit-il, pour cet homme impur de la cendre de la génisse brûlée pour la purification, et ils verseront sur elle, » c'est-à-dire, sur cette cendre, « de l'eau vive dans un vase; puis un homme pur, prenant de l'hyssope et la trempant dans l'eau, fera des aspersions sur la maison, sur les vases, et sur toutes les âmes qui seront là, et sur celui qui aura touché un os humain, ou un blessé, ou un mort, ou un tombeau; et le pur purifiera l'impur le troisième et le septième jour; et celui-ci sera purifié le septième jour, et lavera ses vêtements, et se lavera lui-même dans l'eau, et il sera impur jusqu'au soir. » Il est évident que Peau d'aspersion n'est pas celle qui devait servir à laver les vêtements. « Et il se lavera dans l'eau : » cette eau, est, je pense, l'eau spirituelle, en figure toutefois, non en réalité. Car, sans aucun doute, elle était visible, comme toutes les ombres des choses à venir. Mais celui qui reçoit en bonne disposition la purification du sacrement de baptême dont l'eau d'aspersion était la figure, acquiert même la purification spirituelle ou invisible de la chair et de l'âme, devenant ainsi pur de corps et d'esprit. L'aspersion de l'eau devait se faire avec l'hyssope, cette plante qui, disions-nous, est l'image de la foi . Or, ceci peut-il nous rappeler autre chose que ce qui est rapporté dans l'Écriture : « Que Dieu purifiait leurs coeurs parla foi (1)? » Sans la foi, en effet, le baptême n'est d'aucune utilité. L'homme pur qui doit, aux termes de la Loi, faire cette aspersion, est la figure des ministres qui tiennent la place de leur Seigneur, l'homme pur par excellence. Ce sont ces ministres, en effet, qui sont désignés dans la suite du texte : « Et celui qui répandra l'eau d'aspersion lavera ses vêtements, » c'est-à-dire qu'il sera pur, même de corps. « Et celui qui aura touché l'eau d'aspersion, sera impur jusqu'au soir. Et toute chose que cet homme impur aura touchée, sera impure ; et l'âme qui l'aura touché, sera impure jusqu'au soir. » J'ai déjà dit plus haut le sens qu'il faut attacher à ces mots : « jusqu'au soir. »
XXXIV. (Ib. XIX,16.) Ce que l'Ecriture entend par ces mots : un blessé, un mort.
« Quiconque aura touché dans la campagne un blessé, ou un mort, ou l'os d'un homme, ou un tombeau. » On peut demander ce que l'Écriture entend par « un blessé et un mort. » Car si elle distingue le blessé du mort, on pourra conclure que l'impureté se contracte au contacte d'un homme blessé, fût-il encore vivant : ce qui est absurde. Mais comme on peut mourir des suites d'une blessure, toute la distinction qu'elle a voulu faire et indiquer, est celle qui existe entre l'homme mort en conséquence de sa blessure, et l'homme mort sans avoir été blessé.
XXXV. (Ib. XX, 11.) De l'eau du rocher.
L'Apôtre Paul a donné la signification mystérieuse de l'eau sortie du rocher, quand il a dit : « Tous aussi ont bu d'un même breuvage spirituel ; car ils recevaient ce breuvage de la pierre spirituelle qui les accompagnait, et cette pierre était le Christ (1). » L'eau du rocher signifiait donc la grâce spirituelle, dont la source est dans le Christ et dont les eaux étanchent la soif intérieure. Quant à la verge qui frappa le rocher, elle est l'image de la croix de Jésus-Christ. En effet la grâce a coulé, quand le bois sacré a touché la pierre; les deux coups frappés avec la verge donnent eux-mêmes à ce symbolisme une signification plus évidente : car deux morceaux de bois composent la Croix.
XXXVI.(Ib. XX, 13.) Même sujet.
L'Écriture dit à propos de cette eau tirée du rocher : « C'est là l'eau de contradiction, où les enfants d'Israël murmurèrent en présence du Seigneur, et où il fut sanctifié en eux. » Ainsi nous voyons d'abord qu'ils élevèrent des plaintes contre le bienfait que Dieu leur avait accordé en les tirant d'Égypte; puis nous voyons que Dieu est sanctifié en eux, quand l'eau miraculeuse du rocher l'ait paraître sa sainteté à leurs yeux. Ceci n'est-il pas un Symbole figuratif de deux sortes de personnes : les unes résistant à la grâce du Christ; les autres lui faisant bon accueil; ce qui fait que la grâce est pour les unes l'eau de contradiction, pour les autres, l'eau de sanctification ? L'Evangile ne nous dit-il pas, en effet, du Seigneur lui-même: « Il sera encore un objet de contradiction (2). »
XXXVII. (Ib. XX, 17.) Mot sous-entendu.
Lorsque Moïse fait dire, entre autres choses, au roi d'Edom : « Nous ne boirons point de l'eau de ton réservoir, » cela signifie : Nous n'en boirons point, sans en payer le prix. C'est ce que prouvent ces autres paroles de Moïse un peu plus loin : « Si nous buvons de ton eau, moi et mes troupeaux, je t'en payerai le prix. »
XXXVIII. (Ib. XX, 17.) Sens de ces mots : in dextera neque in sinistra.
« Nous ne nous détournerons point à droite ni à gauche ; » ces dernières expressions étant au pluriel dans le texte, elles signifient : soit vers les choses qui sont à droite , soit vers les choses qui sont à gauche.
XXXIX. (Ib. XX, 24.) Les eaux de contradiction appelées aussi eaux de malédiction.
« Vous n'entrerez point dans la terre que j'ai donnée aux enfants d'Israël pour qu'ils la possèdent parce que vous m'avez irrité à l'eau de malédiction. » Dieu désigne ici l'eau de contradiction sous le nom d'eau de malédiction. Le texte porte, en effet, loidorias au lieu de antilogias.
