1. J’entends dire que Léontius, l’évêque actuel d’Antioche, Narcisse de Néroniade, Georges de Laodicée et les ariens de leur secte, répandent mille bruits injurieux sur moi et m’accusent de lâcheté, parce que, lorsqu’ils me cherchaient pour me faire périr, je ne me suis pas offert à leurs coups.

A leurs injures et à leurs calomnies, je pourrais répondre par des faits qu’ils ne sauraient nier et que condamnent tous ceux qui les ont entendu articuler contre eux; mais je ne me laisserai pas entraîner à leur dire autre chose que cette parole du Seigneur: Le mensonge vient du diable, et ce mot de l’Apôtre: Les insulteurs n’hériteront point du royaume de Dieu. Il suffit de montrer par là qu’ils ne règlent sur l’Evangile ni leurs pensées ni leurs actes, et n’estiment beau que ce qu’ils veulent, au gré de leurs passions.

2. Mais, puisqu’ils se donnent les airs de m’accuser de lâcheté, il me faut écrire quelques mots qui montreront la perversité de leur caractère, leur ignorance de la sainte Ecriture, ou, s’ils la connaissent, leur incrédulité sur la divine inspiration de ses oracles. S’ils croyaient, ils n’oseraient pas contre elle et ne rivaliseraient pas de méchanceté avec les Juifs, meurtriers du Seigneur. C’est Dieu qui a donné ce précepte: Honore ton père et ta mère, et cet autre : Que celui qui parle mal de son père et de sa mère, périsse de mort. Mais eux, ils se font des lois en sens contraire, changent l’honneur en déshonneur et s’arrogent l’argent que les fils doivent à leurs parents; ils lisent les actions de David, et leurs soucis sont en contradiction avec elles; ils font un crime aux innocents de prendre et d’égrener des épis le jour du sabbat, et eux-mêmes ne se mettent en peine ni des lois ni du sabbat, comblant ainsi leurs iniquités. Dans la perversité de leur caractère, ils portent envie au salut des disciples et ne tendent qu’à faire prévaloir leur opinion personnelle. Aussi ont-ils reçu le prix de leur transgression, devenus profanes, et traités désormais de princes de Sodome et de peuple de Gomorrhe; et il ne me semble pas que moindre soit le châtiment qui leur est infligé, l’inconscience de leur propre déraison. Car ils ne comprennent pas ce qu’ils disent et pensent même savoir ce qu’ils ne savent pas. Ils n’ont qu’une science, celle de mal faire et d’imaginer chaque jour des méfaits pires que ceux de la veille.

S’ils attaquent ma fuite, ce n’est pas par vertu, dans le désir de me voir agir en homme de cœur. D’où viendrait un tel vœu à des ennemis pour des hommes qui ne courent pas avec eux la carrière du mauvais esprit? C’est par malice qu’ils bourdonnent partout de tels bruits, se figurant, dans leur bonhomie, que, par crainte de leurs injures, je vais me livrer entre leurs mains. Voilà ce qu’ils veulent; c’est pour cela qu’ils s’agitent, jouent la comédie de l’amitié et poursuivent en ennemis. Rassasiés de sang, ils veulent encore se délivrer d’un homme qui, éternel ennemi de leur impiété, affiche et confond leur hérésie.

3. Quel est celui qu’ils ont jamais poursuivi et pris, sans le traiter avec violence? Quel est celui qu’ils ont recherché et découvert sans le faire mourir misérablement ou vivre dans une complète affliction? Car telles sont leurs œuvres; les juges ne sont que les ministres de leur cruauté. Quel lieu ne garde le souvenir de leur méchanceté? qui, pour avoir pensé autrement qu’eux, ne les a vus comploter et imaginer des prétextes à la façon de Jézabel? quelle église aujourd’hui n’est pas en deuil, par suite de leurs trames contre les évêques? Antioche pleure Eustathe, le confesseur, l’orthodoxe; Balanée, l’admirable Euphration; Paltos et Antarados, Cymatius et Cartérius; Andrinople, Eutrope, l’ami du Christ, et son successeur Lucius, qui souvent porta leurs chaînes et y mourut; Ancyre, Marcellus; Béroée, Cyrus; Gaza, Asclépas. Ce n’est qu’après les avoir d’abord couverts d’outrages que ces trompeurs les firent bannir. Quant à Théodule et Olympius, évêques de Thrace, quant moi et à mes prêtres, ils ne nous firent rechercher que pour nous infliger la peine capitale; et telle eût peut-être été notre mort, si, alors aussi,[1] nous n’eussions pris la fuite contre leur espoir. Car ainsi l’ordonnaient les lettres adressées au proconsul Donat contre Olympius. et à Philagrius contre moi. Après avoir poursuivi et découvert Paul, évêque de Constantinople, ils le firent publiquement étrangler à Cucuse, en Cappadoce; ils avaient pris pour bourreau un ancien préfet, Philippe, le patron de leur hérésie et le ministre de leurs pervers desseins.

4. Sont-ils enfin rassasiés de tant de crimes, et vont-ils désormais se tenir en paix? nullement. Ils ne connaissent point de repos, mais, comme la sangsue du livre des Proverbes, ils rajeunissent pour le mal et prennent des forces contre les grandes églises. Qui pourrait fidèlement raconter ce qu’ils viennent de faire? quel récit peut donner une idée de leurs actes? Les églises étaient en paix et les peuples priaient dans les synaxes, quand tout à coup l’évêque de Rome, Libère, Paulin, de la métropole des Gaules, Denys, de celle de l’Italie,[2] Lucifer, de celle des îles de Sardaigne, Eusèbe, d’Italie, tous de vertueux évêques, des hérauts de la vérité, sont enlevés et bannis, sans autre motif que d’avoir refusé de se ranger avec eux à l’hérésie d’Arius et de souscrire à leurs inventions et à leurs calomnies contre moi.

