PREMIÈRE QUESTION. — L'âme existe-elle par elle même?

 

Tout ce qui est vrai est vrai par la vérité, et toute âme est âme par cela qu'elle est vraie âme. Donc c'est de la vérité que toute âme tient d'être véritablement âme. Autre chose est l'âme, autre chose la vérité. Car la vérité est absolument incompatible avec le faux, et l'âme est souvent trompée. Donc l'âme, existant par la vérité, n'existe point par elle-même. Mais la vérité c'est Dieu ; Dieu est donc l'auteur de l'âme.

II. — Du libre arbitre.

Tout ce qui se fait ne peut être égal à la cause qui le produit; autrement il faudrait supprimer la justice, qui doit attribuer à chacun ce qui lui appartient. Donc Dieu en créant l'homme, même dans un état excellent, ne l'a point fait ce qu'il était lui-même. Or l'homme qui est bon par volonté vaut mieux que celui qui l'est par nécessité. Conséquemment il a fallu donner à l'homme une volonté libre.

III. — Dieu est-il la cause du mal dans l'homme?

Jamais un homme ne devient mauvais par le fait d'un homme sage. Ce serait là une grande faute, et même si grande qu'aucun homme sage n'en est capable. Or Dieu l'emporte de beaucoup sur tout homme sage; il en est donc d'autant moins l'auteur du mal dans l'homme.Car la volonté de Dieu est beaucoup meilleure que celle de l'homme sage. Ici, en parlant de cause, nous entendons la volonté. C'est donc par un vice de volonté que l'homme devient mauvais, et si ce vice de volonté est à une distance infinie de Dieu, comme l'enseigne la raison, il faut donc chercher où il est.

IV. — Quelle est la cause du mal dans l'homme?

La cause du mal dans l'homme doit être en lui, ou dans quelque autre être, ou dans le néant. Si elle est dans le néant, elle n'existe pas. Si cependant par ce mot de néant on entend que l'homme a été fait du néant ou de choses tirées du néant, il faudra dire que la cause du mal est en lui, puisque le néant a formé, pour ainsi dire, la matière dont il est fait. Si elle est dans quelque autre être, est-ce en Dieu, ou dans un autre homme, ou dans un être qui ne soit ni Dieu ni homme?

Or ce n'est pas en Dieu: car il est l'auteur du bien. Si elle est dans un homme, elle agit par violence ou par persuasion. Par violence, on ne peut l'admettre: autrement elle serait plus puissante que Dieu. En effet Dieu a créé l'homme dans une condition si parfaite, que s'il voulait rester excellent, personne ne pourrait l'en empêcher. Mais si nous accordons que l'homme est perverti par la séduction d'un autre homme, il nous faudra chercher par qui cet autre homme a été perverti lui-même. En effet, celui qui conseille ainsi le mal ne peut pas n'être pas mauvais. Reste ensuite je ne sais quoi, qui ne serait ni Dieu ni homme; mais cet être, quel qu'il soit, a dû employer la violence ou la persuasion. Dans le premier cas, nous avons donné la réponse plus haut; dans.le second, quelle qu'ait pu être la séduction , comme la séduction n'impose pas la violence, faut imputer à la volonté de l'homme la cause de sa dépravation, soit qu'il ait agi par conseil, soit qu'il ait agi de lui-même.

V. — Un animal privé de raison peut-il être heureux?

Un animal privé de raison est privé de la faculté de connaître. Or aucun animal privé de la faculté de connaître ne saurait être heureux. Donc les animaux privés de raisonne peuvent être heureux.

VI. — Du mal.

Tout ce qui existe est corporel ou incorporel. Le corporel appartient à l'espèce sensible, l'incorporel à l'espèce intelligible. Donc tout ce qui existe appartient à une espèce. Or partout où il y a espèce, il y a mode d'être, et le mode d'être est quelque chose de bon en soi. Donc le mal souverain n'a pas de mode d'être : car il exclut tout bien. Il n'existe donc pas, puisqu'il n'appartient à aucune espèce; et ce nom de mal signifie absolument privation d'espèce.

VII. — Ce qu'on entend proprement par âme dans l'animal.

Quelquefois par âme on entend l'intelligence, et c'est en ce sens qu'on dit que l'homme est composé d'une âme et d'un corps; quelquefois on prend ce mot en dehors de cette signification. Mais, dans ce cas, on l'entend des opérations qui nous sont communes avec les (429) bêtes. Car les bêtes sont privées de la raison, qui est le caractère propre de l'intelligence.

VIII. — L'âme se meut-elle par elle-même?

Quiconque sent en lui une volonté, gent que son âme se meut par elle-même. En effet, quand nous voulons, ce n'est pas un autre qui veut pour nous. Et ce mouvement de l'âme est spontané, car c'est Dieu qui le lui a donné ; mais il n'est pas le passage d'un lieu à un autre, comme pour le corps. Le mouvement local appartient en effet au corps. Et quand, par la volonté, c'est-à-dire par un mouvement qui n'est pas local, l'âme meut cependant son corps localement, ce n'est point une preuve qu'elle subisse elle-même un mouvement local. Ainsi nous voyons un objet se mouvoir sur un gond à travers un grand espace, bien que le gond lui-même reste immobile.

IX. — La vérité peut-elle être perçue par les sens corporels?

Tout ce qui tombe sous le sens corporel et qu'on appelle sensible, éprouve un changement incessant (1). C'est ainsi que quand les cheveux de notre tête croissent, quand notre corps décline vers la vieillesse ou revêt les charmes de la jeunesse, le mouvement est continuel et ne subit aucune relâche. Or ce qui n'est pas permanent, ne peut être perçu : car il n'y a de perceptible que ce que la connaissance saisit. Mais, ce qui change continuellement ne saurait être saisi. Il ne faut donc point attendre de perception pure et vraie de la part des sens corporels. Qu'on ne nous dise pas qu'il y a des objets sensibles qui subsistent toujours de la même manière ; qu'on ne nous parle pas du soleil et des étoiles, sur lesquels il est difficile d'établir une certitude; au moins il n'est personne qui ne soit forcé de convenir qu'il n'est pas un objet sensible qui. n'ait une fausse ressemblance, telle que la différence ne puisse être saisie. Ainsi, pour ne pas citer d'autres exemples, nous éprouvons en imagination, dans le sommeil ou dans la folie, des sensations semblables à celles que nous recevons parle corps, bien que les objets ne soient pas présents aux sens; et dans ce cas, nous ne pouvons absolument pas discerner si ces sensations sont réelles ou imaginaires. Donc s'il y a de fausses images des choses sensibles, que les sens eux-mêmes ne peuvent discerner, et si d'autre part, on ne petit percevoir que ce qui est discerné du faux, il s'ensuit que le critérium de la vérité ne réside pas dans les sens. Voilà pourquoi on a de justes raisons de nous engager à `nous détourner de ce monde, qui est tout corporel et tout sensible, pour nous porter de toute l'ardeur de notre âme vers Dieu, c'est-à-dire vers la vérité, qui est saisie par l'intellect et le sens intérieur, dure toujours, conserve le même mode d'être et n'a point de fausse ressemblance dont elle ne puisse être discernée.

X. — Le corps vient-il de Dieu?

Tout bien vient de Dieu ; tout ce qui appartient à une espèce est bon, en tant qu'il est de l'espèce, et tout ce que l'espèce contient est de l'espèce. Or tout corps, pour être corps, est contenu dans quelque espèce. Donc tout corps vient de Dieu.

XI. — Pourquoi le Christ est-il né d'une femme?

Quand Dieu délivre, il ne délivre pas seulement une partie, mais tout ce qui peut être en péril. Donc la Sagesse et la Vertu de Dieu, que nous appelons son Fils unique, a indiqué, en se faisant homme qu'il venait délivrer l'homme. Or la délivrance de l'homme a dû se manifester dans les deux sexes. Donc, puisqu'il fallait revêtir le sexe masculin qui est le plus honorable, il fallait aussi que la délivrance du sexe féminin apparût par l'incarnation dans le sein d'une femme.

XII. — Opinion d'un sage (1).

Faites en sorte, ô malheureux mortels, dit-il, faites en sorte que le malin esprit ne souille point ce domicile, qu'il ne s'insinue point dans vos sens pour souiller la pureté de votre âme et obscurcir la lumière de votre esprit. Ce mal s'introduit par toutes les portes des sens: il s'applique aux figures; s'accommode aux couleurs; s'attache aux sens; se cache dans la colère, dans les artifices trompeurs du discours; se mêle aux odeurs; s'infuse dans les saveurs; à l'aide des troubles d'un mouvement impur, il obscurcit les sens par des affections ténébreuses, et remplit de certains brouillards tous les passages de l'intelligence, par où le rayon de l'âme a coutume de répandre là lumière de la raison. Et comme c'est un rayon de la lumière céleste et qu'il est le miroir de la présence divine — car en lui brille la divinité, en lui la volonté innocente, en lui le mérite de la bonne action Dieu qui est présent partout , l'est en même temps à chacun de nous, quand notre esprit pur et sans tache se croit en sa présence. Et de même que, quand l'œil est vicié, il ne croit point à la présence des objets qu'il ne peut voir car c'est en vain que l'image des choses se présente à un regard altéré ainsi la présence de Dieu, qui n'est absent nulle part, est inutile aux âmes souillées que leur aveuglement d'esprit empêche de le voir.

XIII. — Preuve que les hommes l'emportent sur les bêtes.

Entre beaucoup de preuves qui démontrent que la raison donne à l'homme la supériorité sur les bêtes, en voici une qui est évidente pour tout le monde: c'est que les animaux sauvages peuvent être domptés et apprivoisés par les hommes, et non les hommes par les bêtes sauvages.

XIV. — Le corps du Christ n'était point un fantôme.

Si le corps du Christ a été un fantôme, le Christ a trompé, et s'il a, trompé, il n'est point la vérité. Or le Christ est la vérité. Donc son corps ne fut pas un fantôme.

XV. — De l'intellect.

Tout ce qui se comprend soi-même, s'embrasse soi-même.0r ce qui s'embrasse soi-même, est limité pour soi. Mais l'intellect se comprend. Il est donc limité pour lui. De plus il ne veut pas être infini, quand même il le pourrait, parce que l'amour qu'il a pour lui-même le porte à vouloir se connaître.

XVI. — Du Fils de Dieu.

Dieu est la cause de tout ce qui existe. Or ce qui est use de toutes choses est aussi principe de sa Sagesse, et Dieu n'est jamais sans sa Sagesse. Donc il est la cause éternelle de sa Sagesse éternelle, et il ne lui est point antérieur. De plus s'il est de l’essence de Dieu d'être Père éternel, il a toujours été Père et n'a jamais été sans Fils.

XVII. — De la science de Dieu.

Tout ce qui est passé n'est plus fout ce qui est futur, n'est pas encore; donc ni le passé ni le futur n'existent. Or en Dieu tout existe; donc en lui n'y a ni passé ni futur, mais tout est présent.

XVIII. — De la Trinité.

On distingue dans tout être l'existence, l'espèce, l'accord des parties. Donc toute créature, si elle existe d'une manière quelconque, si elle est à une grande distance de ce qui n'est pas, si elle possède l'accord de ses parties, a nécessairement - une cause triple : celle qui la fait être, celle qui la fait être de telle façon, celle qui fait qu'elle s'aime. Or nous disons que Dieu est la cause, c'est-à-dire l'auteur de la créature. Il faut donc que la Trinité existe: la chose la plus excellente; la plus intelligente et la plus heureuse que la raison parfaite puisse imaginer. C'est pourquoi, lorsque l'on cherche la vérité, on ne peut poser plus de trois sortes de questions: si la chose est, si elle est ceci ou cela, s'il faut l'approuver ou la désapprouver.

XIX. — De Dieu et de la créature.

Ce qui est immuable est éternel; car il a toujours le même mode d'existence. Mais ce qui est changeant est soumis au temps, car il n'a point toujours le même mode d'existence; aussi a-t-on tort de l'appeler éternel; car ce qui change, n'est point, permanent, et ce qui n'est point permanent n'est point éternel. La différence entre l'immortel et l'éternel, c'est que tout ce qui est éternel est immortel, tandis que tout ce qui est immortel est inexactement appelé éternel : parce que, bien qu'une chose vive toujours, si elle est sujette à changement, on ne peut proprement la nommer éternelle, parce qu'elle n'a point toujours le même mode d'existence; quoiqu'on ait raison de l'appeler immortelle, puisqu'elle vit toujours. Cependant on donne quelquefois le nom d'éternel à ce qui est immortel. Mais ce qui est sujet à changement et n'a de vie que par la présence d'une âme, n'étant point lui-même une âme, ne peut en aucune façon être considéré comme immortel, et beaucoup moins comme éternel. Car dans l'éternel proprement dit, il n'y a rien de passé qui ne soit plus, rien de futur qui ne soit pas encore ; tout ce qui y est, y est simplement.

XX. — Du lieu que Dieu occupe.

Dieu n'est point en quelque lieu. Car ce qui est dans quelque lieu, est contenu par ce lieu, et ce qui est contenu dans un lieu, est corps. Or Dieu n'est point corps; il›'est donc point en quelque lieu. Et cependant, comme il est et, qu'il n'est point dans un lieu, tout est plutôt en lui qu'il n'est lui-même en quelque lieu. Néanmoins, si toutes choses sont en lui, il n'est pas pour cela un lieu car un lieu est le point de l'espace qu'un corps occupe en longueur, en largeur et en hauteur. Or en Dieu rien de tel. Donc tout est en lui et il n'est pas un lieu. On dit cependant, mais improprement, que le temple de Dieu est le lieu qu'il occupe, non qu'il y soit contenu, mais parce qu'il y est présent. Et par ce terme on entend surtout l'âme pure.

XXI. — Dieu n'est-il pas l'auteur du mal?

Le non-être ne peut en aucune façon appartenir à celui qui est l'auteur de tout ce qui existe, et dont la bonté consiste uniquement à donner l'être à tout ce qui est. Or tout ce qui est défectueux, s'éloigne de l'être et tend au non-être. Mais être et n'être point défectueux, voilà le bien; être en défaut, voilà le mal. Or celui à qui le non-être n'appartient pas, ne peut être cause (431) se d'aucun défaut, c'est-à-dire de la tendance au non-être ; puis qu'il est, pour ainsi dire, la cause de l'être. Il est donc seulement la cause du bien, et pour cela, il est le souverain bien. C'est pourquoi celui qui est l'auteur de tout ce qui est, n'est point l'auteur du mal ; car toutes choses sont bonnes, en tant qu'elles sont (1).

XXII. — Dieu n'éprouve aucun besoin.

Où rien ne manque, il n'y a pas de besoin; où il n'y a pas de défaut, rien ne manque. Or il n'y a aucun défaut en Dieu; donc il n'y a aucun besoin.

XXIII. — Du Père et du Fils.

Tout ce qui est chaste est chaste par la chasteté, tout ce qui éternel est éternel par l'éternité, tout ce qui est beau est beau par la beauté, et tout ce qui est bon est bon par la bonté. Donc tout ce qui est sage est sage par la sagesse, et font ce qui est semblable est semblable par la ressemblance. Or ce qui est chaste par la chasteté peut l'être de deux manières : ou en ce sens qu'il engendre la chasteté de manière à être chaste de la chasteté qu'il engendre, et dont il est le principe et la raison d'être: ou',en ce sens que, n'étant peut-être pas chaste, il te devient en participant à ta chasteté. Et ainsi de toute autre chose. En effet on comprend ou l'on croit que l'âme est éternelle, en ce sens qu'elle participe éternellement à l'éternité. Or ce n'est point ainsi que Dieu est éternel, mais parce qu'il est l'auteur de l'éternité même. On en peut dire autant de la beauté et de la bonté. C'est pourquoi, quand on dit que Dieu est sage, et sage de cette sagesse sans laquelle il n'est pas permis de croire qu'il ait jamais été ou qu'il puisse ,jamais être, on ne le, dit point sage par participation à la sagesse, comme l'âme, qui peut être sage, ou ne pas l'être ;mais on entend qu'il a engendré lui-même la sagesse dont on dit qu'il est sage (2). Ainsi les choses qui sont, par participation, chastes,. éternelles, belles, bonnes ou sages, peuvent, comme nous l'avons dit, n'être ni chastes, ni éternelles, ni belles, ni bonnes, ni sages; mais la chasteté même, l'éternité, la beauté, la bonté, la sagesse ne peuvent en aucune façon être sujettes à la corruption, ou, pour ainsi dire, à la marche du temps,. à la honte, à la malice.

Donc aussi les choses qui sont semblables par participation, sont susceptibles de dissemblance ; mais la ressemblance elle-même ne peut être dissemblable en aucune partie. D'où il résulte que, le Fils étant dit la ressemblance du Père, parce que c'est par sa participation que toutes les choses qui sont semblables entre elles ou à Dieu, le sont (car il est l'espèce première qui les spécialise, pour ainsi parler, et la forme par laquelle elles sont formées,) il ne peut en aucun point être dissemblable à son Père. Il est donc la même chose que le Père; en sorte que l'un est le Fils, et l'autre le Père, c'est-à-dire l'un la ressemblance, et l'autre le type dont le Fils est la ressemblance ; l'un substance et l'autre aussi substance, d'où procède une même substance. Car si la substance n'est pas la même, est une ressemblance qui reçoit une ressemblance : ce que toute raison vraie déclare impossible.

XXIV. — Les péchés et les bonnes oeuvres dépendent-ils du libre-arbitre de la volonté?

Tout ce qui se fait par nasard, se fait sans raison : tout ce qui se fait sans raison, se fait sans prévoyance ou sans Providence. Si donc il se fait dans ce monde quelque chose par hasard, le inonde n'est pas gouverné tout entier par la Providence; et si le monde entier n'est pas gouverné par la Providence, il y a donc quelque nature, quelque substance qui n'est pas l'oeuvre de la Providence. Or tout ce qui existe est bon, en tant qu'il est; car l'être souverain est le bien par la participation duquel tous les autres biens existent; et tout ce qui est sujet à changement est bon aussi en tant qu'il est, mais par la participation au bien immuable, et non par lui-même. Or ce bien, dont la participation l'ait tous les autres biens, n'est pas bon par un autre, mais par lui-même, et nous l'appelons aussi Providence divine. Rien ne se fait donc par hasard dans le monde. Cela posé, il semble que la conséquence nécessaire est que tout ce qui se fait en ce monde, soit l'oeuvre en partie de la Providence, en partie de notre volonté. Car Dieu est incomparablement meilleur et plus juste que l'homme le meilleur et le plus juste. Or le juste qui régit et gouverne toutes choses ne permet pas que personne soit puni ou récompensé sans l'avoir mérité. Mais c'est le péché qui mérite la peine, et la bonne action qui mérite la récompense. Or ni le péché ni la bonne action ne sauraient être justement imputés à celui qui n'agit pas par sa propre volonté.

Donc le péché et la bonne action dépendent du libre arbitre de la volonté.

XXV. — De la croix du Christ.

La sagesse de Dieu a revêtu l'humanité pour nous apprendre, par son exemple, à bien vivre. Or, une des (432) conditions pour bien vivre, c'est de ne pas craindre ce qui n'est pas à craindre. Mais la mort n'est point à craindre. C'est ce qu'a dû démontrer la mort de l'homme à qui la sagesse de Dieu s'est unie. Or il y a des hommes qui ne redoutent point la mort, mais qui ont horreur de certain genre de mort. Pourtant, l'homme qui vit bien ne doit pas plus craindre tel genre de mort que la mort même. Néanmoins il a fallu que la mort du Dieu-homme le démontrât encore. De tous les genres de mort, en effet, la croix était le plus odieux et le plus redoutable.

XXVI. — De la différence des péchés.

Autres sont les péchés d'infirmité, autres ceux d'ignorance, autres ceux de malice. L'infirmité est opposée à la force, l'ignorance à la science, la malice à la bonté. Quiconque sait ce que c'est que la vertu et la sagesse de Dieu, peut se figurer ce que c est que les péchés véniels. Et quiconque sait ce que c'est que la bonté de Dieu, peut distinguer quels sont les péchés qui doivent être punis en ce monde et dans l'autre. Ces points bien étudiés, on peut juger avec fondement quels sont les coupables qu'on doit dispenser d'une pénitence douloureuse et pénible, bien qu'ils avouent leur faute ; et quels sont ceux qui n'ont absolument aucun espoir de salut, à moins qu'ils n'offrent à Dieu le sacrifice d'un coeur brisé par la pénitence.

XXVII. — De la Providence.

Il peut se faire que la divine Providence se serve d'un méchant pour punir et pour aider. Par exemple, l'impiété des Juifs a causé leur perte et procuré le salut des nations. De même il peut arriver que la divine Providence sative et perde parle moyen de l'homme juste, comme le dit l'Apôtre : « Aux uns nous sommes odeur de vie pour la vie ; mais aux autres odeur de mort pour la mort (1). » Et comme toute tribulation est ou une punition pour les impies ou une épreuve pour les bons, de même que le traîneau, tribula, qui a donné son nom à la tribulation, broie en même temps la paille et en fait sortir le grain ; d'autre part, comme la paix et l'exemption des ennuis temporels profitent aux bons et gâtent les méchants : la divine Providence proportionne tout cela aux mérites des âmes. Néanmoins les bons n'assument pas d'eux-mêmes le rôle d'instruments de punition, et les méchants n'ont pas en vue de procurer la paix. C'est pourquoi les méchants, qui servent d'instruments sans le savoir, ne reçoivent point le prix de la justice dont tout le mérite est à Dieu, mais celui de leur malveillance. De même on n'impute pointaux bons le mal qu'ils occasionnent en voulant faire le bien, mais on leur accorde de bon coeur le prix de leur bonne volonté. Ainsi toute créature se fait ou ne se fait pas sentir, est nuisible ou utile, selon les mérites des âmes douées de raison. En effet sous un Dieu souverain, administrant parfaitement tous ses ouvrages, il n'y a rien de désordonné, rien d'injuste dans l'univers, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Cependant l'âme pécheresse est parfois blessée ; mais comme elle est où il convient qu'elle soit, et qu'elle souffre ce qu'il est juste de souffrir en pareil état, elle ne dépare nullement, par sa difformité, le royaume universel de Dieu. C'est pourquoi, comme nous ne connaissons pas toutes les sages dispositions de l'ordre divin en ce qui nous concerne nous n'avons que la bonne volonté pour agir selon la loi ; dans tout le reste, nous sommes conduits selon cette loi, qui est immuable et gouverne admirablement tout ce qui est sujet à changement. Donc Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (1). »

XXVIII. — Pourquoi Dieu a-t-il voulu faire le monde ?

Demander pourquoi Dieu a voulu faire le monde, c'est chercher la cause de la volonté de Dieu. Mais toute cause est efficiente. Or tout efficient est supérieur à son effet. Mais rien n'est supérieur à la volonté de Dieu. Donc il n'en faut pas chercher la cause.

XXIX. — Y a-t-il dans l'univers un haut et un bas ?

Goûtez les choses d'en haut (2). » On nous ordonne de goûter les choses d'en haut, c'est-à-dire les choses spirituelles : ce qui doit s'entendre de leur prééminence, et non de quelques lieux ou parties supérieures de ce monde; attendu que nous ne devons fixer notre coeur nulle part ici-bas, puisque nous devons nous dépouiller du monde entier. Or il n'y a un haut et un bas que dans les parties de ce monde ; quant à l'univers entier, il n'en a point. Car il est corporel, puisque tout ce qui est visible est corporel. Or, dans le corps universel, il -n'y a ni haut ni bas. En effet comme tout mouvement en ligne droite, c'est-à-dire non circulaire, peut se faire en six sens : en avant et en arrière, à droite et à gauche, en haut et en bas : il n'y a pas de raison pour que le corps universel, qui n'a ni avant ni arrière, ni droite ni gauche, ait un haut et un bas. Ce qui induit ici en erreur, ce sont les sens et l'habitude, contre lesquels on se tient difficilement en garde. En effet le mouvement du corps la tête en bas, n'est pas aussi facile que de droite à gauche ou d'avant en arrière. C'est pourquoi, laissant les mots de côté, l'esprit doit chercher en lui-même la solution de cette question.

XXX. — Tout a-t-il été créé pour l'avantage de l'homme ?

Comme il y a une différence entre l'honnête et utile, il y en a une aussi entre la jouissance et l'usage. Bien qu'on puisse à la rigueur soutenir que tout ce qui est honnête est utile et que tout ce qui est utile est honnête, cependant comme on appelle plus proprement et plus ordinairement honnête ce qui doit être recherché pour soi, et utile ce qui doit se rapporter à quelque autre fin, nous parlons ici d'après cette différence, sous la réserve pourtant que l'honnête et l'utile ne se contrarient en aucune façon. Car quelquefois, par ignorance et d'après l'opinion vulgaire, on s'imagine qu'ils sont opposés l'un à l'autre. On dit donc que nous jouissons de chose quand nous en retirons du plaisir ; que nous en usons quand nous la rapportons à la source même d'où doit dériver le plaisir. Ainsi toute la dépravation ou tout le vice de l'homme, consiste à vouloir user de ce dont il faut jouir et jouir de ce dont il faut user ; comme toute sa rectitude ou sa vertu consiste à jouir de ce dont il faut jouir et à user de ce dont il faut faire usage. Or il faut jouir de ce qui est honnête et user de ce qui est utile.

J'appelle honnêteté la bonté intellectuelle, que nous nommons, nous, proprement spirituelle; et utilité, la Providence divine. Aussi, quoiqu'il y ait beaucoup de belles choses visibles qui ne sont qu'improprement appelées honnêtes, cependant la beauté même qui rend beau tout ce qui est beau, est absolument invisible. De même beaucoup de choses utiles sont visibles ; mais l'utilité elle-même, qui rend utile tout ce qui est utile, et que nous appelons la divine Providence, n'est pas visible. Qu'il soit bien entendu que sous le nom de visible on comprend tous les objets corporels. Il faut donc jouir des belles choses invisibles, c'est-à-dire honnêtes ; mais faut-il jouir de toutes ? C'est un autre question. Du reste peut-être convient-il de n'appeler honnêtes que celles dont on doit jouir; mais il faut user de toutes les chose utiles, suivant le besoin. Il n'est pas déraisonnable de penser que les bêtes jouissent de la nourriture et des voluptés corporelles ; mais il n'y a que l'animal doué de raison qui puisse user de quoi que ce soit. Car il n'est pas donné aux êtres privés de raison, ni aux êtres raisonnables devenus insensés, de connaître le but auquel il faut rapporter chaque chose. Or celui qui ne connaît pas le but auquel une chose doit être rapportée, ne peut en user; et personne ne peut connaître ce but, si ce n'est le sage. C'est pourquoi mal user s'appelle plus justement abuser. En effet ce dont on use mal ne sert à personne, et ce qui ne sert pas n'est pas utile. Or tout ce qui est utile, est utile par l'usage ; on n'use donc que de ce qui est utile. Donc aussi celui qui use mal, n'use pas. Or la raison parfaite de l'homme use d'abord d'elle-même pour comprendre Dieu, afin de jouir de Celui par qui elle a été faite. Puis elle use des animaux doués de raison pour en faire sa société, et de ceux qui en sont privés, pour exercer son autorité. Elle rapporte aussi sa vie à la jouissance de Dieu: car c'est ainsi qu'elle est heureuse. Elle use donc aussi d'elle-même: et sa misère commence quand, par orgueil, elle se rapporte à elle-même, et non à Dieu. Elle use aussi de certains corps pour les animer et faire le bien : comme du sien par exemple ; elle use de quelques autres pour les adopter ou les repousser par raison de santé ; de quelques-uns pour les supporter et exercer sa patience ; de ceux-ci pour en tirer parti dans l'intérêt de la justice, de ceux-là pour les considérer et y chercher quelque enseignement de la vérité ; il en est même dont elle use en s'en abstenant, pour 'pratiquer la tempérance. Ainsi elle use de tout, sensible ou non sensible : car il n'y a pas de troisième catégorie. Or elle juge de tout ce dont elle use ; seulement elle ne juge point de Dieu, parce que c'est selon Dieu qu'elle juge du reste: elle n'use pas de lui, mais elle en jouit. Car on ne doit point rapporter Dieu à autre chose ; parce que tout ce qui doit être rapporté à autre chose, est inférieur à la chose même à laquelle il doit être rapporté. Or rien n'est supérieur à Dieu, ni par le rang, ni par l'excellence de sa nature. Donc tout ce qui a été fait a été fait pour l'usage de l'homme, parce que la raison, qui a été donnée à l'homme, use de chaque chose en en jugeant. Avant sa chute, l'homme n'usait point de ce qui exerce la patience ; depuis la chute, il n'en use que quand il est converti et devenu, même avant la mort du corps,ami de Dieu autant que possible, en le servant de bon coeur.