XL. (Ib. XXI, 2.) Sur le voeu d'anathème.
« Israël fit encore un voeu au Seigneur, et dit : « Si vous me livrez ce peuple après l'avoir assujetti, » c'est-à-dire, si vous me le soumettez en me le livrant, « je l'anathématiserai, ainsi que ses villes. » Il faut bien comprendre le sens de ce mot : anathème. Il signifie que la chose, quoique vouée, devient maudite, comme ce peuple dont il est parlé ; de là ces mots : « Si quelqu'un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (1). » C'est l'origine du mot vulgaire de votare, car il n'est presque personne qui se serve de ce mot autrement que pour appeler sur soi des malédictions.
XLI. (Ib. XXI, 3.) Même sujet.
« Et il l'anathématisa, lui et sa ville : et ce lieu fut appelé Anathème. » De là vient que l'anathème est à nos yeux quelque chose qui excite l'horreur et l'effroi. Quand une chose était livrée à l'anathème, autrement en langage vulgaire, dévouée, le vainqueur ne devait rien en détourner à son usage, mais livrer tout à la destruction. L'origine de ce mot en grec vient de ce que les objets qui avaient été voués ou promis étaient fixés ou suspendus aux voûtes des temples, quand on réalisait son voeu ou sa promesse.’Ano tithenai.
XLII. (Ib. XXI, 13,14.) Sur les livres apocryphes.
L'Écriture, rapportant en détail les campements des enfants d'Israël, dit entre autres choses : « De là ils transportèrent leur camp au-delà d'Arnon, dans le désert, est sur les limites des Amorrhéens. Car Arnon est la limite de Moab, entre Moab et l'Amorrhéen. « C'est pourquoi il est écrit dans un livre : La guerre du Seigneur enflamma Zoob, et les torrents d'Arnon, et Er habita les torrents. » Elle ne dit pas en quel livre sont contenues ces paroles, et nous ne les lisons dans aucun de ceux que nous regardons comme livres canoniques. C'est sur de tels passages que s'appuient ceux qui prennent à tâche d'offrir des livres apocryphes aux âmes curieuses ou irréfléchies, pour leur insinuer des impiétés déguisées sous des fables. Mais il est parlé ici d'un livre en général, et non d'un livre sacré écrit par tel Patriarche ou tel Prophète. Nous ne nions pas qu'il y eût déjà alors des livres, soit chez les Chaldéens, les ancêtres d'Abraham; soit chez les Egyptiens, dont Moïse avait appris toute la sagesse; soit chez d'autres nations, et que l'un de ces livres pût contenir ce récit; mais il ne s'ensuit pas que le livre où cela était écrit acquière la valeur des Ecritures qui sont- revêtues de l'autorité divine: pas plus que ce Prophète Crétois dont parle l'Apôtre (1); pas plus que ces écrivains de la Grèce, Poètes ou Philosophes, dont le même apôtre confirme l'autorité, quand il rapporte cette parole d'un des leurs, dans le discours sublime et plein de vérité qu'il fit entendre aux Athéniens : « Car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être (2). » Il est bien permis à Dieu de prendre où il lui plait les témoignages favorables à la vérité; mais il n'autorise pas pour cela tout ce qui est rapporté dans ces livres. On ne voit pas clairement la raison de la citation mentionnée plus haut : peut-être l'Écriture a-t-elle voulu dire que la guerre eut lieu entre ces deux nations à l'occasion de leurs limites respectives, et que les hommes du pays, pour peindre ce que cette guerre eut d'effroyable, l'ont appelée la guerre du Seigneur; de là ces mots écrits dans quelqu'un de leurs livres : « La guerre du Seigneur enflamma Zoob, » soit que cette ville ait été, dans cette guerre, la proie des flammes; soit qu'elle y ait pris part avec ardeur; soit enfin qu'il y ait quelqu'autre signification dans ce passage obscur.
XLIII. (Ib. XXI, 16.) Allusion de l'Écriture à un fait qu'elle n'a pas rapporté précédemment.
« C'est ici le puits dont le Seigneur parla à Moïse, en lui disant : Assemble le peuple, et je leur donnerai de l'eau à boire. » Ce fait est rapporté en termes tels qu'il semblerait qu'on doit en lire le récit dans quelque chapitre précédent. Mais comme on ne le trouve nulle part, il faut entendre ce passage en ce sens que le peuple, après s'être plaint de la sécheresse, trouva de l'eau en cet endroit.
XLIV. (Ib. XXI, 24,25.) De la victoire des Israëlites sur les Amorrhéens.
« Israël le frappa du tranchant du glaive : et ils se rendirent maîtres de son pays, depuis Arnon , jusqu'à Jaboc et ,jusqu'aux enfants d'Ammon : car Jazer est à la frontière des enfants d'Ammon. Ainsi Israël prit toutes ces villes. Et Israël habita dans toutes les villes des Amorrhéens, dans Esébon. » Il n'est pas douteux qu'Israël posséda ces villes des Amorrhéens, après s'en être rendu maître par le droit de la guerre, parce qu'il ne les livra pas à l'anathème : car s'il les eût anathématisées, il n'aurait pu les garder en sa possession, ni faire servir à son usage aucune portion du butin. Il est à observer que ces guerres s'appuyaient sur la justice. Car on refusait aux lsraëlites un passage inoffensif, qui devait leur être ouvert, suivant les strictes exigences du droit des nations. Dieu d'ailleurs fut fidèle à ses promesses, et vint en aide aux Israëlites, à qui devait être donné le pays des Amorrhéens. Il n'en fut pas de même lorsque Edom, lui aussi, leur refusa le passage
les Israëlites ne firent pas la guerre à ce peuple, et les enfants de Jacob n'en vinrent pas aux mains avec les enfants d'Esaü, son frère jumeau ; parce que Dieu ne leur avait pas promis cette terre, mais ils s'en détournèrent (1).
