Eusèbe surnommé Pamphile, cet homme si éloquent, et si capable d'attirer à notre Religion ceux qui en étaient éloignés, bien qu'il fût, peut - être moins propre qu'un autre à les instruire exactement de la vérité des mystères ; Sozomène, Théodoret, et Socrate ont décrit avec beaucoup de soin l'Incarnation du Sauveur, son Ascension, les travaux des Apôtres, et les combats des Martyrs, et enfin tout ce qui s'est fait de louable, ou de blâmable parmi nous, jusques au règne de l'Empereur Théodose.
Mais parce que personne n'a entrepris d'écrire ce qui est arrivé depuis, bien qu'il ne soit pas moins considérable, j'ai entrepris de le faire, Je 356 sais bien que je n'ai pas tout ce qui serait nécessaire pour m'en acquitter dignement, mais mettant ma constance dans le secours de celui qui donna autrefois la science à des pêcheurs, et une voix articulée à une bête, je tâcherai de tirer des ténèbres de l'oubli des actions très importantes, et de les faire passer à la postérité, en marquant le temps, le lieu, la manière, et les autres circonstances avec lesquelles elles ont été faites, et d'empêcher que la négligence, et l'oisiveté ne les effacent de la mémoire des hommes. Je commencerai où les Ecrivains, dont j'ai parlé, ont fini.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE PREMIER.
Artifice, dont le démon use pour altérer la pureté de la Foi.
Après que l'impiété de Julien eut été éteinte dans le sang des Martyrs, et l'extravagance d'Arius réprimée par l'autorité du Concile de Nicée, qu'Eunome, et Macédonius eurent été dissipés par la force du saint Esprit, l'Église effaça ses taches,. reprit son ancienne beauté, se para de ses plus riches ornements, et se mit en état de plaire à son Epoux. Le démon ne pouvant regarder sa prospérité sans jalousie, ne manqua pas de lui déclarer la guerre. Mais, au lieu de se servir, comme autrefois, ou de la superstition des Idolâtres, ou de l'impiété des Ariens, il employa d'autres armes. Il n'osa attaquer ouvertement la vérité de la foi, qui était défendue par un si 357 grand nombre de saints Pères, parce qu'il se souvenait qu'il avait perdu la plus grande partie de ses forces, quand il l'avait voulu combattre. Mais imitant les voleurs qui se cachent, il composa des demandes et des réponses pour embarrasser les esprits faibles, et pour les rejeter dans le Judaïsme. Il ne voyait pas qu'il serait vaincu par le moyen qu'il inventait; car il reçoit maintenant ce qu'il rejetait autrefois, et il est ravi de joie de pouvoir seulement corrompre une parole. Quelquefois s'enveloppant dans sa propre malice, il n'a changé qu'une lettre, et bien que ce changement ne fût pas un nouveau sens, il divisait pourtant la langue, et le cœur, et les empêchait de louer, et de glorifier d'un commun accord le Père, et le Fils. J'expliquerai le détail de tout ceci en son lieu. Quand je trouverai des choses fort remarquables, je les mêlerai dans mon ouvrage, bien qu'elles semblent un peu éloignées de mon sujet, et je finirai à l'endroit où il plaira à Dieu que je finisse.
L'AN DE N. S. 429 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE II
Erreur de Nestor découverte, et condamnée.
Je ne manquerai pas de matière de composer mon histoire, si je la commence à l'hérésie de Nestorius, d'où la guerre de l'Église a commencé. Cette langue ennemie de Dieu, ce tribunal de Caïphe, cette boutique ou l'on forge les blasphèmes, ou 358 l'on vent une seconde fois Jésus-Christ, où on le divise, et le déchire, au lieu qu'aucun de ses os ne fut brisé sur la Croix, et que sa tunique ne fut point partagée par ses bourreaux, rejeta le terme de Mère de Dieu, bien que le saint Esprit l'ait consacré par l'usage que les Saints Pères en ont fait. Il introduisit en la place celui de Mère de Christ, et remplit l'assemblée des fidèles de sang, et de meurtre.
Anastase était un Prêtre qui avait de très mauvais sentiments, qui était partisan passionné de Nestorius, et défenseur opiniâtre de ses erreurs, qui tendaient au Judaïsme, et qui l'avait accompagné dans le voyage qu'il fit pour prendre possession de l'Église de Constantinople, durant lequel en passant par Mopsueste, il conféra avec Théodore Évêque de cette ville, et s'éloigna de la piété, comme Théodule l'a rapporte fort au long dans une lettre qu'il a écrite sur ce sujet. Cet Anastase prêchant un jour dans l'Église de Constantinople eut la hardiesse de dire ; Que personne n'appelle Marie Mère de Dieu, car Marie était une femme. Or il est impossible qu'un Dieu naisse d'une femme. Le peuple fidèle ayant été fort scandalisé de ce sermon, et ayant cru qu'il contenait un blasphème, Nestorius qui était le premier auteur du blasphème, l'autorisa au lieu de le condamner, soutint opiniâtrement ce qu'Anastase avait avancé, enchérit sur son impiété, et fut si malheureux que de dire : Je me garderai bien d'appeler Dieu un enfant de deux, ou de trois mois, comme Socrate le témoigne, comme les actes du Concile d'Éphèse en font foi.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE III.
Lettre de Cyrille Évêque d'Alexandrie : A Nestorius. Concile d'Éphèse.
Cyrille Évêque d'Alexandrie, duquel la réputation est fort grande dans l'Église, ayant averti Nestorius de ses erreurs, sans que sa lettre eût faite aucune impression sur son esprit, non plus que celle de Célestin Évêque de l'ancienne Rome, il supplia Théodose Empereur d'Orient, de convoquer un Concile à Éphèse. Ce Prince ordonna que le Concile commencerait à s'assembler le jour auquel le Saint Esprit descendit sur l'Église.
Nestorius y arriva le premier parce que la ville d'Éphèse n'est pas loin de celle de Constantinople. Cyrille y arriva avec les Évêques de sa Province, avant le jour qui avait été arrêté. Jean Évêque d'Antioche ne s'y rendit pas ce jour-là, non par négligence, comme quelques-uns se l'imaginent, mais parce qu'il n'avait pu assembler plutôt les Évêques de sa Province, dont quelques-uns sont éloignés de douze journées d'Antioche, et quelques autres de plus de douze journées, et Antioche est à trente journées d'Éphèse. Jean s'excusa de n'être pas arrivé au jour préfix, sur ce que les Évêques qu'il avait sous lui, avaient célébré dans leurs Églises le Dimanche de l'Octave de Pâque.