XXXI. — Opinion de Cicéron sur la nature de la vertu et ses différentes espèces.

« La vertu est une habitude de l'homme conforme aux dispositions de la nature et à la raison. En étudiant toutes ses parties, on comprendra jusqu'où s'étend le domaine de ce que nous appelons l'honnête. Elle a donc quatre parties : la prudence, la justice, force, la tempérance. »

« La prudence est la science de ce qui est bon, de ce qui est mauvais et de ce qui est indifférent. Elle se compose de la mémoire, de l'intelligence et de la prévoyance. La mémoire est la faculté qui rappelle à l'esprit ce qui a été. L'intelligence, est celle qui perçoit ce qui est. Par la prévoyance, l'esprit voit ce qui doit être avant qu'il n'arrive. »

« La justice est une disposition de l'âme qui, tout en ménageant l'utilité commune, attribue à chacun ce qui lui appartient. Elle a son point de départ dans la nature ; puis certaines choses étant passées en coutume à raison de leur utilité, la crainte des lois et la religion ont sanctionné ce qui avait été inspiré par la nature et approuvé par la coutume. Il y a un droit naturel, qui n'est point le fruit de l'opinion, mais qui est inspiré par une certaine puissance innée, comme le sont la religion, la piété, la bienveillance, la vindicte publique, le respect, la vérité. La religion s'occupe de cette nature supérieure qu'on appelle divine, et lui rend un culte. Par la piété, on remplit envers les parents et la patrie les devoirs de la bienveillance et on a pour eux une déférence convenable. La bienveillance renferme le souvenir de l'amitié et le désir de récompenser les services. La vindicte repousse la violence, l'injustice et tout ce qui peut nuire, soit en les écartant soit en les punissant. Le respect attribue des honneurs et une sorte de culte aux hommes élevés en dignité. La véracité exprime sans altération ce qui est, ce qui a été ou ce qui sera. Puis il y a un droit fondé sur la coutume, faiblement indiqué par la nature, mais entretenu et fortifié par l'usage; comme la religion, et les autres vertus dont nous venons de parler, lesquelles, ayant leur point de départ dans la nature, se sont fortifiées par l'habitude, ou encore sont passées en coutume chez le vulgaire à cause de leur antiquité. A ce genre se rattachent le pacte, l'égalité, la loi, la chose jugée : le pacte, quand une chose est convenue entre plusieurs personnes ; l'égalité, qui distribue à tous dans la même mesure ; la chose jugée, quand les intérêts d'un ou de plusieurs sont fixés par arrêts. Le droit légal est celui qui est exprimé par écrit et exposé aux yeux du peuple pour être observé. »

« La force consiste à affronter le péril et à supporter le travail avec mûre réflexion. Elle renferme la magnificence, la confiance, la patience, la persévérance. La magnificence consiste à méditer et à exécuter des choses grandes et sublimes, avec une large et généreuse disposition de l'âme. Par la confiance, l'esprit place en lui-même un espoir puissant et assuré pour les choses grandes et honnêtes. La patience supporte volontairement et longtemps des choses ardues et difficiles, en vue de l'honnête ou de l'utile. La persévérance est une constance inébranlable après juste et mûre réflexion. »

« La tempérance est l'empire ferme et réglé de la raison sur la passion et les mouvements désordonnés de l'âme. Elle renferme la continence, la clémence la modestie. La continence assujettit la passion au joug de la prudence. La clémence retient, par un sentiment de bienveillance, l'âme agitée et entraînée témérairement à la haine. La modestie assure à la pudeur honnête un ascendant glorieux et solide. »

2. « Or toutes ces vertus doivent être recherchées pour elles-mêmes, et sans vues d'intérêt. Il n'entre pas dans notre but de le démontrer; ce serait d'ailleurs nous écarter de la brièveté qu'exige la simple exposition des règles. Quant aux choses qui leur sont opposées, comme la lâcheté l'est à la force, l'injustice à la justice, il faut aussi les éviter pour elles-mêmes ; et non-seulement celles-là, mais encore celles qui semblent rapprochées des vertus, bien qu'elles en soient très-éloignées. C'est ainsi que si la défiance est un vice pour être opposée à la confiance; l'audace n'en est pas moins un, bien qu'elle ne soit point opposée à la confiance, « qu'elle l'avoisine même. De cette manière, auprès de chaque vertu on trouvera un vice, ou ayant un nom connu, comme l'audace qui rapproche de la confiance, l'obstination voisine de la persévérance, et la superstition de la religion, ou n'ayant pas de nom déterminé: toutes choses que nous rangerons également parmi celles qu'il faut éviter comme contraires au bien. Mais en voilà assez sur cette espèce d'honnête qu'il faut rechercher absolument et pour soi.Maintenant il est bon de parler de l'espèce à laquelle l'utile vient s'adjoindre, et à qui nous (435) donnons cependant encore le nom d'honnête. (3). Il y a donc beaucoup de choses qui nous attirent par leur dignité propre ou par les fruits qu'elles produisent. Telles sont la gloire, le rang, la grandeur, l'amitié. La gloire est une grande renommée accompagnée de louanges. Le rang est une autorité honnête, entourée d'une sorte de culte, d'honneur et de respect. La grandeur est la puissance, ou la majesté ou une grande abondance de quelques biens. L'amitié consiste à vouloir du bien à quelqu'un, dans l'intérêt même de celui qu'on aime, avec retour de sa part. Comme il s'agit ici des causes civiles, nous parlons des fruits de l'amitié, en même temps que de l'amitié pour montrer qu'on peut aussi les rechercher, et pour ne pas encourir le blâme de ceux qui pourraient croire que nous parlons de toute espèce d'amitié. En effet les uns pensent qu'on ne doit rechercher que son propre intérêt dans l'amitié, les autres qu'on doit la rechercher pour elle-même, d'autres enfin veulent l'un et l'autre. Nous examinerons ailleurs laquelle de ces trois opinions est la plus conforme à la vérité (1). »

XXXII. — L'un peut-il comprendre une chose moins qu'une autre, et l'intelligence d'une même chose peut-elle aller ainsi jusqu'à l’infini ?

Comprendre une chose autrement qu'elle n'est c'est se tromper, et se tromper c'est ne comprendre pas ce en quoi on se trompe. Donc celui qui comprend une chose autrement qu'elle n'est, ne la comprend pas. Rien ne peut donc être compris que comme il est. Or quand nous ne comprenons pas une chose comme elle est, c'est comme si nous ne la comprenions pas, puisque nous ne la comprenons pas comme elle est. Il ne faut donc point douter qu'il existe une manière parfaite de comprendre, laquelle ne saurait être dépassée ; par conséquent que l'intelligence de. chaque chose n'a pas des degrés infinis et que nul ne peut la comprendre plus qu'un autre.

XXXIII. — De la crainte.

Il est évident pour tout le monde que la crainte ne peut avoir que deux objets: ou de perdre ce qu'on aime et qu'on possède, ou de ne pas obtenir ce qu'on espère. Comment donc celui qui aime à ne pas craindre et qui y est parvenu, pourrait-il craindre de perdre cette disposition ? Il est bien des choses que nous - aimons, que nous possédons et que nous craignons de perdre; c'est pourquoi nous les conservons avec crainte ; mais personne ne peut conserver avec crainte l'exemption même de la crainte. D'autre part celui qui désire être exempt de crainte et n'y est pas encore parvenu, et pourtant espère y parvenir, ne doit pas craindre de n'y pas parvenir. En effet, cette crainte ne serait pas autre chose que la crainte de la crainte. Or toute crainte a un objet en aversion et rien n'a d'aversion pour soi. Donc la crainte n'est pas un objet de crainte. Ne trouve-t-on pas juste de dire que la. crainte craint quelque chose, puisque c'est l'âme qui craint quand elle éprouve de la crainte ? Qu'on fasse attention à une chose facile à comprendre : c'est qu'on ne peut craindre qu'un mal à venir et prochain. Or il est nécessaire que celui qui craint fuie quelque chose ; donc celui qui craint de craindre est le plus absurde des hommes, puisque, tout en fuyant, il a la chose même qu'il fuit. En effet puisqu'on ne peut craindre que l'arrivée d'un mal, craindre que la crainte n'arrivé, c'est embrasser le mal même qu'on repousse. Or s'il y a là, comme de fait, contradiction, celui qui n'aime pas autre chose que de ne pas craindre, est absolument exempt de crainte. C'est pourquoi il est impossible de n'aimer que cela et de ne pas le posséder.

Mais ne doit-on aimer que cela, c'est une autre question. En tout cas celui que la crainte n'abat pas, n'est point ruiné parla cupidité, affaibli par l'inquiétude, agité par le souffle de la vaine joie. En effet, la cupidité n'étant autre chose que l'amour des choses passagères, s'il les désirait, il devrait incessamment craindre ou de les perdre s'il les possédait, ou de ne pas les obtenir. Or il ne craint pas, donc il ne désire pas. De même si son âme était tourmentée par l'inquiétude, il faudrait nécessairement, qu'il fût agité par la crainte, parce que ceux qui sont inquiets des maux présents, craignent aussi les maux à venir. Or il est exempt de crainte; donc aussi d'inquiétude. Enfin en se livrant à la vaine joie, il se réjouirait des choses qu'il peut perdre, par conséquent il devrait craindre de les perdre. Or il est absolument exempt de crainte; donc il ne se livre en aucune façon à la vaine joie.

XXXIV. — Ne doit-on aimer que d'être sans crainte ?

Si c'est un vice de ne pas craindre, il ne faut pas le désirer. Or l'homme parfaitement heureux ne craint pas et n'est cependant point vicieux. Donc ce n'est pas un vice de ne pas craindre. Mais l'audace est un vice ; donc tout homme qui ne craint pas n'est pas pour cela (436) audacieux, bien qu'aucun audacieux ne craigne. De même encore aucun cadavre ne craint. Par conséquent, puisque l'exemption de la crainte est commune à l'homme parfaitement heureux, à l'audacieux et au cadavre, mais que le premier la possède par la tranquillité de l'âme, l'audacieux par la témérité, le cadavre par l'insensibilité ; il faut l'aimer, puisque nous voulons être heureux ; mais ne pas l'aimer seule, puisque nous ne voulons être ni audacieux ni cadavres.

XXXV. — Que faut-il aimer?

1. Puisque tout ce qui ne vit pas ne craint pas, et que pourtant on ne nous décidera pas à ne plus vivre pour être exempts de crainte, il faut donc désirer de vivre sans crainte.

D'autre part comme une vie exempte de crainte n'est pas à désirer si elle est privée de l'intelligence, il faut donc désirer de vivre sans crainte avec l'intelligence. Mais ne doit-on désirer que cela ? Ne doit-on pas aussi désirer l'amour ? Oui certes; puisque sans lui on n'aimerait pas même ce que nous venons de dire. Mais si on aime l'amour à cause des objets qu'il faut aimer, il n'est pas juste de dire qu'il est aimé lui-même ; car aimer n'est pas autre chose que de rechercher un objet à cause de lui-même. Faut-il donc rechercher l'amour pour lui-même, quand la privation de l'objet aimé produit une incontestable misère ? De plus comme l'amour est un mouvement et que tout mouvement tend à quelque chose, demander ce qu'il faut aimer c'est demander quel est l'objet auquel nous devons tendre. Donc s'il faut aimer l'amour, il ne faut cependant pas aimer tout amour. En effet, il y a un amour coupable, qui entraîne l'esprit à des choses au-dessous de lui ; on l'appelle plus proprement passion, et il est la racine de tons les maux. Il ne faut donc rien aimer de ce qui peut faire défaut à l'amour qui persévère et qui jouit. Quel est donc l'objet qu'il faut désirer d'aimer, sinon celui qui ne peut jamais faire défaut tant qu'on l'aime ?

Or cet objet est possédé en même temps que connu. Mais connaître l'or ou un objet corporel ce n'est pas le posséder ; on ne doit donc pas l'aimer. D'autre part comme on peut aimer, ,sans le posséder, non-seulement un objet indigne d'amour, comme un corps doué de beauté, par exemple, mais aussi des objets dignes d'être aimés, comme la vie heureuse ; et encore comme on peut posséder sans aimer, des chaînes, par exemple : on demande avec raison si quelqu'un peut ne pas aimer quand il le possède, c'est-à-dire quand il le connaît, l'objet qu'on ne peut connaître sans le posséder ? Or nous voyons des hommes apprendre le calcul, par exemple, dans le seul but de s'enrichir ou de plaire à leurs semblables et rapporter leur science acquise à la même fin qu'ils se proposaient en l'acquérant. Cependant posséder une science est la, même chose que la connaître ; il peut donc se faire qu'on possède, sans l'aimer, une chose qu'il suffit de connaître pour la posséder. Du reste personne ne peut parfaitement posséder ou connaître le bien qu'il n'aime pas. En effet comment connaître l'étendue d'un bien dont on ne jouit pas ? Or on ne jouit pas quand on n'aime pas ; donc celui qui n'aime pas ce qu'il faut aimer ne le possède pas, quoique cet objet puisse être, aimé sans être possédé. Donc on ne peut connaître la vie heureuse et être malheureux ; car si on doit l'aimer et on le doit, la connaître c'est la posséder (1).

2. Cela posé, qu'est-ce que vivre heureux, sinon connaître et posséder quelque chose d'éternel ?

Il n'y a en effet que l'éternel dont on soit sûr qu'il ne peut être enlevé à celui qui l'aime ; et il est de plus cet objet qu'on ne peut connaître sans le posséder. Car ce qui est éternel est la plus excellente de toutes les choses, et pour cela nous ne pouvons le posséder que par ce qu'il y a de plus excellent en nous, l'intelligence. Or posséder par l'intelligence, c'est posséder par la connaissance, et il n'est pas possible de connaître un bien parfaitement sans l'aimer parfaitement. Pourtant l'intelligence n'est pas seule à aimer, comme elle est seule à connaître. En effet l'amour est une inclination; et si, dans les autres parties de l'âme, cette inclination est d'accord avec l'intelligence et la raison, l'esprit pourra vaquer à la contemplation de l'éternel avec une paix et une tranquillité parfaite. Donc les autres parties doivent aussi aimer cette chose si grande que l'intelligence seule peut connaître. Et comme l'objet aimé affecte nécessairement celui qui l'aime, il en résulte que l'éternel, une fois aimé, communique à l'âme son éternité. Ainsi, en résumé, la vie heureuse est celle qui est éternelle.Or quel être éternel, si ce n'est Dieu, peut communiquer à l'âme son éternité ? Mais l'amour des choses dignes d'être aimées, s'appelle avec plus de justesse charité ou dilection. C'est pourquoi il faut méditer de toute la ferveur de notre âme ce très-salutaire commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit (1) ; » et aussi ces paroles du Seigneur Jésus: « Or la vie éternelle, c'est de vous connaître, vous seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2). »

XXXVI .— Des moyens de nourrir la charité.

1. J'appelle charité, l'amour de, ce qui n'est point à mépriser, comparé à celui qui aime; c’est-à-dire de ce qui est éternel, et qu'on peut aimer éternellement.

Donc Dieu et l'âme qui l'aime forment la charité proprement dite ; charité très pure, parfaite même, s'il ne s'y adjoint aucun autre amour (3) : nous lui donnons aussi le nom de dilection. Or quand Dieu est plus aimé que l'âme elle-même, en sorte que l'homme aime mieux être à lui qu'à soi, c'est alors, qu'il consulte véritablement et au plus haut degré possible les intérêts de son âme, et par conséquent ceux de son corps ; car, en ce cas, nous n'en prenons plus soin par sensualité, mais en acceptant simplement ce qui s'offre à nous et nous tombe sous la marin. Or le poison qui tue la charité, c'est l'espoir d'acquérir ou de conserver des choses temporelles : son aliment, c'est l'affaiblissement de la cupidité; sa perfection, l'absence de toute cupidité. Le signe de son progrès, c'est la diminution de la crainte ; la marque de sa perfection, l'exemption de toute crainte ; parce que, d'une part, « la cupidité est la racine de tous les maux (4) ; » et que de l'autre la charité, « parfaite chasse la crainte (5). » Donc quiconque veut nourrir la charité, doit s'attacher à diminuer la cupidité.

Or la cupidité n'est pas autre chose que le désir d'acquérir ou de conserver des choses temporelles ; et le commencement de sa diminution est la crainte de Dieu, du seul être qu'on ne puisse craindre sans l'aimer. En effet on tend ainsi à la sagesse, et rien de plus vrai que ces paroles : « La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (6). » Car il n'est personne qui n'ait plus d'aversion pour la douleur que d'attrait pour le plaisir ; jusque-là que nous voyons les bêtes les plus cruelles renoncer aux voluptés les plus sensibles par crainte de la souffrance ; et c'est quand cette disposition est passée chez elles en habitude, que nous les disons domptées et apprivoisées. Mais comme l'homme a la raison; que la raison, quand elle est misérablement pervertie et mise au service de la passion, lui fait entendre qu'il ne doit point craindre ses semblables, puisque les fautes secrètes peuvent rester inconnues ; qu'elle va même jusqu'à lui suggérer les ruses les mieux combinées pour tenir ses péchés secrets : il en résulte que les hommes que la beauté de la vertu ne charme pas encore, sont plus difficiles à dompter que les bêtes féroces, à moins qu'ils ne soient détournés du péché par la crainte des châtiments que leur annoncent en toute vérité des hommes saints et divins, et qu'ils ne finissent. par reconnaître que ce qu'ils cachent aux hommes ne saurait échapper à l'oeil de Dieu. Or pour inspirer à un homme la crainte de Dieu, il faut d'abord lui persuader que tout est gouverné par la divine Providence ; ce qui s'obtiendra moins par des raisonnements, peu compris de celui qui n'a pas encore goûté la beauté de la vertu, que par des exemples, soit récents, s'il s'en rencontre, soit tirés de l'histoire, particulièrement de celle qui par l'attention de la divine Providence elle-même est revêtue de la sublime autorité de la religion, tant dans l'ancien que dans le nouveau Testament. Mais il faut parler en même temps de la punition des péchés et de la récompense des bonnes actions.

2. Après avoir persuadé au pécheur qu'il est plus facile qu'il ne le pense de se débarrasser de l'habitude de pécher, on commence à lui faire goûter la douceur de la piété, à lui peindre les charmes de la vertu, en sorte que la liberté de l'amour l'emporte à ses yeux sur la servitude de la crainte.

Puis, après les avoir initiés aux sacrements de la régénération, qui doivent nécessairement produire une profonde impression, il faut faire saisir aux fidèles la différence qui existe entre les deux hommes : le vieil homme et l'homme nouveau, l'homme extérieur et l'homme intérieur, l'homme terrestre et l'homme céleste ; c'est-à-dire entre celui qui s'attache aux biens charnels et temporels et celui qui recherche les biens spirituels et éternels. Il faut aussi les prévenir qu'ils n'ont point à attendre de Dieu des biens périssables et passagers, lesquels peuvent affluer même chez les méchants ; mais des biens solides, éternels, pour l'acquisition desquels on doit mépriser profondément les prétendus biens et maux de ce monde. On aura soin alors de leur mettre sous les yeux le magnifique. l'incomparable modèle de l'Homme-Dieu qui, après avoir montré en lui par tant de miracles une si grande puissance, a pourtant dédaigné ce (438) que les hommes ignorants estiment comme de grands biens, et supporté ce qu'ils regardent comme de grands maux. Et de peur qu'on ne redoute d'autant plus d'embrasser ce genre de vie qu'on l'honore davantage, il faut démontrer par les promesses et les exhortations du Christ, par la multitude innombrable des apôtres, des martyrs, des saints qui ont marché sur ses traces, qu'on ne doit point désespérer d'en faire autant.

3. Les attraits des voluptés charnelles une fois surmontés, il faut veiller à ne point laisser s'introduire le désir de plaire aux hommes, soit par quelques actions éclatantes, soit par une continence ou une patience héroïque, soit par des largesses, soit par un renom de science ou d'éloquence. A ce désir de plaire se rattache aussi l'ambition des honneurs.

Or, à toutes ces félicitations, il faut opposer ce qui est écrit sur le mérite de la charité, sur le vide de la vaine gloire, et faire sentir combien il est honteux de chercher l'approbation de gens qu'on ne voudrait pas imiter. En effet ou ils sont méchants, et il n'y a pas de gloire à obtenir leurs éloges ; ou ils sont bons, et il faut les prendre pour modèles. Or ceux qui sont bons ne le sont que par la vertu, et la vertu ne recherche rien de ce qui est au pouvoir d'autres hommes. Donc celui qui imite les bons, n'est point avide des louanges humaines, et celui qui imite les méchants est indigne de toute louange. Que si tu ne cherches à leur plaire, que pour les aider à aimer Dieu, ton désir change de but. Mais celui qui cherche à plaire doit nécessairement craindre, d'abord de pécher en secret et d'être rangé aux yeux du Seigneur parmi les hypocrites ; puis, s'il cherche à plaire par de bonnes oeuvres, de perdre en courant après cette récompense, celle que Dieu a promise.

4. Après avoir vaincu cette passion, on doit se tenir en garde contre l'orgueil.

Difficilement daigne-t-on se mêler aux hommes quand on ne désire plus leur plaire, et qu'on se croit rempli de vertus.. Ici donc la crainte est encore nécessaire, de peur dé se voir enlever ce qu'on semble avoir (1), et d'être jeté, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures (2). Ainsi la crainte de Dieu n'est pas seulement le commencement, mais la perfection de la sagesse ; et le sage est celui qui aime Dieu plus que tout et le prochain comme lui-même. Quant aux périls et aux difficultés qui sont à redouter dans cette voie, et aux remèdes qu'il faut y apporter, c'est une autre question.

XXXVII. — De celui qui est toujours né.

Il vaut mieux. être toujours né que de naître toujours ; car celui qui naît toujours n'est pas encore né, et s'il naît toujours, il n'a jamais été et ne sera jamais né. En effet autre chose est de naître, autre chose d'être né. Par conséquent celui qui n'est jamais né, n'est jamais fils; et le fils, parce qu'il est né, est toujours fils ; il est donc toujours né.

XXXVIII. — De la conformation de l'âme.

Comme autre chose est la nature, autre chose l'éducation et autre chose l'usage, bien que tout cela s'entende d'une même âme, sans diversité de substance ; de plus, comme autre chose est l'esprit, autre chose la vertu, et autre chose la tranquillité, bien que tout cela appartienne à une seule et même substance ; et comme enfin l'âme est d'une autre substance que Dieu, bien qu'elle soit son oeuvre, et que Dieu lui-même est cette adorable Trinité, que beaucoup connais sent de nom, bien peu en réalité : il faut étudier avec grand soin le sens de ces paroles du Seigneur Jésus : « Nul ne vient à moi, si mon Père ne l'attire (1); Nul ne vient à mon Père que par moi (2); Lui-même vous enseignera toute vérité (3). »

XXXIX. — Des aliments.

Qu'est-ce qui reçoit une chose et la transforme? L'animal recevant la nourriture, Qu'est-ce qui est reçu et transformé? Cette même nourriture. Qu'est-ce qui est reçu sans être transformé ? La lumière reçue par les yeux et le son par les oreilles. Or c'est l'âme qui reçoit tout cela par l'entremise du corps. Mais que reçoit-elle par elle-même pour se l'assimiler ? Une autre âme qu'elle rend semblable à elle- même en la recevant dans son amitié. Mais quelle est la chose qu'elle reçoit par elle-même sans la transformer? La vérité. C'est pourquoi il faut comprendre ce qui a été dit à Pierre : « Tue et mange (4), » et ce qui est écrit dans l'Evangile Et la vie était la lumière des hommes (5). »

XL. — La nature des âmes étant la même, pourquoi les volontés des hommes diffèrent-elles?

De la diversité des points de vue naissent, dans les âmes, des appétits divers; de la diversité des appétits naissent des procédés différents pour acquérir ; de la diversité des procédés résultent des habitudes différentes, et, des habitudes différentes, des volontés diverses. Or c'est l'ordre des choses qui constitue les divers points de vue : ordre mystérieux, mais certainement établi parla divine Providence. Il ne faut cependant point conclure que les natures des âmes soient diverses parce que les volontés le sont, puisque la volonté de la même âme change selon la différence des temps. En effet le même homme désire tantôt être riche, et tantôt être sage au mépris des richesses; et dans l'ordre des goûts temporels, le même homme embrassera d'abord le négoce, puis l'état militaire.

XLI. — Puisque Dieu a fait toutes choses, pourquoi ne les a-t-il pas faites égales?

Parce qu'elles ne seraient pas toutes choses, si elles étaient égales ; car alors n'existerait point cette multitude d'espèces qui forme l'univers, renfermant des créatures de premier ordre, de second ordre, ainsi de suite jusqu'au dernier rang ; et c'est ce qu'on appelle toutes choses.

XLII. — Comment le Christ a-t-il été tout à la fois dans le sein de sa mère et dans le ciel?

Comme la parole de l'homme est entendue par une multitude,. et entendue tout entière par chaque auditeur.

XLIII. — Pourquoi le Fils de Dieu a-t-il apparu sous la forme humaine, et l'Esprit-Saint sous la forme d'une colombe ?

Parce que le Christ est venu pour donner aux hommes un modèle de conduite, tandis que l'Esprit n'a apparu que pour indiquer le bien-même où l'on parvient par une vie vertueuse. Or si l'un et l'autre ont pris une forme visible c'est pour que les hommes charnels puissent, par des degrés mystérieux, passer des objets perçus par les yeux du corps, à des objets que l'intelligence seule peut comprendre. C'est ainsi que les paroles bruissent et passent, tandis que les choses qu'elles expriment, quand on traite un sujet divin et éternel, ne passent point comme elles.