5. Il est superflu de parler du grand et heureux vieillard, du confesseur si justement nommé Hosius;[3] car peut-être est-il connu de tous qu’ils l’ont fait bannir. Ce vieillard n’était pas un inconnu, mais le plus illustre des évêques, plus illustre à lui seul que tous les autres. Quel synode ne présida-t-il pas[4]? La droiture de sa parole ne persuadait-elle pas tous les esprits? quelle église ne garde les plus beaux souvenirs de son intercession[5]? qui jamais, dans le chagrin, vint à lui, sans revenir consolé? qui, dans le besoin, lui fit une demande, sans obtenir ce qu’il voulait? Un tel homme ne put échapper à leur audace, parce que, sachant de quelles calomnies ils sont capables par leur impiété, il n’avait point souscrit à leurs complots contre moi. Si plus tard, par suite des coups qui lui furent portés hors de toute mesure et des trames ourdies contre ses proches, vieux et faible de corps, il leur céda un instant, il n’est pas moins une preuve de la méchanceté de ces hommes dont le souci est de montrer partout qu’ils ne sont pas de vrais chrétiens.

6. Une seconde fois ils envahirent Alexandrie, me cherchant pour me tuer, et ce fut une guerre plus cruelle que la première. Tout à coup des soldats cernèrent l’église, et, au lieu des prières, on entendait le bruit des armes. Puis, pendant le carême, arrive leur émissaire, Georges de Cappadoce, qui, instruit par de tels maîtres, ajoute à tant de maux. Après la semaine de Pâques, des vierges étaient jetées en prison, des évêques emmenés dans les chaînes par des soldats; on pillait les demeures et le pain des veuves et des orphelins; on faisait des descentes dans les maisons, on transportait la nuit les chrétiens, on mettait les scellés, les frères des clercs étaient en danger pour leurs frères. Suivirent de plus affreuses audaces. La semaine de la sainte Pentecôte, le peuple, après avoir jeûné, s’était rendu au cimetière pour prier; tous avaient horreur de la communion de Georges. A cette nouvelle, ce profond scélérat excite le chef militaire Sébastien, un manichéen et celui-ci, avec une troupe de soldats portant des armes, des épées nues, des arcs et des traits, se précipite en plein dimanche sur les peuples. Il ne trouve plus que quelques fidèles en prière: car la plupart s’étaient retirés à cause de l’heure; et alors furent commis les crimes qu’on devait attendre d’un agent des ariens. Il allume un bûcher, place des vierges près du feu et les force de dire qu’elles ont la foi d’Arius; les voyant victorieuses, sans souci des flammes, il les fait dépouiller et battre au visage, au point de les rendre méconnaissables.

7. Il prend quarante hommes et les bat avec une cruauté inouïe. Coupant des branches de palmier armées de leurs épines, il leur en déchire le dos; quelques-uns furent obligés de se faire opérer pour enlever les épines; d’autres ne supportèrent pas ces blessures et moururent. Tout ce qui fut pris fut, avec les vierges, relégué dans la grande oasis. Dans le principe, ils ne firent point rendre les corps des morts à leurs parents, mais les cachèrent et les jetèrent sans sépulture, dans l’espoir de dérober aux regards une telle cruauté. Ils agissent ainsi dans l’égarement de leur pensée, les insensés! Car les parents des morts, heureux de leur confession, mais pleurant sur leurs corps, rendaient plus éclatante la preuve de leur impiété et de leur cruauté. Aussitôt en effet, ils bannirent d’Egypte et de Libye les évêques Ammonius, Muius, Gaius, Philon, Hermès, Plenius, Psénosiris, Nilammon, Agathus, Anagamphus, Marc, un autre Ammonius et un autre Marc, Dracontius, Adelphius, Athénodore, les prêtres Hiéracas et Dioscorus; et ils les chassèrent si cruellement que quelques-uns moururent n chemin et d’autres dans le lieu de leur exil. Ils firent fuir plus de trente évêques; car ils n’avaient qu’un souci, celui d’Achab, faire, s’il était possible, disparaître la vérité. Voilà les audaces de ces impies,

8. Non contents de ces actes, et sans rougir de tous les maux qu’ils avaient précédemment remués contre moi, ils viennent aujourd’hui m’accuser d’avoir échappé à leurs mains homicides; ou plutôt, pleurant amèrement de ne s’être pas à jamais délivrés de moi, ils font semblant de m’accuser de lâcheté, sans s’apercevoir que ces murmures font retomber le blâme sur eux. Car, s’il est mal de fuir, il est beaucoup plus mal de persécuter: l’un se cache pour ne point périr; l’autre poursuit pour tuer. L’Ecriture autorise la fuite; mais celui qui cherche pour tuer, transgresse la loi et provoque à fuir. S’ils veulent me reprocher d’avoir fui, qu’ils commencent par rougir d’avoir persécuté; qu’ils cessent de tendre des embûches, et aussitôt s’arrêteront les fugitifs. Mais ils e renoncent pas à leur méchanceté et font tout pour me prendre, ignorant que la fuite des persécutés est une grande preuve contre les persécuteurs. On ne fuit pas l’homme doux et humain, mais celui qui est de nature farouche et méchante. Ainsi quiconque était dans l’angoisse et sous le coup des dettes fuyait loin de Saül et cherchait un refuge auprès de David. Si ces malheureux brûlent de tuer ceux qui se cachent, c’est dans l’espérance de ne point laisser trace de leur méchanceté; mais ici encore ils semblent aveuglés, eux qui sont toujours dans l’erreur. Plus la fuite est visible, plus aussi paraissent au grand jour tant de complots meurtriers et tant d’exils. S’ils tuent, la mort crie à haute voix contre eux s’ils bannissent, de tous côtés s’élèvent contre eux des monuments de leur iniquité.