L'AN DE N. S. 431 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE IV.
Déposition de Nestorius.
Lorsque quinze jours se furent écoulés depuis celui auquel le Concile avait été indiqué, les Évêques qui s'étaient assemblés, commencèrent à agiter les questions, dans la créance que ceux d Orient n'avaient pas dessein d'assister a l'assemblée. Cyrille tenait la place de Célestin Évêque de Rome. Les Évêques envoyèrent quérir Nestorius, et l'exhortèrent à répondre aux accusations qui étaient intentées contre lui.
Il promit le premier jour de le présenter toutes les fois qu'il serait nécessaire. Mais ayant manqué à sa promesse et refusé de comparaître, bien qu'il eût été cité par trois fois, les Évêques examinèrent son affaire. Memnon Évêque d'Éphèse compta les jours qui s'étaient écoulés depuis celui auquel le Concile avait été indiqué, et on trouva qu'il y en avait seize. On lut les Lettres de Cyrille à Nestorius, avec ses réponses. On lut aussi l'excellente Lettre que Célestin avait écrite à Nestorius. Théodote Évêque d'Ancyre, Acace Évêque de Milite ne rapportèrent les paroles pleines d'impiété, que Nestorius avait avancées publiquement dans la ville d'Éphèse. Enfin on recueillit divers passages des saints Pères, on énonça les blasphèmes de Nestorius, le Concile prononça contre lui en ces termes :
Le Révérendissime Nestorius ayant refusé de déférer aux citations qui lui ont été faites par notre ordre, 361 et de recevoir les très saints, et très pieux Évêques que nous lui avons envoyés, nous avons été obligés d'examiner ses impiétés. Et après avoir reconnu tant par ses lettres, et par ses autres ouvrages qui ont été lus ; par les discours qu'il a tenus dans cette ville Métropolitaine, que par la déposition de plusieurs témoins, qu'il croit, et qu'il enseigne des erreurs, et après avoir versé des larmes en abondance, nous avons été contraints par l'autorité des Canons, et par la lettre de Célestin Évêque de Rome, notre très saint Père, et Collègue, de rendre la triste et fâcheuse Sentence qui suit. Jésus-Christ notre Seigneur, que Nestorius a offensé par ses blasphèmes, l'a déclaré par ce saint Concile, privé de la dignité Épiscopale, et exclus de toutes les assemblées des Ministres de l'Église.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE V.
Déposition de Cyrille, et de Jean. Leur réconciliation.
Jean Évêque d'Antioche étant arrivé avec les Évêques de sa Province, cinq jours après que Nestorius eut été déposé par cette sentence très juste, et très canonique, il assembla les Évêques qu'il avait sous lui, et déposa Cyrille, et Memnon. Ces deux derniers ayant présenté une requête au Concile des Évêques, avec lesquels ils s'étaient assemblés, bien que Socrate rapporte la chose un peu autrement, pour n'avoir pas été bien instruit de la vérité, Jean fut cité pour rendre raison de la déposition qu'il avait pro- 362 noncée. Mais n'ayant point comparu après trois citations, il fut retranché de la communion, et privé de toute fonction Ecclésiastiques, avec les Évêques de sa Province ; et Cyrille, et Memnon furent absous de la Sentence qui avait été rendue contre eux L'Empereur Théodose n'approuva pas d'abord la déposition de Nestorius, mais depuis il reconnut l'impiété de cet Évêque, et écrivit à Cyrille, et à Jean, qui s'état accordés, confirmèrent la Sentence qui avait été rendue contre Nestorius.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE VI.
Lettre de Jean Évêque d'Antioche, approuvée avec éloge, par Cyrille Évêque d'Alexandrie.
Paul Évêque d'Emese étant allé en ce temps-la à Alexandrie, et y ayant fait un Sermon, qui est entre les mains de tout le monde, Cyrille approuva la lettre que Jean Évêque d'Antioche avait écrite sur le sujet de Nestorius, et en parla en ces termes :
Que le Ciel se réjouisse, et que la Terre trésaille de joie de ce que le mur de séparation est abattu, et de ce que le différent est apaisé. Il ne reste plus aucun sujet de contestation, ni de dispute., Jésus-Christ notre Sauveur a rendu la paix à l'Église, et les très pieux Empereurs nous ont exhortés à l'entretenir. En imitant comme ils font la piété de leurs ancêtres, en conservant la pureté de la foi, en prenant un soin particulier de toutes les Églises, ils acquièrent une réputation immortelle, et attirent la protection du Ciel à la faveur de laquelle ils triom- 363 phent de leurs ennemis. Celui qui a dit: Je vis, dit le Seigneur, je glorifie ceux qui me glorifient, ne saurait mentir. Nous avons été remplis de joie lorsque le Seigneur Paul mon très pieux frère et Collègue est .venu à Alexandrie, et nous en avons été remplis avec raison, de ce qu'une personne de grand mérite a bien voulu supporter des fatigues qui semblent être au dessus des forces humaines, pour surmonter la jalousie du démon, et pour ôter les sujets de division, qui étaient entre vos Églises, et les nôtres.
Il ajoute un peu après ce qui suit.
Depuis que le Seigneur Paul très religieux Évêque, nous a apporté une Lettre qu'il nous a assuré avoir été écrite par votre Sainteté, et par les très religieux Évêques de votre Province, et qui contient une exposition de foi très Orthodoxe, nous avons été très persuadés que notre contestation était fort inutile, et qu'elle avait été entreprise fort légèrement.
Voici comment cette exposition de foi était conçue, et comment elle est rapportée dans la Lettre de Cyrille. Après avoir lu les paroles toutes divines dont vous vous êtes servis pour parler de la Mère de Dieu, nous avons trouvé une parfaite conformité entre vos sentiments, et les nôtres. Car il n'y a qu'un Seigneur, une Foi, et un Baptême, et nous avons rendu gloire à Dieu notre Sauveur, de ce que vos Églises, et les nôtres font procession d'une foi qui s'accorde avec l'Ecriture Sainte, et avec la tradition des Pères.
Ceux qui prendront la peine de lire les actes qui furent faits en ce temps-là, s'instruiront pleinement de cette matière.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE VII.
Mort de Nestorius.
Les Historiens n'ont rien écrit du bannissement de Nestorius, ni de ce qui lui arriva depuis. Ils n'ont rien dit de sa mort, ou de la manière dont son impiété fut punie; et on n'en saurait encore rien si je n'avais trouvé un Livre, où il fait lui-même le récit de ses malheurs.