XLIV. — Pourquoi le Fils de Dieu est-il venu si tard et non immédiatement après le péché de l'homme ?

Parce que toute beauté vient de la souveraine beauté, qui est Dieu; or la beauté temporelle consiste dans la succession des choses qui meurent et se remplacent. Ainsi dans tout homme, chaque âge, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, a sa beauté particulière. Donc comme on serait absurde de ne désirer que la jeunesse pour l'homme soumis à la marche du temps, car ce serait ne vouloir pas des charmes propres aux autres phases de la vie, de même on serait absurde de ne souhaiter qu'un seul âge à tout le genre humain, qui a, aussi bien que l'homme, différentes périodes dans son existence. Orle Maître céleste chargé d'offrir le modèle d'une vie parfaite, n'a pu venir qu'au temps de la jeunesse (1). C'est la pensée de l'Apôtre, quand il parle d'enfants placés sous la garde de la loi comme sous celle d'un pédagogue (2), jusqu'à l'arrivée de celui qui devait venir et qui avait été promis par les prophètes. Autre en effet est la conduite de la Providence quand elle agit sur de simples individus, autre celle qu'elle tient quand elle pourvoit aux intérêts du genre humain tout entier. Tous les individus qui sont parvenus à la véritable sagesse, ne l'ont pu que parce que la même vérité les a éclairés, selon les exigences de leurs différents âges; mais pour que cette vérité rendît le peuple sage, le Christ s'est fait homme juste à l'âge convenable du genre humain.

XLV. — Contre les mathématiciens ou astrologues

1. Les anciens ne donnaient pas le nom de mathématiciens à ceux que nous nommons ainsi aujourd'hui, mais aux hommes qui calculaient le temps et les mouvements du ciel et des astres; personnages dont les saintes Ecritures ont dit avec beaucoup de raison : « Ceux-là non plus ne méritent point de pardon.

Car s'ils ont pu venir à bout de pénétrer les secrets de la création, comment n'ont-ils su avec moins d'effort « encore, trouver le Créateur (3) ? » En effet l'âme humaine qui juge des choses visibles, peut comprendre quelle vaut mieux qu'elles toutes. Mais en même temps se reconnaissant sujette au changement, à raison de ses retards ou de ses progrès dans les voies de la sagesse, elle trouve au dessus d'elle une vérité immuable; et en s'y attachant selon ce qui est écrit: « Mon âme s'est attachée à vous (4), » elle devient heureuse, puisqu'elle trouve au dedans d'elle le Créateur et Maître de toutes les choses visibles, et qu'elle ne cherche plus rien au dehors dans le monde visible, pas même dans les corps célestes qu'on ne parvient pas à connaître ou qu'on ne connaît que très-difficilement et sans profit, à moins qu'à travers leur beauté extérieure on ne trouve l'architecte qui habite au dedans, et crée dans l'âme des beautés supérieures, puis dans le corps des beautés inférieures.

2. Quant à ceux qui s'appellent maintenant mathématiciens et veulent faire dépendre nos actions des corps célestes, nous vendre aux étoiles et recevoir de nous le prix de la vente, ce qu'on peut leur opposer de plus vrai et de plus bref c'est qu'ils ne parlent que sur la foi de constellations.

Or, selon eux, on distingue dans les constellations différentes parties, dont, disent-ils trois cent soixante forment le zodiaque; le ciel en parcourt quinze en une heure, en sorte que, dans cet espace d'une heure, quinze de ces parties apparaissent. Puis ils divisent chacune de ces parties en soixante minutes ; mais dans ces constellations, bases de leurs prédictions, ils ne trouvent point de division de minutes.

Cependant la conception de deux jumeaux, produit d'un même acte conjugal, au rapport des médecins dont la science est bien plus fondée, bien plus claire, a lieu dans un espace de temps moindre que deux secondes. Pourquoi donc une si grande différence d'actions, d'événements, de volontés chez deux hommes dont la conception a été nécessairement soumise à la même constellation? Pourquoi le mathématicien n'a-t-il vu qu'une constellation pour deux comme pour un ? Que s'ils s'en tiennent aux constellations de la naissance, les jumeaux les confondent encore, puisque le plus souvent ils sortent du sein maternel de telle manière qu'il faut encore en revenir aux portions de minutes : divisions de temps que les mathématiciens ne distinguent ni ne peuvent distinguer dans les constellations? On dit qu'ils ont souvent prédit la vérité; la raison en est que les hommes perdent le souvenir de leurs mensonges et de leurs erreurs ; uniquement attentifs à ce qui arrive conformément à leurs oracles, ils oublient ce qui les dénient; .ils ne se souviennent que de ce qui est survenu, non par la puissance de cet art absolument nul, mais par l'effet de quelque obscur jeu du sort. Et si l'on veut en faire honneur à leur science, il faudra aussi attribuer la puissance divinatoire à des parchemins écrits; car il en sort souvent les réponses qu'on désire. Or si un manuscrit contient souvent, par hasard, un vers qui annonce l'avenir, peut-on s'étonner que de l'esprit d'un homme sorte aussi une prédiction, non par calcul, mais par hasard?

XLVI. — Des idées.

1. Platon est, dit-on, le premier qui ait employé ce mot (1).

 

Non qu'avant lui, les choses que l'on appelle idées n'existassent pas ou ne fussent comprises par personne; mais on leur avait peut-être donné d'autres noms, car on peut nommer comme l'on veut une chose inconnue qui n'a point encore de nom consacré par l'usage. Mais il est invraisemblable ou qu'il n'y ait pas eu de philosophes avant Platon, ou qu'ils n'aient pas compris ce que Platon appelle des idées, quel que soit le sens attaché à ce mot, puisque les idées ont une telle valeur que faute de les comprendre, on ne saurait être philosophe. Il est aussi à croire qu'il y a eu des sages ailleurs qu'en Grèce, comme ,Platon lui-même l'atteste non-seulement par les voyages qu'il entreprit pour se perfectionner dans la sagesse, mais encore par ses écrits. Or il faut penser que ces sages, s’il y en eut ont connu les idées, quoiqu'ils les désignassent sous un autre nom. Mais en voilà assez sur ce point: étudions la chose en elle-même, car elle vaut la peine d'être soigneusement considérée, exactement comprise, et laissons à chacun la liberté de lui donner quel nom il voudra, pourvu qu'il la connaisse.

2. Nous pouvons traduire en latin le mot idées par formes ou espèces, pour nous conformer au sens littéral. Si nous les appelons raisons, nous nous écartons de l'étymologie: car le mot grec logos, signifie raison, et non idées.

Néanmoins en adoptant ce mot, on ne s'éloigne pas de la vraie signification. En effet les idées sont certaines formes principales, certaines raisons fixes et immuables des choses, lesquelles n'ont point été formées et sont par conséquent éternelles, permanentes et contenues dans l'intelligence divine. Et bien qu'elles ne naissent ni ne meurent, nous disons cependant que c'est sur elles qu'est formé tout ce qui peut naître et mourir, tout ce qui naît et meurt. Or nous ajoutons que l'âme raisonnable seule peut les contempler par la meilleure partie de son être, c'est-à-dire par l'intelligence et la raison, qui est comme sa face et son oeil intérieur et intelligible. Nous affirmons de plus que toute âme raisonnable n'est pas apte à cette contemplation, mais seulement celle qui est sainte et pure, c'est-à-dire celle qui possède 1'oeil capable de voir ces choses, l’oeil sain, net, serein, semblable aux objets mêmes qu'il désire considérer.

Or quel homme religieux, imbu de la vraie foi, fût-il encore incapable de cette contemplation, oserait nier, ou plutôt n'avouera que tout ce qui existe, c'est-à-dire appartient à un genre, à une nature propre, a reçu de Dieu l'existence; que c'est par Dieu que vit tout ce qui vit ; que le bien-être de tout ce qui existe dans l'univers, l'ordre même qui règle le cours du temps et préside aux changements des êtres variables, (441) est établi et maintenu parce législateur souverain ? Cela posé, et admis, qui osera dire que Dieu a tout créé d'une manière déraisonnable? Si on ne peut le dire ni le croire, il faut donc que tout ait été créé avec raison. Or la raison d'être n'est pas la même pour l'homme que pour le cheval : il serait absurde de le penser. Chaque être a donc été créé pour une raison propre. Mais où devons-nous croire que, ces raisons existent, sinon dans l'intelligence même du Créateur . En effet il n'y voyait rien hors de lui qui pût lui servir de type dans ce qu'il voulait faire une telle supposition serait sacrilège. Mais si ces raisons de toutes choses créées ou à créer sont contenues dans l’intelligence divine; s'il ne peut rien y avoir dans l'intelligence divine qui ne soit éternel et immuable ; si, de plus, ce sont ces premières raisons des choses que Platon appelle des idées il s'ensuit que non-seulement les idées existent, mais qu'elles sont vraies parce qu'elles sont éternelles, permanentes dans leur forme et immuables, et c'est par leur participation que tout existe, de quelque manière qu'il existe. Or l'âme raisonnable l'emporte sur toutes les créatures ; elle est proche de Dieu, quand elle est pure; et dans la proportion où elle lui est unie par la charité, elle se trouve comme remplie et illuminée par cette lumière intelligible, à l'aide de laquelle elle voit, non par les yeux du corps mais par ce qu'elle a de meilleur en elle-même, par son intelligence, elle voit, dis-je, ces rai sons et goûte un grand bonheur à les contempler. Du reste, comme nous l'avons dit, qu'on appelle ces raisons idées, ou formes, ou espèces' ou raisons, peu importe; il est permis à beaucoup d'hommes de donner des noms à leur choix, mais il n'est donné qu'à bien peu de voir la vérité.

XLVII. — Pourrons-nous un jour voir nos pensées ?

On demande souvent comment, après la résurrection et la transformation du corps, qui est promise aux saints, nous pourrons voir nos pensées. Jugeons-en par analogie d'après la partie de notre corps qui reçoit le plus de lumière. Nous devons croire que les corps glorieux, que nous espérons revêtir un jour, seront très-lumineux et de substance éthérée (1). Or, si déjà maintenant les mouvements de l'âme se trahissent souvent par les yeux, il est probable qu'aucun ne nous échappera, quand nous aurons entièrement revêtu ce corps céleste, en comparaison duquel nos yeux actuels ne sont q'une chair grossière .

XLVIII. — Des choses à croire.

Il y a trois espèces de choses à croire : les unes que l'on croit toujours sans jamais les comprendre, comme l'histoire qui déroule la marche du temps et les actions humaines ; les autres que l'on comprend dès qu'on les croit, comme les raisonnements humains sur les nombres ou toute autre science ; en troisième lieu, celles que l'on croit d'abord et que l'on comprend ensuite, comme tout ce qui regarde les choses divines, dont l'intelligence n'appartient qu'aux coeurs purs, c’est-à-dire à ceux qui observent les règles prescrites pour bien vivre.

XLIX. — Pourquoi les enfants d'Israël offraient-ils des animaux en sacrifice ?

Parce qu'il y a aussi des sacrifices spirituels, dont ce peuple charnel devait présenter les images, afin que ce peuple esclave figurât le peuple nouveau (1). Cette différence des deux peuples se remarque dans chacun de nous, en ce que chacun est forcé d'agir selon le vieil homme, dès le sein de sa mère jusqu'à l'adolescence : époque où l'on n'est plus assujetti aux inclinations de la chair, mais où la volonté peut se porter aux choses spirituelles et être intérieurement régénérée. Or ce que la nature et la discipline opèrent dans un homme bien élevé, il était très-convenable que la divine Providence le reproduisit proportionnellement dans tout le genre humain.

L. — De l'égalité du Fils.

Dieu a dû engendrer égal à lui, celui qu'il a engendré ; car il n'a pu engendrer meilleur que lui, puisqu'il n'y a rien de meilleur que Dieu. En effet, s'il l'eût voulu sans le pouvoir , t'eût été impuissance s'il l'eût pu sans le vouloir, t'eût été jalousie. Donc il a dû engendrer son Fils égal à lui-même.

LI. — De l'homme fait à l'image et à la ressemblance de Dieu.

1. L'Ecriture Sainte fait mention de l'homme extérieur et de l'homme intérieur, et les distingue au point que l'Apôtre a pu dire : « Si en nous l'homme extérieur se détruit, cependant l'homme interieur se renouvelle de jour en jour (2). »

On peut donc demander si l'un d'eux a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu ? Or, s'il y en a un, il est absurde de demander lequel des deux. Qui hésiterait en effet à nommer celui qui se renouvelle, plutôt que celui qui se corrompt ? Mais le sont-ils tous les deux ? Voilà une grave question (3). Si l'homme extérieur signifie Adam, et l'homme intérieur le Christ, il n'y a pas de difficulté: tous les deux ont été faits à l'image de Dieu. Mais comme Adam n'est pas resté bon tel que Dieu l'avait fait, et qu'ilest devenu charnel en aimant les. choses charnelles, il n'est pas absurde de penser que sa chute a précisément consisté à perdre l'image et la ressemblance de Dieu. Voilà pourquoi il se renouvelle et devient intérieur; mais alors comment est-il aussi extérieur? Est-ce quant au corps seulement, en sorte qu'il soit intérieur quant à l'âme, que sa résurrection et son renouvellement soient intérieurs, c'est-à-dire s'opèrent par la mort à sa première vie, qui est le péché, et par sa régénération à la vie nouvelle, qui est la justice ? C'est ainsi en effet que saint Paul mentionne les deux hommes : l'un qu'il nomme ancien et que nous devons dépouiller, l'autre qu'il appelle nouveau et que nous devons revêtir (1) ; l'un qu'il appelle encore l'image de l'homme terrestre, parce qu'il représente le péché du premier homme, qui est Adam, l'autre qu'il nomme image de l'homme céleste (2), parce qu'il représente la justice de l'homme nouveau, qui est Jésus-Christ. Or l'homme extérieur, maintenant sujet à la corruption, sera renouvelé par la résurrection future, quand il aura payé la dette de la nature, en subissant la mort, suivant la loi portée dans le paradis terrestre.

2. Mais qu'il n'y ait pas d'inconvenance à dire que le corps même de l'homme a été fait à l'image de Dieu, c'est ce qui se comprend facilement, si l'on tait attention à ces paroles : « Tout ce que Dieu a fait est très-bon (3). »

En effet personne ne doute que Dieu ne soit lui-même essentiellement bon. Or c'est en plus d'un sens qu'une chose peut être dite semblable à Dieu : ou par la vertu et la sagesse, puisque en lui est la vertu et la sagesse incréée: ou par la vie seulement, puisqu'il est la vie souveraine et première ; ou par la simple existence, puisqu'il est l'existence première et souveraine. Aussi les choses qui existent simplement, sans posséder la vie ni l'intelligence, n'ont avec lui qu'une ressemblance bien faible et bien imparfaite : en ce sens qu'elles sont bonnes selon leur rang, tandis qu'il est, lui, le bien souverain, de qui tous les biens procèdent. Les êtres qui vivent et ne sont point dopés de raison, ont avec lui un trait de ressemblance de plus : car tout ce qui vit, existe, tandis que tout ce qui existe ne vit pas. Enfin les êtres doués de raison sont tellement semblables à Dieu que rien n'est plus rapproché de lui dans toute la création. En effet tout ce qui participe à la raison, a la vie et l'existence ; or la vie suppose nécessairement l'existence, mais non l'intelligence. C'est pourquoi, l'homme pouvant participer à la sagesse selon l'homme intérieur, devient par là même tellement semblable à Dieu, qu il n'y a pas entre eux de nature intermédiaire. Par conséquent rien n'est plus rapproché de Dieu, car il a la raison, la vie et l'être ; il n'y a pas de créature qui l'emporte sur lui.

3. Si, par l'homme extérieur, on entend cette vie qui nous fait éprouver des sensations dans notre corps, au moyen des cinq sens qui nous sont communs avec les animaux, vie exposée à être détruite par les souffrances sensibles, qui viennent de tant d'attaques, sous ce rapport encore nous avons raison de dire que l'homme est fait à l'image de Dieu, non-seulement parce qu'il vit, car les animaux vivent aussi, mais encore, mais surtout, parce qu'il se tourne vers l'intelligence qui le gouverne, et que la sagesse éclaire, ce qui ne se peut chez les animaux privés de raison.

De plus le corps de l'homme est le seul parmi les corps des animaux terrestres qui, étant visible comme eux ne soit pas incliné vers le ventre, mais, debout, dressé pour voir le ciel, principe des choses visibles. Bien qu'il ne vive pas de sa vie propre, mais par la présence de l'âme, il est cependant bon, non-seulement parce qu'il existe et en tant qu'il existe, mais encore parce qu'il est formé pour contempler le ciel, et que par là on peut avec raison le considérer comme se rapprochant, plus que celui des autres animaux, de l'image et de la ressemblance de Dieu. Toutefois comme il n'est pas juste de donner le nom d'homme à un corps privé de vie (1), l'homme extérieur ne sera donc ni le corps seul, ni la vie des sens seule ; peut-être serait il plus exact d'appliquer celte dénomination aux deux choses réunies.

4. Ce n'est point à tort non plus qu'on distingue l'image et la ressemblance de Dieu, qui s'appelle aussi son Fils, et ce qui est fait à cette image et à celle ressemblance, comme l'homme (2) par exemple.

 

Quelques-uns prétendent aussi que ce n'est pas sans raison qu'on a employé ces deux expressions, image et ressemblance : car, disent-ls, s'il n'y avait qu'une chose, il n'y aurait eu besoin que d'un mot. C'est l'intelligence qui, selon eux, a été faite à l'image de Dieu, elle qui se forme sans intermédiaire sur la vérité même, et qui s'appelle aussi esprit : non cet Esprit-Saint qui est de même substance que le Père et le Fils, mais l'esprit de l'homme. Distinction que l'Apôtre établit en ces termes : «Personne ne sait ce qui se passe dans l'homme, sinon l'esprit de l’homme ; et personne ne sait ce qui se passe en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu (1). » Il dit encore en parlant de l'esprit de l'homme : « Que Dieu sauve votre esprit, et votre âme et votre corps (2). » Or cet esprit est l'oeuvre de Dieu, comme toute autre créature. Car il est écrit dans le livre des Proverbes: « Sachez que le Seigneur tonnait les coeurs des hommes ; et que celui qui a créé l’esprit de chacun, connaît toutes les choses (3). » Donc, sans aucun doute, cet esprit qui a l'intelligence de la vérité et s'y attache sans intermédiaire, a été fait à l'image de Dieu.

Ces mêmes hommes entendent ensuite que le reste de la nature humaine a été fait seulement à la ressemblance de Dieu: parce que, disent-ils, toute image est semblable, mais tout ce qui est semblable ne saurait s'appeler image qu'improprement et par abus. Or en pareil sujet il faut éviter de pousser l'affirmation trop loin, et se bien garder d'attribuer à la substance divine l'étendue matérielle propre à tout corps. En effet, l'idée d'une chose moindre dans la partie que dans le tout répugne à la dignité de l'âme ; à combien plus forte raison à la majesté de Dieu?

LII. — Sur ces mots de l'Ecriture : « Je me repens d'avoir fait l'homme (4). »

Les divines Ecritures ayant pour but de nous faire passer du sens terrestre et humain au sens divin et céleste, n'ont pas dédaigné de se servir du langage que l'usage a établi même parmi les hommes les moins sensés. Ainsi les écrivains qui ont servi d'organe à l'Esprit-Saint, n'ont pas hésité à employer très à propos dans leurs livres les noms des passions que notre âme subit, ruais que tout homme doué de bon sens sait être à une distance infinie de Dieu. Par exemple, comme il est très-difficile à l'homme de se venger sans colère, ils ont cru devoir appeler aussi colère la vengeance divine, qui s'exerce cependant sans le moindre trouble (5). De même, comme un époux veille, par jalousie, à la chasteté de son épouse, ils ont appelé jalousie cette providence de Dieu qui, en paroles e t en actes, empêche l'âme de se corrompre et de se prostituer, en quelque sorte, à la suite de tel ou tel faux Dieu. Ainsi encore ils ont donné des mains à Dieu, pour exprimer la puissance avec laquelle il opère; des pieds, pour signifier la puissance qui s'étend à conserver et gouverner tout; des oreilles, des yeux, pour indiquer qu'il entend et comprend tout; une face, pour rappeler qu'il se manifeste et se fait connaître, et ainsi de suite tout cela, parée qu'ils s'adressent à nous et que nous avons coutume d'opérer par nos mains,. de marcher avec nos pieds, d'aller où notre esprit nous porte, de percevoir les objets matériels par les oreilles, par les yeux et les autres sens, enfin d'être connus par la figure. Ceci s'applique à toutes les autres locutions du même genre. De plus, comme nous substituons rarement une résolution à une autre sans nous repentir de la première, pour ce motif et afin de se conformer à notre faible intelligence, ces écrivains disent, quand une chose a commencé d'être et ne persévère point autant qu'on s'y attendait, qu'elle est détruite par l'effet du repentir divin ; bien que, pour quiconque réfléchit avec calme, la divine Providence administre tout avec un ordre qui ne saurait faillir.

LIII. — De l'or et de l'argent que les Israëlites reçurent des Egyptiens.

1. Étudions les dispositions faites dans les deux Testaments, et accommodées avec tant de soin aux exigences des temps et aux divers âges du genre humain ; on comprend assez, ce me semble, ce qui convient à la première époque et ce qui convient à la seconde.

En effet sous le sage gouvernement de la Providence qui s'étend à tout, la suite des générations depuis Ad aln jusqu'à la fin des siècles, est réglée comme l'existence d'un seul homme, qui passe par des changements progressifs, de l'enfance à la vieillesse. Aussi quand on médite avec piété les divines leçons, on doit également distinguer différents degrés dans les vertus, jusqu'à ce qu'on soit parvenu au sommet de la perfection humaine ; et si l'on remarque de moindres devoirs imposés aux faibles, et de plus grands aux forts, on ne doit point s'imaginer que le moins est un péché en comparaison du plus, et qu'il est indigne de Dieu de donner aux hommes de tels ordres. Mais il serait trop long de discuter ici sur les degrés des vertus. Qu'il nous suffise, pour la question présente, de dire, en ce qui regarde la fraude, que c'est le (444) sommet, la perfection de la vertu de ne tromper personne, et de se conformer à cette parole : « Que votre langage soit: Oui oui ; non non (1). » Mais ce commandement est fait pour ceux à qui s'adresse la promesse du royaume des cieux, et il y a une grande vertu à accomplir les actes plus importants auxquels est due cette récompense ; car le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent (2). Il faut donc chercher par quels degrés on arrive à ce sommet de perfection. Or sur ces degrés se trouvent ceux à qui on promettait encore un royaume terrestre, comme un jouet donné à des enfants, afin qu'obtenant de temps en temps de terrestres jouissances du seul Dieu, le maître de toutes choses, ils en tirassent profit et accroissement spirituel et s'enhardissent aussi à espérer lesbiens célestes. Par conséquent, comme c'est la perfection et une vertu presque divine de ne tromper personne, le plus bas degré du vice est de tromper tout le monde; et quand on cherche à s'élever de cette profondeur du vice à cette hauteur de la vertu, un degré,se présente : c'est de ne tromper ni un ami ni un inconnu, mais de tromper quelquefois un ennemi. De là vient qu'on a fait comme un proverbe de cette parole d'un poète: Ruse ou bien probité, qu'importe entre ennemis (3) ? Mais comme souvent un ennemi peut être trompé injustement, par exemple quand une paix momentanée, c’est-à-dire une trêve, a été conclue et n'est point observée, ou en d'autres cas semblables: on est bien plus irréprochable, bien plus voisin de la perfection, quand, tout disposé qu'on soit à tromper l'ennemi, on ne le trompe cependant que sur l'autorisation de Dieu. En effet Dieu seul sait et beaucoup mieux, beaucoup plus parfaitement que l'homme, quelle punition ou quelle récompense est méritée par chacun.

2. Aussi ne trompe-t-il personne par lui-même; car il est le Père de la vérité, la Vérité et l'Esprit de vérité.

Cependant, en rendant à chacun ce qui lui est dû, car c'est là aussi un attribut de la justice et de la vérité, il traite, selon leurs mérites et leurs rangs, les âmes placées sur les divers degrés. Mais si quelqu'un mérite d'être trompé, il ne le trompe, ni par lui-même, ni par l'homme qui aime déjà comme il convient de s'aimer et qui tient à observer ce précepte : « Que votre langage soit: Oui, Oui, Non, Non; » ni par un ange, à qui le rôle de trompeur ne saurait convenir; mais au moyen, soit d'un homme qui ne s'est pas encore dépouillé de telles passions, soit d'un ange qui, à raison de la perversité de sa volonté, a été placé au plus bas degré de la nature, ou pour tirer vengeance du pécheur, ou pour exercer et purifier ceux qui sont régénérés en Dieu. Aussi lisons-nous d'un roi qu'il fut trompé par les prédictions des faux prophètes; et que ce ne fut pas sans un effet de la volonté divine, parce qu'il méritait d'être trompé dé la sorte. Il ne fut cependant point induit en erreur par l'entremise d'un de ces anges à qui un tel ministère ne pourrait convenir, mais par l'ange de l'erreur, qui avait demandé et accepté ce rôle avec joie (1). Car en certains passages de l'Ecriture on exprime quelquefois clairement ce que le lecteur pieux et attentif retrouve indiqué plus obscurément en d'autres endroits. Aussi notre Dieu a tellement ménagé l'ordonnance des Ecritures sous l'inspiration du Saint-Esprit et en vue de notre salut, qu'il s'y trouve tout à la fois des passages clairs pour nourrir notre foi et des passages obscurs pour l'exercer.

D'après cette magnifique et sublime économie, oeuvre de la divine Providence, la loi naturelle est comme transcrite dans l'âme raisonnable, et les hommes en reproduisent l'image dans leur conduite et dans leurs usages terrestres. Voilà pourquoi un juge regarde comme criminel et indigne de lui de frapper celui qu'il a condamné; c’est cependant par son ordre qu'agit le bourreau, revêtu de cette fonction par sa propre volonté, et prêt à frapper le coupable condamné par des lois sages, comme il frapperait peut-être un innocent, par cruauté; car le juge ne remplit point cet office par lui-même, ni par le prince, ni par l'avocat, ni par un fonctionnaire quelconque, à qui un tel ministère serait messéant. Ainsi encore nous employons les animaux privés de raison pour faire ce que nous ne pourrions faire sans crime. Par exemple un voleur mérite-t-il d'être mordu ? Un homme ne le mordra ni ne le fera mordre soit par son fils, soit par son parent ou même son serviteur; on y emploiera un chien, animal dont la nature ne répugne point à de tels offices. Ainsi, comme il y a des punitions que quelques-uns doivent subir, mais que d'autres ne peuvent infliger, il existe des ministères intermédiaires à qui ces fonctions sont confiées, et dont la justice se sert, non-seulement pour appliquer la peine à qui de droit, mais encore pour l'appliquer par des instruments convenables.

