De Grégoire, évêque de Nysse, lettre sur la nécromancienne à l’évêque Théodose


Celui qui a dit à ses disciples :"Cherchez et vous trouverez" (Mt 7,7) donnera certainement aussi la faculté de trouver à ceux qui, dans leur désir de s'instruire, scrutent et recherchent les mystères cachés selon le commandement du Seigneur. Car "il ne ment point" (Tt 1,2), celui qui a fait cette promesse, prodiguant par la munificence de ses dons bien au-delà de ce qui lui est demandé. Aussi "sois attentif à la lecture, mon fils Timothée" (1 Tm 4,13; 1,18), - car il convient, je pense, d'utiliser pour m'adresser à ta Bonté les expressions du grand Paul - et que le Seigneur te donne "l’intelligence en toutes choses" (2 Tm 2,7), de manière à ce que tu t'enrichisses "en toute parole et toute connaissance" (1 Co 1,5). Maintenant, au sujet de ce que tu m'as demandé, j'ai estimé qu'il était bon que soit mis à la disposition de ton désir, en peu de mots, tout ce que le Seigneur me suggérera. Tu apprendras de la sorte qu'il faut "être mutuellement esclaves par amour" (Ga 5,13), en accomplissant les volontés les uns des autres.

Eh bien tout d'abord, puisque parmi d'autres sujets c'est l'opinion à rechercher sur Samuel qui a été mise en tête, je l'exposerai brièvement, autant qu'il m'est possible, avec l'aide de Dieu. Il a plu à quelques-uns de ceux qui nous ont précédés de croire authentique l'évocation de l'âme faite par cette sorcière à l'époque de Samuel (1 S 28,3-25), et ils ont avancé pour justifier leur point de vue le motif suivant. Comme Samuel était affligé du rejet de Saül (1 S 16, 35) et (p. 64) qu'il représentait constamment au Seigneur que Saül avait fait disparaître du peuple les enchantements des nécromanciennes, destinés à tromper les hommes, comme de ce fait le prophète supportait avec peine que le Seigneur ne veuille pas changer de sentiments envers le réprouvé, ils disent que Dieu permit que l'âme du prophète fût évoquée par de tels sortilèges, pour que Samuel voie que c'était à tort qu'il prenait sa défense devant Dieu en disant qu'il était hostile aux nécromanciennes, lui qui à ce moment même, au moyen de leur sorcellerie, demandait à l'oracle de faire remonter son âme.

Pour moi, quand je considère le gouffre évangélique que le patriarche - ou plutôt le maître du patriarche - déclare être fixé entre les méchants et les bons, de sorte qu'il est impossible aux réprouvés de passer vers le repos des justes comme aux saints de traverser pour se rendre auprès de la troupe des méchants (Lc 16,26), je n'accepte pas pour vraies de telles opinions, car j'ai appris à ne tenir pour vrai que l'évangile. Donc, puisque Samuel est grand parmi les saints et que la sorcellerie est chose mauvaise, je ne veux pas croire que Samuel, alors qu'il se trouvait dans un tel repos, ait traversé ce gouffre infranchissable pour descendre auprès des impies, ni de son plein gré, ni contre son gré. Contre son gré, il n'aurait pu le subir, parce que le démon ne peut franchir le gouffre ni déplacer le saint qui se trouvait dans le chœur des justes. De son plein gré, il ne l'aurait pas fait, car il ne voulait ni ne pouvait se mêler aux méchants. En effet, celui qui se trouve dans une situation bonne ne passera pas sans le vouloir de celle-ci à la situation contraire ; et si quelqu'un lui donnait de le vouloir, la nature même du gouffre ne lui permettrait pas le passage.