Nestorius cet auteur d'une doctrine pleine.de blasphème., et d'impiété, qui au lieu de bâtir sut le fondement qui avait été posé, bâtit sur le sable, et éleva un édifice, qui, selon la parabole du Sauveur, est bientôt tombé en ruine, voulant répondre à ceux qui l'accusaient d'avoir introduit des nouveautés, et d'avoir demandé fort imprudemment l'assemblée du Concile d'Éphèse, dit qu'il s'était trouvé dans une nécessité indispensable de prendre le parti qu'il avait pris; parce que l'Église étant partagée, et les uns soutenant d'un côté que Marie devait être appelée Mère d'un homme, et d'autres qu'elle devait être appelée Mère de Dieu, il inventa le terme de Mère de Christ, pour ne point unir le mortel à. l'immortel, et pour n'offenser aucun parti.
Il ajoute que l'Empereur Théodose désapprouva d'abord sa déposition, à cause de l'affection qu'il avait pour lui, mais que depuis que des Évêques des deux partis eurent été. députés d'Éphèse vers ce Prince, et qu'il eut demandé lui-même la permission de retourner à son Monastère, assez proche d'Antioche, on la lui donna. Il ne dit point le nom 365 de ce Monastère, mais on dit qu'on l'appelle maintenant le Monastère d'Euprepre, et je sais qu'il est en effet à deux stades d'Antioche. Nestorius témoigne qu'il y demeura l'espace de quatre années, durant lesquelles il y reçut toute sorte d'honneurs, et de respects, et qu'ensuite il fut relégué à Oasis, par l'ordre de l'Empereur Théodose. Mais il dissimule ce qu'il y a de plus important, qui est qu'ayant continué dans ce Monastère à débiter ses erreurs, et Jean Évêque d'Antioche en ayant donné avis à l'Empereur, il fut exilé.
Il a adressé à un Égyptien un autre Livre, composé en forme de Dialogue sur son exil, où il en parle fort amplement. La Lettre qu'il écrivit au Gouverneur de la Thébaïde est une preuve manifeste des châtiments dont la justice divine, à laquelle il ne pouvait échapper, punit son impiété, en permettant qu'il tombât en captivité, qui est une des plus déplorables de toutes les misères. Mais parce qu'il méritait d'être puni avec encore plus de rigueur, il fut mis en liberté par les Blemmyens, et courant de pays en pays, par l'ordre de l'Empereur, il tomba sur la frontière de la Thébaïde, et s'étant brisé parla chute, il mourut aussi misérablement qu'il méritait, et fit voir aussi bien qu'Arius par le genre de sa mort, quelle est la récompense que doivent attendre ceux qui avancent des blasphèmes contre le Sauveur. Arius, et Nestorius en avancèrent: tous deux ; l'un en disant. qu'il n'est qu'une créature, et l'autre en soutenant qu'il. n'est qu'un homme. Je demanderais volontiers à Nestorius, qui se plaint que les Actes du Concile d'Éphèse n'ont pas été rédigés de bonne foi, et que 366 Cyrille les a fabriqués comme il lui a plu, pourquoi il a été exilé, puisque l'Empereur lui était favorable, et pourquoi après avoir été si longtemps errant, et vagabond, il a fini si misérablement sa vie ? Je lui demanderais encore pourquoi si la sentence que Cyrille et les autres Évêques avaient prononcée contre lui, n'était pas conforme à la Loi de Dieu, maintenant qu'ils sont tous deux morts, et que comme a dit un Païen, on peut sans exciter la jalousie, honorer la vertu qui ne paraît plus parmi nous, il est en horreur, et en exécration comme un ennemi de Dieu, au lieu que la mémoire de Cyrille est en vénération, et qu'il reçoit encore après sa mort des louanges de tout le monde. Voyons ce que Nestorius en dit lui-même, de peur qu'on ne nous accuse d'imposer. Voici des paroles tirées de sa Lettre au Gouverneur de la Thébaïde.
Je demeure par l'ordre de l'Empereur à Oasis, qu'on appelle aussi Ibis, à cause des questions qui ont été agitées à Éphèse touchant notre sainte Religion.
Il ajoute un peu après ce qui suit.
Lorsque la ville d'Oasis eut été mise à feu, et à sang par la fureur des barbares, ils eurent quelque sorte compassion de nous, et nous épouvantèrent si fort en nous menaçant des Mazices qui devaient venir après eux, que nous nous réfugiâmes dans la Thébaïde, avec une multitude prodigieuse de prisonniers.
La plupart se retirèrent ou il leur plut ; mais pour moi, je me présentai à Panopole, de peur que le malheur que j'avais eu de tomber entre les mains des Barbares, ne fournît à quelqu'un un prétexte pour m'accuser d'avoir eu dessein de m'enfuir ; car il n'y a point de 367 fausse accusation, que la malignité des hommes ne puisse inventer. C'est pourquoi je vous supplie très humblement, de prendre de moi tout le soin que les lois vous obligent de prendre d'un prisonnier, et de ne point le livrer entre les mains des méchants, de peur que la postérité n'eût sujet de dire, qu'il est plus avantageux de demeurer prisonniers des Etrangers, que de retourner sur les terres de l'Empire.
Il le conjure ensuite avec serment, d'informer l'Empereur de la manière dont il avait été obligé d'aller d'Oasis à Panopole, afin que ce Prince ordonnât de lui ce qu'il lui plairait. Il écrit de cette sorte dans une autre Lettre, au même Gouverneur de la Thébaïde.
Soit que vous receviez ma lettre comme la lettre d'un ami, ou comme l'avis d'un père à un fils, je vous supplie d'y lire avec patience, le récit que j'y ferai de plusieurs choses, en moins de paroles qu'il me sera possible. La ville d'Oasis, qu'on appelle aussi Ibis, ayant été ruinée par l'irruption d'une multitude incroyable de peuples, qui n'ont point de demeure certaine, et arrêtée.
Et un peu après.
Ce que je viens de dire étant arrivé de la sorte, votre Magnificence, par je ne sais quel motif, a donné ordre à des soldats étrangers de me conduire de Panopole, à Eléphantine ville assise sur la frontière de la Thébaïde. Après avoir fait la plus grande partie du chemin avec une fatigue incroyable, j'ai reçu de vous un nouvel ordre sans écrit, de retourner à Panopole. J'y retournai ayant les mains, et les côtés brisés, accablé de vieillesse et de maladies, et tout rompu du travail du chemin. Avant que d'avoir eu le loisir de respirer, ni de 368 me délasser de tant de fatigues, je reçus un autre ordre de votre part, pour aller à un lieu qui est proche de Panopole. Dans le temps que j'attendais ce qu'il plairait aux Empereurs d'ordonner de moi, et que j'espérais que cette longue, et cruelle persécution finirait, on m'envoya tout d'un coup un ordre qui me condamnait à un quatrième exil.