9. S’ils avaient conservé le sens, ils verraient qu’ils s’enveloppent eux-mêmes et se heurtent contre leurs propres calculs; mais, du moment qu’ils ont perdu l’esprit, ils sont emportés dans leur poursuite et, dans leur soif de meurtre, ne voient pas leur impiété. Peut-être même (car, que n’osent-ils pas?) s’en prennent-ils à la Providence de ce qu’elle ne leur livre pas leurs victimes; et pourtant il est clair par la parole du Sauveur qu’un simple passereau rie peut tomber dans un piège sans la volonté de notre Père qui est dans les cieux. Ces furieux ont-ils pris quelqu’un ils oublient les autres et surtout s’oublient eux-mêmes. Dans leur arrogance, ils froncent fièrement le sourcil, sans égard au temps et sans respect de la nature, dans leur injustice envers des hommes; comme le tyran de Babylone, ils s’acharnent avec plus de fureur et n’ont compassion de personne, aggravant le joug du vieillard,[6] et ajoutant à la douleur des blessures, les impitoyables ! Si tels n’étaient point leurs actes; s’ils n’avaient pas exilé ceux qui combattaient leurs calomnies contre moi, peut-être se seraient-ils fait croire de quelques-uns; mais quand on les voit comploter contre tant et de tels évêques, n’épargner ni Hosius le grand, le confesseur, ni l’évêque de Rome, ni tant d’autres des Espagnes, des Gaules, d’Egypte, de Libye et du reste de l’empire, faire tant de mal à ceux qui les avaient simplement réfutés à mon sujet, comment n’auraient-ils pas d’abord comploté contre moi? et ont-ils un plus ardent désir que de me faire cruellement périr à mon tour? C’est le but de leurs veilles, et ils s’estiment lésés, s’ils voient sauvés ceux qu’ils ne voudraient pas voir vivre.

10. Qui ne comprend leur scélératesse? Pour qui n’est-il pas évident qu’ils ne m’adressent pas ce reproche de lâcheté par vertu, mais qu’altérés de sang ils se servent de ces artifices comme de filets pour prendre ceux qu’ils veulent mettre à mort? Tels les montrent leurs actes, telle ils prouvent qu’est leur nature, plus farouche que celle des bêtes féroces, plus cruelle que celle des Babyloniens.

Ce qui précède suffirait pour les convaincre; néanmoins, comme à l’exemple de leur père, le grand calomniateur, ils simulent la bonté avec leurs tendres propos sur ma lâcheté, plus lâches eux-mêmes que les lièvres, examinons ce que, dans de telles circonstances, disent les divines Ecritures. On verra qu’ils ne sont pas moins acharnés à les combattre et à calomnier les vertus des saints. S’ils insultent ceux qui se dérobent aux coups des assassins, s’ils calomnient ceux qui fuient devant la persécution, que feront-ils à la vue de Jacob fuyant devant son frère Esaü, de Moïse se retirant dans la terre de Madian par peur de Pharaon? Futiles discoureurs, comment justifieront-ils David, lorsqu’il se sauve de sa maison devant les sicaires de Saül, se cache dans une caverne et change son visage, jusqu’à ce qu’il ait échappé à Abimélech et à ses embûches? Que diront-ils, ces habiles parleurs, quand le grand Elle, qui voyait Dieu répondre à son appel et ressuscitait les morts, se dérobe à la fureur d’Achab et fuit devant les menaces de Jézabel? Car, alors aussi, recherchés par les persécuteurs, les fils des prophètes se cachaient dans le secret des cavernes avec le secours d’Abdias.[7]

11. Peut-être n’ont-ils pas lu ces histoires comme trop anciennes; mais ont-ils le moindre souvenir de l’Evangile? Les disciples se cachèrent par peur des Juifs, et Paul, à Damas, recherché par le préfet,[8] se fit descendre du haut du rempart dans une corbeille pour échapper aux mains de son persécuteur. Quand l’Ecriture rapporte de tels exemples des saints, quel prétexte trouveront-ils pour justifier leur témérité? Leur adresseront-ils le reproche de lâcheté? c’est une audace de furieux. Les accuseront-ils d’avoir agi contre la volonté de Dieu? c’est une complète ignorance de l’Ecriture. Un commandement de la Loi veut qu’on établisse des villes de refuge où puissent trouver leur salut ceux qu’on poursuit pour les mettre à mort. Lorsque, dans l’accomplissement des siècles, le Verbe du Père, qui avait parlé à Moïse, vient en personne, il donne ce précepte Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Quand, ajoute-il un peu plus loin, vous verrez que l’abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel sera dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. Alors, que ceux qui seront dans la Judée fuient sur les montagnes; que celui qui sera sur le toit, ne descende pas pour emporter quelque chose de la maison; que celui qui sera dans le champ, ne retourne point pour prendre ses vêtements. C’est la connaissance de ces paroles qui inspirait la conduite des saints[9] car ce que vient de prescrire le Seigneur, il l’avait déjà fait entendre par la bouche des saints, avant sa descente dans la chair; et la règle qui conduit les hommes à la perfection, est d’accomplir les commandements de Dieu.