XLV. (Ib. XXI, 27.) De ceux qui proposaient des énigmes, autrement des poètes.
« C'est pourquoi ceux qui proposent des énigmes, diront : Venez à Esebon, etc. » On ne voit pas clairement quel était le rôle de ces inventeurs d'énigmes, parce que leur nom n'est pas usité dans notre langue, et que c'est à peine si on le retrouve quelque part dans les divines Ecritures; mais comme nous les voyons célébrer dans une sorte d'hymne la guerre des Amorrhéens contre les Moabites, et la victoire de Séon, roi des Amorrhéens, sur Moab, il est permis de croire que l'on nommait alors inventeurs d'énigmes ceux que nous appelons aujourd'hui poètes; car les poètes se donnent ordinairement la licence de mêler à leurs poëmes des énigmes tirées de la fable, où se cache quelque chose de mystérieux à deviner. Il n'y aurait pas, en effet, d'énigme possible, sans l'emploi de quelque expression figurée, dont l'examen sérieux conduit à l'intelligence de ce qui est voilé sous la forme énigmatique.
XLVI. (Ib. XXII, 4-6.) Des Moabites et des Madianites.
Suivant le récit de l'Ecriture, après qu'Israël eut vaincu les Amorrhéens et se fut emparé de toutes leurs villes, Batac, roi des Moabites, envoya des ambassadeurs à Balaam pour l'inviter à maudire Israël. On voit assez par ce récit que les Moabites ne furent pas tous réduits en servitude par Séon, roi des Amorrhéens, quand il les eut vaincus ; et que la nation des Moabites se conserva jusqu'à l'époque du règne de Balac, roi de Moab. Or, Moab dit aux plus anciens des Madianites : « Ce peuple va maintenant dévorer tous ceux qui sont autour de nous. » Ils ne formaient pas une seule nation, mais deux nations voisines dont l'une avertit l'autre de se tenir en garde contre un danger commun. Moab, en effet, était fils de Loth et d'une de ses filles (1) ; Madian naquit de l'union d'Abraham avec Céthura (2). Ce n'était donc pas un seul peuple, mais deux nations voisines et limitrophes.
XLVII. (Ib. XXII, 7-46.) De Balaam.
Que veut dire, l'Ecriture, quand elle rapporte que « des divinations étaient dans les mains » de ceux que Balac envoya à. Balaam, pour l'amener à maudire Israël? Est-ce que ces envoyés étaient aussi des devins? ou bien portaient-ils à Balaam des objets dont il avait besoin pour prophétiser : ce qu'il fallait, par exemple, livrer au feu dans les sacrifices, ou employer de quelque autre manière, objets qui se seraient appelés divinations, parce qu'ils pouvaient servir d'instruments à Balaam ? Cela signifierait-il quelque autre chose? car cette expression n'est pas claire. Il est. bon de noter aussi ce passage : « Dieu vint à Balaam et lui dit: Que sont ces hommes que tu. as près de toi etc? » L'Ecriture ne dit pas si cela se passa en songe, quoiqu'elle fasse suffisamment entendre que ce fut pendant la nuit, comme il résulte des paroles suivantes : « Balaam se levant le matin (3). » On peut s'étonner que Dieu ait favorisé de révélations un homme pervers; car, quand même il serait constant que cet évènement eut lieu en songe, la question serait toujours à poser à cause de l'indignité du personnage. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ nous apprend un fait semblable de ce riche, qui se disposait à détruire ses anciens greniers et à en remplir de nouveaux qui seraient plus grands .» « Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même on va te reprendre ton âme; et pour qui sera ce que tu as amassé? (1) » Que personne ne se glorifie donc, si Dieu, qui sait comment il faut parler à de tels hommes, lui parle de la même manière, car Dieu peut accorder cette faveur à des réprouvés ; même quand il parle par un ange, c'est lui qui parle.
XLVIII. (Ib. XXII, 42-38.) Cupidité de Balaam et son endurcissement.
Cette réponse de Balaam aux ambassadeurs plus honorables qui lui sont députés de nouveau, est tout-à-fait irrépréhensible: «Quand Balac me donnerait plein sa maison d'or et d'argent, je ne pourrai trahir la parole du Seigneur, faire moins ou plus en mon âme. » Mais ce qui suit n'est pas exempt de péché grave. Il devait en effet demeurer ferme dans son obéissance à cet ordre qu'il avait reçu du, Seigneur : « Tu n'iras pas avec eux, et tu ne maudiras point ce peuple, parce qu'il est béni. » Il ne devait point non plus leur donner l'espoir que Dieu pouvait, comme lui Balaam, gagné par des présents et par l'appât des honneurs, changer de sentiment à l'égard de son peuple, de ce peuple qu'il avait déclaré l'objet de ses bénédictions. Mais Balaam se montra vaincu par la cupidité, du moment qu'il voulut connaître encore une fois la volonté du Seigneur à se sujet, bien qu'elle lui eût déjà été formulée expressément. A quoi ,bon, en effet, dire encore aux ambassadeurs : « Vous aussi demeurez ici cette nuit, et je saurai ce que le Seigneur me répondra de nouveau ? » Alors, voyant que sa cupidité était gagnée et vaincue par des présents, le Seigneur le laissa partir, afin de le reprendre sévèrement de son avarice par l'intermédiaire de l'animal qu'il montait: leçon sévère donnée à cet insensé par une ânesse, celle-ci n'osant transgresser la défense du Seigneur intimée par un ange, tandis que Balaam, malgré la crainte qui dominait en lui la cupidité, s'obstinait dans une coupable résistance inspirée par cette passion. «Dieu vint donc, la nuit, à Balaam et lui dit : Si ces hommes sont venus te chercher, lève-toi et suis-les; mais tu feras tout ce que j'aurai dit. Balaam s'étant levé le matin, sella son ânesse, et s'en alla avec les princes de Moab. » Pour quelle raison, une fois autorisé à partir, ne consulte-t-il pas de nouveau le Seigneur, comme il avait cru devoir le faire après la défense qui lui avait été adressée d'abord ? Ce trait ne révèle-t-il pas sa coupable cupidité, tout entravée qu'elle était par la crainte ? L'Ecriture ajoute enfin : « Et Dieu fut animé d'une grande colère, parce qu'il s'en allait; et un ange de Dieu se leva pour l'empêcher d'avancer, » et le reste qui suit jusqu'à l'endroit où l'ânesse parla. Que Balaam, au lieu de se sentir pénétré d'effroi à la vue de ce prodige, cède à sa colère et réponde à son ânesse, comme un homme accoutumé à de tels prodiges ; en vérité, il n'y a pas au monde de chose plus surprenante. L'ange, lui parle ensuite et lui reproche amèrement sa démarche ; en voyant cet ange, il tremble cependant, et se prosterne devant lui. Puis il lui est permis d'aller en avant, Dieu voulant faire entendre par sa bouche une des prophéties les plus éclatantes. Car il ne fut pas en son pouvoir de parler selon son caprice, mais c'est l'Esprit divin qui parla par ses lèvres. Il n'en demeura pas moins réprouvé de Dieu; l'Ecriture dit, en effet, de lui dans la suite que plusieurs hommes coupables et réprouvés ont marché sur ses traces : « Ils ont suivi, dit-elle, la voie de Balaam, fils de Béor, qui aima la récompense de l'iniquité (1). »