Et un peu plus bas.
Contentez-vous, je vous prie, de ce que j'ai souffert, et croyez qu'une santé aussi faible que la mienne est assez abattue par tant de bannissements. Permettez qu'après un si grand nombre de relations que vous avez envoyées à l'Empereur, je l'informe de la vérité. Voila les avis que j'avais à vous donner, comme un père à son fils. Que si vous êtes encore aussi transporté de colère, que par le passé et que vous ne puissiez écouter la raison, faites ce qu'il vous plaira.
Les malheurs de Nestorius ne l'ayant point rendu plus prudent, il s'élevait de la sorte contre les Princes, et contre les Magistrats. J'ai lu un Auteur qui racontant le genre de sa mort, dit qu'il eut la langue rongée par les vers, et qu'il passa de ce supplice à un autre qui est éternel.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE VIII.
Successeurs de Nestorius dans le Siège de l'Église de Constantinople.
Après la mort de l'exécrable Nestorius, l'Église de Constantinople fut gouvernée par Maximien, et jouit d'une profonde paix sous sa conduite. Quand Maximien fut mort, Proclus qui avait été dès 369 auparavant ordonné Évêque de Cyzique, fut choisi pour lui succéder. Proclus ayant aussi subi la loi commune de la nature, Flavien fut élevé sur le Siège de la ville Impériale.
L'AN DE N. S. THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE IX.
Déposition d'Eutychès. Second Concile d'Éphèse.
Ce fut au temps de ce Flavien qu'on agita l'affaire d'Eutychès, et qu'on assembla dans Constantinople un Concile particulier des Évêques de la Province. Eusèbe Évêque de Dorylée, qui avait le premier découvert l'impiété de Nestorius, donna aussi les premiers avis des blasphèmes d'Eutychès. Ce dernier ayant refusé de paraître devant le Concile, et ayant depuis été convaincu d'avoir dit : J'avoue que Jésus-Christ notre Seigneur a eu deux Natures avant l'union, mais je n'en reconnais qu'une après l'union ; il fut déposé. Il niait aussi que le corps du Sauveur eût été de même Nature que les nôtres. Ayant depuis présenté une requête à l'Empereur Théodose, par laquelle il se plaignait que les Actes du Concile de Constantinople avaient été falsifiés par Flavien, on en tint un second, où Flavien fut jugé en présence de quelques Sénateurs, et les Actes ayant été trouvés sains et entiers, on convoqua un second Concile à Éphèse.
L'AN DE N. S. 448 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE X.
Condamnations injustes prononcées dans le Second Concile d'Éphèse.
Dioscore successeur de Cyrille dans le gouvernement de l'Église d'Alexandrie, présida à ce Concile, et ce fut par les intrigues de Chrysaphe, ennemi particulier de Flavien, Évêque d'Antioche, et qui avait d'étroites habitudes à la Cour, qu'il en reçut l'ordre. Juvénal Évêque de Jérusalem assista à ce Concile avec plusieurs Prêtres de son Église, comme il avait assisté au premier tenu dans la même ville. Domne successeur de Jean dans le Siège de l'Église d'Antioche, s'y trouva aussi. Jules Évêque, qui tenait la place de Léon Évêque de l'ancienne Rome y assista; Flavien y assista pareillement avec les Évêques de sa Province, comme l'Empereur Théodose l'avoir ordonné.
Ceux qui avaient jugé la première fois Eutychès très pieux Archimandrite, furent présents, mais ils gardèrent le silence, et attendirent le jugement des très saints Pères parce qu'il s'agissait d'examiner celui qu'ils avaient rendu,
La sentence de déposition prononcée contre Eutychès, fut déclarée nulle par Dioscore, et: par les autres Évêques, qui étaient avec lui, et Eutychès fut rétabli, comme il est porté par les Actes. Flavien et: Eusèbe Évêque de Dorylée. furent condamnés, et déposés. Ibas Évêque d'Edeste fut retranché de la communion, et Daniel Évêque de Carras, Irénée Évêque de Tyr, Aquilin, Évêque de Biblis, Théodoret Évêque de Cyr, et: 371 Domne Évêque d'Antioche furent déposés. Outre cela il y eut quelque chose d'ordonné en faveur de Sophrone Évêque de Constantine. Je n'ai pu savoir ce qui arriva depuis à Domne Évêque d'Antioche. Voila ce qui fut fait dans le second Concile d'Éphèse.
L'AN DE N. S. 449 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE XI.
Défense de la diversité des opinions qui si rencontrent parmi les Chrétiens. Impertinence des fables des Païens.
Que ceux qui sont plongés dans un aveuglement si déplorable que d'adorer les Idoles ne se moquent point de ce que des Évêques déposent d'autres Évêques, ni de ce qu'ils découvrent de jour en jour, quelque chose de nouveau, pour ajouter à la foi. Car quand nous entreprenons de pénétrer la profondeur de la charité, que Dieu a eue pour les hommes, et que nous cherchons les moyens de la reconnaître, nous nous engageons les uns dans un sentiment, et les autres dans un autre. Aucun de ceux qui ont introduit les hérésies, n'a eu dessein d'avancer des impiétés, ni de faire injure à Dieu, Au contraire ils ont cru parler plus véritablement que ceux qui les avaient précédés.
Nous sommes tous d'accord touchant les points fondamentaux de notre Religion. Nous adorons tous la Trinité. Nous rendons tous gloire à l'Unité, nous conférons que le Verbe est Dieu, et qu'ayant été engendré avant tous les siècles, il a pris une seconde naissance dans le sein 372 de sa Mère. Que si l'on a apporté quelque changement touchant d'autres ces chefs-là, c'est que le Sauveur nous avait laissé la liberté de nos sentiments touchant ces chefs-là, afin que l'Église Sainte, Catholique, Apostolique les examinât, et les rendît tout à fait conformes à la règle de la vérité. C'est pour cela que saint Paul a écrit avec une profonde sagesse :Il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, afin que les bons soient reconnus ; et c'est aussi ce qui nous doit faire admirer la profondeur de la sagesse avec laquelle Dieu a dit au même Apôtre : Ma puissance se fait paraître dans la faiblesse. Les disputes qui ont divisé les fidèles, ont éclairci la vérité, et relevé par occasion l'éclat de l'Église.