12. Aussi le Verbe lui-même, quand il se fut fait homme pour nous, recherché, a voulu, comme nous, se cacher; poursuivi, il a fui et s’est soustrait aux embûches. Il fallait qu’en se cachant et en fuyant, tout aussi bien qu’en souffrant la faim, la soif et la douleur, il montrât qu’il portait notre chair et s’était fait homme. A peine s’est-il fait homme, encore enfant, il donne lui-même par son ange cet ordre à Joseph: Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte; car Hérode va chercher la vie de l’enfant. Après la mort d’Hérode, on le voit encore, pour échapper à son fils Archélaüs, se retirer à Nazareth. Dans la suite, lorsqu’il se montrait Dieu et guérissait la main desséchée, les Pharisiens étant sortis et prenant conseil pour le faire périr, Jésus qui connaissait leur dessein, se retira de ces lieux. Lazare est ressuscité d’entre les morts. Dès ce jour, dit l’Evangile, ils délibérèrent comment ils le feraient mourir. Aussi Jésus ne se montrait plus ouvertement parmi les Juifs et se retira dans uns contrée qui est près du désert. Avant qu’Abraham fut, dit le Sauveur, je suis. Les Juifs alors prirent des pierres pour les luι jeter; mais Jésus se cacha et sortit du temple. Ailleurs, passant au milieu d’eux, il se retire, et ainsi se dérobe.

13. Quand ils voient de telles choses, ou plutôt les entendent, puisqu’ils ne voient point, ne désirent-ils pas, selon ce qui est écrit, devenir la proie du feu, eux qui, dans leurs projets et leurs discours, sont en opposition avec les actes et les enseignements du Seigneur? En effet, lorsque Jean eut subi le martyre et que ses disciples l’eurent enseveli, Jésus partit de ce lieu dans une barque et se retira à l’écart dans un lieu désert. Tels étaient les actes, tels étaient les enseignements du Seigneur. Si du moins ces malheureux pouvaient éprouver de la confusion, réserver leur témérité pour les hommes et, dans leur démence, ne plus accuser le Sauveur de lâcheté, puisqu’ils en sont venus à blasphémer contre lui! Mais personne ne supportera ces insensés; ou plutôt ils seront convaincus de ne pas comprendre les Evangiles. De telles retraites, de telles fuites avaient leur raison, aussi légitime que réelle. Les évangélistes nous apprennent qu’elle était dans la pensée du Sauveur, et il nous faut l’appliquer à tous les saints. Il convient, en effet, de rapporter à tout le genre humain ce que l’Ecriture dit de l’homme dans le Sauveur, puisqu’il a porté notre corps et revêtu notre faiblesse. Cette raison, la voici décrite par Jean : Ils le cherchaient pour le saisir; mais personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue. Avant la venue de cette heure, il disait lui-même à sa mère Mon heure ne vient pas encore, et à ceux qu’on appelait ses frères : Mon temps n’est pas encore arrivé. Puis, ce temps arrivé, il dit à ses disciples: Dormez maintenant, et vous reposez: Voici que l’heure est proche, et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs.

14. Comme Dieu et Verbe du Père, il n’avait point de temps ; car il est le créateur des temps; mais, devenu homme, il montre par ce langage qu’il est pour chacun des hommes un temps déterminé, non le temps du destin, comme le veulent les fables des hellènes, mais celui dont il est lui-même le créateur et qu’il a fixé à chacun, d’après la volonté de son Père. C’est ce qui est écrit et évident pour tous. Comment finira la vie? et quelle en sera la mesure pour chacun? C’est un mystère qui échappe à tous les hommes; néanmoins, de même que le printemps, l’été, l’automne et l’hiver ont leur temps, chacun sait que, selon l’Ecriture, il est un temps déterminé pour la vie et la mort. Pour la génération contemporaine de Noé, le temps fut abrégé et les années resserrées, comme si l’heure était venue pour tous ; Ezéchias, au contraire, se vit ajouter quinze années. Dieu fait à ses pieux adorateurs la promesse de remplir le nombre de leurs jours ; et c’est plein de jours que meurt Abraham. Ne me rappelle pas, s’écrie David, au milieu de mes jours. Tu viendras, dit Eliphaz, un ami de Job, pénétré de cette vérité, tu viendras dans le sépulcre, comme le blé mûr, moissonné en sa saison, comme le tas de froment qu’à son heure on emporte de l’aire. Salomon marque cette parole de son sceau Les âmes des méchants, dit-il, sont enlevées avant l’heure. Aussi donne-t-il ce conseil dans l’Ecclésiaste:

Ne va pas trop loin dans l’impiété, et ne sois pas dur, pour que tu ne meures pas dans un temps qui ne serait pas le tien.

