La lettre synodale que le concile d’Alexandrie (362) envoie aux chrétiens d’Antioche par l’intermédiaire de ses représentants Eusèbe de Verceil et Astérius de Petra est sans doute, pour qui s’intéresse à l’histoire de la théologie, l’un des documents historiques les plus importants, sinon le plus important, du quatrième siècle. Cette affirmation peut sembler exagérée.

Ne sont-ce pas plutôt les documents conciliaires de Nicée (325) et de Constantinople (381) qui constituent les deux repères théologiques majeurs de cette période ? Peut-être ! Mais c’est le concile d’Alexandrie qui jette un pont entre ces deux conciles, favorisant grâce à sa lettre synodale, la réconciliation de l’Orient et de l’Occident

À nos chers et très désirés compagnon s de ministère dans les choses saintes, Eusèbe , Lucifer , Astérius, Kymatius et Anatolius, Athanase et les évêques d'Italie , d'Arabie, d'Égypte et de Lybie présent à Alexandrie ; Eusèbe , Astériu s, Gaïus, Agathu s, Ammon ius, Agathodémon, Dracontius, Adelphuis, Herméon, Marc, Théodore, André, Phaphnuce , un autre Marc, Zoïle, Mènas, Georges , Lucius, Macaire et les autres, salut dans le Christ. Nous sommes persuadés que, ministres de Dieu et bon intendants, vous êtes capables d'ordonner en tout point les affaires de l'Église. Mais comme il nous a été rapporté que beaucoup, qui s'étaient antérieurement séparés de nous par goût de la dispute, souhaitent maintenant la paix ; que beaucoup aussi abandonnent la secte des ariomaniaques et désirent la communion avec nous, il nous a paru nécessaire d'écrire à votre Piété ce que nous et nos chers Eusèbe et Astérius avons déterminé, à vous qui aussi nous êtes chers et qui êtes nos compagnons de ministères très désirés. Nous nous réjouissons beaucoup de ces nouvelles, mais nous désirons, si quelqu'un demeure encore bien loin de vous et si quelqu'un semble encore vouloir faire groupe avec les Ariens, qu'il abandonne leur folie, si bien que tous puissent à l'avenir dire partout : un seul Seigneur, une seule foi a . Qu'y a-t-il d'aussi bon et d'aussi agréable pour des frères que d'habiter ensemble, comme dit le psalmiste b . Car notre demeure est l'Église et notre esprit doit être unanime. Nous croyons en effet que le Seigneur habitera aussi avec nous, qui a dit : J'habiterai chez eux et je serai parmi eux. Là j'habiterai parce que je l'ai choisi c . Mais où est ce là , sinon là où une seule foi et une seule religion sont prêchées ?

Nous d'Égypte, nous voudrions bien avec nos chers frères Eusèbe et Astérius aller chez vous pour bien des raisons, et d'abord pour jouir de cette paix et de cette concorde dont nous parlions. Mais parce que, comme nous l'avons indiqué dans d'autres lettres et comme vous pouvez le savoir de nos compagnons de ministère, les nécessités de l'Église nous retiennent, ce dont nous ressentons une vraie peine, nous avons cependant voulu que nos collègues Astérius et Eusèbe aillent vous trouver de notre part. Nous rendons grâces à leur piété de ce que, alors qu'il leur était permis de se hâter de retourner dans leurs diocèses, ils ont préféré avant tout se rendre chez vous, en considération de l'urgente nécessité de l'Église. Ils ont donc déféré notre désir et nous en avons été consolés. Eux étant présents, nous pensons que nous aussi nous y sommes.

Tous ceux donc qui veulent vivre en paix avec nous et spécialement ceux qui s'assemblent dans la vieille Ville et aussi ceux qui sont revenus de l'arianisme, appelez-les à vous et recevez-les comme des pères reçoivent leurs fils, ouvrez-leur les bras comme des maîtres et des tuteurs. Joignez-vous entre-temps à notre cher Paulin et à ses compagnons et n'exigez d'eux rien de plus qu'ils condamnent l'hérésie arienne et qu'ils confessent la foi des saints Pères promulguée à Nicée. Qu'ils condamnent aussi ceux qui disent que le Saint Esprit est une créature et qu'il est une division de la substance du Christ. Car c'est vraiment se séparer de la faction impie des Ariens que de ne pas diviser la sainte Trinité et de ne pas dire qu'il y a du créé en elle. En effet, ceux qui font semblant de professer la foi de Nicée et qui osent en même temps blasphémer contre l'Esprit Saint ne font rien d'autre que de nier en paroles l'hérésie arienne tout en lui restant fidèle en pensée.