Voilà pourquoi, les Egyptiens méritant d'être trompés, et le peuple d'Israël étant encore, à raison de l'âge, du genre humain, dans le cas de tromper son ennemi sans se dégrader, Dieu lui a ordonné, ou plutôt permis, à cause de sa cupidité, de demander sans intention de les rendre, et de recevoir comme pour les rendre, des vases d'or et d'argent, dont ces amis du bonheur terrestre étaient singulièrement avides (1). Dieu voulait que ce salaire d'un long et pénible travail ne fût point injuste, eu égard au degré de vertu où se trouvaient les Israëlites, et en même temps il punissait les Egyptiens en leur faisant perdre ce qu'ils auraient dû eux-mêmes restituer. Dieu n'est donc pas trompeur, il serait criminel et impie de le dire, mais il distribue avec une parfaite équité à chacun selon son mérite; faisant par lui-même certaines choses qui sont dignes de lui et ne conviennent qu'à lui : ainsi éclairer les âmes, se donner à elles pour qu'elles jouissent de lui, les rendre sages et heureuses ; en faisant d'autres par l'intermédiaire des créatures soumises à ses ordres, et établies chacune à sa place par des lois très-justes ; tantôt agissant, tantôt permettant, mais embrassant tout dans les soins de sa Providence, jusqu'à l'existence des passereaux, comme l'enseigne lé Seigneur dans l'Evangile, jusqu'à la beauté de la fleur des champs, jusqu'au nombre des cheveux qui sont sur notre tête (2). Ailleurs encore il est dit de cette Providence : « Elle atteint avec force d'une extrémité à l'autre, et elle règle tout avec douceur (3). »

3.Maintenant, que Dieu punisse par le ministère des âmes soumises à ses lois et proportionne les peines aux fautes, tout en restant lui-même dans une tranquillité parfaite, c'est ce que l'Ecriture atteste de la manière la plus expresse : « Vous regardez comme indigne de votre grandeur de condamner celui qui ne doit pas être puni.

Car votre justice a son principe dans votre grandeur même; et c'est parce que vous êtes le maître de tout, que vous êtes indulgent envers tous. En effet vous montrez votre puissance lorsqu'on ne vous croit pas la plénitude de la force, et vous humiliez l'audace de ceux qui vous connaissent (4). Et vous, le Seigneur des vertus, vous jugez avec tranquillité et vous nous gouvernez avec un grand respect (1). »

4. De même le Seigneur fait voir clairement que pour parvenir à la justice céleste exigée de ceux qui sont déjà plus affermis, il faut partir des choses terrestres; c'est lorsqu'il dit: « Et si vous n'avez pas été fidèles dans le bien d'autrui, qui vous donnera celui qui est à vous (2) ?

Il montre également que les âmes sont instruites en proportion du degré où elles se trouvent ; c'est quand il dit : « J'ai encore bien des choses à vous enseigner, mais vous ne pouvez les porter à présent (3). » L'Apôtre dit dans le même sens: « Pour moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. Je vous ai abreuvés de lait, mais j e ne vous ai point donné à manger, parce que vous ne le pouviez pas encore ; et à présent même vous ne le pouvez, parce que vous êtes encore charnels (4). » Or la différence de conduite qu'exigeait alors le degré différent de vertu où se trouvaient les fidèles s'est étendue à l'humanité entière ; et si les commandements donnés au peuple charnel et au peuple spirituel ont différé entre eux, c'est qu'ainsi le demandaient les besoins des temps. Il n'est donc pas étonnant que les Israëlites aient ainsi reçu l'ordre de tromper leur ennemi, puisqu'il sen étaient encore capables. Car ils n'étaient pas encore en état d'entendre ce commandement « Aimez vos ennemis; » celui-ci seulement était à leur portée : « Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi (5): » L'époque ne permettait pas encore de faire connaître dans toute l'étendue la signification du mot prochain. Le pédagogue avait commencé, afin que le Maître pût achever; et pourtant c'est le même Dieu qui a donné à ses enfants encore petits le pédagogue, c'est-à-dire la Loi, par son serviteur Moïse; puis à ces mêmes enfants devenus plus grands, le Maître; c'est-à-dire l'Evangile par son Fils unique.

LIV. — Sur ces paroles: « Pour moi il m'est bon de m'attacher à Dieu (6) ».

Tout ce qui existe est ou n'est pas toujours de la même manière. De plus toute âme vaut mieux que tout corps, car ce qui donne la vie. vaut mieux que ce qui la reçoit ; et personne ne conteste que c'est l'âme qui donne la vie au.corps et non le corps à l'âme. Or ce qui n'est pas corps et qui- existe pourtant, est âme ou quelque chose de meilleur que l'âme. Car rien n'est inférieur à un corps quelconque ; et si on parle de la matière dont le corps est composé, on pourra dire avec raison que, n'étant d'aucune espèce elle n'est rien. De plus entre le corps et l'âme, on ne trouve rien qui soit inférieur à celui-là, supérieur à celle-ci. S'il y avait en effet un intermédiaire, ou il serait vivifié par l'âme, ou il la vivifierait , ou il ne la vivifierait ni ne serait vivifié par elle : ou bien encore il vivifierait le corps, ou il en serait vivifié, ou il ne le vivifierait ni ne serait vivifié par lui. Or tout ce qui est vivifié par l'âme est corps, et tout ce qui vivifie l'âme vaut mieux qu'elle. D'autre part ce qui donne la vie au corps, est âme ; ce qui est vivifié par corps, n'est rien ; et ce qui n'est ni l'un ni l'autre, c'est-à-dire n'a pas besoin d'être vivifié et ne vivifie point lui-même, ou n'est rien ou est meilleur que le corps et l'âme. Mais existe-t-il quelque chose de ce genre dans la nature? c'est une autre question. En attendant, la raison nous apprend qu'il n'y a pas d'intermédiaire entré le corps et l'âme, qui soit au dessus de celui-là, au dessous de celle-ci. Or l'être qui l'emporte sur toute âme, nous l'appelons Dieu, et quiconque le comprend, lui est uni. Car le vrai, c'est se qui est compris, et non pas toujours ce qui est cru. Mais tout ce qui est en même temps vrai et séparé de l'intelligence et des sens ne peut être que cru, et non senti ni compris Donc ce qui comprend Dieu est uni à Dieu. Or l'âme raisonnable comprend Dieu, car elle comprend ce qui a toujours le même mode d'être et n'est sujet à aucun changement ; tandis que le corps, parle temps et l'espace, et l'âme raisonnable elle-même, tantôt sage tantôt insensée, sont sujets à changement. Mais ce qui est immuable vaut certainement mieux que ce qui ne l'est pas, et il n'y a rien de meilleur que l'âme raisonnable, si ce n'est Dieu. Donc quand l'âme comprend quelque chose qui existe toujours de la même manière, c'est sans aucun doute Dieu même qu'elle comprend. Or c'est là la vérité même, et quand l'âme lui est unie par l'intelligence y trouve son bonheur, et ces paroles s'expliquent parfaitement : « Pour moi, il m'est bon de m'attacher à Dieu.»

LV. — Sur ces paroles : « Il y a soixante reines, quatre-vingt concubines et des Jeunes filles sans nombre (1). »

Le nombre dix peut signifier la science de l'univers. Si on l'applique aux choses intérieures et intelligibles, indiquées par le nombre six, il en résulté le nombre dix fois six; c'est-à-dire soixante ; si on la rapporte aux choses terrestres et corruptibles, qui peuvent être désignées par le nombre huit, on obtient dix fois huit, c'est-à-dire quatre-vingt. Les reines sont donc les âmes qui règnent dans le monde intelligible et spirituel. Les concubines sont les âmes qui reçoivent une récompense terrestre, et dont il est dit : « Elles ont reçu leur récompense (1).» Les jeunes filles sans nombre sont les âmes dont la science, n'est pas fixe et que des doctrines diverses peuvent mettre en danger. Ainsi le nombre, comme nous l'avons dit, signifierait une science certaine, positive et affermie.

LVI. — Des quarante-six ans employés à la construction du temple.

Six, neuf, douze et dix-huit réunis, font quarante-cinq. Ajoutez-y l'unité, tous avez quarante-six qui, multiplié par six, donne deux cent soixante-seize. Or on prétend que la conception humaine suit la progression suivante : Les six premiers jours elle ressemble' à du lait; lés neuf suivants, elle se change en sang ; dans les douze qui viennent ensuite, elle se consolide; puis pendant dix-huit jours, elle prend la forme complète des membres; et enfin, pendant le reste du temps jusqu'au, terme, elle prend de l'accroissement. Si donc à quarante-cinq on ajoute l'unité, qui indique le total à obtenir, puisque six, neuf, douze et dix-huit réunis font quarante-cinq ; cette unité produit quarante-six. Or quarante-six, multiplié par le nombre six, que nous avons placé le premier de la série, donne deux cent soixante-seize, c'est-à-dire neuf mois et six jours à partir du huit des calendes d'avril jour où l'on croit que le Seigneur a été, conçu parce que c'est ce jour-là qu'il a été crucifié, jusqu'au huit des calendes de janvier où il est né. Ce n'est donc pas sans raison qu'on dit que le temple, image de son corps (2), a été construit en quarante-six ans: car on aurait employé à élever cet édifice autant d'années que le corps du Seigneur aurait mis de jours à se développer complètement.

LVII. — Des cent cinquante-trois poissons.

1. « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu (3). »

En commençant ici au Chef suprême, on trouve un, deux, trois, quatre objets. De même il est écrit : « Le chef de la femme est l'homme, le chef de l'homme est le Christ, et le chef du Christ est Dieu (4). » En comptant de la même manière, on trouve encore ici un, deux, trois et quatre. Or un, deux, trois et quatre additionnés, donnent dix. C'est pourquoi le nombre dix représente bien la doctrine qui montre Dieu créateur et le inonde créature. De plus, comme le corps une fois parfait et immortel est soumis à l'âme parfaite aussi et immortelle, que l'âme elle-même est soumise au Christ et le Christ à Dieu, non comme étant d'une nature différente ou étrangère, mais comme un fils à son père, ce même nombre dix ex prime aussi tout ce que nous espérons pour l’éternité après la résurrection du corps. Peut-être est-ce pour cela que les ouvriers loués pour travailler à la vigne reçoivent un denier pour salaire (1). Or comme un, deux, trois et quatre réunis font dix ; de même un, deux, trois et quatre multipliés par quatre forment quarante.

2. Si le nombre quatre désigne vraiment le corps, à raison de ses quatre éléments bien connus : le sec et l'humide, le froid et le chaud, et encore parce que la progression du point à la longueur, de la longueur à la largeur et de la largeur à la hauteur en constitue la solidité, qui est ainsi renfermée dans le nombre quatre, il ne sera pas déraisonnable d'exprimer par le nombre quarante l'oeuvre accomplie dans le temps pour notre salut, quand le Seigneur a pris un corps et a daigné apparaître aux hommes sous forme visible.

Car un, deux, trois et quatre, qui désignent le Créateur et la créature, multipliés par quatre, c'est-à-dire figurés par le corps qu'a pris le Sauveur dans le temps, forment quarante. En effet, entre quatre et quatre fois existe cette différence, que le premier indique l'état fixe, et le second le mouvement. Doue comme quatre se rapporte au corps, quatre fois le rapporte au temps ; et par là se trouve indiqué le mystère opéré corporellement et dans le temps, en vue de ceux qui étaient esclaves de l'amour du corps et soumis aux variations du temps. Donc aussi, comme nous l'avons dit, le nombre quarante est censé désigner avec assez de fondement, l'œuvre même de la Providence dans le temps. Et si le Christ a jeûné quarante jours (2), c'est peut-être pour faire ressortir la pauvreté de ce siècle, qui repose sur le mouvement des corps et sur le temps ; comme aussi, quand il a passé quarante jours avec ses disciples après sa résurrection, c'était par allusion, je pense, à l'oeuvre qu'il a accomplie dans le temps pour notre salut. Or le nombre quarante, si on additionne ses parties aliquotes, s'élève au nombre cinquante, et a la même signification. En effet ces parties aliquotes le forment avec exactitude; or, quand la vie corporelle et visible que l'on mène dans le temps a toute l'exactitude de le justice, on arrive à la perfection dont l'homme est capable. Cette perfection, comme nous l'avons dit, est exprimée par le nombre dix; et le nombre quarante,en faisant la somme de ses parties aliquotes produit le nombre dix, parce qu'il s'élève à cinquante, comme nous l'avons dit aussi plus haut. En effet un, renfermé quarante fois dans quarante ; deux, vingt fois; quatre, dix-fois; cinq, huit fois; huit, cinq fois ; dix, quatre fois ; et vingt, deux fois, réunis ensemble, forment cinquante. Or il n'y a dans le nombre quarante aucun autre nombre, que ceux que nous venons d'énumérer, et dont nous avons formé le nombre cinquante en les additionnant l'un à l'autre.

Après avoir donc passé quarante jours avec ses disciples, après sa résurrection, pour leur recommander l'œuvre qu'il avait accomplie pour nous dans le temps, le Seigneur monta au ciel; et dix jours après, il envoya le Saint-Esprit (1), pour les perfectionner spirituellement et les rendre capables de comprendre les choses invisibles, eux qui n'avaient cru jusque-là qu'aux choses temporelles et visibles. En effet, par les dix jours après lesquels il envoya le Saint-Esprit, il indiquait la perfection opérée parle Saint-Esprit; car c'est ce nombre dix que produit le nombre quarante lorsque par l'addition de ses parties aliquotes il devient le nombre cinquante; et c'est ainsi qu'en vivant avec l'exactitude de la justice on parvient à la perfection, désignée par ce même nombre de dix, qui forme le nombre cinquante en s'ajoutant à quarante. Donc puisque la perfection opérée par le Saint-Esprit, tant que nous vivons dans la chair sans marcher selon la chair, s'unit à.la vie du temps nous avons raison de penser que le nombre cinquante désigne l'Eglise, mais l'Eglise déjà purifiée et perfectionnée, qui embrasse, dans la charité, la foi de la vie présente et l'espérance de l'éternité future, c'est-à-dire qui réunit le nombre dix au nombre quarante. Or, soit parce qu'elle est composée de trois espèces d'hommes, les Juifs, les Gentils et les chrétiens charnels ; soif parce qu'elle est marquée du sceau de la Trinité dans le sacrement ; cette Eglise, désignée par le nombre cinquante, si on multiplie par trois le nombre qui lui, est propre, arrive à cent cinquante. En effet trois fois cinquante font cent cinquante. Ajoutez-y trois, parce qu'il faut indiquer par un signe véritable, éclatant, qu'elle est purifiée dans le bain de la régénération, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit (1), et vous avez cent cinquante-trois. Or c'est précisément le nombre des poissons pris dans le filet jeté sur la droite. Si on les dit grands (2), c'est parce qu'ils représentent les hommes parfaits, aptes au royaume des cieux. En effet, dans l'autre cas, le filet qui ne fut point jeté sur. la droite, prit de bons et de mauvais poissons, qui furent séparés sur le rivage (3). Car, dans l'état présent de l'Église, il y a tout à la fois de bons et de mauvais poissons dans les filets des préceptes et des sacrements divins. Or la séparation se fait à la fin des temps, c'est-à-dire à l'extrémité de la mer, sur le rivage : les justes règnent d'abord dans le temps, comme il est dit dans l'Apocalypse, puis dans l'éternité au sein de la cité qui y est décrite (4) ; là où l'oeuvre du temps, désignée par le nombre quarante, ayant son terme, il ne reste plus que le nombre dix, denarius, le denier, salaire réservé aux saints qui travaillent dans la vigne.

3. Pris en lui-même, ce nombre peut aussi désigner la sainteté de l'Église, opérée par Notre-Seigneur ; car le nombre sept enfermant toute la création, puisque le nombre trois est attribué à l'âme, et le nombre quatre au corps, l'incarnation même s'exprimerait par sept fois trois.

En effet le Père a envoyé le Fils, et le Père est dans le Fils, et le Fils est né d'une Vierge par le don du Saint-Esprit. Voilà bien trois: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De plus le nombre sept est dans l'homme auquel s'est uni le Fils de Dieu dans l'incarnation pour le rendre éternel. La somme totale est donc de vingt un, c'est-à-dire de trois fois sept. Or ce mystère de l'Incarnation a procuré ; la délivrance de l'Église, dont le Christ est le chef (5) ; mais cette Eglise ayant été réparée dans son corps et dans son âme; voilà encore le nombre sept. Or en multipliant vingt-un par sept, à cause de ceux qui sont délivrés par l'Homme-Dieu, on trouve pour total cent quarante-sept. On y ajoute le nombre six, ou le nombre parfait, attendu qu'il se compose exactement de la somme de ses parties aliquotes En effet ses parties aliquotes sont un, qu'il contient six fois ; deux, qu'il renferme trois fois; trois, qu'il contient deux fois ; et un, deux, trois, réunis, donnent six. Peut-être est-ce pour ce motif que Dieu a achevé mystérieusement l'oeuvre de la création le sixième jour (1). Si donc vous ajoutez six, le signe de la perfection, à cent quarante-sept, vous obtenez cent-cinquante trois, le nombre des poissons pris le jour où, sur l'ordre du Seigneur, on jeta le filet sur la droite, et non sur la gauche; où se trouvent les pécheurs.

LVIII. — De Jean-Baptiste.

1. D'après ce que l'Écriture enseigne de Jean-Baptiste dans l'Évangile, on peut avec beaucoup de raison croire qu'il a personnifié la prophétie, surtout d'après ce que le Seigneur dit de lui : « Plus qu'un prophète (2). »

En effet il représente toutes les prophéties relatives au Seigneur, qui ont eu lieu depuis le commencement du genre humain jusqu'à l'avènement du Seigneur lui-même. Or l'Évangile est personnifié dans le Seigneur, but des prophéties, et s'étend, par la prédication, au monde entier, depuis l'arrivée même du Seigneur; mais, ce qu'annonçaient les prophéties étant arrivé, celles-ci diminuent. Aussi le Seigneur dit-il : « La loi, et les prophètes ont duré jusqu'à Jean-Baptiste; depuis, c'est le royaume de Dieu qui est annoncé (3). » Et Jean lui-même : « Il faut qu'il croisse et que je diminue (4). » C'est ce qui a été figuré par les jours où ils sont nés et par la manière dont ils sont morts. En effet Jean naît à l'époque de l'année où les jours commencent à diminuer, et le Christ dans le moment où ils commencent à croître. L'un meurt décapité, c'est-à-dire diminué de la tête ; l'autre est élevé sur une croix. Aussitôt donc que la prophétie, personnifiée dans Jean, a montré du doigt comme présent celui qu'elle avait annoncé dès le commencement du monde, elle commence à diminuer, et la prédication du royaume de Dieu augmente. Voilà pourquoi Jean a donné le baptême de la pénitence (5) ; car c'est par la pénitence que finit la vie ancienne et que la nouvelle commence.

2. Or ce n'est pas seulement dans les prophètes proprement dits, mais dans l'histoire même de l'ancien Testament que la prophétie élève la voix pour ceux qui la cherchent avec piété et dont le secours divin facilite les recherches.

Cependant elle éclate surtout dans les passages figuratifs qui nous montrent: Abel le juste mis à mort par son frère (1), et le Seigneur par les Juifs; l'arche de Noé sur les eaux, comme l'Église dirigée à travers le déluge de ce monde (2) ; Isaac conduit pour être immolé au Seigneur, puis remplacé par un bélier arrêté dans les épines et comme crucifié (3); les deux Testaments rappelés par les deux fils d'Abraham, nés l'un de la servante, l'autre de la femme libre (4) ; deux peuples représentés dans deux jumeaux, Esaü et Jacob (5) ; Joseph persécuté par ses frères et honoré par des étrangers (6), comme le Seigneur, persécuté par les Juifs, est glorifié parmi les nations. Il serait long de tout rapporter en détail ; aussi l'Apôtre conclut-il en disant : « Or toutes ces choses leur arrivaient en figure, et elles ont été écrites pour nous, nous qui sommes à la fin des temps (7). »

Or, en comparant le genre humain à un homme, la fin des temps, semblable à la vieillesse, est marquée par le sixième âge où le Seigneur est venu. Il y a en effet six âges dans l'homme celui du berceau, l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, l'âge mûr et la vieillesse. Or le premier âge du genre humain s'étend d'Adam à Noé ; le second de Noé à Abraham, deux époques bien distinctes et bien connues ; le troisième d'Abraham à David, suivant la division de l'Évangéliste Matthieu (8). Le quatrième, de David à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l’avènement du Seigneur ; le sixième doit s'étendre de l'arrivée du Seigneur à la fin des temps ; c'est dans sa durée que l'homme extérieur, appelé aussi le vieil homme, s'use de vieillesse, et que l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (9). Puis suivra le repos éternel, figuré parle sabbat. C'est parla même disposition que l'homme a été créé le sixième jour à l'image et à la ressemblance de Dieu (10).


De plus personne. n'ignore que la vie de l'homme, devenu maître de lui-même, s'appuie sur la connaissance et sur l'action. En effet toute action faite sans connaissance n'à pas de but, et toute connaissance quelle suit pas l'action est stérile. Mais le premier âge, que l'on a raison de, croire incapable de se diriger, est livré aux cinq sens du corps, qui sont la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher. Et voilà pourquoi les deux premiers âges du genre humain, son berceau en quelque sorte et son enfance, sont limités à dix générations : car on double le nombre cinq, puisque la génération exige le concours des deux sexes. Aussi y a-t-il dix générations d'Adam à No é et autant de Noé à Abraham ; et ces deux époques forment, comme nous l'avons dit, le premier âge et l'enfance de l'humanité. Puis l'adolescence, la jeunesse et l'âge mûr; c'est-à-dire à partir d'Abraham jusqu'à David, depuis David jusqu'à la transmigration de Babylone et depuis la transmigration de Babylone jusqu'à l'avènement du Seigneur, sont représentés par quatorze générations : c'est le nombre sept, formé de la connaissance et de l'action ajoutées au nombre cinq, celui des sens du corps, et qui se trouve doublé, toujours à raison des deux sexes. Or la vieillesse comprend d'ordinaire autant de temps que les autres âges. En effet, comme elle est censée commencer à soixante ans et que la vie humaine peut se prolonger jusqu'à cent vingt ans, il est clair que la vieillesse peut durer autant que tous les âges qui l'ont précédée. On ne peut donc dire combien de générations comptera le dernier âge du genre humain, qui a commencé à l'arrivée du Seigneur et durera jusqu'à la fin des temps. Et c'est pour de bonnes raisons que Dieu a voulu nous en cacher le terme, comme il est écrit dans l'Évangile (1), et comme l'atteste l'Apôtre, quand il nous dit que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit (2).

3. Toutefois les générations énumérées plus haut nous apprennent elles-mêmes que le genre humain a été visité, au sixième âge, par l'humble avènement du Seigneur.

 

C'est cette visite qui a commencé à rendre sensible la prophétie qui était obscure pendant les cinq âges précédents : et parce que Jean personnifiait en lui cette prophétie, comme nous l'avons remarqué déjà, il est né de parents avancés en âge, figure de la vieillesse du siècle où la prophétie commençait à se manifester, et sa mère s'est tenue cachée pendant cinq, mois, car l'Écriture dit expressément: « Elisabeth se tenait cachée pendant cinq mois (3). » Or, le sixième mois, elle est visitée par Marie, mère du Seigneur ; et l'enfant tressaille dans son sein, comme si la prophétie commençait à se manifester dès le premier instant où le Seigneur apparaît dans son humilité ; mais à se manifester dans le sein maternel, c'est-à-dire non encore avec assez d'évidence pour que tous la confessent comme éclatant au grand jour: ce qui, d'après notre foi, ne doit arriver qu'au second avènement du Seigneur, quand il viendra dans sa gloire; avènement dont Elie sera le précurseur, comme Jean le fut du premier. Voilà pourquoi le Seigneur dit : « Elie est déjà venu et les hommes lui ont r fait bien des choses, et si vois voulez le comprendre, il est lui-même Elie qui doit venir (1). » En effet c'est dans le même esprit et dans la même vertu que l'un est déjà venu remplir l'office de précurseur, et que l'autre viendra le remplir à son tour. C'est pour cela que l'Esprit qui remplit Zacharie et le fait prophétiser, annonce que Jean sera le précurseur du Seigneur dans l'esprit et dans la vertu d'Elie. Marie se retire, après avoir passé trois mois avec Elisabeth (2). Ce nombre me semble indiquer le dogme de la Trinité, et le baptême donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, pour purifier le genre humain par la grâce de l'humble avènement du Seigneur, et l'élever au sein de la gloire du second avènement (3).

LIX. — Des dix Vierges.

1. Entre les paraboles du Seigneur, celle des dix vierges cri ibarrasse ordinairement beaucoup ceux qui cherchent à la pénétrer.

On a émis, là dessus, des opinions quine sont pas contre la foi; mais comment faut-il l'expliquer dans toutes ses parties, voilà à quoi nous devons nous attacher. J'en ai lu une exposition dans un de ces écrits qu'on nomme apocryphes, et qui cependant n'avait rien de contraire à la foi catholique; mais, en étudiant toutes les parties de cette parabole, l'explication dont je parle m'a paru inexacte. Je n'ose cependant la juger témérairement ; peut-être était-ce moins son inexactitude que mon défaut d'intelligence qui causait mes embarras. J'exposerai donc le plus brièvement et le plus exactement possible, ce que je crois de plus raisonnable sur ce point.

2. Donc le Seigneur interrogé en secret par ses disciples sur la fin des temps, leur répondit ceci, parmi beaucoup d'autres choses: « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au devant de l'époux.

Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq étaient sages. Les cinq folles, en prenant leurs lampes, n'emportèrent point d'huile avec elles. mais les sages prirent de l'huile dans leurs vases avec leurs lampes. Or l'époux tardant à venir, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. Mais au milieu de la nuit, un cri s'éleva : Voici l'époux qui vient ; sortez au devant de lui. Aussitôt toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. Mais les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent, disant: De peur qu'il n'y en ait pas assez pour nous et pour vous, allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous. Or pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et la porte fut fermée. Enfin les autres vierges arrivent aussi, disant : Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous. Mais l'époux répondant , dit: En vérité je vous assure que je ne vous connais point. Veillez donc parce que vous ne savez ni le jour ni l'heure (1). »

Evidemment l'admission de cinq de ces vierges, l'exclusion des cinq autres, indique la distinction des bons et des méchants. Mais si la virginité est honorable, pourquoi est-elle commune à celles qui sont admises et à celles qui sont exclues ? Ensuite que signifie ce nombre cinq de part et. d'autre ? Autre difficulté : que signifie l'huile ? Et encore : pourquoi les vierges sages refusent-elles l'huile qu'on leur demande, quand la jalousie est interdite à des âmes assez parfaites pour être reçues par l'époux, en qui personne n'hésite à reconnaître Notre-Seigneur Jésus-Christ; et cela quand elles doivent être miséricordieuses et disposées à donner de ce qu'elles ont, suivant l'ordre même du Seigneur Donne à quiconque te demande (1) ? » Et pourquoi, en donnant de leur huile, auraient-elles à craindre qu'il n'y en ait pas assez pour toutes? Voilà des questions qui augmentent singulièrement la difficulté. Du reste le sujet considéré dans son ensemble exige qu'on prenne les plus grandes précautions, pour que tout y concoure au même but, et que ce qu'on dit sur un point ne soit pas en contradiction avec ce qui se dit sur un autre.