XLIX. (Ib. XXII, 22,32.) Discussion, grammaticale sur le mot DIFFERRE.
Voici ce que l'Ecriture dit de l'ange qui parla à Balaam dans le chemin, et à la vue duquel l'ânesse n'osa avancer : « Dieu fut animé d'une grande colère, parce que Balaam s'en allait, et un ange de Dieu se leva pour le retarder, differre, dans le chemin. » Remarquons d'abord le sens de ces expressions: « Dieu se mit en colère, et un ange de Dieu se leva ; » l'Ecriture n'insinue pas que Dieu envoya l'ange dans sa colère, mais elle semble dire que Dieu lui-même était irrité dans la personne de son ange; que la vérité et la justice divine avaient inspiré à l'ange une sainte colère. En effet, ce mot « il se leva » doit s'entendre d'une émotion profonde. Ceux-ci qui viennent ensuite : « le retarder dans le chemin, » que le grec a rendus par diabolein, reviennent plus loin dans le discours de l'ange: « Je suis venu, dit-il, pour t'arrêter dilationem, et le grec porte ici diabolen. Le sens le plus convenable de ce terme est peut-être accusation ; « differre eum in via, » signifierait alors : « l'accuser dans le chemin. » Le nom du diable vient aussi, à ce que l'on croit, du même mot grec et signifie, par conséquent, dans notre langue: accusateur : Ce n'est pas que nul ne puisse comme lui s'acquitter parfaitement de cette fonction; mais c'est que le diable, agité par les aiguillons de l'envie, suivant le témoignage de l'Apocalypse (1) , met son bonheur à accuser. Cette expression se retrouve dans une comédie, ce qui démontre qu'il est latin, avec une signification identique ou certainement approchante; « Il espère, dit-on à un fils contre lequel le père est irrité, avoir trouvé une harangue qui te remue d'importance, differat te (2). » Or, on donne ordinairement à differat, employé dans ce passage, le sens de : balloter en quelque sorte de côté et d'autre au milieu d'une tempête de paroles, déchirer, mettre en pièces: résultat que le père devait obtenir, ce semble, en accusant son fils. Cependant, si nous admettons que differat eum in via, signifie que l'ange arrêta Balaam dans sa marche précipitée, afin de lui faire entendre les leçons dont il avait besoin, cette autre interprétation ne sera point à mépriser.
L. (Ib. XXII, 23-29.) Balaam et son ânesse.
L'ânesse ayant vu l'Ange de Dieu, qui se tenait debout dans le chemin, ayant à la main une épée nue, se détourna du chemin, et allait à travers champs. » Ces champs bordaient le chemin avant qu'on arrivât aux vignes enfermées de murailles. « Et il frappa l'ânesse du bâton, afin de la ramener dans le chemin. Et l'Ange de Dieu se tint dans les sillons des vignes, une muraille d'un coté, et une de l'autre. » Si des murailles s'élevaient de chaque côté du chemin, comme c'est l'ordinaire, on demande, et avec raison, comment l'Ecriture peut dire que l'ange s'y tenait, et en même temps dans les sillons des vignes. Car ces sillons ne pouvaient être dans le chemin entre les murailles. Mais voici la disposition qu'il faut donner aux mots: « afin de la ramener dans le chemin bordé de murailles d'un côté et de l'autre. » Balaam voulait donc forcer son ânesse à marcher dans le chemin bordé de murs de chaque côté. Les paroles suivantes ont été intercalées dans le texte: « Et l'ange de Dieu se tint dans les sillons des vignes, » c'est-à-dire, dans une des vignes qui aboutissaient au chemin. « L'ânesse ayant vu l'ange de Dieu se serra contre le mur : » évidemment contre le mur de la vigne où n'était pas l'ange, qui se tenait de l'autre côté dans le sillon des vignes. « Et elle pressa le pied de Balaam contre le mur, et il continua de la frapper. Et l'ange s'avança et se tint dans un lieu étroit; » il n'était plus alors dans les sillons des vignes, mais entre les murailles, dans le chemin; « où il n'y avait moyen de se détourner ni à droite ni à gauche. L'ânesse ayant vu l'ange de Dieu, s'affaissa , sous Balaam. » Accablée de coups, elle ne pouvait aller en arrière ; elle ne se pressait pas non plus contre une muraille, parce qu'elle n'était pas menacée de l'autre côté, et que l'ange était au milieu du chemin dans un endroit resserré: elle ne pouvait donc que s'arrêter. « Alors Balaam, transporté de colère, frappait son ânesse avec un bâton. Et Dieu ouvrit la bouche de l'ânesse, et elle dit à Balaam : Que t'ai-je fait, pour que tu me frappes encore une troisième fois ? Et Balaam dit à l'ânesse : Parce que tu t'es moquée de moi; et si j'avais en main une épée, je t'aurais déjà transpercée. » Telle est la passion de Balaam, qu'il n'est pas effrayé d'un si grand prodige, et qu'il répond comme s'il conversait avec un homme, tandis que Dieu assurément n'avait point transformé l'ânesse en un être raisonnable, mais lui faisait prononcer les paroles qu'il voulait, pour confondre la folie de son maître : c'était peut-être une figure de ce que Dieu devait faire un jour, choisissant ce qu'il y a d'insensé pour confondre les sages (1), en faveur de l'Israël spirituel et véritable, cet autre enfant de la promesse.