Ceux qui ont été élevés dans la superstition ne voulant pas connaître Dieu, ni avouer qu'il prend soin de la conduite du monde, minent les opinions les uns des autres. Ils inventent de jour en jour de. nouveaux Dieux, et leur donnent le nom de leurs passions, pour consacrer en quelque sorte leurs débauches. Celui qu'ils appellent le père des dieux, et des hommes change en oiseau un jeune homme natif de Phrygie, et. l'enlevé pour en faire la victime de son incontinence. Il lui donne ensuite la charge. d'Échanson, en récompense de son impudicité, et. ils boivent ensemble les plus délicieuses liqueurs,. avec autant d'infamie, que de volupté. Il s'est souillé des crimes dont les derniers des hommes auraient horreur. Il a pris la forme des bêtes. Il est devenu. femme, sans cesser d'être homme, et a porté un enfant dans sa cuisse. Bacchus qui est sorti de cette 373 cuisse a eu aussi les deux sexes, les a déshonorés, et a été l'auteur de l'ivrognerie, et de tous les vices qui la suivent. Ils font un parricide de ce Dieu qui lance le tonnerre, en disant qu'il chassa de son Royaume Saturne, qui avait été si malheureux que de l'avoir eu pour fils. et reconnaissent cependant que le parricide est le plus grand de tous les crimes. Que dirai-je de la fornication qu' ils ont consacrée, et à laquelle ils font présider Vénus cette Déesse sortie d'une coquille, qui déteste la continence, et qui ne veut être honorée que par l'impudicité ? Mars s'étant corrompu avec elle, fut surpris par l'adresse de Vulcain, et exposé à la raillerie des autres Dieux.
Il y a grand sujet de se moquer de ces figures de Priapes, qu'ils portent en public, du culte qu'ils prétendent rendre à Pan, par la représentation d'une partie que l'honnêteté ne permet pas de nommer, et par tous les mystères d'Eleusine, en faveur desquels on ne peut rien dire, si ce n'est que le soleil n'en est point déshonoré, parce qu'ils sont condamnés à une nuit, et à une obscurité éternelle. Mais laissant ces abominations aux Dieux qui en sont honorés, et aux hommes qui les honorent, achevons de rapporter ce qui reste du règne de l'Empereur Théodose.
L'AN DE N. S. 449 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE XII.
Constitution de Théodose contre Nestorius.
Il fit une Constitution pleine de piété, qui est la troisième du premier titre du Code de Justinien, où poussée par l'esprit de Dieu, il condamna, et frappa 374 d'anathème Nestorius, dont il faisait auparavant ses délices.
De plus nous ordonnons que tous ceux qui suivront l'impiété de Nestorius soient chassés des Églises, s'ils font Évêques, ou Ecclésiastiques, et, qu'ils soient excommuniés, s'ils font Laïques.
Il y a quantité d'autres lois en faveur de la Religion, qui sont autant de preuves authentiques de la ferveur de son zèle.
L'AN DE N. S. 449 THEODOSE ET VALENTINIEN
CHAPITRE XIII
Vie miraculeuse de Siméon Stylite.
Siméon cet homme dont la sainteté a été en si singulière vénération, fleurit au même temps. Ce fut lui qui institua le premier la manière de demeurer sur une colonne dont le tour est à peine de deux coudées. Domne Évêque d'Antioche étant allé le visiter, admira sa manière de vivre. Ils offrirent ensemble le pur sacrifice, et s'administrèrent réciproquement les sacrés Mystères, Siméon vécut comme un Ange dans un corps mortel, et faisant violence à la nature, qui tend vers la terre par son propre poids, il s'éleva entre la terre, et le ciel ; s'entretint avec Dieu ; le loua avec les Anges ; lui présenta les prières des hommes, et leur distribua les grâces de Dieu. Sa vie miraculeuse a été écrite par un homme qui en avait été témoin. Théodoret Évêque de Cyr en a aussi fait mention ; mais ils ont omis tous deux une action qui a rendu sa mémoire fort célèbre parmi les saints Solitaires.
Ce Siméon, qui vivait comme un Ange dans un corps sujet à la mort, étant 375 monté sur sa colonne, les Solitaires envoyèrent lui demander pourquoi ils s'écartait du chemin des anciens, pour en prendre un autre, où personne n'avait passé, et lui ordonnèrent de descendre de sa colonne, pour mener la vie commune du reste des Solitaires. Ils donnèrent charge à celui qu'ils envoyèrent, de le laisser sur sa colonne, au cas qu'il le trouvât disposé à en descendre, et à obéir; parce que sa soumission serait alors une marque que Dieu lui aurait inspiré ce genre de vie ; et que si au contraire il refusait d'obéir, il le tirât, et l'emmenât de force. Celui que les Solitaires avaient envoyé à Siméon, ne lui eut pas sitôt déclaré leurs sentiments, qu'il avança le pied pour descendre, et pour déférer à leur volonté. Mais l'autre l'empêcha de descendre, en lui disant: Continuez dans la manière de vivre que vous avez choisie. Dieu vous a mis où vous êtes, demeurez-y. J'ai bien voulu remarquer cette circonstance si considérable de la vie de Siméon, parce qu'elle avait été oublis Synagogues que les Chrétiens leur avaient ôtées, il lui écrivit avec une si généreuse liberté, que ce Prince révoqua son ordonnance, cassa le Préfet du Prétoire qui la lui avait conseillée, et pria ce saint habitant du ciel, ce Martyr de la vie pénitente, de l'assister de ses suffrages, et de lui donner sa bénédiction. Siméon observa cette manière de vivre l'espace de cinquante-six ans. Il en passa neuf dans le Monastère où il reçut les premières instru- 376 ctions de la règle des Solitaires; quarante-sept dans le lieu nommé Mandra, savoir dix dans une ruelle, et sept sur une colonne basse, et trente sur une colonne de quarante coudées.
Son saint corps fut porté à Antioche, au temps que Léon gouvernait l'Empire, et que Martyrius gouvernait l'Église d'Antioche. Ardabure Maître de la Milice d'Orient, alla avec ses troupes à Mandra, pour garder le corps du bienheureux Siméon, de peur qu'il ne fût enlevé par les habitants des villes voisines. Il fut porté à Antioche, et fit des miracles durant le chemin. L'Empereur Léon le demanda depuis aux habitants d'Antioche, mais ils lui firent par écrit cette réponse.