3. Les cinq vierges me semblent donc représenter l'abstention des cinq sortes de plaisirs charnels.

Il faut en effet s'abstenir du plaisir déréglé de la vue, de celui de l'oreille, de l'odorat, du goût et du toucher. Mais cette continence n'a tantôt pour témoin que Dieu, à qui l'on cherche à plaire dans la joie intime de la conscience, et tantôt se montre aux regards des hommes, dans le but de recueillir leurs suffrages ; voilà pourquoi cinq des vierges sont proclamées sages, et les cinq autres folles : toutes sont vierges, cependant, parce que des deux côtés il y a continence, bien que parlant de principes différents. Or les lampes qu'elles ont à la main ce sont les oeuvres qu'elles produisent en harmonie avec cette continence. Il est dit d'ailleurs : « Que vos oeuvres brillent aux yeux des hommes (1). — Toutes prirent leurs lampes et allèrent au devant de l'époux. » Il faut donc entendre tout ceci des chrétiens ; car ceux qui ne sont pas chrétiens ne vont pas au devant du Christ, de l'époux. « Mais les cinq folles, en prenant leurs lampes, n'emportèrent pas d'huile avec elles. » En effet beaucoup d'hommes, quoique pleins de confiance dans la bonté du Christ, ne cherchent cependant pas d'autre ;joie dans la continence que les louanges humaines; ils n'ont donc pas d'huile avec eux; car j'imagine que l'huile désigne ici la joie. Il est écrit : « C'est pour cela que Dieu, que votre Dieu a versé sur vous l'huile de la joie (2). » Or quiconque cherche une autre satisfaction que celle de plaire intérieurement à Dieu, n'a point d'huile avec lui. « Mais les sages prirent de l'huile dans leurs vases avec leurs lampes, » c'est-à-dire placèrent dans leur coeur et dans leur conscience la joie de leurs bonnes oeuvres, suivant le conseil de l'Apôtre : « Que l'homme s'éprouve lui-même, et alors il trouvera sa gloire en lui et non dans lin autre (3). Or l'époux tardant à venir, elles s'assoupirent toutes ; » parce que tous ceux qui pratiquent la continence, soit qu'ils ne cherchent leur bonheur qu'en Dieu, soit qu'ils se laissent séduire aux louanges des hommes, doivent tous mourir dans le temps, jusqu'à ce que la résurrection des morts ait lieu à l'arrivée du Seigneur.

« Mais au milieu de la nuit, » c'est-à-dire au moment où personne ne le sait ni ne s'y attend car le Seigneur lui-même a dit : « Pour ce jour et cette heure, personne ne les connaît (4), » et l'Apôtre : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, dans la nuit (5) ; » ce qui signifie, que le moment de son arrivée est absolument inconnu. « Un cri s'éleva: Voici l'époux qui vient, sortez a devant de lui. » En un clin d'oeil, au son de la dernière trompette, nous ressusciterons tous (6). « Aussitôt toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes, » c'est-à-dire se préparèrent à rendre compte de leurs oeuvres. Car nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui lui est dû, selon qu'il aura fait du bien ou du mal, pendant qu'il était uni au corps (1). « Mais les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s'éteignent. » En effet tous ceux qui règlent leur conduite sur les louanges humaines, se trouvent sans appui dès qu'elles leur planquent, et par habitude ils demandent toujours ce qui faisait leur joie. Sous les yeux de Dieu qui lit dans les coeurs ils ambitionnent donc les témoignages des hommes qui n'en voient point les secrets. Mais que répondirent les vierges sages ? De peur qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous. » Chacun en effet rendra compte de soi-même ; le témoignage d'un autre ne sera d'aucune utilité devant le Dieu qui pénètre les replis du coeur ; à peine aura-t-on assez du témoignage de sa propre conscience. Qui peut en effet se glorifier d'avoir le coeur pur (2) ? Voilà pourquoi l'Apôtre dit: « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par un tribunal humain ; bien plus, je ne me juge pas moi-même (3). » Si donc personne, à peu près, ne peut porter un jugement sûr sur son propre compte, comment juger autrui, alors que, pour savoir ce qui se passe dans un homme, il n'y a que l'esprit de cet homme (4)? « Allez plutôt à ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. » Il faut moins voir ici un conseil qu'un reproche indirect. En effet ceux qui vendent de l'huile, ce sont les flatteurs ; car en louant à tort et à travers, ils trompent les âmes, leur procurent des joies vaines et insensées, dans l'espoir de recevoir pour salaire soit nourriture, soit argent, soit honneurs, ou quelque avantage temporel : vu que ceux à qui ils s'adressent ne comprennent pas cet avis du prophète : « Ceux qui vous appellent heureux virus trompent (5). » Mais il vaut mieux recevoir des reproches d'un juste, que des éloges d'un pécheur. Le juste me corrigera par compassion, est-il écrit ; « mais que l'huile du pécheur ne coule jamais sur ma tête (6). — Donc : « Allez plutôt à ceux qui en vendent et achetez-en pour vous, » c'est-à-dire voyons maintenant à quoi vous serviront ceux qui vous vendaient des louanges et vous abusaient au point de vous faire chercher la gloire humaine, et non celle qui est selon Dieu.

« Or, pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; » c'est-à-dire pendant qu'elles se penchaient vers lés choses du dehors et étaient en quête de leurs joies accoutumées, vu qu'elles ne connaissaient point lés joies intérieures, celui qui juge arriva : « Et celles qui étaient prêtes, » c'est-à-dire à qui leur conscience rendait un bon témoignage devant Dieu « entrèrent avec lui dans la salle des noces, » c'est-à-dire là où l'âme pure s'unit, pour être fécondée, au Verbe de Dieu, pur, parfait, éternel. « Et la porte fut fermée, » c'est-à-dire après la réception de ceux qui doivent revêtir la vie des anges ; car nous ressusciterons tous, dit l'Apôtre, mais nous ne serons pas tous changés (1), » l'entrée du royaume des cieux fut fermée. En effet, après le jugement, il n'y a plus de place pour la prière ni pour les mérites. « Enfin les autres vierges arrivent aussi; disant : Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous. » On ne dit pas qu'elles eussent acheté de l'huile, d'où il faut conclure que, privées dés satisfactions que leur procuraient les louanges humaines, elles revinrent, accablées de douleurs et d'afflictions, implorer la miséricorde de Dieu. Mais, après le jugement, il est bien sévère, lui, dont, avant le jugement, la bonté était sans bornes. Aussi répond-il : « En vérité, je vous dis due je ne vous connais point : » en vertu de cette règle : que la Providence ou la Sagesse divine n'admet point à participer à ses joies ceux qui ont paru agir selon ses commandements, mais seulement pour plaire aux hommes, et non à Dieu. Aussi le Sauveur conclut-il: «Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l'heure. » Non-seulement chacun ignore l'heure dernière où l'époux doit venir : mais personne ne sait le jour et l'heure où il faudra mourir. Cependant quiconque se tient prêt jusqu'au sommeil, c'est-à-dire jusqu'au moment où il subira la mort selon la loi comme, sera aussi trouvé prêt quand, retentira, au milieu de la nuit, la voix qui doit éveiller tous les morts.

4. Quant à ce trait, que les vierges vont au devant de l'époux, on doit, je pense, l'entendre en ce sens, que tes vierges représentent l'épouse comme si tous les chrétiens, se rendant dans le sein de l'Eglise, étaient comparés à des enfants se réfugiant chez leur mère ; puisque c'est leur région qui forme l'Eglise que nous appelons notre mère.

Maintenant l'Eglise estime fiancée, une vierge qu'il faut conduire à la noce, tant que, bien entendu, elle se tient. à l'abri de la corruption du siècle; et, elle se mariera dans le temps où tout le genre humain ayant péri, elle sera à jamais réunie à son Dieu. « Je vous ai fiancés, est-il écrit, à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure (1); Vous... comme une vierge, » en passant du pluriel au singulier; en sorte qu'on peut dire vierges et vierge. Pourquoi parle-t-on de cinq J'ai exposé plus haut mon sentiment là dessus. Maintenant nous voyons en énigme, mais alors nous verrons face à face; maintenant nous connaissons imparfaitement , mais alors ce sera parfaitement (2): Or cette connaissance, même, partielle et imparfaite, qu'on trouve dans l'Ecriture et qui est pourtant conforme à la foi catholique, est le résultat du gage sacré que l'Eglise vierge a reçu dans l'humble avènement de son époux : de celui qu'elle doit épouser, quand il viendra pour la dernière fois dans l'éclat de sa gloire, et qu'elle le verra face-à-face. Car comme dit l’Apôtre, il nous a donné pour gage le Saint-Esprit (3). Ainsi cette explication n'a rien de certain que sa conformité à la foi, et n'en contrarie aucune autre , pourvu que. cette, autre soit aussi, conforme à le roi.

LX. — « Mais pour ce jour et cette heure, personne ne le sait, pas même les Anges du ciel, ni le Fils de l'homme; il n'y a que le Père seul (4)»

On dit spécialement que Dieu sait, quand il fait savoir ; c'est en ce sens qu'il est écrit : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, pour savoir si vous l'aimez (5). » Par là on n'entend pas dire que Dieu ignore, mais que la tentation est un moyen employé pour faire savoir aux hommes quels progrès ils ont faits dans l'amour du Seigneur ; ce qu'ils ne savent jamais bien que parles tentations qui leur arrivent. Ce mot tente signifie donc: permet que vous soyez tentés. De même quand on dit que Dieu ignore, cela signifie ou qu'il n'approuve pas, qu'il ne reconnaît pas un acte comme conforme à ses préceptes et à ses enseignements ; et c'est le sens de ces mots : « Je ne vous connais pas (6) : » ou qu'il laisse ignorer, pour de bonnes raisons, ce qu'il est inutile de savoir. C'est pourquoi on est autorisé à interpréter ces paroles : « Le Père seul sait, » en ce sens qu'il fait savoir au Fils ; et ces autres : « Le Fils ne sait pas, » en ce sens qu'il laisse ignorer aux hommes, c'est-à-dire ne leur révèle point ce qu'il leur est inutile de savoir.

LXI. — Du miracle des cinq pains.

1 . Les cinq pains d'orge, avec lesquels lé Seigneur a nourri la foule sur la montagne, signifient la loi ancienne ; soit parce qu'elle à été donnée à des hommes qui n'étaient,pas encore spirituels, mais charnels et esclaves des cinq sens du corps, car la foule se composait aussi de cinq mille hommes (1); soit parce qu'elle a été promulguée par Moïse qui a écrit cinq livrés.

En ce qu'ils étaient d'orge, ifs signifient encore ou la loi elle-même, dont la substance spirituelle était voilée sous les éléments matériels, aussi la moëlle de l'orge est recouverte d'âne enveloppe très-tenace ; ou le peuple lui-même, noix encore dépouillé des désirs charnels, adhérents à son coeur comme une enveloppé, c'est-à-dire si peu circoncis de coeur, que quarante ans de tribulations dans le désert n'avaient pu lui ouvrir l'intelligence ni le dégager de son enveloppe charnelle, de même que l'orge, quoique triturée dans l'aire, ne Perd point la sienne. Une telle loi convenait donc à un tel peuple.

2. Les deux poissons, qui donnaient au pain une saveur agréable, me paraissent symboliser les deux personnes qui gouvernaient ce peuple et constituaient son état social : je veux dire la personne du roi et celle du prêtre, qui recevaient toutes les deux l'onction sacrée (2).

Leur fonction était de résister aux tempêtes et aux flots populaires, de briser les violentes contradictions de la foule comme on brise le courant des vagues, de leur céder quelquefois sans rien sacrifier du devoir, de se conduire enfin dans le gouvernement d'une nation turbulente comme les poissons au sein d'une mer orageuse. Cependant ces deux personnages étaient la figure de Notre-Seigneur, qui, seul, a rempli ce double rôle, en réalité et non plus en figure

En effet le Seigneur Jésus-Christ est notre roi, lui qui nous a appris à combattre et à vaincre, lui qui a porté le poids de nos péchés dans une chair mortelle, qui n'a cédé ni aux assauts terribles ni aux tentations séduisantes de l’ennemi, et qui enfin en se dépouillant de sa chair, a aussi dépouillé les principautés et les puissances et en a triomphé avec une noble fierté en lui même (1). Sous sa conduite, nous sommes délivrés des pénibles travaux de notre pèlerinage, comme d'un autre captivité d'Egypte ; les péchés qui nous poursuivent sont comme ensevelis dans le sacrement de Baptême et nous leur échappons. De plus, tant que nous vivons dans l'attente des biens promis, des biens que nous ne voyons pas encore, nous sommes conduits comme à travers les déserts, ayant pour consolation la parole, de Dieu renfermée dans les saintes Ecritures, comme les Juifs avaient la manne tombée du ciel ; et sous ce même guide, nous espérons pouvoir être introduits dans la Jérusalem céleste, comme dans une terre promise, et, là, vivre éternellement sous sa direction et sous sa garde. Voilà comment Notre-Seigneur Jésus-Christ se montre notre Roi. Il est aussi notre prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (2) ; lui qui s'est offert lui-même en holocauste pour nôs péchés, et a voulu que ce sacrifice se perpétuât en mémoire, de sa passion, et que nous voyions l'oblation que fit Melchisédech à Dieu (3) se renouveler au sein de l’Eglise du Christ dans le monde entier.

Or, comme, il s'est chargé de nos péchés en qualité de notre roi, pour nous apprendre par son exemple à combattre et à vaincre, c'est ce rôle et cette dignité royale que l'évangéliste saint Matthieu a en vue, quand il commence la généalogie du Christ selon la chair à Abraham qui est le père du peuple fidèle, la continue jusqu'à David, en qui le sceptre paraît surtout affermi; puis passe à Salomon, né de celle avec qui son père avait péché, et suit enfin la descendance royale jusqu'à la naissance du Seigneur (4). Un autre évangéliste, saint Luc, voulant donner la généalogie du Christ selon la chair, mais au point de vue de la dignité sacerdotale, à qui revient la fonction d'expier et de détruire le péché, ne remonte point, comme saint Matthieu, jusqu'au commencement du livre; mais il part du moment où Jésus fut baptisé, où il a annoncé en figure la rémission de nos péchés, et suit de degré en degré les générations, non plus en descendant, comme saint Matthieu, qui nous montrait le Christ descendant pour se charger de nos iniquités; mais en remontant, pour nous faire voir le Sauveur montant après avoir effacé les péchés. Il ne lui donne pas non plus les mêmes parents que saint Matthieu (5). Autre en effet était l'origine sacerdotale; par un des fils de David, marié, comme il arrive souvent, dans la tribu sacerdotale, il était arrivé que Marie descendait de l'une et de l'autre tribu, c'est-à-dire de la tribu royale et de la tribu sacerdotale. En effet, à l'époque du recensement, Jésus et Marie sont inscrits comme étant de la maison, c'est-à-dire de la race de David (1) ; de plus Elisabeth; que l'on donne comme parente de Marie, était de la tribu sacerdotale (2). Or, pendant que saint Matthieu, qui nous représente le Christ comme roi, et descendant pour expier nos péchés, descend de David par Salomon, parce que Salomon était né de la femme avec qui David avait péché; saint Luc qui nous montre le Christ comme prêtre et remontant après avoir effacé nos péchés, remonte à David par Nathan, parce que Nathan avait été envoyé comme prophète, et que ce fut à la suite de ses reproches que David obtint par son repentir le pardon de sa faute (3).

Aussi saint Luc, après avoir passé David, donne la même liste que saint Matthieu; car il nomme, en remontant de David à Abraham, ceux que saint Matthieu désigne en descendant d'Abraham à David. En effet, à partir de David, la race se divise en deux branches, la royale et la sacerdotale; saint Matthieu descend dans la première et saint Luc remonte dans la seconde, comme nous l'avons déjà dit; en sorte que notre Seigneur Jésus-Christ, notre roi et notre prêtre tout à la fois, tire son origine de la tribu sacerdotale, c'est-à-dire de la tribu de Lévi, sans en être membre, et est en réalité de la tribu de Juda, c'est-à-dire de la tribu de David, dont personne n'appartenait au service de l'autel. C'est donc avec grande raison qu'on le dit fils de David, puisque saint Luc en remontant, saint Matthieu en descendant, se rencontrent à David. Il était nécessaire en effet que, devant abolir les sacrifices qui se faisaient dans le sacerdoce lévitique selon l'ordre d'Aaron, il ne fût point de la tribu de Lévi, de peur qu'on n'attribuât à cette tribu et à un sacerdoce qui n'était que l'ombre et la figure du sacerdoce à venir, l'expiation des péchés que le Seigneur devait accomplir par l'offrande de son propre holocauste, dont l'ancien sacerdoce n'était que la figure. Il a voulu aussi que l’image de ce même holocauste se perpétuât dans l'Eglise en mémoire de sa passion, afin d'être lui-même le Prêtre éternel, non plus selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech (4); mystère qui pourrait être étudié plus à fond. Mais nous croyons en avoir assez dit à propos de ces deux poissons, dans lesquels nous voyons figurées les deux dignités, royale et sacerdotale.

3. Si la foule s'assit sur l'herbe sèche, c'est que ceux qui avaient reçu l'ancien Testament n'avaient que des espérances charnelles, puisqu'on leur promettait un royaume temporel et une Jérusalem terrestre.

En effet « toute chair est de l'herbe sèche, et la gloire humaine, une fleur flétrie (1). » Quant aux douze corbeilles de restes recueillis, elles indiquent que les disciples du Seigneur, dont les principaux étaient au :nombre de douze, ont été rassasiés par l'explication et les discussions de la loi même, que les Juifs avaient rejetée et abandonnée. Carie nouveau Testament n'était pas encore écrit, quand le Seigneur brisant, en quelque sorte, ce qu'il y avait de dur dans la loi et expliquant ce qu'il y avait d'obscur, en nourrissait ses disciples, lorsqu'après sa résurrection il leur découvrait le sens des anciennes Ecritures, en commençant par Moïse et par tous les prophètes, et interprétant tous les passages qui avaient trait à sa personne. Ce fut alors aussi que deux d'entre eux le reconnurent à la fraction du pain (2).

4. Voilà pourquoi on a raison de rapporter à la prédication du nouveau Testament, la multiplication des sept pains, qui eut lieu ensuite.

En effet aucun des évangélistes ne dit que ceux-ci fussent d'orge, comme Jean l'a dit des premiers. Cette seconde multiplication de sept pains indique donc la grâce accordée à l'Eglise, nourrie et restaurée, comme on le sait, par les sept opérations du Saint-Esprit. Aussi ne parle-t-on pas ici de deux poissons représentant les deux personnages, le roi et le prêtre qui recevaient l'onction sous la loi ancienne ; mais de quelques poissons, symbolisant ceux qui ont cru les premiers à Jésus-Christ, qui ont reçu l'onction en son nom, ont été envoyés pour prêcher l'Evangile, et affronter au nom dé ce poisson mystérieux la mer orageuse de ce siècle, en qualité d'ambassadeurs du Christ, pour employer le terme de l'apôtre Paul (3). Ici non plus la foule n'était pas de cinq mille hommes, comme là, où ce nombre représentait les hommes charnels qui avaient reçu la.loi et étaient esclaves des cinq sens; mais de quatre mille, nombre qui désigne les hommes spirituels, à cause des quatre vertus de prudence, de tempérance, de force et de justice, qui forment ici-bas la vie spirituelle. La première est la connaissance de ce qu'il faut rechercher et fuir; la seconde, la répression du penchant qui porte aux jouissances temporelles; la troisième, la fermeté qui supporte les adversités de cette vie ; la quatrième, l'amour de Dieu et du prochain, qui se répand sur toutes les autres vertus.

5. De ces nombres de cinq mille et de quatre mille, on excepte, il est vrai, les femmes et les enfants (1); et c'est, ce me semble, pour nous donner à entendre,qu'il y avait, dans le peuple de l'ancien Testament, des hommes faibles dans l'accomplissement de la justice légale, que l'Apôtre saint Paul dit avoir observée sans reproche (2); et aussi des âmes faciles à entrainer au culte des idoles.

Ces deux défauts, la faiblesse et l'erreur, sont représentés par les femmes et les enfants. En effet le sexe féminin est faible pour agir, et l'enfance a un grand penchant pour le jeu. Or qu'est-ce qui ressemble plus aux jeux de l'enfant que le culte des idoles? C'est sous ce point de vue que l'Apôtre considère cette superstition, quand il dit : « Et que vous ne deveniez point idolâtres, comme quelques-uns d'eux, selon qu'il est écrit : Le peuple s'est assis pour manger et pourboire, et, il s'est levé pour jouer (3). » Ils ressemblaient donc à des femmes ceux qui, dans la vie laborieuse de l'attente qui devait les conduire à l'accomplissement des promesses divines, n'eurent point le courage de persévérer et-,tentèrent Dieu; et ils ressemblaient à des enfants, ceux qui s'assirent pour manger et pourboire, et se levèrent ensuite pour jouer. Ce n'est pas seulement alors, c'est aussi sous le peuple du nouveau Testament, qu'il faudra comparer à des femmes et à des enfants ceux qui, par défaut de forces ou par légèreté d'esprit, n'ont pas assez de persévérance pour parvenir à l'état d'homme parfait (4). Car aux uns on dit : « Si pourtant nous conservons jusqu'à la fin ce commencement de son être (5), » et aux autres : « Ne devenez pas enfants par l'intelligence; mais soyez petits enfants en malice pour être hommes faits en intelligence (6). » Aussi ceux-là ne comptent ni dans l'ancien ni dans le nouveau Testament ; mais dans les cinq mille comme dans tes quatre mille, on excepte formellement les femmes et les enfants (7).

6. Dans l'un et l'autre cas cependant il était convenable que le peuple fût nourri sur une montagne, à cause du Christ même qui est souvent appelé montagne dans les Ecritures.

Mais ce n'est plus sur de l'herbe sèche, c'est sur la terre, que le peuple s'asseoit dans la dernière circonstance. Dans la première, en effet, à cause des hommes charnels et de, la Jérusalem terrestre, la hauteur du Christ est voilée sous des espérances et des désirs charnels; mais dans la seconde, toute convoitise charnelle étant mise de côté, les convives du nouveau Testament n'ont plus besoin d'herbe sèche, assis qu'ils sont sur une espérance fixe et inébranlable comme sur une montagne solide.

7. L'Apôtre écrit avec beaucoup de raison: « Avant que la foi vint, nous étions sous la garde de la Loi (1); » or, le Seigneur parait avoir voulu exprimer la même chose, quand il dit, en parlant de ceux qu'il allait rassasier avec cinq pains : « Il n'est pas nécessaire qu'ils y aillent; donnez-leur vous-mêmes à manger (2). »

Par ces paroles il semble les retenir en quelque sorte sous sa garde, quand les disciples l'invitent à les renvoyer. Pour l'autre troupe nourrie avec sept pains, il déclare de son propre mouvement qu'il en a pitié, parce que depuis trois jours ils le suivent quoiqu'à jeun. En effet c'est à la troisième époque de la vie du genre humain, que le bienfait de la foi chrétienne a été accordé. La première époque a précédé la Loi, la seconde a eu lieu sous la Loi, et la troisième sous la grâce. Et comme il en est une quatrième, celle où nous devons parvenir à la paix parfaite de la Jérusalem céleste, qui est le terme où tend quiconque a la vraie foi au Christ, le Seigneur déclare qu'il veut nourrir celle foule, de peur que les forces ne lui manquent en chemin. Quel est en effet le but de cette apparition -temporelle et visible du Seigneur sous forme humaine, de ce gage qu'il nous a donné dans le Saint-Esprit, dont les sept opérations nous procurent la vie ; et aussi de cette autorité des apôtres, poissons mystérieux destinés à donner de fa saveur : quel est, dis-je, le but de tout cela, sinon de nous faire parvenir sans défaillance à la palme de la vocation éternelle ? Car c'est par la foi que nous marchons, « et non par une claire vue (3). » Et l'Apôtre lui-même affirme qu'il n'est point encore parvenu au royaume de Dieu. « Mais oubliant ce qui est en arrière et m'avançant vers ce qui est devant, je tends au terme au prix de la vocation céleste.

Cependant en tant que nous sommes déjà parvenus, marchons dans la même voie (1) ; » parce que, nous attachant à Dieu pendant trois jours et nourris par lui, nous ne perdrons pas nos forces en route.

8. Ici sans doute on ne peut parvenir à être à l'abri de la faim ; mais on nous a laissé de quoi manger.

Ce n'est pas en vain que, parlant de l'avenir, le Christ dit : « Mais quand le Fils de l'homme viendra, penses-tu qu'il trouve de la foi sur la terre (2)? » Je crois qu'il en sera ainsi, à cause des femmes et des enfants. Néanmoins on emplit sept corbeilles des restes: ce qui désigne les sept églises, dont il est parlé dans l'Apocalypse (3), c'est-à-dire tous -ceux qui persévéreront jusqu'à la fin. Car si celui qui a dit : « Quand le fils de l'homme viendra, penses-tu qu'il trouve de la foi sur la terre ? » a laissé entendre, il est vrai, qu'à la fin du repas on pourrait bien rejeter et abandonner la nourriture ; en disant aussi : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, sera sauvé (4), » il a donné l'espérance qu'il y aura toujours sept églises pour recevoir les sept pains avec plus d'abondance, et les conserver dans des coeurs qui se dilateront pour persévérer et dont les sept corbeilles sont l'emblème.