15. D’accord avec l’Ecriture, la raison nous montre chez les saints la conviction que chacun a son temps mesuré; mais personne n’en connaît le terme. David en est la preuve: Fais-moi connaître, dit-il, le petit nombre de mes jours. Il demandait à connaître ce qu’il ne savait pas. Voilà pourquoi le mauvais riche, qui pensait vivre longtemps encore, s’entend dire: Insensé? cette nuit même on vient chercher ton âme. Pour qui sera ce que tu as amassé ? Voilà pourquoi l’Ecclésiaste, enhardi par l’Esprit saint, prononce cet oracle: L’homme ne sait pas quel est son temps. Voilà pourquoi encore le patriarche Jacob dit à son fils Esaü : Voici que j’ai vieilli, et je ne connais pas le jour de ma mort. Le Seigneur, comme Dieu et Raison du Père, sait le temps qu’il a mesuré lui-même à tous les hommes; il connaît la durée qu’il a fixée à chaque corps pour la souffrance. Quand pour nous il se fut fait homme, lui aussi, comme nous, dans les jours qui précédèrent la venue de son temps, se cachait, s’il était recherché; fuyait, s’il était poursuivi ; évitait les embûches et s’échappait à travers ses ennemis. Puis, quand il a fait venir le temps fixé par lui-même, où il voulait souffrir corporellement pour tous les hommes, il s’adresse à son père: Mon Père, dit-il, l’heure est venue: glorifie ton Fils. De ce moment, il ne se dérobe plus à ceux qui le cherchent, mais se tient au milieu d’eux, dans la volonté d’être pris. Qui cherchez-vous? dit-il à ceux qui viennent à lui; et, comme ils répondent: Jésus de Nazareth, il leur dit Je suis celui que vous cherchez. Ce qu’il fit, non une fois, mais deux fois, et c’est ainsi qu’ils l’emmenèrent à Pilate. Avant que son heure ne soit venue, il ne se laisse point prendre; mais, une fois qu’elle est arrivée, il ne se cache plus et se livre entre les mains de ceux qui complotent contre lui, pour apprendre à tous les hommes que la vie et la mort dépendent de la décision d’en haut, que, sans la volonté de notre Père qui est dans les cieux, pas un cheveu de l’homme ne devient noir ou blanc, pas un passereau ne tombe dans le piège.

16. C’est ainsi que le Seigneur s’est offert pour tous; quant aux saints, qui avaient appris de lui la règle de leur conduite, qui tous, auparavant et toujours, furent ses disciples, ils s’échappaient, dans leurs luttes contre les persécuteurs, par des fuites légitimes; poursuivis. ils s cachaient. Hommes, ils ignoraient le terme du temps qui leur avait été assigné par la Providence et ne voulaient pas se livrer témérairement à ceux qui leur dressaient des embûches. Persuadés que, suivant le langage de l’Ecriture, les destinées des hommes sont dans les mains de Dieu, que c’st le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre , ils supportaient avec plus de courage, comme dit l’Apôtre, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, manquant de tout, maltraités, errant dans les solitudes, cachés dans les cavernes et les profondeurs de la terre, jusqu’à ce que vint le temps marqué pour leur mort, ou que Dieu, qui a fixé ce temps, leur parlât et apaisât leurs ennemis, ou, selon qu’il lui semble être mieux, livrât les persécutés aux persécuteurs. Telle est la belle leçon que tous nous donnent depuis David: J’atteste le Dieu vivant, dit-il à Joab qui l’excitait contre Saül, si le Seigneur ne le frappe, soit que le jour de sa mort soit venu, soit qu’il descende au combat et succombe en face de ses ennemis, je ne porterai pas la main sur l’oint du Seigneur.

17. Si parfois, dans leur fuite, ils revenaient vers ceux qui les cherchaient, ils ne le faisaient pas témérairement; c’était sous l’inspiration de l’Esprit qu’ils venaient s’offrir à leurs ennemis, ces hommes religieux ! et ainsi montraient-ils leur obéissance et leur empressement. Tels furent Elie qui, fidèle à la voix de l’Esprit, se présenta devant Achab, Michée qui aborda le même tyran, le prophète qui apostropha l’autel de Samarie et confondit Jéroboam, Paul qui fit appel à César. Certes, ils ne fuyaient pas par peur, loin de moi cette pensée! leur fuite était plutôt un combat et une méditation sur la mort. Mais il était deux choses qu’ils observaient avec une admirable sagesse: ils ne se livraient pas inconsidérément; c’eût été se tuer soi-même, devenir responsable de sa mort et agir contre la volonté du Seigneur: Que l’homme, dit-il, ne sépare pas ce que Dieu a uni. Ils ne voulaient pas davantage encourir le reproche de pusillanimité et de faiblesse à la vue des afflictions de la fuite et de souffrances plus douloureuses et plus terribles que celles de la mort. Mourir, c’est se reposer de la peine; mais le fugitif, dans la perpétuelle attente de l’incursion des ennemis, trouve la mort plus légère qu’une telle vie. Aussi ceux qui périssent dans la fuite ne meurent-ils pas sans renom et jouissent-ils eux aussi de la gloire du martyre. Job est grand dans son courage, pour avoir, on vivant, supporté tant et de telles souffrances dont, s’il fût mort, il n’eût pas eu le moindre sentiment. Tel fut le principe de la conduite des bienheureux Pères : poursuivis, loin de s’effrayer, ils montraient leur intrépidité d’âme, s’enfermant dans d’étroits et obscurs refuges et s’y traitant avec dureté. L’heure de la mort arrivait-elle : ils ne songeaient pas à s’y soustraire. Ils n’avaient d’autre souci que de ne point trembler devant elle, de ne pas prévenir la décision arrêtée par la Providence, et de ne point aller contre l’économie pour laquelle ils se sentaient réservés; ils ne voulaient pas, par une précipitation téméraire, se jeter eux-mêmes dans l’affolement : car, dit l’Ecriture, L’homme prompt des lèvres, s’épouvantera lui-même

18. Ils étaient si bien préparés à la vertu du courage, qu’il n’est personne, quel qu’il soit, qui ait le droit de la mettre en doute. Le patriarche Jacob avait fui devant Esaü ; en présence de la mort, il ne trembla point et, alors même, bénit, chacun selon son mérite, les douze patriarches. Le grand Moïse s’était caché par crainte de Pharaon et enfui dans la terre de Madian; mais quand il s’entend dire: Va en Egypte, il n’a plus d’effroi; quand il reçoit l’ordre de monter sur le mont Abaris pour y mourir, il se soumet sans trembler et part avec allégresse. David qui fuit devant Saül, ne tremblait pas quand il combattait aux premiers rangs pour les peuples; il s’entendait donner le choix entre la mort et la fuite; mais, quand il pouvait se sauver et vivre, il préférait la mort, le sage héros ! Le grand Elie s’était caché devant Jézabel; il s’entendit sans effroi ordonner par l’Esprit d’aller trouver Achab et d’accuser Ochosias. Pierre se dérobe par peur des Juifs; Paul se fait descendre dans une corbeille et fuit; mais ils s’entendent dire : Il vous faut aller à Rome subir le martyre; ils ne remettent point leur voyage et partent joyeux. L’un, comme s’il s’empressait vers les siens, se réjouit d’être égorgé; l’autre, loin de frémir, quand est venue son heure, se glorifie en disant Je suis désormais la victime prête pour le sacrifice, et voici qu’arrive l’heure de ma délivrance.