LI. (Ib. XXIII, 5.) FACTUS EST mis pour FACTUM EST UT.
« Et l'Esprit de Dieu fut fait sur lui, » factus est, c'est-à-dire sur Balaam. L'Esprit de Dieu n'a pas été fait, il n'est pas un être créé, mais il a été fait sur lui, en d'autres termes, il arriva, factum est, qu'il fut sur lui. C'est dans le même sens qu'il est écrit : « Celui qui vient après moi, a été fait avant moi, (2) » c'est-à-dire, il était avant moi, il m'a été préféré, « car, ajoute le texte, il était avant que je fusse.» Et encore : « Le Seigneur est devenu mon secours (3), » le Seigneur en réalité n'est pas devenu tel ; cela veut dire: il est arrivé que le Seigneur m'a fait sentir son secours. «Le Seigneur, est-il dit aussi, est devenu le refuge des pécheurs, factus est (4), » c'est-à-dire il est arrivé, factum est, que les pécheurs se réfugiaient en lui. Et enfin : « La main du Seigneur se fit sur moi, 5 ,» en d'autres termes, il arriva que la main du Seigneur était sur moi. L'Ecriture offre beaucoup d'autres exemples semblables.
LII. (Ib. XXV, 4,7,8.) Punition exemplaire de l'idolâtrie et de la fornication par Phinées.
« Le Seigneur dit à Moïse : Prends les chefs du peuple, et expose-les devant le Seigneur en face du soleil ; et la colère dont le Seigneur est animé contre Israël se retirera. » La colère de Dieu venait des fornications charnelles et spirituelles de son peuple ; car il s'était prostitué par des actions impudiques aux filles de Moab, et il s'était consacré aux idoles : de là le commandement fait à Moïse d'exposer les princes du peuple devant le Seigneur en face du soleil. Le sens de ce passage est, que les coupables furent condamnés au supplice de la croix, et ces mots: « Expose-les devant le Seigneur en face du soleil, » signifient: en plein jour, à la lumière de cet astre. En effet le grec porte ici : paradeigmatison, terme qu'on peut rendre par : donne en exemple ; car paradeigma veut dire exemple. Et, sans parler des Septante, la leçon de Symmaque porte: attache, ou plutôt: attache eu haut, sens propre de anapexon ; et celle d'Aquila dit plus expressément encore Pends. Il est fort étonnant que l'Écriture ait omis de nous apprendre si cet ordre du Seigneur fut mis à exécution : pour moi, je ne vois pis qu'il ait pu être méprisé, ou l'être impunément. S'il a été accompli, bien que l'Écriture n'en parle pas, pourquoi rapporte-t-elle que le Seigneur fut apaisé et que la plaie cessa, aussitôt que Phinées, fils d'Eléazar, eut transpercé les adultères ? Ne semblerait-il pas qu'après le crucifiement des chefs, ordonné par le Seigneur, son indignation durait encore et devait être apaisée d'une autre manière ? Et cependant les prédictions et les promesses de Dieu contenues dans les paroles suivantes ne pouvaient sans doute être mensongères : « Prends les chefs du peuple, et expose-les devant le Seigneur en face du soleil; et la colère dont le Seigneur est animé contre Israël cessera. » Si donc cet ordre a été exécuté, comment douter que la colère divine se soit retirée d'Israël ? Qu'était-il encore besoin que Phinées tirât une telle vengeance des adultères afin de fléchir Dieu, et que l'Écriture lui rendit ce témoignage qu'il avait de cette manière apaisé le Seigneur ? Peut-être pourrait-on s'en tenir à cette interprétation : au moment où il se disposait à mettre à exécution le commandement de Dieu relatif aux chefs du peuple, Moïse voulut en même temps punir, conformément à la Loi, ces forfaits énormes et cette audace sacrilège ; or, tandis qu'il commandait à chacun de mettre à mort celui de ses proches qui s'était consacré d'une manière infamante aux dieux de l'étranger, Phinées accomplit son acte héroïque; la colère du Seigneur fut ainsi apaisée, et l'on put se dispenser de livrer les chefs au supplice. Cette sévérité, qui se justifie par elle-même pour des temps comme ceux-là, fait assez voir aux hommes qui joignent la sagesse à la foi l'énormité de la fornication et de l'idolâtrie.
LIII. (Ib. XXVIII, 13,14. ) Moïse, Aaron et Josué, types de l'avenir.
Le Seigneur assigne à la mort de Moïse la même, cause qu'à celle d'Aaron. Il leur avait, en effet, prédit à tous deux « qu'ils n'entreraient point avec le peuple dans la terre promise, parce qu'ils ne le glorifièrent point en présence du peuple aux Eaux de contradiction (1); » en d'autres termes, parce qu'ils mirent en doute sa libéralité, craignant que l'eau ne pût couler du rocher, comme nous l'avons fait voir en cet endroit de l'Écriture (2). Or, il y a un sens mystérieux caché ici : c'est que ce n'est ni le Sacerdoce, institué primitivement et représenté en la personne d'Aaron, ni la Loi elle-même, représentée en la personne de Moïse, qui introduisent le peuple de Dieu dans la terre de l'héritage éternel, mais Jésus (Josué), type de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en d'autres termes, la grâce par la foi. Aaron mourut avant qu'Israël fût entré dans une portion de la terre promise; au contraire, c'est du vivant de Moïse que les Hébreux s'emparèrent et se mirent en possession du pays des Amorrhéens : mais il ne lui fut pas permis de franchir le Jourdain avec eux. Une portion de la Loi s'observe encore au sein du Christianisme ; ses préceptes demeurent et aujourd'hui encore sont obligatoires pour les chrétiens, tandis que le sacerdoce lévitique et les sacrifices ne tiennent aucune place dans la foi chrétienne, si ce n'est comme, d'anciens types qui voilaient dans l'ombre les réalités à venir. Ce que Dieu dit de ces deux frères, Moïse et Aaron, « qu'ils rejoindront leur peuple, » prouve évidemment qu'ils ne sont pas sous le coup de celte colère divine, dont l'effet est de priver de la paix que l'on possède dans l'éternelle société des Saints. Ainsi, évidemment, leu r mort, aussi bien que leurs l'onctions, est la représentation symbolique des choses à venir, loin d'être un châtiment de la colère divine.