LXII. — Sur ces paroles de l'Évangile: « Jésus baptisait plus que Jean, quoique Jésus ne baptisât point, mais ses disciples (5). »

On demande si ceux qui reçurent le baptême dans le temps où le Seigneur baptisa] par ses disciples plus que Jean, recevaient aussi le Saint-Esprit. Car en un autre endroit de l'Évangile il est dit: « L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (6). » A cela il y aurait une réponse très-facile : c'est que le Seigneur, qui rendait la vie, pouvait permettre qu'aucun d'eux ne mourût avant d'avoir reçu le Saint-Esprit après sa glorification, c'est-à-dire après sa résurrection et son ascension au ciel. Mais aussitôt vient en pensée le souvenir du larron, à qui il fut dit : « En vérité je te le déclare, tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » et qui n'avait cependant pas reçu le baptême (7). Il est vrai que Corneille et ceux des Gentils qui avaient cru comme lui, reçurent le Saint-Esprit, même avant d'être baptisés (8). Cependant je ne vois pas comment le larron aurait pu dire, sans le secours du Saint-Esprit : « Seigneur, souvenez-vous de moi quand vous serez arrivé dans votre royaume (1): » car, suivant l'Apôtre : « Nul ne peut dire Seigneur Jésus que par l'Esprit-Saint (2). » Le Seigneur lui-même a fait voir là résultat de cette foi, en disant : « En vérité je te le déclare: tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Conséquemment, de même que par l'effet de la bonté ineffable et de la justice de Dieu, maître absolu de toutes choses, ce larron, à raison de sa foi, a été censé recevoir le baptême dans son âme restée libre, puisqu'il ne le pouvait dans son corps crucifié : ainsi l'Esprit-Saint était donné d'une manière invisible avant la glorification du Seigneur, et le fut ensuite plus ostensiblement après la manifestation de là divinité. Et c'est le sens de ces paroles : « L'Esprit n'avait pas encore été donné, » c'est-à-dire n'avait pas encore apparu de manière à forcer tout le monde à le reconnaître. De même le Seigneur n'avait point encore été glorifié devant les hommes, et pourtant sa gloire éternelle n'a jamais cessé d'exister. De même encore son apparition dans la chair a été appelée son avènement; quoiqu'il soit venu où il était déjà : « puisqu'il est venu chez lui, » et qu'il était dans le monde, et que le monde a été fait par lui (3). » Donc comme, par l'avènement du Seigneur, on entend sa manifestation dans la chair, bien qu'avant cette manifestation il eût parlé lui-même par tous les saints prophètes, en qualité de Verbe de Dieu et de Sagesse de Dieu : ainsi par l'arrivée de l'Esprit-Saint, on entend cette manifestation visible aux yeux du corps, qui eut lieu quand il descendit sur les apôtres en forme de langues de feu, et qu'ils commencèrent à parler diverses langues (4). En effet si l'Esprit-Saint n'était pas dans l'homme avant la glorification visible du Seigneur, comment David a-t-il pu dire:, « Ne retirez point de moi votre Esprit-Saint (5) ? » Comment Elisabeth et Zacharie son époux ont-ils été inspirés de l'esprit prophétique? comment Anne et Siméon ont-ils été remplis de ce même Esprit, car il est écrit de tous qu'ils furent remplis de l'Esprit-Saint pour dire ce que nous lisons dans l'Évangile (6) ?

Or, si Dieu opère tantôt en secret, tantôt ostensiblement par quelque créature visible, c'est là l'affaire de sa Providence, qui règle toutes ses actions avec un ordre admirable et en distinguant parfaitement les lieux et les temps, vu que la divinité elle-même n'est contenue nulle part, ne change point de place et ne subit en aucune façon les variations du temps. Et de même que le Seigneur possédait certainement le Saint-Esprit dans la nature humaine qu'il avait revêtue, lorsqu'il vint à Jean pour être baptisé, et que cependant, après son baptême, on vit l'Esprit-Saint descendre sur lui en forme de colombe (1); ainsi faut-il penser que tous les saints ont pu recevoir invisiblement le Saint-Esprit, même avant son arrivée éclatante et visible. On n'en doit pas moins croire que par cette manifestation visible appelée son avènement, l'Esprit-Saint a répandu, d'une manière ineffable et en plus grande abondance, dans tes cours des hommes, la plénitude dé ses dons.

LXIII. — Du Verbe.

« Au commencement était le Verbe (2). » Le mot grec logos, signifie en latin raison et parole. Mais ici il signifie plutôt parole, pour exprimer non-seulement le rapport du Fils au Père; mais encore celui de la puissance créatrice aux ouvres qui ont été faites par le Verbe. Or la raison s'appelle toujours raison, même quand elle n'agit pas.

LXIV. — De la Samaritaine.

1. Les mystères évangéliques renfermés dans les paroles et dans les actes de Notre- Seigneur Jésus-Christ, ne sont pas compris de tout le monde; quelques-uns, pour vouloir les expliquer avec trop peu d'attention et trop peu de réserve, en font souvent sortir la mort au lieu de la vie et l'erreur au lieu de la vérité.

Tel est, entre autres, le passage où il est écrit que le Seigneur vint, à la sixième heure du jour, au puits de Jacob; que fatigué de la marche, il s'assit, demanda à boire à une femme samaritaine; et autres détails qui prêtent matière à discussion et à études. Sur quoi il faut d'abord poser en principe que, dans les saintes Ecritures, on doit user de la plus grande circonspection pour que l'explication des mystères divins qu'elles contiennent soit conforme à la foi.

2. C'est donc à la sixième heure que Notre-Seigneur vint au puits.

Ce puits me représente une ténébreuse profondeur et j'y vois la partie inférieure de ce monde, c'est-à-dire la terre où le Seigneur Jésus est venu à la sixième heure, c’est-à-dire au sixième âge du genre humain, celui du vieil homme dont on nous ordonne de nous dépouiller, afin de revêtir le nouveau qui a été créé selon Dieu (3). En effet la vieillesse est le sixième âge, puisque le premier est celui du berceau; le second, l'enfance; le troisième, l'adolescence; le quatrième, la jeunesse; le cinquième, l'âge mûr. Ainsi la vie du vieil homme, selon la chair et dans le cours du temps se termine à la vieillesse ou au sixième âgé. C'est, comme je l'ai dit, pendant cette vieillesse du genre humain que le Seigneur nous est arrivé et comme créateur et comme Réparateur; afin d'établir en lui, par la mort du vieil homme, l'homme nouveau, et de le transporter, purifié des souillures, d'ici-bas, dans le royaume céleste. Ainsi donc le puits, comme nous l'avons dit, désigne par sa ténébreuse profondeur, les peines et les erreurs de cette vie.

De plus, comme le vieil homme est extérieur et le nouveau intérieur, suivant cette parole de l'Apôtre : « Si l'homme extérieur se détruit en nous, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour, » et que toutes les choses visibles auxquelles la morale chrétienne nous oblige à renoncer appartiennent à l'homme extérieur; c'est avec très-grande raison que le Seigneur est venu au puits à la sixième heure, c'est-à-dire au milieu du jour, quand le soleil visible commence à pencher vers son déclin; puisque le goût des choses visibles diminue pour nous en suite de l'appel du Christ, et que l'homme intérieur, réjoui par l'amour des choses invisibles, revient à la lumière intérieure qui ne s'éteint jamais et selon la doctrine de l'Apôtre : « Ne recherche point les choses qui se voient, ruais celles qui né se voient pas; car les choses qui se voient sont passagères, mais celles qui ne se voient pas sont éternelles (1). »

3. Si Jésus est arrivé au puits accablé de fatigue, c'est l'emblème de l'infirmité de la chair; s'il s'est assis, c'est un signe d'humilité.

En effet, il a revêtu pour nous l'infirmité de la chair et avec une humilité profonde s'est fait homme et a apparu aux hommes. De cette infirmité dé la chair parlait ainsi le prophète: « Un homme couvert de plaies et sachant supporter l'infirmité (2). » Et l'Apôtre disait de cette humilité : « Il s'est abaissé en se faisant obéissant jusqu'à la mort (3). » Du reste, il se peul qu'en s'asseyant le Sauveur ait plutôt eu en vue la dignité du maître que le symbole de l'humilité, puisqu'en effet tes maîtres s'assoient pour enseigner.

4. Mais une question se présente: Pourquoi a-t-il demandé a boire à cette Samaritaine qui était venue pour remplir sa cruche, lui qui affirme bientôt après qu'il peut donner en abondance, à ceux qui l'en prient, les eaux de la fontaine spirituelle ?

C'est qu'il avait soif de la foi de cette femme parce qu'elle était Samaritaine, et que Samarie représentait l'idolâtrie. En effet, les Samaritains, séparés du peuple Juif, prostituaient leurs hommages à des simulacres d'animaux muets, c'est-à-dire à des veaux d'or. Or, Notre-Seigneur Jésus était venu pour appeler à la foi chrétienne, à une religion pure, la multitude des nations esclaves du cuite des idoles. « Ce ne sont pas, a-t il dit, ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades (1). » Il a donc soif de la foi de ceux pour qui il a versé son sang. Or Jésus dit à la femme : « Donne-moi à boire. » On va savoir de quoi le Seigneur avait, soif. Peu après arrivent ses disciples qui étaient allés à la ville acheter de quoi manger, et ils lui dirent. « Maitre, mangez. Mais il leur répondit : J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez point. Les disciples se disaient alors entre eux: Quelqu'un lui a-t il apporté à manger? Jésus ajouta: Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre. » Or la volonté du Père qui l'a envoyé et l'oeuvre qu'il se déclare chargé d'accomplir, est-elle autre chose que de nous convertir à sa foi, en nous arrachant aux pernicieuses erreurs du inonde? Donc telle. nourriture, telle boisson. Ainsi ce dont il avait soit' dans cette femme, c'était de faire en elle la volonté de son Père et d'accomplir son oeuvre.

Mais elle, n'ayant que le sens charnel, répondit: «Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une femme Samaritaine? Car les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. » Notre-Seigneur répliqua: « Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, peut-être lui aurais tu demandé toi-même et il l'aurait donné de l'eau vive. » Par là il veut lui indiquer que l'eau qu'il demande n'est pas ce qu'elle entend; mais comme il avait soif de sa foi, c'est le Saint-Esprit qu'il désirait donner à l'ardeur de sa soif. Car, c'est lui que nous entendons par l'eau vive, ou par le don de Dieu, comme Jésus le dit lui-même : « Si tu savais le don de Dieu ; » et comme le même évangéliste Jean, l'atteste en un autre endroit : « Jésus se tenait debout et s'écriait : Si quel qu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, comme dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein. » Voilà bien la conséquence nécessaire : « Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein; » car il faut d'abord croire pour mériter ces dons. Donc ces fleuves d'eau vive que le Seigneur voulait donner à cette femme, étaient la récompense de la foi dont il avait soif en elle. Or l'Evangéliste interprète ainsi le sens de ce mot eau vive ; « Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; « car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1). » Aussi l'Esprit-Saint est précisément le don que le Christ a fait à l’Eglise après sa glorification, comme l'Ecriture le dit ailleurs : « En montant au ciel, « il a conduit une captivité captive, il a fait des dons aux hommes (2). »

5. Mais cette femme a encore le sens charnel, car elle répond : «Seigneur, vous n'avez pas de quoi puiser et le puits est profond; comment pourriez-vous donc me donner de l'eau vive ? Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu, lui ses a enfants et ses troupeaux ? »

Maintenant le Seigneur explique sa pensée. «Quiconque, dit-il, boit de cette eau, aura encore soif; au contraire, celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura soit jamais ; mais l'eau que je lui donnerai deviendra une fontaine d'eau jaillissante jusques dans la vie éternelle. » Pourtant, la femme s'attache encore à la prudence de la chair. Que répond-elle, en effet ? « Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. Jésus lui dit: Va, appelle ton mari et viens ici. » Comme il savait qu'elle n'avait point de mari, on demande pourquoi il lui parlé ainsi. Car après que la femme lui eut dit: « Je n'ai point de mari, » Jésus reprend : « Tu as eu raison de dire que tu n'as point de mari : car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari : en cela tu as dit vrai. » Mais il ne faut point prendre ces paroles dans le sens charnel, pour ne pas ressembler à cette Samaritaine. Si nous avons déjà goûté un peu ce don do Dieu, considérons tout cela sous le côté spirituel.

6. Par ces cinq maris, quelques-uns entendent les cinq livres de Moïse.

 

Ils prétendent également qu'en disant : « Et celui que tu as maintenant n'est a pas ton mari ; » le Christ a voulu parler de lui-même, en sorte que le sens serait : Tu as d'abord été attachée aux cinq livres de Moïse, comme à cinq maris, mais celui que tu as maintenant, c'est-à-dire que tu entends, qui te parle, n'est pas ton mari, parce que tu ne crois pas encore en lui. Cependant puisque, ne croyant pas encore au Christ, elle était toujours liée aux cinq maris, c'est-à-dire au cinq livres, on peut demander pourquoi on lui dit : « Tu as eu cinq maris, » comme si elle ne les avait plus, bien qu'elle vécut encore dans leur dépendance. De plus, les cinq livres de Moïse n'annoncent pas autre chose que le Christ, ainsi que le Christ le dit lui-même Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c'est de moi - qu'il a écrit (1): » comment alors peut-on imaginer qu'un homme quitte les cinq livres pour passer au Christ, quand celui qui croit au Christ, bien loin d'abandonner les cinq livres, s'attache à eux avec plus d'ardeur, en les entendant dans le sens spirituel ?

7. Il y a donc une autre explication : d'est que les cinq maris signifient les cinq sens dus corps l'ail qui nous est donné pour recevoir la lumière visible et distinguer les couleurs et les formes des corps ; l'oreille, pour percevoir les voix et toutes les nuances des sons; les narines, pour respirer les odeurs agréables ; le goût, pour sentir le doux et l'amer et juger de toutes les saveurs ; et en cinquième lieu, le toucher qui, s'étendant à tout le corps, distingue le chaud et le froid, le mou et, le dur, l'uni et' l'âpre, en un mot tout ce qui tombe sous le tact.

Or le premier âge de l'homme est sous l'empire de ces cinq sens charnels, en vertu de la loi de notre nature mortelle. Depuis le péché du premier père cette nature est ainsi constituée, que, n'ayant pas encore, recouvré la lumière de l'esprit, asservis parles sens corporels, nous vivons d'une vie toute charnelle sans aucune connaissance de la vérité. Tel est nécessairement l'enfant au -berceau, tel aussi l'enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de raison. Et comme ces sens qui dominent le premier âge, sont naturels et l'oeuvre de Dieu même; on leur donne à juste titre le nom de maris, parce qu'ils sont légitimes, et que ce n'est point l'erreur par son vice propre, mais la nature façonnée par Dieu, qui nous les a. procurés. Cependant tout homme parvenu à l'âge de raison cesse de les prendre pour guides, dès qu'il a pu comprendre la vérité ; dès lors il a pour mari l'esprit raisonnable, auquel il assujettit les sens, en rendant son corps esclave ; l'âme alors n'est plus asservie à cinq maris, c'est-à-dire aux cinq sens, mais elle possède son légitime époux, le Verbe divin, auquel elle s'unit et s'attache, puisque l'esprit de l'homme s'attache au Christ, vu que le Christ est le chef de l'homme (1), et, dans cette union spirituelle, elle jouit de la vie éternelle sans plus craindre la séparation. En effet, qui pourra nous séparer de l'amour du Christ (2).

Mais comme cette femme partageait l'erreur d'un siècle livré aux vaines superstitions, après le temps des cinq sens charnels qui dominent, comme nous l'avons dit, le premier âge, le Verbe de Dieu ne l'avait point épousée, mais elle était unie au démon dans un commerce adultère. Voilà pourquoi le Seigneur, voyant qu'elle était charnelle c'est-à-dire qu'elle avait les goûts de la chair, lui dit : « Va, appelle ton mari et viens ici; » c'est-à-dire renonce â l'affection charnelle qui te domine maintenant et t'empêche de comprendre ce que je dis, « et appelle ton mari, » c’est-à-dire sois ici présente par l'esprit d'intelligence. En effet l'esprit de l'homme est en quelque sorte le mari de l'âme, puisqu'il gouverne l'affection charnelle comme une épouse. Ce n'est pas cet Esprit-Saint, qui vit immuable avec le Père et le Fils et se donne sans retour aux âmes pures, c'est l'esprit de l'homme dont l'Apôtre dit: « Personne ne sait ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme ; » tandis que l'Esprit-Saint est l'Esprit de Dieu, dont le même Apôtre dit : « Personne ne sait ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu (3). » Donc quand l'esprit de l'homme est présent, c'est-à-dire attentif, et qu'il se soumet pieusement à Dieu, l'homme comprend les choses qu'on lui dit dans l'ordre spirituel. Mais quand l'erreur diabolique domine l'âme, et que l'intelligence est, pour ainsi dire, absente, l'homme devient adultère. Ainsi appelle ton;mari, » veut dire fais appel à l'esprit qui est en toi, par lequel l'homme peut comprendre les choses spirituelles quand la lumière de la vérité l'éclaire; qu'il soit présent quand je te parle, afin que tu puisses recevoir l'eau spirituelle. Et comme elle répondait : « Je n'ai pas de mari, » le Sauveur reprend : « Tu as bien dit : car tu as eu cinq maris; » en d'autres termes, les cinq sens de la chair qui t'ont gouvernée dans le premier âge; et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari, parce que tu n'as pas l'Esprit qui comprend Dieu, et avec lequel tu peux avoir une union légitime ; mais tu es sous l'empire de l'erreur du démon, qui te souille par un commerce adultère.

8. C'est peut-être aussi pour indiquer; à qui sait comprendre, que les cinq maris désignent vraiment les cinq sens du corps, qu'après cinq réponses charnelles, cette femme nomme enfin le Christ dans une sixième réponse.

En effet, elle a d'abord répondu: «Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire? » Puis: « Seigneur, vous n'avez pas même de quoi puiser, et le puits est profond; » ensuite. «Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici; » en quatrième lieu : « Je n'ai Point de mari,» et enfin : « Je vois que vous êtes un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne. » Car cette dernière réponse est encore charnelle. En effet on avait donné aux hommes charnels un lieu terrestre pour y prier; niais le Seigneur dit que le hommes spirituels prieront en esprit et en vérité. Or après.qu'il a dit cela, la femme, dans sa sixième réponse, reconnaît que le Christ enseignera toutes ces choses; car elle dit : « Je sais que le Messie; c’est-à-dire le Christ, viendra ; lors donc qu'il sera venu, il nous apprendra lui- même toutes choses. » Ici elle se trompe encore, parce qu'elle ne voit pas que celui dont elle attend la venue, est déjà arrivé. Mais la miséricorde du Seigneur dissipe cette erreur adultère. « Jésus lui dit en effet : Je le suis, moi qui te parle. » A ces mots elle ne répond rien; mais elle laisse aussitôt sa cruche, s'en va en hâte vers la ville, et non contente de croire, elle y prêche l'Évangile et l'arrivée du Seigneur. Elle laissa sa cruche : circonstance sur laquelle il ne faut pas passer légèrement. Peut-être cette cruche est-elle l'emblème de l'amour du siècle, c'est-à-dire de l'ardeur coupable avec laquelle les hommes cherchent le plaisir dans la profondeur des ténèbres figurée par le puits, ou, autrement, dans le commerce avec les choses terrestres; jouissances qui ne font qu'augmenter leur convoitise, comme cette eau dont il est dit: c Quiconque boit de cette eau, aura encore soif (1). » Or, dès que cette femme croyait au Christ, il fallait qu'elle renonçât au monde; qu'elle prouvât en laissant sa cruche, qu'elle disait adieu à l'ambition du siècle; non- seulement en croyant de cœur pour être justifiée, mais en confessant de bouche pour être sauvée, et en proclamant ce qu'elle croyait (2).

LXV. — De la résurrection de Lazare

Nous croyons fermement, d'après le récit évangélique, que Lazare est ressuscité; cependant je ne doute pas que ce fait renferme aussi une allégorie.

Mais le sens allégorique d'un événement n'en détruit pas la certitude. Par exemple : saint Paul nous dit que les deux :ils d'Abraham représentent en allégorie les deux Testaments (1). Abraham en a-t-il moins existé pour cela, ou n'a-t-il pas eu deux fils?

Donc voyons en allégorie, dans Lazare enseveli, l'âme, c'est-à-dire lé genre humain, accablé sous le poids du péché : ce que le Seigneur lui-même exprime ailleurs dans la parabole de la brebis perdue, pour laquelle il déclare être descendu en laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres sur la montagne (2). Cette question : « Où l'avez-vous mis ? » me semble avoir rapport â notre vocation qui se fait dans le secret; car notre prédestination à la vocation est mystérieuse, comme l'indique l'interrogation du Seigneur, qui semble l'ignorer parce que nous l'ignorons nous-mêmes , selon les termes de l'Apôtre : « Afin que je connaisse, comme je suis connu (3). » Ou bien encore cette question rappelle, comme le Seigneur le dit ailleurs, qu'il ne connaît pas les pécheurs : « Je ne vous connais pas (4). » Voilà ce que signifiait la sépulture de Lazare, car la doctrine et les commandements de Dieu ne contiennent pas de péchés. Telle est encore l'interrogation qu'on lit dans la Genèse : « Adam, où es-tu (5) ? » Adam avait péché et s'était soustrait aux regards de Dieu. C'est ce que représente ici la sépulture: Lazare mort figure le pécheur; Lazare enseveli, c'est le pécheur se dérobant aria regards divins.

« Otez la pierre. » Ces paroles, je pense, font allusion à ceux qui voulaient imposer la circoncision aux païens convertis à l'Église, et contre lesquels l'Apôtre a écrit plus d'une fois (6); ou aux membres de l'Église dont la conduite est criminelle et qui scandalisent ceux qui seraient disposés à croire. « Marthe lui dit : Seigneur, « voici déjà le quatrième jour et il sent mauvais. » La terre est le dernier- des quatre éléments; elle est donc la figure de la puanteur des péchés, c'est-à-dire des passions charnelles. « Tu es terre, » a dit le Seigneur à Adam après son péché, « et tu retourneras en terre (7). » On ôta la pierre, et Lazare sortit du tombeau, lié aux pieds et aux mains, et le visage enveloppé d'un suaire. Cette sortie du tombeau est l'image de l'âme se détachant des vices de la chair. Si Lazare est lié, c'est que tout en renonçant aux passions charnelles et en obéissant par l'esprit à la loi de Dieu, nous ne pouvons cependant être exempts des inconvénients de la chair, tant que nous habiterons dans notre corps; aussi l'Apôtre nous dit : « J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché (1). » Quant au suaire qui enveloppait le visage du mort, il signifie que nous ne pouvons avoir en cette vie de connaissance parfaite, suivant le mot de l'Apôtre : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme; mais plus tard nous verrons face à face (2). » Puis Jésus dit : « Déliez-le et le laissez aller; » c'est-à-dire qu'après cette vie, tous les voiles seront écartés, afin que nous voyions face à face. Pour mesurer la distance qui sépare des autres hommes l'Homme que la Sagesse de Dieu animait, et par qui nous avons été sauvés, il suffit de comprendre que Lazare n'a été délié qu'au sortir du tombeau, c'est-à-dire que l'âme, même rendue a la vie, ne peut être dégagée de tout péché et de l'ignorance qu'après la dissolution de son corps; tant qu'elle ne voit le Seigneur qu'à travers un miroir et en énigme; tandis que les linges et le suaire de celui qui n'a point péché et n'a rien ignoré, ont été trouvés dans lé sépulcre (3). Seul donc, non-seulement il n'a point senti dans sa chair le poids du. tombeau., comme s'il eût été trouvé coupable de quelque péché (4); mais il n'a point été embarrassé dans les bandelettes, comme s'il eût ignoré quelque chose ou qu'il eût pu être retardé dans sa marche.

LXVI. — Sur ce passage: « Ignorez-vous, mes frères, je parle à ceux qui connaissent la loi, « que la loi ne domine sur l’ homme, que pendant le temps qu'il vit? »Jusqu'à ce verset : « Il vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous (5). »

1. Il y a trois choses à considérer dans cette comparaison de l'Apôtre, où il parle de l'homme et dé là femme et dit que la femme est assujettie à la loi de l'homme : La femme, l'homme et la loi; la femme soumise à l'homme par le lien de la loi, lien qui ne se brise que par la mort de l'homme et rend à la femme la liberté d'épouser qui elle veut. Voici en effet les termes de l'Apôtre : « Car la femme qui est soumise à un mari, le mari vivant, est liée par la loi; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc, son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s'unit à un autre homme ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu'elle n'est point adultère, si elle s'unit à un autre homme. » Jusqu'ici c'est une comparaison.

Puis l'Apôtre passe à l'explication et à la preuve de la thèse, objet de cette comparaison. Ici trois choses sont aussi à considérer : l'homme, le péché, la loi. Il dit en effet que l'homme est sous l'empire de la loi, tant qu'il vit pour le péché comme la femme est sous la loi du mari, tant que le mari vit. Dr le péché dont il est question ici, est celui qui est venu à l'occasion de la loi péché que l'Apôtre déclare dépasser toute mesure, parce qu'on le commet pourtant, bien qu'il apparaisse dans sa nature de péché, et qu'on l'aggrave par la prévarication. « Car où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication (1). » Et c'est là le sens de ces paroles : « En sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché . » Quoique la Loi défende de pécher, l'Apôtre ne dit cependant pas qu'elle ait été donnée pour délivrer du péché, mais pour le faire paraître ; et l'âme qui est sous son joug doit recourir à la grâce du libérateur, pour être affranchie du péché. « Car par la loi on a la connaissance du péché (2). » Et ailleurs : « Mais le péché, pour paraître péché, a, par ce qui est bon produit en moi la mort. » Donc là où n'est pas la grâce du libérateur, la défense du péché augmente le désir de pécher. Et cela même est un bien; car il faut que l'âme sente qu'elle ne peut, par elle-même se délivrer de l'esclavage du péché, et que, par là, dépouillant et étouffant tout sentiment d'orgueil, elle se soumette à son libérateur, en sorte que l’homme puisse dire avec vérité : « Mon âme s'est attachée à vous (3); » alors c'est être sous la loi de justice, et non plus sous celle du péché.

On appelle cette loi, loi de péché, non parce qu'elle est péché elle-même, mais parce qu'elle est imposée à des pécheurs. On l'appelle aussi loi de mort parce que la solde du péché est la mort (4); » parce que « l'aiguillon de la mort c'est le péché; et la force du péché, la loi (5). » En effet c'est par le péché que nous allons à la mort. A raison même de la défense de la loi, nos fautes, sont plus, graves que si cette défense n'existait pas. Mais, avec l'aide de 1a grâce, nous faisons volontiers, et sans peine ce qui nous était pénible et onéreux sous l'empire de la loi. Ainsi la loi de péché et de mort, c'est-à-dire imposée à des hommes pécheurs et sujets à la mort, nous défend seulement la convoitise, et pourtant nous nous y laissons aller. Mais la loi de l'esprit de vie, produit de la grâce, nous délivre de la loi de péché et de mort et fait que nous ne convoitons plus, que nous remplissons les préceptes de la loi, non plus comme des esclaves, poussés par la crainte, mais comme des amis mus par là charité et serviteurs de la justice, qui est la source même de la loi. Or ce n'est pas en esclave, mais d'un coeur généreux, c'est-à-dire par amour plutôt que par crainte, qu'il faut accomplir la justice. C'est donc avec une grande vérité que l'Apôtre a dit: « Détruisons-nous donc la Loi par la foi ? Loin de là: car nous établissons la loi (1). » En effet c'est la foi qui accomplit ce que la loi commande. La loi est donc affermie par la foi. Hors de la foi, la loi se contente de commander, de déclarer coupables ceux qui ne lui obéissent pas, dans le but de les amener un jour, gémissants et impuissants, à la grâce du Libérateur.

2. Nous voyons donc trois choses dans la comparaison : la femme, l'homme et la loi; et dans le sujet qui amène la comparaison, trois choses encore : l'âme, le péché et la loi de péché.