19. Cette conduite montre que, s’ils avaient fui d’abord, ce n’était point par lâcheté; elle témoigne que leurs derniers actes n’étaient pas d’âmes vulgaires; elle proclame la force de leur courage. Ils ne se retiraient pas par indolence, et, même alors, ils s’exerçaient avec une plus énergique tension. Ils ne se voyaient ni reprocher leur fuite, ni accuser de lâcheté par des hommes tels que ces chercheurs de griefs; mais plutôt ils étaient proclamés heureux par le Seigneur: Heureux, leur disait-il, ceux qui souffrent persécution pour la justice. Un tel travail n’était pas sans fruit pour eux; éprouvés comme l’or dans le creuset, selon l’expression de la Sagesse, Dieu les trouvait dignes de lui; et alors, comme des étincelles, ils brillaient d’un plus vif éclat, sauvés des persécuteurs, délivrés des embûches et conservés pour l’enseignement des peuples. En fuyant, en échappant à la fureur de ceux qui les recherchaient, ils étaient entrés dans l’économie du Seigneur, plus chers à Dieu et honorés du plus beau témoignage de vertu.

20. Dans sa fuite, le patriarche Jacob fut jugé digne de plusieurs visions divines; mieux encore, pendant qu’il se tenait en repos, il avait pour lui le Seigneur qui confondait Laban et contenait Esaü. Puis, il devint père de Juda, l’ancêtre du Sauveur selon la chair, et distribua les bénédictions aux patriarches. Moïse, l’ami de Dieu, eut une grande vision, lorsqu’il fuyait; sauvé des persécuteurs et envoyé comme prophète en Egypte, ministre de tant de miracles et de la loi, il fut dans le désert le chef d’un grand peuple. David enseignait, quand il souffrait persécution. Mon cœur a fait jaillir une bonne parole. Notre Dieu viendra au grand jour; il est notre Dieu, et ne se taira point. Il devenait plus fort, quand il disait Mon œil s’est abaissé sur mes ennemis ; ou bien : J’ai mis mon espérance en Dieu, je ne craindrai rien de l’homme. Quand il fuyait et se détournait du regard de Saül dans une caverne, il disait: Il a envoyé du ciel, et il m’a sauvé; il a livré à l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds. Dieu a envoyé sa miséricorde et sa vérité; et il a délivré mon âme du milieu des lionceaux.[10] Ainsi sauvé, lui aussi, par l’économie divine, il devint roi et reçut la promesse que de son sang naîtrait notre Seigneur. Le grand Eli invoquait Dieu, quand il se retirait sur le mont Carmel. A sa voix, disparurent d’un coup plus de quatre cents prophètes de Baal; on avait envoyé contre lui deux officiers avec cent soldats; pour les châtier, il n’eut qu’à dire Que le feu descende du ciel, et, vengé, consacra son successeur Elisée et fut pour les fils des prophètes un modèle de vertu. Quelles persécutions j’ai supportées écrivait le bienheureux Paul. Le Seigneur m’en a délivré, et m’en délivrera encore. Il se fortifiait en disant : Nous triomphons dans tous ces maux; car rien ne nous séparera de l’amour du Christ. C’est alors qu’enlevé au troisième ciel et transporté dans le paradis, il entendit ces paroles ineffables qu’il n’est point permis à l’homme de prononcer. Il avait été sauvé pour tout remplir de la bonne nouvelle, de Jérusalem à l’Illyrie.

21. Non, elle n’est ni répréhensible, ni inutile la fuite des saints. S’ils n’eussent échappé aux persécuteurs, comment le Seigneur serait-il né de la race de David? qui eût prêché la parole de vérité? Et même, si les persécuteurs recherchaient les saints, c’était pour que personne ne l’enseignât, comme les Juifs le déclarèrent aux Apôtres, qui néanmoins supportèrent tout pour la prédication de l’Evangile. Aussi voilà qu’en combattant, ils savent rendre efficace le temps de leur fuite, et que, persécutés, ils n’oublient pas l’utilité des autres. Ministres de la bonne parole, ce n’est pas à regret qu’ils la communiquent à tous; ils préviennent des embûches des méchants et, parleurs exhortations, fortifient les fidèles. Ainsi les prévenait le bienheureux Paul, instruit par l’expérience: Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, seront persécutés. Et tout de suite il excitait les fugitifs au combat : Courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte. Sans doute il n’est point de trêve dans les afflictions; mais l’affliction produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance. Or cette espérance ne confond pas. Le prophète Isaïe, dans l’attente de semblables circonstances, donne ces avertissements à haute voix : Va, mon peuple, entre dans le secret de tes demeures, ferme les portes, et attends un instant, jusqu’à ce que soit passée la colère. L’Ecclésiaste, à la vue des embûches dressées contre les adorateurs de Dieu, disait aussi : Si tu vois le pauvre calomnié, les jugements et la justice en proie, ne t’étonne pas: il y a au-dessus du puissant un plus puissant qui l’observe, et au-dessus de plus puissants encore et le maître souverain de la terre. Il avait eu pour père David qui, instruit lui-même par l’expérience des persécutions, savait donner de la force à ceux qui souffraient : Soyez des hommes, et ayez le cœur fort, vous tous qui espérez dans le Seigneur. Ceux qui supportent ainsi, ce n’est pas un homme, c’est le Seigneur lui-même qui leur viendra en aide et les sauvera, parce qu’ils ont espéré en lui. Moi aussi, en effet, en attendant, j’ai attendu le Seigneur et il a jeté un regard sur moi; il a exaucé na prière et il m’a tiré de la profondeur du lac et de la fange du bourbier. Elle n’est donc pas inutile pour les peuples, elle n’est pas infructueuse la fuite des saints, quoi qu’il en semble aux ariens.