Que soient aussi frappés d'anathème l'impiété de Sabellius et de Paul de Samosate, la folie de Valentin et de Basilide, et la démence des Manichéens. Si l'on agit ainsi, il n'y aura plus de suspicion et seule la foi de l'Église catholique apparaîtra dans sa pureté.

Que nous tenions cette foi, nous et ceux qui demeurent toujours en communion avec nous, nous pensons que cela est clair pour vous et pour quiconque. Par ailleurs, puisque nous nous réjouissons avec ceux qui veulent être réunis avec nous, et spécialement avec ceux qui se rassemblent dans la vieille Ville, et parce que nous glorifions pardessus tout le Seigneur pour toutes choses et pour leur bon propos, nous vous exhortons à établir la concorde sur ces bases, en sorte que vous n'exigiez rien au delà de ce qui a été dit de la part de ceux qui se rassemblent dans la vieille (Église), ni que ceux qui sont avec Paulin proposent autre chose que ce qui se trouve dans les décrets du concile de Nicée. Cette formule de foi que certains vantent comme si elle avait été rédigée par le synode de Sardique, ne permettez absolument pas qu'on la lise ou qu'on la publie, car le synode n'a rien défini de tel. Certains ont en effet voulu une formule de foi comme si le concile de Nicée avait été incomplet, et ils se sont hâtés de l'entreprendre. Mais le saint synode qui s'est réuni à Sardique s'en est indigné et a décrété qu'on n'écrirait rien sur la foi, qu'on se contenterait de la foi confessée par les Pères à Nicée, à laquelle rien ne manquait et qui était pleine de piété, et qu'il n'était pas nécessaire de formuler un second credo , de crainte que celui rédigé à Nicée n'apparût comme imparfait et pour ne donner aucun prétexte à ceux qui veulent toujours définir et écrire sur la foi. C'est pourquoi, si quelqu'un repropose cette formule ou une autre, arrêtez-le et persuadez le plutôt de garder la paix. Nous ne pouvons voir en eux rien d'autre que le désir de disputer.

Quant à ceux que certains accusaient de parler de trois hypostases, parce que l'expression n'est pas dans l'Écriture et dès lors suspecte, nous avons jugé de ne rien leur demander de plus que la confession de Nicée. Mais puisqu'il y avait eu contention, nous nous sommes enquis de savoir s'ils entendaient par là, comme les ariomaniaques, que les hypostases étaient autres, étrangères et différentes les unes par rapport aux autres et que chaque hypostase était par elle-même divisée des autres, comme c'est le cas pour les créatures et pour celles qui naissent de l'homme, ou comme le sont différentes substances telles que l'or, l'argent ou le bronze ; ou si, comme d'autres hérétiques, ils voulaient dire trois principes et trois dieux quand ils parlaient de trois hypostases. Ils nous ont assuré qu'ils n'avaient jamais pensé ni parlé ainsi. Comme nous leur avons demandé : « Qu'entendez-vous par cela ou pourquoi employez-vous ces expressions ? », ils ont répondu parce qu'ils croient en une sainte Trinité, non pas une trinité purement nominale, mais une trinité existante et subsistante réellement ; et ils ont reconnu « un Père vraiment existant et subsistant, et un Fils vraiment substantiel et subsistant et un Saint Esprit subsistant et réellement existant. » 1 Ils n'ont jamais dit qu'il y avait trois dieux ou trois principes et qu'ils ne voulaient absolument pas tolérer qu'on dise ou qu'on pense quelque chose de ce genre, mais ils savaient qu'il y a une sainte Trinité et une divinité et un principe et que le Fils est consubstantiel au Père, comme l'ont dit les Pères, et que le Saint Esprit n'est ni une créature ni quelque chose d'étranger, mais bien propre à l'essence du Père et du Fils et inséparable d'elle.