La seule différence est que, dans la comparaison, l'homme meurt et que la femme dégagée du lien qui l'unissait à lui, peut épouser qui elle veut, tandis qu'ici l'âme elle-même meurt au péché, pour s'unir au Christ. Or, en mourant au péché, elle meurt aussi à la loi du péché. « Ainsi mes frères, dit l'Apôtre, vous aussi vous êtes morts à la loi parle corps du Christ, pour être à un autre qui est ressuscité d'entre les morts, « afin que nous portions des fruits pour Dieu. « Car, ajoute-t-il, quand nous étions dans la chair, » c'est-à-dire esclaves des désirs charnels, « les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, en sorte qu'elles leur faisaient produire des fruits de mort. » La concupiscence, que la loi défend, augmentait là où la foi n'existait pas, et le crime de la rébellion s'ajoutait au péché et l'aggravait outre mesure; puisque « où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication. » Les passions dont il parlé sont les désirs occasionnés par la loi, et qui opéraient dans nos membres pour produire des fruits de mort.

Avant que la grâce n'arrivât par la foi, l'âme agissait sous l'empire de ces passions, comme une femme sous la domination de son mari. Donc celui qui observe en esprit la loi de Dieu, est mort à ces passions ; bien qu'elles ne soient pas mortes elles-mêmes tant que l'homme est encore assujetti dans sa chair, à la loi du péché. Dans celui qui vit sous la grâce, il reste donc quelque chose qui ne le vaincra ni ne le captivera lui-même: et cela jusqu'à ce que soit entièrement détruit tout ce qui s'est fortifié en lui par les mauvaises habitudes et qui fait dire que, dés aujourd'hui, le corps est mort tant qu'il n'est pas parfaitement assujetti à l'esprit. Or il lui sera compté ment assujetti, quand ce corps mortel aura été lui-même vivifié.

3. Ceci nous fait comprendre qu'il y a dans le même homme quatre états différents et successifs, après lesquels viendra le repos de la vie éternelle.

 

En effet il fallait en toute justice que notre nature, après sa chute, perdit la béatitude spirituelle, figurée par le paradis, et que nous virassions au monde avec une vie animale et charnelle. Le premier état a donc précédé la loi; puis est venue la loi, puis la grâce, et en quatrième lieu viendra la paix. Avant la loi, nous ignorons le péché et suivons les concupiscences charnelles. Sous la loi, on nous défend le péché; mais, entraînés par l'habitude, nous le commettons, parce que la foi ne nous aide pas encore. Dans la troisième époque, comme nous avons une foi pleine à notre Libérateur, que nous n'attribuons rien à--nos mérites, mais à sa miséricorde que nous aimons, nous ne sommes plus dominés par la mauvaise habitude quand elle s'efforce de nous entraîner au mal; cependant nous subissons encore ses assauts, mais sans y céder. Dans le quatrième état, il n'y a plus rien en. l'homme qui résiste à l'esprit; tout cirez lui est maintenu dans un accord parfait et dans une paix solide; et c'est ce qui aura lieu quand, ce corps mortel étant ressuscité, ce qu'il y a de corruptible en lui aura revêtu l'incorruptibilité, et ce qu'il y a de mortel, l'immortalité (1).

4. Pour prouver l'existence du premier état, voici les témoignages qui se présentent à nous .

« Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché. Car le péché a été dans le monde de jusqu'à la loi ; mais le péché n'était pas imputé, puisque la loi n'existait pas (1). » Et encore : Car, sans la loi, le péché est mort; or j'ai vécu quelque temps sans la loi. » L'Apôtre dit « que le péché est mort, » dans le sens où il disait plus haut qu'il n'était pas imputé, » c’est-à-dire qu'il restait caché; c'est ce qu'il explique lui-même dans ce qui suit : « Mais le péché pour paraître péché a, par une chose bonne, produit en moi la mort, » c'est-à-dire par la loi car la loi est bonne si on en use légitimement (2). Donc s'il dit ici, « pour paraître péché, » il est évident que, plus haut, en disant : « le péché est mort, le péché n'était pas imputé, » l'Apôtre a voulu dire que le péché ne paraissait pas avant que, par la défense, la loi le fit apercevoir.

5. Voici les témoignages qui se rapportent à la seconde époque: « Mais la loi est survenue, pour faire abonder le péché (3). »

Car la prévarication, qui n'existait pas, est survenue ainsi. Puis cet autre texte déjà cité: « Quand nous étions dans la chair; les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, jusqu'à leur faire produire des fruits de mort. » Et cet autre : « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? » Point du tout. « Mais je n'ai connu le péché que par la loi, car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit : Tu ne convoiteras pas. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence. » Et un peu plus bas : » Quand est venu le commandement, le péché a revécu. Et moi je suis mort ; et il s'est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie, a causé ma mort. Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m'a séduit et par lui m'a tué. » Par ces mots : « Je suis mort, » l'Apôtre veut dire : J'ai connu que j'étais mort : car celui-là devient prévaricateur qui sait, par la loi, ce qu'il ne doit pas faire et le fait néanmoins. Quant à ces paroles : « Le péché, en prenant occasion du commandement, m'a séduit, » elles signifient, ou que l'attrait au péché est plus grand, quand il y a une défense ; ou que l'homme qui accomplit les ordres de la loi, s'il n'a pas encore la foi qui est le produit de la grâce, s'en attribue le mérite et pèche davantage par orgueil.

L'Apôtre continue et dit : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin delà : car le péché pour paraître péché, a, par une chose bonne; produit en moi la mort, de sorte que le commandement, a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché. Car nous savons que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel, » c'est-à-dire n'étant pas encore délivré par la grâce spirituelle (1), j'acquiesce à la chair, « vendu comme esclave au péché, » c'est-à-dire commettant le péché pour des voluptés temporelles. « Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas, » c'est-à-dire je ne le reconnais point comme conforme aux préceptes de la charité, où est la vraie science. C'est en ce sens que le Seigneur dit aux pécheurs : « Je ne vous connais pas. » Car rien ne lui échappe ; mais comme les péchés n'ont point de place dans les prescriptions de la loi, fondées sur la vérité, celui qui est la Vérité même dit aux pécheurs : « Je ne vous connais pas. » En effet comme les yeux reconnaissent les ténèbres en ne les voyant pas, ainsi l'esprit sert les péchés sans les connaître. C'est pour cela, je pense, qu'il est écrit dans les psaumes : « Qui connaît les péchés (2)? »

« Car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je haïs. Or si je fais ce que ne je ne veux pas, j'acquiesce à la loi comme étant bonne. Ainsi ce n'est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair. En effet, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l'y trouve pas. Aussi le bien que je veux, je ne le fais point ; mais le mal que je ne veux pas, je le fais. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi. Je me complais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit, et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres. » Jusques-là c'est le langage d'un homme établi sous la loi, mais non encore sous la grâce ; il est vaincu parle péché, malgré lui ; car l'habitude de la chair a prévalu, ainsi que le lien naturel de la mortalité, qui nous rattache à Adam. Que celui qui se trouve en cet état implore donc du secours, et qu'il sache qu'il n'a en propre que la nature déchue, et non la nature restaurée. Une fois délivré, i connaît la grâce de son libérateur et s'écrie : « Homme infortuné que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »

6. Maintenant commence le langage de l'homme établi sous la grâce, dans le troisième état dont nous avons parlé, où la chair mortelle offre encore de la résistance, mais ne triomphe plus et ne force plus à consentir au péché. Voici ce que dit l'Apôtre.

« Ainsi j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché. Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, parce que la loi de l'esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort.. Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair; » c'est-à-dire par les désirs charnels car la loi n'était pas accomplie, parce que l'amour de la justice n'existait pas encore, cet amour qui contient l'âme, par la joie intérieure et ne permet pas qu'elle soit entraînée au péché par l'attrait des choses temporelles. La loi était donc affaiblie par la chair, c'est-à-dire ne rendait pas justes ceux qui étaient les esclaves de la chair. « Mais Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché. » Ce n'était point une chair de péché, car elle n'était point née de la délectation charnelle ; cependant elle ressemblait à la chair du péché, parce qu'elle était mortelle, et qu'Adam n'a mérité la mort qu'en péchant. Mais qu'a fait le Seigneur? Il a condamné le péché dans la chair à cause du péché même, » c'est-à-dire, en revêtant la chair de l'homme pécheur et en nous apprenant à vivre, il a condamné le péché dans la chair même, afin que l'esprit enflammé de l'amour des choses éternelles ne se laissât plus entraîner par la passion.

« Afin, continue l'Apôtre, que la justification de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'esprit. » Ainsi les préceptes de la loi, quine pouvaient s'accomplir par la crainte, s'accomplissent par l'amour. « En effet ceux qui sont selon la chair, goûtent les choses de la chair, » c'est-à-dire estiment les biens charnels comme le souverain bonheur. « Mais ceux qui. sont selon l'esprit ont le sentiment des choses de l'esprit. Or la prudente de la chair est mort ; mais la prudence de l'esprit est vie et paix. Parce que la prudente de la chair est ennemie de Dieu. » Il a lui-même expliqué le sens de ce mot ennemie, de peur qu'on ne supposât l'existence d'un autre principe. En effet il ajoute immédiatement: « Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu, et elle ne le peut. » Ainsi agir contre la loi, c'est être ennemi de Dieu. Non que rien puisse nuire à Dieu ; mais celui qui résiste à la volonté de Dieu se nuit à lui-même : il regimbe contre l'aiguillon, ainsi que la voix d'en haut le dit à l'apôtre Paul, quand il persécutait l'Église (1). « Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu et elle ne le peut, » c'est à peu près comme si l'on disait : La neige n'échauffe pas, car elle ne le peut. En effet tant qu'elle est neige, elle n'échauffe pas; seulement elle peut se fondre et devenir brûlante, jusqu'à échauffer ; mais alors, elle n'est plus neige. De même ce que l'Apôtre appelle prudence de la chair, c'est la convoitise l'âme pour les biens temporels auxquels elle attache un grand prix. Tant que l'âme est dominée par cette convoitise, elle ne peut être soumise à la loi de Dieu, c'est-à-dire elle ne peut accomplir ce que la loi commande. Mais dès qu'elle commence à désirer les biens spirituels et à mépriser les biens temporels, la prudence de la chair cesse et n'oppose plus de résistance à l'esprit. Ainsi la même âme est dite avoir la prudence de la chair, quand elle convoite les choses d'ici-bas, et la prudence de l'esprit, quand elle aspire aux choses d'en haut; non que la prudence de la chair soit une espèce de substance, dont l'âme se revête ou se dépouille ; mais c'est une affection de l'âme elle-même et qui cesse aussitôt que l'âme se tourne vers les choses du ciel.

« Or, dit l'Apôtre, ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu, » c'est-à-dire ceux qui se livrent aux voluptés' de la chair. Car de peur qu'on n'entende ces paroles de ceux qui ne sont pas encore sortis de cette vie, il ajoute très à propos : «Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit. » Evidemment il parle à des hommes qui sont encore de ce monde. En effet ils étaient dans l'esprit, parce qu'ils se complaisaient dans la foi, l'espérance et l'amour des choses spirituelles. « Si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous. Or si quelqu'un n'a point l'Esprit du Christ, celui-là n'est point à lui. Mais si le Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l'esprit vit par l'effet de la justification. »

Il appelle le corps mort, tant qu'il fatigue l'âme par le besoin des choses corporelles (1), et qu'il excite en elle des appétits terrestres par certains mouvements dont l'origine est dans ces besoins mêmes. Cependant, malgré ces mouvements, l'âme, une fois sous le joug de la loi de Dieu et sous l'empire de la grâce, ne consent point à faire le mal. C'est ce que l'Apôtre a exprimé plus haut, quand il a dit : « J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché. »L'homme ainsi dépeint sous l'action de la grâce n'a point encore la paix parfaite, qui s'établira à la résurrection et à la transformation du corps.

7. II ne reste donc plus à l'Apôtre qu'à parler de cette paix, qui suit la résurrection du corps, c'est-à-dire du quatrième acte de l'humanité, s'il est permis de donner ce nom à ce qui sera le repos partait.

Il continue en effet et dit : « Si donc l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous; celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous (1). » Voilà un témoignage très-clair de la résurrection des morts. Il est du reste assez certain que tant que nous sommes en cette vie nous ne pouvons être exempts des incommodités de la chair mortelle, ni. de certaines provocations aux voluptés sensuelles. En effet, bien que celui qui est établi sous la grâce et qui obéit par l'esprit à la loi de Dieu ne cède point à ces tentations, cependant, par la chair, il est assujetti à la loi du péché. L'homme montant, par ces degrés, à la perfection, il est sûr que le mal n'est point une substance, et que la loi n'est point mauvaise, elle qui fait voir à l'homme les liens dont le péché l'enchaîne, afin qu'en implorant avec foi le secours du libérateur, il mérite d'être délié, relevé et complètement raffermi.

Ainsi dans la première époque, qui précède la loi, il :n'y a point de lutte contre les plaisirs du siècle; dans la seconde, sous la loi, on combat mais on est vaincu ; dans la troisième, nous combattons et nous triomphons ; dans la quatrième, nous ne combattons plus, mais nous nous reposons dans une paix parfaite et éternelle. Alors nous dominons la partie inférieure de notre être, qui ne voulait plus se soumettre depuis que nous avions abandonné Dieu, notre Souverain maître

LXVII. — Sur ce passage: « Or j'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas dignes de la, gloire future qui sera révélée en nous ; » jusqu'à ces paroles : « Car c'est en espérance que nous sommes sauvés (1). »

1. Ce passage est obscur, parce qu'on n'y voit pas assez clairement ce que l'Apôtre entend par créature. Selon la doctrine catholique, on entend par créature tout ce qu'a fait et créé Dieu le Père, par son Fils unique, dans l'unité du Saint-Esprit.

Par conséquent, ce mot comprend non-seulement les corps, mais encore nos âmes et les esprits. Or il est dit : « La créature elle-même sera affranchie de la servitude de la mort, pour passer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu, » comme si nous n'étions pas créatures, mais enfants de Dieu, et que la créature dût être affranchie pour passer à la liberté de notre gloire. L'Apôtre dit encore: « Car nous savons que toutes les créatures gémissent et sont dans le travail de l'enfantement jusqu'à . cette heure, et non-seulement elles, mais aussi nous-mêmes, » comme si nous et les créatures étions choses différentes. Il faut donc étudier tout ce passage en détail.

2. « Or j'estime, dit l'Apôtre, que les souffrances du temps présent ne sont pas dignes de la gloire future qui éclatera en nous. »

Voilà qui est clair. Déjà il avait dit plus haut: « Si par l'esprit vous mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez, » ce qui ne peut se faire sans incommodité, et exige la patience. C'est encore le sens de ce qu'il a dit un peu plus haut: « Pourvu que nous souffrions avec lui, afin d'être glorifiés avec lui (2). »

Quant à ces expressions: « Aussi la créature attend d'une vive attente la manifestation des fils de Dieu, » voici, je pense, là signification qu'il y attache. Ce qui souffre en nous, quand nous mortifions les oeuvres de la chair; quand nous supportons volontairement la faim ou la soif ; quand nous nous contenons dans les règles de la chasteté; quand nous souffrons avec patience des injures blessantes, de cruels affronts; quand, dédaignant et rejetant toute jouissance personnelle, nous travaillons au profit de l'Eglise notre mère: tout ce qui souffre en nous, dis-je, dans de telles épreuves, est créature. Car le corps souffre et aussi l'âme, qui est certainement une créature et qui attend la manifestation des fils de Dieu, c'est-à-dire le terme où les élus apparaîtront, dans la gloire même à laquelle ils sont appelés. En effet le Fils unique de Dieu ne pouvant être appelé créature, puisque c'est par lui qu'a été fait tout ce que Dieu a fait, c'est évidemment à nous que ce terme s'applique, avant la manifestation de la gloire ; en même temps nous sommes appelés enfants de Dieu; mais seulement par adoption, le Fils unique l'étant par nature. Donc « la créature, » c'est-à-dire nous, « attend d'une vive attente la manifestation des fils de Dieu,» c'est-à-dire la réalisation des promesses, le moment où nous serons réellement ce que nous ne sommes encore qu'en espérance. Car nous sommes les enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce que nous serons. « Toutefois nous savons que lorsqu'il apparaîtra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (1). » Et c'est là la manifestation des fils de Dieu, que la créature attend maintenant d'une vive attente. Non qu'elle attende la manifestation d'une autre nature, qui ne soit point créature ; mais telle qu'elle est maintenant, elle attend l'état où elle doit être un jour. C'est à peu près comme si l'on disait pendant que le peintre travaille avec les couleurs qui sont devant lui et qu'il a préparées pour son oeuvre, les couleurs.attendent l'apparition du portrait; non pas qu'elles soient ou doivent être d'une autre nature, ou qu'elles doivent cesser d'être couleurs, mais parce qu'elles auront alors une tout autre valeur.

3. « Car, dit l'Apôtre, la créature est assujettie à la vanité. » Ce qui veut dire: « Vanité des hommes livrés à la vanité, et tout est vanité. « Que reste-t-il à l'homme de tout le travail auquel il se livre sous le soleil (2) ? » à l'homme à qui il a été dit : « Tu mangeras péniblement ton pain (3). » Donc la créature est assujettie à la vanité non point volontairement. »

L'Apôtre a raison de dire: « non point volontairement. » En effet l'homme a péché volontairement, mais il n'a point été condamné volontairement. C'est librement qu'il a péché, en transgressant le commandement de la vérité; la punition de son péché a été d'être soumis à la déception. Ce n'est donc point volontairement que la créature est assujettie à la vanité; « mais à cause de celui qui l'y assujettit dans l'espérance; » c'est-à-dire à cause de la justice et de la clémence de celui qui n'a pas laissé le péché impuni, et n'a point voulu que le pécheur fût incurable.

4. « Parce que la créature elle-même, » c’est-à-dire l'homme même, qui est resté simplemen créature depuis qu'il a perdu par le péché le sceau de la ressemblance divine (1) ; donc la créature elle-même, » c'est-à-dire celle qui n'a point encore la forme parfaite des enfants, et ne porte que le nom de créature, « sera aussi affranchie elle-même de la servitude de la mort. »

En disant « sera aussi affranchie elle-même, » il donne à ces mots aussi, elle-même » le même sens que s'il écrivait; comme nous aussi, et veut dire: Il ne faut point désespérer de ceux qui ne se nomment point encore fils de Dieu, parce qu'ils n'ont pas cru jusqu'ici; mais ni sont simplement appelés créature, parce que, eux aussi, doivent croire, et être délivrés de la servitude de mort, comme nous qui sommes déjà enfants de Dieu, bien qu'on ne voie pas encore ce que nous serons. Ils seront donc délivrés de la servitude de la mort « pour passer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu, » c’est-à-dire que, d'esclaves, ils deviendront glorieux dans la vie parfaite, qui est l'apanage des enfants de Dieu.

5. « Car nous savons que toutes les créatures gémissent et sont dans .le travail de l'enfantement jusqu'à cette heure. »

Toute créature est renfermée dans l'homme, non qu'il contienne tous les anges, les vertus supérieures et les Puissances, ou le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment; mais parce que toute créature est ou spirituelle, ou animale, ou matérielle. A partir du degré inférieur, la créature matérielle. est celle qui s'étend dans l'espace; la créature animale est celle qui donne vie à la matière; la créature spirituelle est celle qui régit la partie animale, et la régit bien, quand elle se laisse elle-même gouverner par Dieu; mais quand elle viole ses préceptes, elle ne rencontre que peines et difficultés dans ce qui devait être soumis à ses lois. Donc celui qui vit de la vie des sens, est appelé homme charnel ou animal: charnel, parce qu'il s'attache aux jouissances de la chair; animal; parce qu'il est entraîné par les passions désordonnées de son âme, laquelle n'est plus gouvernée par l'esprit ni contenue dans les limites de l'ordre naturel, parce que l'homme a secoué lui-même le joug de Dieu. Mais on appelle spirituel, celui qui gouverne l'âme et le corps par l'âme, ce qu'il ne peut faire s'il n'a lui-même Dieu pour guide; car le Christ est le chef de l'homme, comme l'homme l'est de la femme (2). Cette sorte de vie n'est point sans souffrances ici-bas ; mais plus tard elle en sera entièrement exempte. Et comme les anges des degrés supérieurs vivent spirituellement, ceux des degrés inférieurs animalement (1), les bêtes et tous les animaux charnellement et que le corps n'a pas la vie par lui-même, mais la reçoit : toute créature se trouve renfermée dans l'homme parce qu'il comprend par l'esprit, sent par l'âme et se meut localement par le corps. Ainsi toute créature gémit et souffre dans l'homme.

L'Apôtre n'a pas dit la créature entière, mais toute créature; c'est comme si l'on disait que tous les hommes, qui ont l'oeil sain, voient le soleil, mais qu'ils ne voient par tout entiers le soleil, puisqu'ils ne le voient que par les yeux ainsi toute créature est dans l'homme, parce qu'il a l'intelligence, la vie et un corps ; mais là création tout entière n'est pas en lui, parce que, en dehors de lui, existent les anges qui ont l'intelligence, la vie et l'être; les animaux qui ont la vie et l'être; et les corps, qui n'ont que l'être; et que vivre est plus que ne pas vivre, et comprendre plus que vivre sans l'intelligence. Par conséquent, quand l'homme gémit et souffre, toute créature gémit et souffre jusqu'à cette heure. L'Apôtre a raison de dire ,jusqu'à cette heure, », parce que s'il y a déjà quelques justes dans le sein d'Abraham (2), si le larron, qui est entré en paradis avec le Seigneur (3), a cessé de souffrir du jour où il a cru : cependant toute créature gémit et souffre jusqu'à cette heure, parce qu'elle existe, en ceux quine sont pas encore délivrés, à cause de l'esprit, de l'âme et du corps qu'ils ont.

6. « Non-seulement, » ajoute-t-il, toutes les créatures gémissent et souffrent, « mais aussi nous-mêmes, » c'est-à-dire non-seulement le corps, l'âme et l'esprit souffrent dans l'homme à raison des infirmités du corps, mais aussi nous-mêmes, en dehors du corps, « nous gémissons au dedans de nous, nous qui avons les prémices de l'esprit, » c'est-à-dire dont les esprits ont déjà été offerts à Dieu en sacrifice et enflammés du feu divin de la charité.

Car ce sont là les prémices de l'homme ; puisque la vérité s'empare d'abord de notre esprit, pour dominer, parlai, tout le reste. Il a donc déjà offert ses prémices à Dieu, celui qui dit: « J'obéis, par l'esprit, à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché (4) : » Et encore: « Dieu que je sers en mon esprit (1) ; » cet esprit dont il est dit : « L'esprit est prompt, mais la chair est faible (2). » Mais comme ce même homme dit encore de lui-même : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort (3) ? » et à ceux qui se trouvent dans le même cas: « Il vivifiera aussi vos corps mortels par l'Esprit qui habite en vous (4) : » l'holocauste n'existe pas encore; mais il existera quand la mort sera absorbée dans la victoire, et qu'on pourra dire : « O mort, où est ta victoire? Où est, ô mort, ton aiguillon (5). ? » Donc maintenant, dit l'Apôtre, non-seulement toute créature, unie à son corps, « mais nous aussi qui avons les prémices de l'esprit, » c'est-à-dire, nous, âmes, qui avons déjà offert à Dieu nos esprits en prémices, « nous gémissons au dedans de nous, » c'est-à-dire en dehors de notre corps, « attendant l'adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre corps, » en d'autres termes, attendant que notre corps lui-même, recevant le bénéfice de l'adoption des enfants à laquelle nous sommés appelés, démontre que nous sommes complètement délivrés, que toutes les peines sont finies et que nous sommés en tout sens enfants de Dieu. « Car c'est en espérance que nous sommes sauvés; or l'espérance qui se voit n'est pas de l'espérance. » Ce qui. est espérance maintenant, sera alors réalité, « quand on verra ce que nous serons. » C'est-à-dire quand nous serons « semblables à Lui, parce que nous le verrons tel qu'il est.

7. En expliquant ainsi ce passage, nous évitons les difficultés qui font dire à ta plupart des commentateurs, que ces paroles : « Toute créature gémit et souffre, » signifient que tous les anges, que toutes les vertus des cieux sont dans la douleur et les gémissements, jusqu'à ce que nous soyons entièrement délivrés.

Bien qu'ils nous aident, en proportion de leur élévation, et par obéissance à Dieu qui a daigné envoyer pour nous son Fils unique, nous devons cependant penser qu'ils le font sans gémissements et sans douleurs; autrement il faudrait les croire malheureux, moins heureux qu'un des nôtres, Lazare, qui repose déjà dans le sein d'Abraham. Outre que l'Apôtre dit que la même créature qui gémit et souffre est assujettie à la vanité ; ce qu'il n'est pas permis de croire de ces Vertus sublimes, de ces Puissances excellentes. L'Apôtre ajoute que cette même créature doit être affranchie de la servitude de la mort; or, nous ne pouvons croire que ceux qui vivent dans le ciel au sein du bonheur parfait, soient tombés dans cette servitude. Cependant il ne faut rien affirmer au hasard; c'est avec un pieux respect qu'on doit peser et peser encore les paroles divines. Peut-être cette créature qui gémit et souffle et est assujettie à la vanité, peut-elle s'entendre en quelque autre façon; peut-être même pourrait-on, sans impiété, appliquer ces expressions aux anges, tant qu'ils viennent au secours de notre faiblesse par l’ordre de Notre-Seigneur. Mais soit qu'on adopte notre explication sur ce passage, soit qu'on est présente une autre, le point essentiel est de ne point blesser la foi catholique. Car je sais que d'orgueilleux hérétiques ont avancé, là dessus, bien des impiétés et bien des inepties.

LXVIII. — Sur ces paroles : « O homme qui es-tu, pour contester avec Dieu » (1) ?

1. En disant : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu?» l'Apôtre parait avoir eu en vue de corriger la curiosité.

Or test sur cela. même qu'on élève une question; on est curieux à l'occasion des paroles mêmes qui blâment la curiosité. Les impies, y ajoutant l'injure, prétendent que l'Apôtre, impuissant à résoudre la question, gronde ceux qui l'ont faite patté qu'il ne peut donner la solution qu'on cherche. Quelques hérétiques (2), qui ne trompent que quand ils promettent une science qu'ils ne sauraient montrer, ennemis de la loi, et des prophètes, traitent de faussetés et d'interpolations tous tes passages que l'Apôtre en cite ; et, parmi ces passages falsifiés, il leur plaît surtout de compter celui-ci; et de nier que Paul ait dit : « O homme; qui es-tu, pour contester avec Dieu ? » C'est que, s'ils acceptent ces paroles, eux qui n'avancent leurs calomnies que dans le but de tromper les hommes, ils garderont désormais le silence, et n'oseront plus promettre, aux ignorants qu'ils veulent séduire, de savantes discussions sur la volonté, du Dieu tout-puissant. Enfuit quelques lecteurs des saintes Écritures, hommes droits et pieux, demandent ce qu'on peut répondre ici aux injures ou aux calomnies.