 22. Ces saints fugitifs, par un profond dessein de la Providence, étaient comme des médecins conservés pour la guérison.des malades. Telle est la loi pour tous les hommes: fuir qui nous poursuit; se dérober à qui nous recherche; ne point tenter le Seigneur par précipitation; attendre, comme je l’ai dit plus haut, le moment fixé pour notre mort ou la décision du juge, selon qu’il lui paraîtra convenable; et cependant se tenir prêt, le moment venu, à combattre pour la vérité jusqu’à la mort. Telle fut la conduite même des bienheureux martyrs dans les persécutions. Poursuivis, ils fuyaient; cachés, ils étaient forts; découverts, ils souffraient le martyre. Si quelques-uns s’offraient d’eux-mêmes aux persécuteurs, ils ne le faisaient pas témérairement. A tous les yeux, cette ardeur, cet élan était une visible inspiration de l’Esprit saint.

23. Tels sont les préceptes du Sauveur; tels, les exemples des saints. Maintenant que ces hommes qu’on ne pourrait jamais, quoi que l’on dise, traiter comme ils le méritent, nous fassent savoir de qui ils ont appris à persécuter. Des saints? ils ne le sauraient prétendre. Il ne reste que le diable qui a dit: Je persécuterai et je prendrai. Le Seigneur a fait un commandement de fuir, et les saints ont fui; la persécution est une entreprise du diable, qui demande à l’exercer contre tous. Qu’ils répondent: vaut-il mieux obéir aux paroles du Seigneur ou à leurs fables? de qui faut-il imiter les actions? des saints, ou de ceux qu’ils imagineront eux-mêmes? Mais, puisqu’ils sont peut-être incapables de faire cette distinction, aveuglés, comme dit Isaïe, dans leur pensée et leur conscience, et prenant l’amer pour le doux, les ténèbres pour la lumière, un de nos chrétiens, passant avec mépris devant eux, les confondrait en criant à haute voix : Il vaut mieux obéir au Seigneur que de s’attacher à tout ce radotage: car les paroles du Seigneur donnent la vie éternelle, et les propos de ces hommes sont pleins de méchanceté et de sang.

24. C’en est assez pour abattre la démence de ces impies et montrer qu’ils n’ont d’ardeur que pour faire assaut d’injures et de blasphèmes; mais, puisqu’après avoir une fois osé déclarer la guerre au Christ, ils se plaisent à se mêler de tout, qu’ils s’informent du caractère de ma retraite; qu’ils s’instruisent auprès de leurs propres sectateurs. Car les ariens étaient accourus avec les soldats pour les exciter et, s’ils ne me connaissaient pas, me désigner à leurs coups. S’ils sont sans commisération, qu’ils rougissent du moins à ce récit et se tiennent en repos.

Il était nuit, et il y avait du peuple qui veillait dans l’église, attendant la fête du lendemain. Le chef militaire Syrianus apparut tout à coup avec des soldats au nombre de plus de cinq mille, ayant des armes et des épées nues, des arcs, des flèches, des lances, comme il a été dit plus haut; il les range autour de l’église et les serre, afin qu’aucun de ceux qui sortiraient ne pût leur échapper. Moi qui ne croyais pas juste, dans un si grand désordre, d’abandonner le peuple, et qui préférais m’exposer le premier au péril, m’étant assis dans la chaire, j’ai ordonné au diacre de lire le psaume: La miséricorde du Seigneur est grande dans les siècles ; je dis au peuple de répondre, et de se retirer ensuite chacun dans sa maison; mais le chef s’étant élancé dans le temple, et les soldats assiégeant de toutes parts le sanctuaire pour me saisir, le peuple et les prêtres me pressent, me supplient, de prendre la fuite; je refuse de le faire avant que chacun d’eux soit on sûreté. M’étant donc levé, et ayant prié le Seigneur, je les conjurai de se retirer. « J’aime mieux, disais-je, être en péril, que de voir maltraiter quelqu’un de vous. » Plusieurs donc étant sortis et les autres se préparant à les suivre, quelques solitaires et quelques prêtres montèrent jusqu’à moi et m’entraînèrent; et ainsi, j’en atteste la suprême vérité, malgré tant de soldats qui assiégeaient le sanctuaire, malgré ceux qui entouraient l’église, je sortis sous la conduite du Seigneur et j’échappai sans être vu, glorifiant surtout le Seigneur de ce que je n’avais pas trahi mon peuple, et de ce que, l’ayant mis d’abord en sûreté, j’avais pu être sauvé moi-même et me dérober aux mains qui voulaient me saisir.