Quelle est donc notre opinion sur ce sujet ? C'est un ennemi de la nature humaine que l'adversaire commun de tous, lui dont tout le dessein et tout le projet sont de nuire à l'homme en lui portant des coups mortels. Or, quelle autre blessure infligée aux hommes est aussi mortelle que d'être rejetés loin du Dieu qui donne la (p.65) vie et de se diriger volontairement vers la perdition de la mort ? Ainsi, puisque les hommes qui aiment leurs corps ont une préoccupation pendant leur vie, celle d'avoir quelque connaissance de l'avenir, grâce à laquelle ils espèrent soit échapper aux maux, soit obtenir ce qu'ils désirent, à cause de cela, pour que les hommes ne dirigent pas leurs regards vers Dieu, la nature trompeuse des démons a inventé plusieurs manières de connaître l'avenir - observation des oiseaux, divination d'après des signes, oracles, inspection du foie, évocation des morts, transes, possessions, inspirations et bien d'autres pratiques semblables. Et si une sorte de prévision, faite à partir d'un artifice trompeur, peut paraître vraie à quelqu'un, c'est elle que le démon trompeur laisse voir, pour justifier la fausse opinion de celui qui est trompé. Ainsi le démon fait s'accorder le vol de l'aigle à l'attente de celui qui l'observe, ainsi que la palpitation du foie, le délire provoqué par l'enflure des méninges, les yeux qui roulent dans les orbites ; tout ce qui résulte de l'observation des présages signifiés à partir d'un artifice trompeur, la fourberie du démon le montre à ceux qui sont trompés. De la sorte, les hommes se détachent de Dieu et s'adonnent au culte des démons, par lesquels ils croient que de telles choses s'accomplissent.

C'était donc aussi une sorte d'artifice trompeur que la pratique des nécromanciennes, dont on croyait que les sortilèges pouvaient faire revenir à la vie d'en-haut les âmes de ceux qui étaient descendus dans la mort. Ainsi, alors que Saül désespérait de son salut parce que tous les étrangers faisaient mouvement contre lui avec toute leur armée (1 S 28, 1-5) et qu'il en était venu à ce dessein pour que Samuel lui suggère quelque moyen de salut, le démon qui demeurait dans la nécromancienne et trompait habituellement cette femme se manifestait à ses yeux sous différentes formes semblables à des ombres, sans que rien n'apparaisse à Saül de ce que voyait la femme. Et lorsque la femme se mit à ses incantations et que des spectres étaient déjà devant ses yeux, le démon fit en sorte, pour que l'on croie que ces apparitions étaient vraies, (p. 66) que celle-ci révèle la personne de celui qui s'était caché sous un déguisement (1 S 28,8). Il en résulta que Saül fut tellement frappé d'admiration qu'il jugea que la femme ne se tromperait plus en rien, puisque ses facultés magiques avaient percé à jour son apparence de particulier (1 S 28,12). Quand donc elle dit qu'elle a vu des dieux qui montent et un homme debout couvert d'un manteau double (1 S 28,13), comment ceux qui sont les esclaves de la lettre établiront-ils le sens historique ? Si vraiment c'est Samuel qui est apparu, alors en vérité ceux qu'a fait apparaître la magicienne sont aussi des dieux ? Mais l'Écriture appelle "dieux" les démons, car "tous les dieux des nations sont des démons" (Ps 95,5). Est-ce donc que l'âme de Samuel aussi se trouve avec les démons ? Jamais de la vie ! Mais le démon, qui toujours obéissait à la magicienne, a pris avec lui d'autres esprits (cf. Mt 12,45) pour tromper la femme elle-même, et par elle Saül, lui aussi trompé. Il a fait en sorte que les démons soient pris pour des dieux par la nécromancienne, et lui-même s'est revêtu de l'apparence recherchée et a contrefait les paroles de celui-ci. Enfin, parce qu'il était naturel de faire des conjectures à partir des faits évidents, il a exprimé sous forme d'une prophétie ce qu'on pouvait logiquement s'attendre à voir arriver. Mais le démon s'est trahi lui-même comme sans le vouloir en disant la vérité - c'est-à-dire que "demain toi et Jonathan serez avec moi" (1 S 28, 19). Si c'était vraiment Samuel, comment pouvait-il accepter que celui qui était coupable de tous les crimes soit avec lui ? Mais il est clair que ce mauvais démon qui était apparu au lieu et place de Samuel n'a pas menti en disant que Saül serait avec lui ! Si l'Écriture dit que "Samuel a dit" (1 S 28,15), qu'une telle parole ne trouble pas le lecteur intelligent, mais qu'il estime nécessaire d'ajouter que c'est celui qu'on croyait être Samuel. Nous constatons en effet que c'est souvent l'habitude de l'Écriture de rapporter ce qui semble être à la place de ce qui est. Ainsi, dans l'histoire de Balaam, lorsque celui-ci dit : "J'écouterai ce que dira en moi le Seigneur" (Nb 22,19) et qu'après cela, parce que Balaam a appris qu'il était agréable au Seigneur qu'il ne maudisse pas les Israélites, il ne va plus, "selon son (p. 67) habitude, à la recherche des présages" (Nb 24, 1), celui qui manque d'attention pensera qu'ici aussi le vrai Dieu a parlé à Balaam, mais le raisonnement montre que l'Écriture a appelé ainsi celui que Balaam croit être Dieu, non celui qui est réellement Dieu. Ainsi donc, ici aussi, celui qui paraissait être Samuel a contrefait les paroles du véritable Samuel, cependant que le démon, à partir de ce qui était probable, imitait avec talent la prophétie.