Notre ville n'ayant point de murailles, celles qu'elle avait autrefois ayant été abattues par un effet de la colère du ciel, nous avons apporté au milieu de nous le très saint corps de Siméon, afin qu'il nous tienne lieu de muraille, et de défense.
L'Empereur Léon déféra à ces raisons, et leur laissa le corps du saint Solitaire ; dont on a conservé des reliques jusques dans nos jours. J'ai vu la tête dans le temps que le célèbre Grégoire était Évêque d'Antioche, et lorsque Philippique demanda des reliques pour garder, et pour défendre les troupes d'Orient. Les cheveux sont demeurés aussi entiers que quand il vivait. La peau du front est aussi fort saine, bien qu'elle soit desséchée, et endurcie. On voit encore les dents, excepté celles que les fidèles ont arrachées. On peut juger de sa taille par leur grandeur.
Il y a auprès de sa tête une chaîne qu'il portait au cou durant sa Vie, et qui ayant été autrefois l'instrument de sa 377 pénitence, reçoit aujourd'hui une partie de l'éclat qui rejaillit de la gloire. Je raconterais en détail les merveilles de sa vie, et je tirerais autant de profit de ce récit, que ceux qui prendraient la peine de lire, si Théodoret ne l'avait déjà fait, comme je l'ai dit.
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CHAPITRE XIV.
Apparition d'une Etoile au dessus de la colonne de saint Siméon.
Je crois devoir insérer dans cette histoire une chose que j'ai vue. J'ai souhaité avec passion d'aller à l'Église qui est consacrée en mémoire de ce saint. Elle est bâtie sur une montagne à trois cents stades d'Antioche. Les habitants ont appelé ce lieu-là Mandra, à cause, comme je me le persuade, de l'austérité avec laquelle le saint y a vécu. La pente de la montagne est de vingt stades. L'Église est bâtie en forme de croix, et embellie de galeries tout-autour. Il y a vis-à-vis des colonnes faites de pierres fort belles, et fort polies, qui soutiennent la couverture des galeries. Au milieu est une espace découvert, où est la colonne de quarante coudées, sur laquelle cet Ange terrestre a mené une vie céleste. Au dessus des galeries, il y a des balustres que quelques-uns appellent des fenêtres, qui répondent d'un côté sur la place dont j'ai parlé, et de l'autre sur la couverture des galeries. Comme le peuple était assemblé en foule, et que quantité de paysans dansaient au tour de la colonne, je vis une étoile 378 d'une grandeur extraordinaire, qui paraissait, et qui brillait à une fenêtre du côte gauche. Elle se cachait quelquefois, et puis le montrait de nouveau. Cela n'arrive que le jour, auquel on solennise la mémoire du saint.. Quelques-uns disent, et le mérite de leurs personnes, joint à ce que j'ai vu- moi-même, m'oblige d'ajouter foi à leurs paroles qu'ils ont vu le saint même voltigeant de côté et d'autre avec une longue barbe, et un bonnet sur la tête,. comme il avait accoutumé d'en avoir un durant sa vie. Les hommes qui vont en ce lieu-là,. ont la liberté d'y entrer, et de faire soit à pied, ou à cheval, tant de fois qu'il leur plaît le tour de la colonne. Mais on ne permet point que les femmes entrent dans l'Église, et je n'en sais point la raison. Elles demeurent à l'entrée, et voient le miracle d'une des portes qui est opposée à l'endroit où l'étoile paraît.
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CHAPITRE XV.
Rares qualités d'Isidore, et de Synésius.
Isidore dont la réputation s'est étendue par tout le monde, et qui s'est rendu aussi considérable par la pureté de sa vertu, que par la grandeur de son éloquence a fleuri sous le règne du même Empereur. Il abattait de telle sorte son corps par l'austérité de la pénitence, et élevait si fort son âme par la sublimité de ses méditations, qu'il menait une vie d'Ange sur la terre, et qu'il était une image vivante de la pénitence des Solitaires, et de la perfe- 379 ction des contemplatifs. Il a composé quantité d'ouvrages, dont la lecture est très-utile. Il y en a quelques-uns, qui sont adressés au grand Cyrille, ce qui fait voir que ces deux excellents hommes ont vécu au même siècle. Le désir que j'ai de faire honneur à ce siècle-là, m'oblige de tracer ici le portrait du célèbre Évêque de Cyrène, qui fera lui-même honneur à mon Histoire. Il avait appris toutes les sciences, et surtout avait acquis une connaissance si parfaite de la Philosophie, qu'il s'était fait admirer de tous les Chrétiens qui avaient l'esprit dégagé de passion. Ils lui persuadèrent de recevoir la seconde naissance, que le baptême donne à ceux qui entrent dans l'Église, qui est un monde nouveau, et de subir le joug du Sacerdoce, bien qu'il n'eût point la foi du mystère de la Résurrection, et qu'il protestât qu'il ne la voulait point avoir. Ils espérèrent que la grâce, dont la toute puissance ne laisse rien d'imparfait dans ses entreprises, couronnerait ses autres vertus de la créance de ce mystère, et ils ne se trompèrent pas dans leur espérance. Les lettres si doctes, et si élégantes, qu'il a écrites depuis sa promotion à la dignité Épiscopale, la harangue qu'il prononça devant l'Empereur Théodose, et ses autres ouvrages ne font que trop connaître son mérite.
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CHAPITRE XVI.
Translation des Reliques de saint Ignace.
Saint Ignace ayant été exposé aux bêtes dans l'amphithéâtre de Rome, et n'ayant point eu d'autre tombeau que leurs entrailles, ses os furent portés à Antioche, et enterrés au lieu, où l'on enterrait les Fidèles. Dieu ayant inspiré en ce temps-ci à l'Empereur Théodose le désir d'honorer les reliques précieuses de ce célèbre Martyr, il les fit transférer avec pompe à. une Église qui avait été auparavant un Temple consacré à l'Idole de la Fortune publique. Il n'y a point eu depuis d'année où on n'ait célébré la fête de ce Saint dans cette Église, qui est dédiée à Dieu, sous l'invocation de son. nom, et Grégoire Évêque d'Antioche l'a fait célébrer avec une plus grande solennité qu'auparavant. Voila comment Dieu a voulu que les Reliques de ses Saints fussent honorées.