Après avoir accepté l'interprétation de ces hommes et la défense de leur terminologie, nous avons examiné ceux qui étaient accusés par eux parce qu'ils parlaient d'une hypostase, pour savoir s'ils employaient l'expression dans le sens de Sabellius, en niant le Fils et le Saint Esprit ou comme sile Fils n'était pas substantiel ni le Saint Esprit subsistant. Mais ils nous assurèrent à leur tour qu'ils n'avaient jamais dit ni pensé cela. « Nous employons hypostase, pensant que c'est la même chose de dire hypostase ou essence, mais nous tenons qu'il y a une hypostase, parce que le Fils est de l'essence du Père et parce qu'il a une unique et même nature. Car nous croyons qu'il y a une divinité et qu'elle a une nature, et non qu'il y a une nature du Père de qui celle du Fils et du Saint Esprit sont distinctes. » Alors, ceux qui avaient été accusés parce qu'ils disaient qu'il y avait trois hypostases, furent d'accord avec les autres, tandis que ceux qui avaient parlé d'une essence confessèrent aussi la doctrine des premiers, comme ceux-ci l'interprétaient. Arius fut anathématisé par le deux parties comme adversaire du Christ, Sabellius et Paul de Samosate comme impies, Valentin et Basilide comme hors de la vérité et Manichée comme un fauteur de maux. Et tous, par la grâce de Dieu, après avoir expliqué leur langage que nous avons rappelé, furent d'accord que la foi exposée par les saints Pères à Nicée était meilleure et plus exacte et qu'il serait mieux de se contenter d'employer le langage de cette foi. Mais comme certains aussi semblaient en discussion à propos de l'Incarnation du Sauveur, nous nous sommes informés des deux côtés. Ce que les uns confessèrent, les autres l'admirent, disant que le Verbe de Dieu n'avait pas, comme lorsqu'il était venu dans les prophètes, habité dans un homme saint à la consommation des siècles, mais que le Verbe lui-même s'était fait chair a et qu'étant de forme divine il avait pris la forme d'un serviteur b , et que de Marie, selon la chair, il était devenu homme pour nous et qu'ainsi en lui la race humaine a été parfaitement et totalement libérée du péché ; vivifiée de la mort, elle a accès au Royaume des cieux. Ils confessent aussi que le Sauveur n'avait pas un corps sans âme, privé de sens ou d'intelligence, car il n'était pas possible, le Seigneur s'étant fait homme à cause de nous, que son corps ait été sans nous 2 . Le salut réalisé dans le Verbe lui même n'a pas été le salut du corps seulement, mais aussi de l'âme. Et étant vraiment Fils de Dieu, il est devenu aussi fils de l'homme ; et étant le Fils unique de Dieu, il est devenu le premier-né d'un grand nombre de frères a . Dès lors, il n'y a pas eu un Fils de Dieu avant Abraham et un après Abraham ; pas plus qu'il n'y en a eu un qui a ressuscité Lazare et un autre qui a posé des questions à son sujet, mais c'était le même qui a dit comme homme : Où Lazare se trouve-t-il ? , et qui comme Dieu l'a ressuscité b . Le même qui, corporellement comme homme a fait de la salive, mais qui divinement comme Dieu ouvrit les yeux de l'aveugle-né c . Et tandis qu'il a souffert dans la chair, comme dit Pierre d , comme Dieu, il a ouvert le tombeau et ressuscité les morts. C'est pour ces raisons que comprenant dès lors de la même manière tout ce qui est dit dans l'Évangile, ils affirmèrent qu'ils pensaient de même sur l'Incarnation du Verbe et sur sa venue dans l'homme.

Ces choses ayant donc été ainsi confessées, nous vous exhortons à ne pas condamner hâtivement ceux qui font une telle profession et qui expliquent ainsi les mots dont ils se servent, ni à les rejeter, mais plutôt à les accueillir puisqu'ils désirent la paix et présentent leur défense. Au contraire, rejettez et repoussez ceux qui refusent de faire cette profession et d'expliquer leur manière de parler. Du reste, puisque vous refuserez de tolérer ces derniers, conseillez aux autres qui s'expliquent et qui sont orthodoxes de ne pas continuer à enquêter sur les opinions les uns des autres, ni à combattre sur des mots sans aucune utilité, ni à discuter à propos des phrases citées plus haut, mais à exprimer un même accord dans un esprit de piété. Car ceux qui n'ont pas ce sentiment,mais qui veulent seulement discuter sur ces petites phrases en cherchant au delà de ce qui a été décrété à Nicée ne font rien d'autre que de donner à boire à leurs voisins du poison qui les enivre a , en hommes ennemis de la paix qui n'aiment que la discorde. Mais vous, hommes bons et fidèles intendants du Seigneur, arrêtez et rejetez ceux qui provoquent le scandale et sont étrangers (à la foi) et mettez au-dessus de toutes choses la paix qui vient d'une saine foi. Peut-être que Dieu, nous prenant en pitié, unira-t-il ce qui est divisé et nous reformera-t-il en un seul troupeau b où nous aurons tous un chef, notre Seigneur Jésus-Christ.