LIV. (Ib. XXVII, 18, 19.) Pourquoi Josué est-il consacré?
« Le Seigneur parla ensuite à Moïse, et lui dit : Prends auprès de toi Jésus, fils de Navé, cet homme qui possède l'Esprit en lui : et tu imposeras tes mains sur lui, et tu le placeras en présence du prêtre Eléazar, et tu lui donneras des préceptes en présence de tout le peuple etc. » Il y a ici une remarque à faire : Jésus, fils de Navé, possédait l'Esprit en lui-même comme le déclare l'Ecriture, et cet Esprit que pouvait-il être, sinon l'Esprit Saint ? car Dieu n'aurait pas parlé ainsi de l'esprit de l'homme, dont personne n'est privé. Cependant Moïse reçoit l'ordre de lui imposer les mains : le dessein de Dieu était de s'opposer à ce qu'aucun homme, quelles que fussent en lui les richesses de la grâce, osât refuser de recevoir les sacrements qui nous consacrent à Lui.
LV. (Ib. XXVII, 20. ) Josué associé à la gloire de Moïse.
Que signifient ces paroles que nous trouvons dans les recommandations de Dieu à Moïse à l'égard de Jésus, fils de Navé : « Tu lui donneras de ta gloire ? » Le grec porter tes doxes ce qui revient à dire « de la gloire. » Or, plusieurs interprètes latins ont traduit : tu lui donneras ta gloire, et non : de ta gloire. Mais le texte eût-il dit : ta gloire, il ne s'ensuivait pas que Moïse devait en être dépouillé pour cela ; comme ces paroles : de ta gloire, ne prouvent pas que celle de Moïse dût souffrir la moindre diminution. Car voici le sens qu'il faut admettre : Tu l'associeras à ta gloire ; ces sortes de choses, pour être partagées, n'en sont point amoindries; mais elles sont tout entières en tous et en chacun de ceux qui y ont part.
LVI.(Ib. XXX,3.) Des voeux par lesquels on s'engage à se priver d'une chose permise par la Loi.
« Tout homme qui aura fait un voeu au Seigneur, ou aura fait un serment, ou aura déterminé quelque chose en son âme, se gardera de profaner sa parole : il accomplira tout ce qui est sorti de sa bouche.» Cette loi ne concerne pas toute espèce de serment, mais celui par lequel un homme a fait voeu en son âme de s'abstenir d'une chose autorisée par la loi, mais devenu illicite pour lui par suite de son voeu.
LVII. (Ib. XXX, 4-6. ) Des voeux de la jeune fille encore dans la maison de ses parents.
« Mais si une femme a fait un voeu au Seigneur, ou a déterminé quelque chose dans la maison de son père, au temps de sa jeunesse, et que le père ait connu ses voeux et ce qu'elle a précisé contre son âme,et qu'était gardé le silence. : tous ses voeux demeureront, ainsi que tout ce qu'elle a précisé contre son âme. Mais si le père s'y est opposé , au jour où il a connu tous ses voeux et ce qu'elle a précisé contre son âme, tout cela sera nul : et le Seigneur la purifiera, parce que son père s'y est opposé. Comme il est parlé ici de la femme qui, encore jeune fille, demeure dans la maison de son père, la question du voeu de virginité se présente tout naturellement: tout le monde sait en effet, que, les vierges elles-mêmes sont appelées femmes dans l'Ecriture ; et l'Apôtre, lui aussi, semble parler du père, quand il dit : «qu'il conserve sa vierge, » et encore : « qu'il marie sa vierge (1), »» et autres expressions semblables ; Plusieurs interprètes ont pris ici « vierge » dans le sens de virginité; ruais ils n'ont pu appuyer leur opinion sur aucun passage de .l'Ecriture, parce que cette locution y est tout à fait inusitée. Quant à ces expressions : « contre son âme ,» il ne faut pas les entendre en ce sens que les voeux formulaient quelque chose de nuisible à l'âme; mais « contre son âme », signifie : contre la délectation animale; et le jeûne, prescrit plus haut en ces termes : « Vous affligerez vos âmes (2) » ne signifie pas non plus autre chose.
LVIII. (Ib. XXX,6.) Sens du mot: le Seigneur la purifiera.
Dans cette phrase : « Le Seigneur la purifiera, parce que son père s'y est opposé ;» purifiera veut dire : pardonnera l'infraction du voeu. C'est ainsi que nous lisons en beaucoup d'endroits : « Le prêtre le purifiera; » cela signifie: le considérera comme pur, le jugera pur. C'est ainsi que cette autre manière de parler : « Tu ne purifieras pas le coupable , » signifie : Tu ne déclareras pas pur celui qui est impur.
LIX. (Ib. XXX. 7-9.) 1. Des eaux faits par la jeune fille peu avant sort mariage, dans la maison de ses parents.
« Mais si elle se marie, et que les voeux qu'elle a faits contre son âme soient sur elle, suivant tout ce qu'elle a précisé et défini de ses lèvres, et que son mari l'ait su et ne lui en ait rien dit au jour où il l'aura appris; alors se voeux demeureront, et tout ce qu'elle a précisé contre son âme demeurera aussi : « Que si son mari désavoue tous ses voeux et ses déterminations au jour où il les connaît, tout cela ne subsistera plus : parce que son mari l'a désavouée, et le Seigneur la purifiera.» La Loi n'a pas voulu que la femme, soumise à son père avant d'être mariée, puis à son mari après le mariage, fit des voeux à Dieu contre son âme, c'est-à-dire, promit de s'abstenir de certaines choses permises et autorisées, et que le mari n'eût rien à voir dans ces voeux, mais la femme seulement : par conséquent, si le père accorde à celle-ci, jeune fille encore, d'accomplir ses voeux, et qu'elle se marie avant de les avoir accomplis, du moment que le mari ne les a pas agréés, quand il en a eu connaissance, ces vœux n'obligent plus, et la personne qui les a faits demeure exempte de tout péché, parce que « le Seigneur la purifiera, » comme il le déclare, c'est-à-dire; la jugera pure : et qu'on ne dise point que c'est aller contre la loi de Dieu, puisque c'est Dieu lui-même qui l'a prescrit, qui l'a voulu.