25. C’est ainsi que je fus miraculeusement sauvé par la Providence. Qui serait fondé à me faire un reproche de ne pas m’être livré entre les mains de ceux qui me cherchaient et de ne pas être revenu sur mes pas pour me présenter devant eux? C’eût été être ouvertement ingrat envers le Seigneur, résister à son commandement et contredire les actions des saints. Que mon accusateur ose aussi accuser le grand apôtre Pierre de ce que, quand il était enfermé et gardé par des soldats, il obéit à l’appel de l’ange, sortit de prison et, sauvé, ne revint pas se livrer, bien qu’il fût informé des faits et gestes d’Hérode; que l’arien furieux reproche à l’apôtre Paul de ne s’être point repenti d’avoir échappé en se faisant descendre du haut du rempart, et de n’être point retourné se rendre prisonnier; à Moïse, de n’avoir point renoncé à l’asile de la terre de Madian pour venir se faire prendre en Egypte; à David, caché dans une caverne, de ne s’être point offert aux yeux de Saül; aux fils des prophètes, d’être restés dans leur refuge, de ne s’être pas livrés à Achab, et de n’avoir pas agi contre le commandement de l’Ecriture: Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.

26. C’est ce respect, cette science, qui m’inspirèrent ma conduite, et je ne rejette pas la grâce et le secours dont m’a honoré le Seigneur, quand ces furieux grinceraient des dents contre moi. Tel fut le caractère de ma retraite, qui je pense, ne m’attirera pas un seul blâme des esprits sains; car enfin les saints m’avaient donné l’exemple, conformément à la divine Ecriture. Mais ces hommes, à ce qu’il paraît, veulent tout oser, tout tenter pour montrer leur méchanceté et leur cruauté. Leur vie est telle qu’on doit l’attendre de leurs sentiments et de leurs futiles propos; et personne ne pourrait dire contre eux tout ce qu’eux-mêmes ne rougissent pas de faire. Léontius, par exemple, accusé de vivre avec une jeune femme du nom d’Eustolium, se voit-il interdire de rester avec elle : il se mutile pour continuer tranquillement son commerce, et néanmoins ne se lave pas du soupçon. Prêtre, c’est surtout pour ce motif qu’il se voit déposer; et tel est l’homme que par violence Constance l’hérétique a fait nommer évêque! Narcisse, chargé de crimes, est déposé dans trois synodes, et aujourd’hui se distingue entre tous par sa perversité. Georges, dégradé de la prêtrise pour ses vices, s’est nommé lui-même évêque et n’en fut pas moins déposé au grand concile de Sardique. Le plus déplorable pour lui, c’est qu’on n’ignore pas les débordements de sa vie; on sait dans sa maison qu’il mesure aux plus honteuses satisfactions la fin de la vie et le bonheur de l’âme.

27. Ils se surpassent l’un l’autre par leurs crimes personnels; mais tous ont une commune souillure : ennemis du Christ, ils ne sont plus chrétiens, mais de vrais ariens. De là pour eux le besoin de ces accusations : elles sont, en effet, contraires à la foi du Christ. Mais ils se cachent entre eux, et [on ne doit point s’étonner qu’avec de tels sentiments et enlacés de tels vices, ils poursuivent ceux qui ne courent pas avec eux dans la plus impie des hérésies, se réjouissent de les faire disparaître, s’affligent de ne pas voir s’accomplir leurs vœux, et se croient lésés, lorsque, comme e le disais, ils voient en vie ceux qu’ils veulent voir morts. Qu’ils soient ainsi lésés ! qu’ils soient faibles dans leurs injustices ! et que ceux qu’ils persécutent puissent rendre grâce au Seigneur, en lui adressant ces paroles du vingt-sixième psaume: Le Seigneur est ma lumière et mon Sauveur: qui craindrai-je? Le Seigneur tend son bouclier sur ma vie: devant qui tremblerai-je? Pendant que les persécuteurs s’approchent de moi, pour dévorer mes chairs, ceux qui m’affligent, mes ennemis, se sont affaiblis et sont tombés. Qu’ils disent encore avec le trentième psaume: Tu as sauvé mon âme de ses extrémités, et tu ne m’as pas enfermé entre les mains des ennemis; tu as établi mes pieds dans un endroit spacieux. Dans le Christ Jésus notre Seigneur, par lequel gloire et puissance soient au Père dans le Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

 

[1] Il parle de sa première fuite lors de l’intronisation de Grégoire.

[2] Milan.

[3] Athanase avait dit de même, dans l’Apologie à Constance.

[4] Il avait présidé le concile de Nicée.

[5] Allusion à la mission qu’il avait remplie à Alexandrie, où Constantin l’avait envoyé comme médiateur entre Alexandre et Arius.

[6] Athanase donne à πρεσβυτέρου ses deux sens de vieillard et de prêtre. Les victimes des ariens étaient à la fois des vieillards et des prêtres.

[7] On sent ici une allusion à la retraite où se tenait caché Athanase et au dévoué fidèle qui veillait sur lui.

[8] Dans les Actes des Apôtres, ix, 24, ce sont les juifs eux-mêmes qui font la garde aux portes de Damas pour tuer Pan!. Recherché par le préfet est une addition d’Athanase et une allusion à sa propre situation.

[9] Il s’agit ici des saints de l’Ancien Testament aussi bien que de ceux du Nouveau, comme l’indique la phrase suivante.

[10] Toutes ces citations de l’Ecriture nous paraissent sans intérêt; mais il n’en était pas ainsi pour les lecteurs de l’archevêque d’Alexandrie. Si l’on songe qu’elles étaient toutes des allusions à la persécution qu’il subissait pour la foi, à son courage et à son assurance de la victoire définitive, on comprendra que ces passages et comme ces oracles du livre inspiré, ne produisaient peut-être pas moins d’effet sur ces âmes croyantes que le plus beau mouvement oratoire.