Julien ce détestable Tyran, qui attira par ses impiétés les effets de la colère de Dieu sur sa tête criminelle, avait autrefois honoré malgré lui le corps de saint Babylas Martyr, en le transférant, pour obéir à l'Apollon de Daphné, qui avait déclaré qu'il ne pouvait plus rendre d'oracles par l'eau de la fontaine de Castalion, parce que Babylas, qui était trop proche de lui, le tenait dans le silence. Le temple qui fut bâti alors, pour recevoir son saint corps, subsiste encore aujourd'hui. Dieu voulut que les Reliques des Martyrs, qui ont autrefois combattu pour la dé- 381 fense de la foi, fussent ainsi portées dans des Églises magnifiques afin de faire éclater la grandeur de leur puissance.
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CHAPITRE XVII.
Irruption d'Attila. Tremblement de terre.
Attila Roi des Huns commença en ce temps-là cette guerre si fameuse, dont Prisque a décrit les événements avec autant d'élégance que de soin, ayant remarqué très exactement tout ce qui s'y est fait de plus considérable en Orient et en Occident, les sièges des villes, et enfin la manière, dont mourut ce perturbateur du repos de l'Univers.
Il y eut sous le règne de Théodose un tremblement de terre plus violent et plus général qu'aucun qu'il y eût jamais eu. Plusieurs tours de Constantinople, et la longue muraille de la Chersonèse en furent abattues. Quantité de bourgs en furent abîmés, quelques fontaines en tarirent, au lieu que d'autres parurent en des pays, où l'on n'en avait jamais vu. Il y eut des arbres qui furent jetés en l'air avec leurs racines, des montagnes qui se formèrent d'un amas de pierres et de terres. La mer jeta des poissons morts sur ses bords, et couvrit entièrement des îles. Les Navires demeurèrent à sec sur la terre. Ce tremblement causa de grands désordres. en Bithynie, en Hellespont et en Phrygie. Mais sa violence diminua peu à peu, et finit enfin entièrement.
CHAPITRE XVIII.
Edifices publics élevés dans la ville d'Antioche.
Emnonius, Zoïle et Calliste, qui avaient tous trois un grand zèle pour notre sainte Religion furent envoyés en ce temps-là à Antioche par l'Empereur Théodose, pour y exercer les premières charges. Memnonius y fit élever avec une grande magnificence, un édifice que nous appelons Psephion, au milieu duquel il laissa une grande place à découvert. Zoïle fit bâtir une galerie proche de celle de Rufin, du côté de midi, et quelque changement que le temps ait apporté aux noms des ouvrages publics, celui-ci a retenu celui de son auteur. Calliste a élevé un autre ouvrage très magnifique, en forme de galerie, que les anciens et les modernes ont toujours appelé .de son nom. Il est vis-à-vis du lieu où l'on rend la justice, et devant la place publique, où est le palais des Maîtres de la milice. Anatolius Maître de la milice ayant été envoyé depuis en Orient, éleva la galerie qui porte son nom, et l'embellit de toute sorte d'ornements. Bien que la description de ces ouvrages semble éloignée de mon sujet, je me persuade qu'elle ne déplaira pas à ceux qui prendront la peine de lire mon Ouvrage.
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CHAPITRE XIX.
Guerres en Italie et en Perse.
Pendant que Théodose commandait en Orient, et Valentinien en Occident, l'Europe fut troublée par la fureur de plusieurs tyrans, qui entreprirent d'usurper à main armée l'autorité souveraine. Leurs entreprises furent pourtant réprimées par les troupes que Théodose envoya par mer, et par terre. Il remporta de si notables avantages sur les Perses, qui étaient alors fort enflés d'orgueil, qu'il obligea Isdigerde leur Roi, père dé Vararane, ou Vararane même, selon le sentiment de Socrate, de lui demander une trêve qui a duré jusques à la douzième année du règne de l'Empereur Anastase. L'histoire de toutes ces choses a été composée par plusieurs écrivains, mais elle a été représentée en abrégé par Eustate natif de la ville d'Épiphanie en Syrie avec une plus grande élégance que par nul autre. Le siège de la ville d'Amidea été écrit par le même.
On dit que les Poètes Claudien, et Cyrus fleurissaient au même temps. Cyrus parvint à la charge de Préfet du Prétoire, qui est le comble des dignités. Il était Maître de la Milice d'Occident, lorsque la ville de Carthage fut prise par les Vandales commandés par Genséric.
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CHAPITRE XX.
Voyage de l'Impératrice Eudocie à Antioche et à Jérusalem.
L'Empereur Théodose épousa par le conseil de l'Impératrice Pulchérie sa sœur Eudocie Princesse native d'Athènes, douée d'une rare beauté, et habile dans la poésie, après néanmoins qu'elle eut renoncé aux superstitions du paganisme, et qu'elle eut reçu le saint baptême. Eudoxie naquit de ce mariage, et lorsqu'elle eut atteint l'âge de puberté, elle fut mariée elle-même à l'Empereur Valentinien, qui vint de Rome à Constantinople, pour y célébrer ses noces. L'Impératrice Eudocie allant longtemps depuis à la ville de notre Sauveur, passa par Antioche, où ayant harangué le peuple, elle finit son discours par ces vers.
Je ne ternis en rien le lustre de mon rang, : -- Quand je tiens à honneur d'être de votre sang.
Elle avait intention de marquer les colonies qui avaient été envoyées autrefois de Grèce à Antioche. Que si quelqu'un désire d'être plus particulièrement instruit de ces colonies, il peut lire Strabon, Phlégon, Diodore de Sicile, Arrien, le Poète Pisandre, Ulpien, et les deux plus illustres Orateurs de leur siècle, Libanius et Julien. C'est pour cela que les habitants d'Antioche lui ont élevé une Statue de bronze, qui subsiste encore aujourd'hui. L'Empereur Théodose augmenta la ville à sa prière, et é tendit la muraille jusques à la porte par où l'on 385 fort, pour aller au bourg de Daphné, ce que les curieux peuvent encore reconnaître par les vestiges qui restent des anciens murs. Il y a pourtant quelques personnes qui assurent que ce fut l'ancien Théodose, qui accrut l'enceinte de la ville, et qui donna deux cents livres d'or au bain de Valens, dont une partie avait été ruinée par le feu.
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CHAPITRE XXI.
Diversité des règles, et des pratiques des Moines de Palestine.