C'est donc de ces choses, encore qu'il n'y eût nul besoin d'aller chercher plus loin que le synode de Nicée ni de tolérer des paroles de dispute, que nous nous sommes enquis, pour le bien de la paix et pour éviter qu'on rejetât des hommes qui désirent professer la foi orthodoxe. Ce qu'ils ont confessé, nous l'avons mis brièvement par écrit, nous qui sommes demeurés à Alexandrie, en communion avec nos compagnons de ministère Astérius et Eusèbe. Car la plupart d'entre nous sont repartis dans leurs diocèses. Mais vous, en commun, veuillez faire lire ceci en daignant inviter tout le monde. Car il est juste de lire d'abord la lettre et que ceux qui désirent et préfèrent la paix soient d'accord. Alors, lorsque ceux-ci seront réunis à l'endroit que le peuple jugera le meilleur, en présence de Votre Courtoisie, qu'on célèbre des assemblées et que le Seigneur soit glorifié par tous.

Les frères qui sont avec moi vous saluent. Portez-vous bien et faites mémoire de nous près du Seigneur. Tous les deux, Athanase et moi, ainsi que les autres évêques assemblés, signons et aussi Lucifer, évêque de l'île de Sardaigne, deux diacres, Hérennius et Agapet ; et du groupe de Paulin, Maxime et Calemeros, diacres également. Étaient présents certains moines d'Apollinaire évêque, envoyés par lui pour ce propos.

Les noms des différents évêques auxquels la lettre est adressée sont : Eusèbe de Verceil, en Gaule, Lucifer, de l'île de Sardaigne, Asterius de Petra en Arabie, Kymantius de Paltus en Coelé-Syrie, Anatolius d'Eubée. Mandants : le pape Athanase et ceux qui étaient présents avec lui à Alexandrie, c'està- dire : Eusèbe, Astérius et les autres, Gaius de Paratonium près de la Lybie, Agathus de Phragonie et une partie de l'Éléarchie d'Égypte, Ammonius de Pachnemunis et le reste de l'Éléarchie : Agathodaemon et Schedia et Menelaitis, Dracontius d'Hermopolis inférieure, Adelphius d'Onuphis chez les Lychnéens, Hermion de Tanis, Marc de Zygris, près de la Lybie, Théodore d'Athribis, André d'Arsinoé, Paphnuce de Sais, Marc de Philae, Zoïle d'Andros, Ménas d'Antiphra. Eusèbe souscrivit également ce qui suit en latin, dont voici la traduction :

Moi Eusèbe, évêque, selon votre exacte confession reconnue par chacunes des parties qui s'entendent entre elles au sujet des hypostases, j'ai donné moi aussi mon assentiment ; mais de plus, au sujet de l'incarnation de notre Sauveur, à savoir que le Fils de Dieu est devenu aussi homme, ayant assumé tout, à l'exception du péché, à la manière dont notre vieil homme est constitué, j'ai signé selon le contenu de la lettre. Et puisque le billet de Sardique est dit étranger pour qu'il ne semble pas être émis en contradiction avec la foi de Nicée, moi aussi je donne mon accord, afin que la foi de Nicée ne semble pas éliminée à travers celui ci, ni devoir être publiée. Je souhaite que vous vous portiez bien dans le Seigneur.

Moi, Astérius, je donne mon assentiment à ce qui a été écrit ci-dessus et je souhaite que vous vous portiez bien dans le Seigneur. Et après que ce tome ait été expédié d'Alexandrie, signé ainsi par ceux qui ont été mentionné précédemment, après cela eux aussi signèrent.

Moi, Paulin, je crois, comme je l'ai appris des Pères : le Père existant et subsistant, parfait ; le Fils subsistant parfait et l'Esprit Saint subsistant parfait. C'est pourquoi je reçois l'explication écrite ci-dessus au sujet des trois hypostases et de l'unique hypostase ou essence, et ceux qui pensent ainsi. De fait il est pieux de croire et de confesser la sainte Trinité dans une seule divinité. Quant au devenir homme du Verbe du Père à cause de nous, je pense ainsi qu'il est écrit, que, selon Jean, le Verbe s'est fait chair, sans qu'il ait supporté un changement, comme le disent les impies mais qu'il est devenu homme à cause de nous, qu'il est né de la sainte Vierge Marie et du Saint Esprit. De fait, le Sauveur avait un corps qui n'est pas sans âme, ni sans sens, ni sans noûs . De fait, il ne serait pas possible que, le Seigneur s'étant fait homme à cause de nous, son corps soit dépourvu de nous . C'est pourquoi j'anathématise ceux qui rejettent la foi confessée à Nicée, et qui ne disent pas que le Fils est de la substance du Père et consubstantiel au Père. J'anathématise ceux qui disent que l'Esprit Saint est une créature adevenue par le Fils. J'anathèmatise encore Sabellius et Photin et toutes les hérésies. me conformant à la foi de Nicée, et à tout ce qui a été écrit précédemment.

Moi, Karterius, je souhaite que vous vous portiez bien.