2. (Ib. 10-16.) — Des voeux de la femme veuve, séparée de son mari, ou en puissance de mari.
L'Écriture par le ensuite des veuves ou des femmes séparées de leur mari, c'est-à-dire, , qui ne sont plus sous la puissance d'un mari ou d'un père, et formule dans les termes suivants l'obligation pour elles de s'acquitter de leurs vœux « La veuve et la femme répudiée demeureront chargées de tous les vœux qu'elles ont fait contre leur âme. » Puis il est question de la femme mariée qui fait un voeu après qu'elle a pris possession de la maison de son mari. Précédemment l'Écriture avait fait mention de la femme qui s'était liée par un veau dans la maison et ne l'avait pas accompli avant son mariage. Voici donc maintenant ce qu'elle dit de la femme qui se trouve dans la maison de son mari : « Si, étant dans la maison de son mari, elle a fait un veau ou une promesse précise avec serment contre son âme, et que le mari, quand il l'apprend, ne lui en dise rien et ne s'y oppose point tous ses vœux demeureront, et toutes les promesses précises qu'elle a faites contre son âme, demeureront contre elle. Mais si le mari rejette tout ce qui est sorti de sa bouche, ses vœux et les promesses précises qu'elle a faites contre son âme, aussitôt qu'il en a connaissance, tout cela ne demeurera plus; son mari l'a rejeté, et le Seigneur la purifiera. Son mari mettra devant elle tous ses vœux et ses promesses faites par serment d'affliger son âme, et il les rejettera. Mais si le mari a attendu de jour en jour pour lui en parler, il mettra devant elle et ses vœux et les promesses précises qui l'engagent parce qu'il a gardé le silence au jour ou il les a connus. Et s'il n'a rejeté ces engagements qu'après le jour où il les a appris, il portera son péché. »
3. Suite.
Evidemment la Loi a voulu que la femme obéît à son mari, puisqu'il lui est défendu d'accomplir les voeux d'abstinence qu'elle a faits, à moins d'y être autorisée par celui-ci. Sans doute le mari partage le péché. s'il revient sur une permission qu'il avait donnée d'abord; mais la Loi ne dit pas que la femme accomplira son veau, en raison de la permission reçue antérieurement. Elle déclare que le péché retombe sur le mari, parce qu'il a retiré sa concession; mais elle n'autorise pas pour cela la femme à mépriser la défense du mari survenue après cette concession.
4. Suite.
Ces dispositions légales doivent-elles s'étendre encore aux veaux de garder la continence et de s'abstenir du devoir conjugal? Ou ne faudrait-il pas admettre que le boire et le manger sont les seuls objets des voeux qu'on fait contre son âme? Tel parait être le sens de ces paroles de Notre-Seigneur : « L'âme n'est elle pas plus que la nourriture (1) ? » Et voici en quel terme le jeûne est prescrit: « Vous affligerez vos âmes (2). » Je ne sache pas, au contraire, qu'on lise quelque part que le veau de s'abstenir du devoir conjugal soit un veau contre l'âme. Dans ces sortes de veaux, en effet, la Loi donne autorité au mari, et non à la femme qui lui est soumise ; en sorte que si le mari approuve les voeux de la femme, ils sont obligatoires; tandis que s'il les désavoue, ils n'obligent plus. Au contraire l'Apôtre, parlant des devoirs entre personnes mariées, ne donne point une autorité plus grande au mari qu'à la femme mais « que le mari, dit-il, rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme de même à son mari. Le corps de la femme n'est point en sa puissance, mais en celle du mari: de même le corps du mari n'est point en sa puissance, mais en celle de la femme (3). » Dieu donnant en cette matière un pouvoir égal à chacun des conjoints, je pense donc que l'Apôtre a voulu nous donner à entendre que cette règle relative au devoir dans le mariage, ne regarde point les veaux précités, où la puissance du mari et de la femme n'est pas égale, mais ou le mari l'exerce principalement, et presque exclusivement. La Loi en effet, ne dit pas que le mari ne doit point accomplir ses veaux, si la femme s'y refuse; mais elle exempte la femme, en cas d'opposition du mari. C'est pourquoi je suis d'avis qu'il ne faut point assimiler à ces sortes de voeux, de promesses et d'engagements ayant pour but d'affliger l'âme, la volonté que peuvent avoir de concert le mari et la femme d'user ou: de n'user point du devoir conjugal.
5. Conclusion.
Au surplus, comme ces dispositions légales sont appelées justifications, et que dans le nombre des ,justifications, comme nous l'avons vu au livre de l'Exode, il en est qui ne peuvent s'observer à la lettre et sont délaissées dans le nouveau Testament: par exemple, l'obligation de percer l'oreille de l'esclave et autres semblables; il n'est pas hors de raison de voir encore ici un sens figuré. Peut-être en effet l'Écriture a-t-elle voulu nous donner à entendre que plusieurs abstinences cérémonielles contraires à la raison, et parfois même ennemies de la vérité, sont acceptables, quand elles deviennent rationelles, c'est-à-dire quand elles sont approuvées par la raison, qui, à la manière du mari, doit régler tout mouvement animal, manifesté aussi bien par l'abstinence que par l'appétit : en conséquence que si l'âme et la raison se prononcent pour l'action, on agit; mais si la voix de la raison désapprouve, on n'agit point. Et si, dans la suite, la raison condamne ce qu'elle avait approuvé d'abord, c'est un défaut de prudence; mais alors même c'est à la raison seule que le corps doit obéir.
LX. (Ib. XXXI, 5, 6.) Dans quel sens est employé le mot force, virtus ?
En quel sens l'Écriture dit-elle : « Moïse envoya mille hommes de chaque tribu, avec leur force ? » Veut-elle désigner par la les princes des tribus, ou la force qui leur fut donnée de Dieu, grâce peut-être à la prière même de Moïse ? Ou mieux, cette force des Israëlites ne signifie-t-elle point ce qui devait soutenir leurs forces?