Eudocie alla deux fois d'Antioche à Jérusalem, Je ne parlerai point du motif de ces voyages Les Historiens les ont marqués, et selon mon sens., ils se sont fort éloignés de la vérité. Lorsqu'elle fut dans la sainte ville du Sauveur; elle y fit beaucoup de choses en son honneur, y fonda des Monastères, et des Laures comme on les appelle. Il y a dans ces Monastères une grande diversité de pratiques, bien que toutes ces pratiques ne tendent qu'à la même fin. Les uns vivent en communauté, sans être touchés par le désir d'aucun bien de la terre, sans posséder d'argent, mais que dis-je sans posséder d'argent, puisqu'ils ne possèdent pas même l'habit qu'ils portent, ni les aliments qu'ils consument ? Un d'entre eux se servira aujourd'hui d'une tunique ou d'un manteau, dont un autre se servira le jour suivant ; et ainsi la tunique et le manteau sont à tous, ou plutôt ne sont à aucun. La table est commune. On n'y sert rien de délicat. On n'y met que 386 des herbes et des légumes, et on n'y en met qu'autant qu'il en faut pour satisfaire à la nécessité de la nature. Ils prient aussi en commun le jour, et la nuit, et s'imposent à eux mêmes un travail si continuel,, qu'ils sont sur la terre comme des morts qui n'ont point encore de tombeau. Ils continuent quelquefois leurs jeûnes de telle sorte qu'ils font deux, ou trois jours sans manger. Il s'en trouve même parmi eux, qui. ne mangent que le cinquième jour, ou plus tard encore, et qui ne satisfont qu'avec peine à cette loi que la condition du corps leur impose. D'autres tiennent un chemin fort différent, s'enfermant seuls dans dès cellules, qui sont si basses, et si étroites qu'ils ne peuvent ni s'y tenir debout, ni s'y coucher commodément. Ainsi ils se retirent, comme dit l'Apôtre, dans les antres .et dans les cavernes de la terre, pour y vaquer uniquement à l'étude de la sainte Philosophie. Et d'autres passent leurs vies dans des trous avec les bêtes, et n'ont point d'autre exercice que la prière. D'autres ont inventé une manière de vivre différente, et qui, semble être au dessus de toute la force, et de toute la patience des hommes. Ils. ont choisi un désert exposé aux ardeurs du Soleil pour l'habiter, et il y a des hommes et des femmes, qui y étant entrés presque nus,. y méprisent durant toutes les saisons, ou la vigueur du froid, ou l'excès de la chaleur. Ils dédaignent d'user des aliment, dont usent les autres hommes, et se contentent de paître comme les bêtes. Ils ont même beaucoup de leurs façons extérieures. Car dès qu'ils voient un homme, ils s'enfuient, et s'il 387 les poursuit, ils s'échappent avec une vitesse incroyable, et se cachent dans des lieux inaccessibles. Je dirai ici une chose que j'avais presqu'oubliée, bien qu'elle soit une des plus remarquables. Il y en a quelques-uns, quoiqu'en fort petit nombre, qui, quand ils le sont élevés par un long exercice de vertus au dessus des passions, retournent dans les villes, se mêlent dans la foulée des hommes, et font semblant d'avoir perdu l'esprit, pour mépriser la vaine gloire, que Platon dit être la tunique que les plus sages ôtent la dernière. Ils se font tellement accoutumés à manger sans aucun sentiment de volupté qu'ils mangent, s'il est besoin dans les cabarets et dans les tavernes, sans avoir aucun égard, ni au lieu, ni aux personnes. Ils entrent souvent dans les bains publics, et se baignent indifféremment avec toute sorte de personnes. Ils ont tellement vaincu les passions, et triomphé de la nature, qu'il n'y a ni regard, ni attouchement, qui puisse exciter en eux aucun mouvement déshonnête. Ils sont hommes, quand ils sont parmi les hommes, et il semble qu'ils soient comme les femmes, quand ils sont parmi les femmes. Enfin, pour tout dire en. peu de paroles, leur vertu fait des lois contraires à celles de la nature, et s'ils sont contraints d'user des choses les plus nécessaires, ils n'en usent jamais autant que la nécessité le demande. Lorsqu'ils sont obligés de changer de manière de vivre, ce changement ne leur fait aucune peine. La grâce réunit en leurs personnes les choses les plus contraires, et même la vie et la mort, qui partout ailleurs sont 388 incompatibles. S'il leur survient quelque faiblesse, ils paraissent morts. Mais dès que le temps de la prière arrive, ils trouvent de la santé, des forces, et de la vigueur, même dans l'âge le plus avancé. Bien qu'ils semblent détachés de leurs corps, ils ne se laissent pas de converser avec les hommes, et de soulager même les malades par des remèdes ; d'offrir à Dieu les prières et les vœux des Fidèles, et de s'acquitter de tous les devoirs de la vie civile, à, la réserve qu'ils n'ont aucun besoin des choses les plus nécessaires. Ils se trouvent partout, ils écoutent, et assistent tout le monde. Ils sont tantôt de. fréquentes génuflexions, et tantôt se tiennent longtemps debout, sans changer de place, et la vigueur de leur zèle soutient la faiblesse de leur âge dans un si laborieux exercice; Ce sont des Athlètes, qui n'ont point de corps, et qui entrent dans la lice, pour combattre sans avoir de sang à répandre. Le jeûne fait leurs plus délicieux repas, et ils se nourrissent de l'abstinence. Lorsque quelque étranger les visite, ils le reçoivent très civilement, ils. observent alors un genre de jeûne fort particulier, qui est de manger avec lui dès le matin, bien qu'ils n'aient aucune envie de manger. On s'étonne que manquant presque de tout, ils se contentent presque de rien ; qu'étant ennemis de leur propre volonté, ils aient une si grande complaisance pour les autres, que ne donnant rien au plaisir, ils donnent beaucoup à l'infirmité, ou à la nécessité de leurs frères. Ils sont heureux dès cette vie. Mais ils sont encore plus heureux, quand ils la quittent pour aller jouir de celle après laquelle ils soupirent.
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CHAPITRE XXII.
Ouvrages publics faits par l'Impératrice Eudocie. Sa mort. Mort de Théodose.
L'Impératrice Eudocie conféra avec plusieurs de ces Solitaires et leur fonda des Monastères. Elle fit réparer les murailles de la ville de Jérusalem, et élever une Église à une stade de la ville, en l'honneur de saint Étienne, l'un des sept premiers Diacres, et le premier des Martyrs. Cette Église fût le lieu de sa sépulture. L'Empereur Théodose étant mort un peu après, ou comme quelques-uns soutiennent, un peu avant elle et ayant quitté l'Empire de la terre, qu'il avait gouverné durant trente-huit ans, à la gloire de Dieu pour aller jouir d'un autre Empire, qui est éternel, Marcien lui succéda. J'espère avec la grâce de Dieu raconter dans le second livre de cette Histoire ce qu'il fit de considérable dans l'étendue de l'Orient.