La question qui concerne Élie a besoin d'une plus longue considération, qui n'est pourtant pas dans la recherche proposée. En effet, en recevant l'ordre de boire l'eau du torrent (1 R 17,4), il était averti par Dieu, sous une forme cachée, pour que la sentence de sécheresse portée par le prophète contre les Israélites (1 R 17,7) soit annulée par lui. Comme il lui était accordé de boire seulement de l'eau du torrent, qui, à ce qui semble, avait été asséché par les grandes chaleurs, et que le prophète ne pouvait trouver une autre manière d'apaiser sa soif, puisqu'il lui était refusé de boire ailleurs, il lui était nécessaire de demander la pluie, pour que l'eau ne fasse pas défaut au torrent. Puis la fourniture de ce qui est nécessaire à la vie advient au prophète par les corbeaux (1 R 17,4-6), Dieu montrant au prophète, par leur intermédiaire, qu'il y avait beaucoup de gens qui étaient restés fidèles au culte du vrai Dieu ; c'est venant d'eux que la nourriture était fournie au prophète par les corbeaux, car ils ne lui apportaient pas des pains souillés ou de la viande offerte aux idoles. De la sorte, par ce moyen aussi Élie était amené à apaiser quelque peu sa colère contre les impies, en apprenant par ces événements que nombreux étaient ceux qui regardaient vers Dieu, qu'il n'était pas juste de condamner avec les coupables. Et si le pain lui était servi à l'aube, la viande le soir (1 R 17,6), ce fait a peut-être, par énigme (cf. 1 Co 13,12), un rapport avec la vie vertueuse, car à ceux qui commencent de vivre selon la vertu il faut fournir une parole facile, mais à ceux qui sont accomplis une plus parfaite, selon le (p. 68) mot de Paul, qui dit que "les parfaits ont la nourriture solide, eux qui ont grâce à l'habitude les sens exercés" (He 5,13).

Ce que signifie le voile de Moïse (cf. Ex 33,34), tu ne l'ignoreras pas si tu lis et relis la lettre de Paul aux Corinthiens (cf. 2 Co 3,13). Pour ce que tu as demandé au sujet des sacrifices, tu feras bien d'examiner avec plus de soin la loi lévitique tout entière, et en y mettant plus d'attention, tu verras d'une manière générale la loi qui ressort de ces réalités. De cette manière en effet, la partie sera comprise avec le tout, car par elle-même celle-ci seule ne peut être clairement distinguée et comprise avant la contemplation de l'ensemble. Dans les controverses sur la puissance adverse, la solution est manifeste, car celui qui est devenu rebelle n'était pas simplement un ange, mais avait rang parmi les archanges. Il est donc clair que la troupe qui lui était soumise est indiquée en même temps que celui qui la commande, de sorte que la question de savoir comment il était à la fois un et avec une multitude reçoit ainsi sa solution, car si l'armée qui lui était soumise s'est rebellée avec lui, le problème est éclairci. La dernière des questions posées - comment l'Esprit advient avant le baptême - a besoin d'une enquête et d'une réflexion plus amples ; quand nous en aurons traité dans un livre particulier, avec l'aide de Dieu, nous l'enverrons à ta Révérence.