LXI. (Ib. XXXl, 8.) Comment Balaam put-il être tué dans le combat des Israélites contre les Madianites ?
L'Écriture dit que Balaam, ce faux prophète qui fut appelé pour maudire le peuple d'Israël, se trouva au nombre des morts dans la bataille où les Israëlites triomphèrent des Madianites. On peut demander comment ce passage se concilie avec le précédent, où l'Écriture après avoir montré cet homme contraint de bénir, termine son récit en disant: « Après cela Balaam se leva et s'en retourna en son lieu, et Balac s'en alla chez lui (1).» Si Balaam était retourné dans sa patrie, comment donc a-t-il pu succomber dans cette bataille, car son pays natal, la Mésopotamie, était extrêmement éloigné? Serait-il par hasard revenu de son pays auprès de Balac, sans que l'Écriture en ait fait mention? Toutefois, on peut entendre le retour de Balaam en son lieu, dans ce sens, qu'il revint de l'endroit où il offrait des sacrifices au lieu d'où il était parti à cet effet, et où il avait son logement comme étranger. Il est positif, en effet, qu'on ne lit pas: dans sa maison, ou dans sa patrie, mais « en son lieu. » Or, tout étranger a un lieu où il demeure quelque temps. Quant à Balac, qui l'avait fait venir, il n'est pas dit qu'il revint « en son lieu, » mais « chez lui, » c'est-à-dire dans le lieu où il avait sa maison et régnait. « En son « lieu, » eût pu se dire également du souverain et de l'étranger; mais « chez lui, » ne me parait pas pouvoir se dire d'un étranger qui revient à la maison de son hôte.
LXII. ( Ib. XXXI, 9. ) Encore sur le sens du mot « virtus eorum. »
« Et ils prirent les femmes de Madian, et leurs meubles, et leurs troupeaux, et tout ce qu'ils possédaient, et ils « les dépouillèrent de leur force, virtutem eorum. » L'Écriture parle des femmes, des meubles, des troupeaux et de tout ce que possédaient les Madianites; puis elle ajoute : « et ils les dépouillèrent de leur force :» pourquoi cette addition ? C'est qu'il faut en réalité donner ici au mot virtus le même sens que dans le passage précédent, où il est dit que Moïse envoya mille hommes de chaque tribu avec leur force. Ce que l'Écriture appelle leur force ne serait-il pas la nourriture qui les fortifiait; cette nourriture qui donne des forces, et sans laquelle les forces s'épuisent ? C'est ce qui explique les paroles menaçantes que Dieu adresse par son Prophète « Je vous ôterai la force du pain et la force de l'eau (1). » Moïse avait donc déjà envoyé les milliers de soldats de chaque tribu, pourvus de provisions, avec leur force, comme porte le texte; et, après la victoire qu'ils remportèrent sur les Madianites, ces soldats eurent encore en partage les provisions de leurs ennemis.
LXIII. (Ib XXXI, 15, 16. ) Conseil perfide donné par Balaam aux Madianites.
« Pourquoi avez-vous épargné la vie de toutes les femmes ? Car ce sont elles qui, selon la parole de Balaam, ont été cause que les enfants d'Israël se sont égarés et ont méprisé la loi du Seigneur pour s'attacher à Phogor. » L'Écriture ne lit pas à quel moment Balaam donna aux Madianites le conseil perfide de se servir de leurs femmes comme d'un appât pour entraîner les Israëlites, non-seulement dans la fornication corporelle, mais encore dans la fornication spirituelle, ou l'idolâtrie: il le donna cependant, puisque ce fait est mentionné ici. De la même manière, bien que l'Ecriture ne dise pas en quel lieu Balaam était retourné, on peut croire, si l'on veut, que ce lieu n'était pas l'hôtellerie où il logeait comme étranger.
LXIV. (Ib. XXXV, 14, 42.) A qui s'ouvraient les villes de refuge?
Pourquoi l’Ecriture dit-elle « Vous aurez des villes qui serviront de refuge contre le vengeur du sang, et celui qui est homicide ne mourra point, jusqu'à ce qu'il ait paru devant le peuple pour le jugement ? » Il s'agit ici de ceux qui ont tué sans le vouloir; cependant, parlant ailleurs de tout homme réfugié pour une cause semblable, elle dit qu'il sortira libre de la cité qui lui a servi de refuge, quand arrivera la mort du grand-Prêtre ?Pourquoi donc s'exprime-t-elle ainsi : « Et celui qui est homicide ne mourra point, jusqu'à ce qu'il ait paru devant le peuple pour le jugement ? » N'est-ce point parce qu'il fallait, pour qu'il pût demeurer dans une ville de refuge, une preuve juridique qu'il avait tué sans le vouloir ?
LXV. (Ib. XXXV,19, 42.) Sur l'homicide convaincu judiciairement de meurtre volontaire.
Quel est le vrai sens de ces mots : « Celui qui venge le sang, tuera lui-même l'homicide; il le tuera quand il le rencontrera ? » Mal entendu, ce passage signifierait que, dans tous les cas, le vengeur de la mort d'un proche parent peut tuer l'assassin sans forme de procès. Mais on doit interpréter ces paroles conformément à ce qui a été dit plus haut : que le meurtrier se retirera dans une des villes de refuge, jusqu'à ce qu'il comparaisse en jugement, dans la crainte qu'il ne soit rencontré et mis à mort auparavant par le parent de la victime ; car, lors même qu'il aurait commis un homicide involontaire, trouvé par son adversaire en dehors des villes de refuge, il peut être mis à mort. Mais quand il a paru en jugement en quelqu'une de ces villes et qu'il y a été déclaré coupable d'homicide, alors on ne lui permet plus d'y demeurer, et une fois le jugement rendu, quelque part qu'il soit rencontré par le parent du mort, celui-ci a le droit de le tuer. Un nouveau jugement est inutile, puisqu'il a été déclaré coupable d'homicide volontaire, et, à ce titre, chassé des villes de refuge.