Pour nous, nous attachant saintement à l'autorité apostolique et convaincus que les livres placés sous la garde de l'enseignement catholique ne sont point falsifiés, reconnaissons, ce qui est vrai, que ceux à qui les décrets divins sont cachés, sont faibles et indignes de les comprendre ; puis, à ceux qui murmurent et s'indignent de ne pas pénétrer les desseins de Dieu, répondons, quand ils commenceront à dire Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. De quoi se plaint-il encore? Car qui résiste à sa volonté (1) ? » quand, au moyen de ces paroles, il se mettront à calomnier l'Écriture, ou chercheront une excuse à leurs péchés, à leur mépris pour les commandements, qui sont le chemin de la vertu; répondons-leur, dis-je, en toute confiance : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? » N'allons pas, par égard pour eux , donner les choses saintes aux chiens, ni jeter nos pertes devant les pourceaux (2); si tant est que nous ne noyions pas nous-mêmes des chiens et des pourceaux, et que nous entrevoyions, même imparfaitement et en énigme, quelque chose de sublime, de très-supérieur aux idées vulgaires, quand l'Esprit-Saint nous parle des mérites des âmes.

2. Car ce n'est pas aux saints que l'Apôtre interdit ici les recherches, mais à ceux qui ne sont pas assez enracinés et fondés dans ta charité, pour pouvoir comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, et tout ce qu'il énumère ensuite en ce passage (3).

Non, il n'a point défendu les recherchés, celui qui a dit : « Mais l'homme spirituel juge de toute chose, et il n'est jugé par personne; » et surtout ceci : « Pour nous, nous n'avons point reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les dons qui nous ont été faits par Dieu (4). » A qui donc l'Apôtre fait-il cette défense, sinon aux hommes de boue et de terre, qui n'étant pas encore régénérés et nourris intérieurement, portent l'image de cet homme qui, tiré le premier de la terre, était terrestre (5); et gui, pour n'avoir pas voulu obéir à celui qui l'avait créé, retomba dans l’élément d'où il avait été formé, et mérita après son péché d'entendre cet arrêt : « Tu es terre et tu iras en terre (6)? » C'est donc à ces hommes que l'Apôtre dit : « O homme, qui es-tu, pour contester avec Dieu? Le vase dit-il au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? A Tant que tu n'es qu'un vase d'argile, tu n'es pas encore un enfant parfait, parce que tu n'as pas encore reçu la plénitude de la grâce qui nous donne te pouvoir de devenir enfants de Dieu (1), et te mérite la faveur d'entendre dire Désormais je ne vous appellerai plus serviteurs, mais amis (2). — Qui es-tu, pour contester avec Dieu? » et vouloir pénétrer ses desseins? Tu serais un impudent de chercher à connaître les projets d'un homme, ton égal, avant d'avoir obtenu son amitié. Comme donc nous avons porté l'image de l'homme terrestre, portons aussi l'image l'homme céleste, (3) en nous dépouillant du vieil homme et en revêtant le nouveau (4), pour qu'on ne nous dise pas, comme au vase d'argile: « Le vase dit-il au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? »

3. Et pour preuve que ce n'est point à l'esprit sanctifié, mais à la boue de la chair que s'adressent ces paroles, écoutez la suite : « Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire, de la masse d'argile, un vase d'honneur et un vase d'ignominie (5) ? »

Depuis que notre nature a péché dans le paradis, d'après l'ordre de la divine Providence, notre génération mortelle prend son type, non plias au ciel mais sur la terre, c’est-à-dire nous ne Sommes plus fermés selon l'esprit, mais selon la chair ; nous sommes tous pétris de la même masse de boue, qui est celle du péché. Donc puisque clous avons perdu tout mérite en péchant, et que, en dehors de la divine miséricorde, la damnation éternelle est l'unique partage du pécheur, à quoi pense l'homme formé de cette masse, de contester avec Dieu et de lui dire : « Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? » Si tu veux connaître ces secrets, cesse d'être boue, deviens enfant de Dieu par la miséricorde de Celui qui a donné à ceux qui croient en son nom le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, mais non à ceux qui, comme toi, désirent pénétrer les choses divines avant de croire. En effet cette connaissance est le prix du mérite, et le mérite s'acquiert par la foi. Mais la grâce même de la foi ne suppose, de notre part, aucun mérite antérieur. Quel est en effet le mérite du pécheur et de l'impie ? Or le Christ est mort pour les impies et pour les pécheurs (6), afin que la vocation à la foi fût le fruit de la grâce, et non du mérite, et que pourtant nous méritassions en croyant. On ordonne donc aux pécheurs de croire, afin d'être, par là, purifiés de leurs péchés. Car ils ignorent encore ce qu'ils verront plus tard, quand leur vie sera pure.

Par conséquent, ne pouvant voir sans bien vivre, ni bien vivre sans croire, ils doivent évidemment commencer par la foi, afin que les préceptes auxquels ils croiront les détournant du siècle, leur tassent un coeur pur où Dieu puisse se manifester. En effet Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (1); » le prophète s'écrie aussi: « Cherchez-le dans la simplicité de votre coeur (2). » C'est donc avec raison qu'on dit à ceux qui persévèrent dans la vie du vieil;homme, et chez qui l'œil de l'âme est voilé de ténèbres : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? Le vase d'argile dit-il au potier: Pourquoi m'as tu fait ainsi. Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire, de la même masse d'argile, un vase d'honneur et un vase d'ignominie? » Purifie-toi du vieux levain, afin d'être une nouvelle pâte (3), et dans ce nouvel état, ne te contente pas d'être en Jésus-Christ un petit enfant qu'il faille abreuver de lait (4); mais élève-toi jusqu'à l'homme parfait, pour être de ceux dont il est dit : « Nous prêchons la sagesse parmi les parfaits (5). » Alors tu apprendras avec exactitude et netteté, les secrets du Dieu Tout-Puissant sur les mérites les plus cachés des âmes, et sur la grâce ou la justice.

4. Pour ce qui regarde Pharaon, la réponse est facile.

Les persécutions qu'il avait infligées aux étrangers, habitant en son royaume, lui avaient mérité un endurcissement de coeur tel qu'il n'ajouta point foi aux ordres de Dieu, mal gré les miracles les plus éclatants. Ainsi, de la même ruasse de péché, Dieu a tiré des vases de miséricorde, les enfants d'Israël qu'il devait sauver, quand ils lui adresseraient leur prières; et des vases de colère, c'est-à-dire Pharaon et son peuple, dont la punition devait servir d'exemple à ces mêmes enfants d'Israël; parce que, bien que les uns et les autres fussent pécheurs et par conséquent appartinssent à la même masse, il fallait cependant traiter différemment ceux qui s'étaient multipliés dans la foi en un seul Dies. « Il a donc supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits. » Par ces mots « avec un patience extrême, » l'Apôtre indique assez les anciennes iniquités que Dieu avait supportées chez eux, pour s'en venger dans l'occasion, quand leur punition devait contribuer au salut de ceux qu'il fallait délivrer. « Afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde, qu'il a préparés pour la gloire. » Peut-être ceci te trouble-t-il et reviens-tu à dire : « Il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. De quoi se plaint-il encore ? car qui résiste à sa volonté (1) ? » Certainement il a pitié de qui il veut, et il endurcit qui il veut; mais cette volonté de Dieu ne peut être injuste ; car elle a son origine dans des mérites très-secrets. Et les pécheurs eux-mêmes, quoiqu'ils appartiennent à la même masse par la communauté du crime, ont cependant entre eux des différences. Il y a donc dans les uns quelque chose qui les rend d'avance dignes de la justification, bien qu'ils ne soient pas encore justifiés; et chez d'autres, ils se trouve aussi quelque chose qui leur mérite l'endurcissement. Aussi le même Apôtre dit-il ailleurs : « Parce qu'ils n'ont pas montré qu'ils avaient la connaissance des Dieu, Dieu les a livrés à un sens réprouvé (2). » Dieu les a livrés à un sens reprouvé, c'est-à-dire il a endurci le cœur de Pharaon ; parce qu'ils n'ont pas montré qu'ils avaient la connaissance de Dieu ; c’est-à-dire qu'ils ont ainsi mérité d'être livrés à un sens reprouvé.

5. Cependant il est vrai de dire que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. (3) »

En effet, si l'homme coupable de fautes légères, ou même de fautes graves et nombreuses, obtient la miséricorde de Dieu, à force de gémissements, de douleurs et de regrets, ce n'est point là son oeuvre, puisque, abandonné à lui-même, il aurait péri, mais celle du Dieu compatissant, qui s'est laissé toucher par ses prières et son repentir. En effet c'est peu de chose de vouloir, si Dieu ne fait miséricorde; mais Dieu, qui invite à la paix, ne fait miséricorde qu'autant que la volonté a pris l'avance (4) : car la paix sur la terre est pour les hommes de bonne volonté (5). Et comme personne ne peut vouloir s'il n'est prévenu et appelé, soit au dedans, là où l'oeil de l'homme ne pénètre pas, soit extérieurement par la parole ou par quelques signes visibles, il en résulte que c'est encore Dieu qui opère le vouloir en nous (6).

En effet tous ceux qui furent invités au festin préparé, dont parle le Seigneur dans l'Evangile, ne voulurent pas y venir; et ceux qui y vinrent ne l'auraient pu, s'ils n'y eussent été invités (7). Ainsi ceux qui vinrent ne peuvent se l'attribuer, parce qu'ils durent être invités pour venir; et ceux qui ne vinrent pas ne peuvent en accuser qu’eux-mêmes, puisque, étant appelés, ils étaient libres devenir. La vocation est donc le principe de la volonté, antérieurement au mérite. Donc si quelqu'un peut s'attribuer d'être venu quand on l'a appelé, il ne peut s'attribuer d'avoir été appelé. Quant à celui qui ne vient pas, quoique appelé, de même que sa vocation n'était point le fruit de ses mérites, ainsi son refus de se rendre à l'appel devient le principe de sa condamnation. Par là se trouveront réunies ces deux choses : « Je célèbrerai en vous, Seigneur, la miséricorde et la justice (1). » La vocation est l'oeuvre de la miséricorde; à la justice se rattachent et le bonheur de ceux qui ont été appelés et sont venus, et le supplice de ceux qui n'ont pas voulu venir. Pharaon ignorait-il tout le bien que l'arrivée de Joseph avait procuré à l'Egypte (2) ? La connaissance de ce fait était une invitation à ne pas se montrer ingrat, et à traiter avec bonté le peuple d'Israël. Pour n'avoir point cédé à cet appel, pour s'être montré cruel envers ceux qu'il devait traiter avec humanité et douceur, il a mérité que son coeur fût endurci et son esprit aveuglé au point de ne pas croire à des signes si nombreux et si éclatants de la puissance de Dieu; et, soit par son endurcissement soit par sa submersion visible dans la mer Rouge, de servir de leçon au peuple même qu'il avait persécuté injustement, jusqu'à s'attirer cette double punition (3).

6. Or cet appel qui agit ou, chez les individus, ou chez les peuples, ou dans le genre humain tout entier: selon les circonstances, est t'œuvre d'une haute et mystérieuse Providence.

Ainsi s'expliquent ces paroles : « Je t'ai sanctifié dans le sein maternel (4) ; » et encore : « Je t'ai vu, « avant que tu fusses conçu (5), » et ailleurs : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü (6): toutes paroles prononcées avant la naissance de ceux qui en étaient l'objet. Elles ne peuvent être comprises que par ceux peut-être qui aiment Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de tout leur esprit, et leur prochain comme eux-mêmes (7). Fondés sur une si grande charité, peut-être peuvent-ils déjà comprendre avec les saints quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur (8). Cependant il est un point qu'il faut croire de la foi la plus ferme : c'est que Dieu ne peut rien faire d'injuste, et qu'il n'existe aucun être qui ne lui doive tout ce qu'il est; puisque c'est à lui qu'est dû tout honneur, toute beauté, toute harmonie entre les parties. Mais si on s'attaque à tout cela, si on en dépouille complètement ce qui existe, il ne reste plus rien.

LXIX. — Sur ce passage : « Alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses (1). »

1. Ceux qui prétendent que le Fils n'est point égal au Père, citent souvent le texte de l'Apôtre: « Et lorsque tout lui aura etc soumis, « alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toute choses. »

En effet ils ne pourraient cacher aucune erreur sous le voile du christianisme, s'ils ne l'appuyaient sur quelques textes des Ecritures mal compris. Ils disent donc: si le Fils est égal au Père, comment lui sera-t-il soumis ? Ce qui revient à cette autre question de l'Evangile : si le Fils est égal au Père, comment le Père est-il plus grand que lui? Car le Seigneur a dit lui-même: « Parce que mon Père est plus grand que moi (2). » Or la règle de la foi catholique est que, chaque fois qu'il est dit dans l'Ecriture que le Fils est moins grand que le Père, cela doit s'entendre du Fils entant qu'homme, et que, quand il est dit son égal, cela doit s'entendre du Fils en tant que Dieu. On comprend maintenant le sens de ces paroles: « Mon Père est plus grand que moi, » et: « Moi et mon Père nous sommes un (3); » puis: « le Verbe était Dieu, » et: « le Verbe a été fait chair; (4) » puis encore: « Il n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu, « mais il s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave (5). »

Mais comme souvent, en dehors du fait de l'Incarnation, on parle de ce qui est propre à la personne seulement, et que le Père est simplement le Père, et le Fils le Fils : les hérétiques s'imaginent que dans ces passages ainsi entendus, il ne peut être question d'égalité. Il est écrit, disent-ils : « Tout a été fait par lui (6); » oui, par l'entremise du Fils, du Verbe de Dieu: mais qui a tout fait, si ce n'est le Père? Or on ne lit nulle part que le Fils ait rien fait par le Père. De même il est écrit que le Fils est l'image du Père, (7) et on ne lit nulle part que le Père soit l'image du Fils. Puis l'un engendre, l'autre est engendré; puis encore bien d'autres expressions de ce genre, qui ne se rapportent point à l'égalité de substance, mais à la propriété des personnes. Et comme ces hérétiques prétendent qu'il ne peut y avoir d'égalité dans les personnes, parce que leurs esprits trop grossiers, sont incapables de pénétrer ces questions, il faut les écraser sous le poids de l'autorité. Si en effet il n'était pas possible d'admettre l'égalité des personnes : de celui par qui tout a été fait et de celui qui a tout fait, de l'image et du type, de l'engendré et de celui qui engendre: l'Apôtre n'aurait pas dit, pour fermer la bouche à des disputeurs opiniâtres: « Il n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu. »

2. Ainsi puisque les passages où est établie la distinction du Père et du Fils, se rapportent les uns aux propriétés des personnes, les autres au mystère de i'Incarnation ; on peut, mais en maintenant la divinité, l'unité et l'égalité du Père et du Fils, demander ici dans lequel de ces deux sens doit s'entendre ce que dit l'Apôtre: « Alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses. »

Le contexte jette ordinairement du jour sur un texte, quand on examine avec attention le sujet même dont il s'agit et l'objet que se proposait l'écrivain. Or nous trouvons que ces paroles viennent à la suite de celles-ci, placées plus haut: «Mais maintenant le Christ est ressuscité d'entre les morts, comme prémices de ceux qui dorment. » L'Apôtre traitait en effet de la résurrection des morts. Or, c'est en tant qu'homme que le Seigneur est ressuscité, comme le prouve très-clairement ce que l'Apôtre ajoute : « Car par un homme est venue la mort, et par un homme la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, tous revivent aussi dans le Christ, mais chacun en son rang : le Christ comme prémices : puis ceux qui sont au Christ, en sa présence.

La fin suivra lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père; qu'il aura anéanti toute principauté, toute puissance et toute vertu. « Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Or le dernier ennemi détruit sera la mort. Car Dieu a tout mis sous les pieds de son Fils. Quand donc l'Ecriture dit: Tout lui a été soumis, elle excepte sans doute Celui qui lui a tout soumis.Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses, « afin que Dieu soit tout en tout. (1)» Il est donc clair qu'il s'agit ici du Christ en tant qu'homme.

3. Mais il y a dans ce passage, dont je viens de citer le texte en entier, d'autres points à examiner.

D'abord ces paroles: « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père, » comme si le Père ne possédait pas le royaume maintenant. Puis cet autre endroit: « Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, » comme s'il ne devait plus régner ensuite, et qu'on dût rattacher à ces expressions les mots qui précèdent La fin suivra. » Une interprétation sacrilège a expliqué ce mot de fin par une extinction du règne du Christ, tandis qu'il est écrit: « Et son règne n'aura pas de fin (1). » Enfin ce verset : « Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses , » où l'on a voulu voir ou que tout n'est pas soumis au Fils, ou que lui-même n'est pas soumis au Père.

4. Une formule de langage résout toute la difficulté.

C'est effectivement un usage ordinaire dans l'Écriture de dire qu'une chose, qui existe toujours, se fait en quelqu'un, au moment même où elle commence à se manifester en lui. C'est ainsi que nous disons dans l'oraison dominicale : « Que votre nom soit sanctifié?, » comme si ce nom n'était pas toujours saint. Donc ce mot «soit sanctifié, » signifie soit connu comme saint. De même ici ces paroles. « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père, » signifient alors qu'il aura prouvé que son Père règne, en sorte que ce que le fidèle croit et ce que l'infidèle nie maintenant, soit réellement et clairement démontré. Or il anéantira toute principauté et toute puissance, en manifestant d'une manière certaine le règne de son Père ; et tous sauront qu'aucun des princes ni des puissants, soit dans le ciel soit sur la terre, n'a eu pair lui-même la principauté ou la puissance, mais par le don de Celui par qui tout est non-seulement créé, mais établi à sa place. En effet au jour de cette manifestation, personne ne conservera plus le moindre espoir dans un prince ou dans un homme ; c'est ce que le prophète proclame dès à présent : « Il vaut mieux espérer en Dieu qu'espérer en l'homme : il vaut mieux placer sa confiance en Dieu que dans les princes (3) ; » il veut par cette considération que l'âme s'élève déjà jusqu'au royaume du Père, n'estime d'autre autorité que la sienne et se garde d'une fatale complaisance en elle-même. Le Christ remettra donc le royaume à Dieu et au Père, alors que, par lui, le Père sera connu tel qu'il est. Car son royaume est formé de ceux en qui il règne maintenant par la foi. Autre en effet est le règne du Christ en tant que Dieu, et exerçant son empire sur toutes les créatures ; autre son règne dans l'Église, qui a foi en lui et lui dit : « Possédez-nous (1), » bien qu'il possède toutes choses. L'Apôtre dit dans le même sens : « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l'égard de la justice (2). » Il anéantira 'donc toute principauté, toute puissance et toute vertu en ce" sens que quiconque verra le Père par le Fils n'aura plus ni besoin ni envie de se complaire en sa propre puissance, ni en aucune puissance créée.

5. « Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, » c'est-à-dire il faut que son règne soit manifesté de telle manière que tous ses ennemis soient forcés de reconnaître sa puissance royale.

C'est en ce sens qu'il mettra ses ennemis sous ses pieds. Que si nous appliquons ce mot aux justes, cela veut dire qu'ils sont devenus justes, de pécheurs qu'ils étaient, et qu'ils se sont soumis à lui par la foi. Quant aux méchants qui seront exclus du futur bonheur des justes, il faut entendre que, confondus par l'éclatante manifestation de son règne, ils seront forcés de confesser qu'il est roi. Donc ces paroles : « Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis, ses ennemis sous ses pieds, » ne veulent pas dire qu'après avoir mis ses ennemis sous ses pieds, il cessera de régner : mais que son règne sera manifesté avec tant d'évidence que ses ennemis ne pourront le contester en aucune façon. Quand il est écrit : « Ainsi nos yeux sont tournés vers le Seigneur notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous (3), » cela ne veut pas dire que, quand le Seigneur aura eu pitié de nous, nous détournerons de lui nos ,yeux. Car notre bonheur, consiste à jouir de lui en le contemplant. Il en est de même ici : si nous ne tournons nos regards vers le Seigneur que jusqu'à ce que nous ayons obtenu miséricorde, ce n'est pas pour les détourner ensuite, mais parce que notre but est rempli. « Jusqu'à ce que » signifie donc: pas au-delà. » Jusqu'à quel point, c'est-à-dire de quelle manière plus éclatante, le règne du Christ pourrait-il être manifesté qu'en forçant ses ennemis à reconnaître son empire ? Mais autre chose est de ne plus se manifester, autre chose de ne plus exister. Ne plus se manifester, c'est ne pas éclater davantage; ne plus exister, ce serait cesser d'être. Or quand le règne du Christ sera-t-il plus manifeste, que quand il aura éclaté aux yeux de tous ses ennemis?

6. « Le dernier ennemi détruit sera la mort. »

Elle ne pourra manquer d'être détruite, quand ce corps mortel aura revêtu l'immortalité. « Car il lui a mis tout sous les pieds, » c'est-à-dire il lui a donné le pouvoir de détruire même la mort. « Quand donc l'Écriture dit: « Tout lui a été soumis (le prophète l'a dit en effet dans les psaumes (1), ) elle excepte sans doute Celui qui lui a tout soumis. » L'Apôtre veut dire que le Père a tout soumis à son Fils, comme le Seigneur lui-même le répète en beaucoup de passages de l'Évangile, non-seulement parce qu'il a pris la forme d'esclave, mais à cause du principe même dont il émane et qui le rend l'égal de Celui dont il procède. Car le Christ aime à tout rapporter à un seul principe, comme étant lui-même l'image de ce principe, et celui en qui habite toute la plénitude de la divinité (2).

7. « Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses. »

Non qu'il n'en soit pas déjà ainsi maintenant ; mais alors cela sera manifesté, suivant la formule de langage que nous avons expliquée plus haut: « Afin que Dieu soit tout eu tous. » Et ce sera proprement ce dont l'Apôtre a parlé en premier lieu, voulant d'abord dire en abrégé ce qu'il se proposait d'exposer en détail. Car il parlait de la résurrection, quand il disait : « Le Christ comme prémices; puis ceux qui sont au Christ, en sa présence ; ensuite la fin. » Or la fin sera que Dieu soit tout en tous. » Autre en effet est la fin qui veut dire perfection, autre la fin qui signifie destruction ; autre, par exemple, celle d'une tunique qu'on finit de tisser, autre celle d'un mets qu'on consomme en le mangeant. Or on dit que Dieu est tout en tous, quand aucun de ceux qui s'attachent à lui n'aime sa propre volonté aux dépens de la sienne, et quand tous comprennent clairement ce que l'Apôtre dit ailleurs : « Qu'as-tu que tu n'aies reçu (3) ? »

8. Il en est qui entendent autrement ce passage : « Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. »

Ils attachent au mot régner une autre signification que là où il est dit : « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père. » Selon eux, dans ce dernier cas, il est question du règne que Dieu exerce sur toute créature ; dans le premier, régner a le sens de marcher contre l'ennemi, ou de défendre l'État; en sorte que, en disant : « Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, » l'Apôtre entendrait qu'il n'y aura plus besoin de l'autorité telle que l'exercent les généraux d'armée, quand l'ennemi sera soumis de manière à ne pouvoir plus se révolter. Car on lit positivement dans l'Évangile : « Et son règne n'aura point de fin, » en ce sens qu'il règne pour l'éternité. Quant à la lutte livrée sous son étendard au démon, elle durera jusqu'à ce qu'il ait luis tous ses ennemis sous ses pieds; puis elle cessera quand nous jouirons de la paix éternelle.

9. Que tout ceci soit dit pour nous faire comprendre la nécessité d'étudier plus attentivement le règne que le Seigneur exerce par la mystérieuse application de son incarnation et de sa passion.

En tant qu'il est le Verbe de Dieu, son règne n'a ni fin, ni commencement, ni interruption. Mais en tant que Verbe fait chair (1), il a commencé à régner chez les croyants par la foi à son Incarnation. Ce que le prophète exprime ainsi : « C'est par le bois que le Seigneur a régné (2). » Par là aussi il a anéanti toute principauté, toute puissance et toute vertu, en sauvant, non par la gloire, mais par l'humilité, ceux qui croient en lui. C'est là le secret caché aux sages et aux prudents, et révélé aux petits (3) ; car il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication (4). Et, parmi ces petits, l'Apôtre affirme qu'il ne sait autre chose que Jésus, et Jésus crucifié (5). Cette prédication est nécessaire, jusqu'à ce que tous les ennemis du Christ soient sous ses pieds, c'est-à-dire que tout l'orgueil du siècle ait cédé et se soit soumis à son humilité, figurée ici, ce me semble, par ses pieds : ce qui est déjà accompli en grande partie, et que nous voyons s'accomplir tous les jours.

Mais pourquoi tout cela ? Pour remettre le royaume à Dieu et au Père, c'est-à-dire pour élever jusqu'à le voir dans cette nature qui le rend égal au Père, ceux qui se seront nourris de la foi à son Incarnation. Déjà il l'annonçait à ceux qui croyaient en lui, quand il leur disait : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres (1). » En effet, il remettra le royaume à son Père quand il règnera dans ceux qui contemplent la vérité, comme étant égal à son Père, moque, par lui-même, Fils unique, il rendra le Père visible en sa substance. Maintenant il règne chez les croyants comme s'étant anéanti et revêtu de la forme d'esclave (2). Mais alors il remettra le royaume à Dieu et au Père, lorsqu'il aura anéanti toute principauté, toute puissance et toute vertu. Et comment les anéantira-t-il, si ce n'est par l'humilité, la patience et l'infirmité ? Quelle principauté n'est pas réduite à néant, quand le Fils de Dieu ne règne chez les croyants que parce que les princes du siècle l'ont jugé ? Quelle puissance restera debout, quand Celui par qui tout a été fait n'a d'empire sur les fidèles que pour avoir été soumis aux puissances, au point de dire à un homme : « Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, s'il ne t'avait été donné d'en haut (3) ? » Quelle vertu ne sera pas détruite, quand Celui par qui les cieux ont été affermis, ne règne sur les croyants que parce qu'il a été infirme jusqu'à subir la croix et la mort ? C'est ainsi proprement que le Fils de Dieu règne par la foi des croyants. Car ce n'est pas du Père qu'on peut dire ou croire qu'il s'est incarné, qu'il a été jugé ou mis en croix. Or comme Dieu égal au Père, il règne avec le Père sur ceux qui contemplent la vérité. Il ne perd donc point lui-même le royaume qu'il remettra à Dieu et au Père, quand il conduira ceux qui croient maintenant en lui, de la foi de son Incarnation, à la possession de la divinisé ; mais le Père et le Fils se donneront, comme une seule nature, pour faire le bonheur des élus qui les contempleront. Et tant que les hommes ne seront pas capables de voir clairement l'égalité du Père et du Fils, il faut que le Fils règne par ce que les hommes peuvent comprendre en lui, par ce qu'il a pris volontairement, c'est-à-dire par l'humilité de l'Incarnation, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, c'est-à-dire encore jusqu'à ce que tout orgueil mondain se soit abaissé devant l'humilité de son Incarnation.

10. Sans doute ces paroles : « Et alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses, » doivent s'entendre du Christ incarné: car il s'agissait précisément de la. résurrection des morts.

Cependant on peut demander si elles s'appliquent seulement au Christ en tant qu'il est le chef de l'Eglise (1), ou au Christ tout entier, dans son corps et dans ses membres. En effet, quand l'Apôtre dit au Galates : « Il ne dit pas: A ceux qui naîtront, comme parlant de plusieurs, mais comme d'un seul : Et à celui qui naîtra de toi, c'est-à-dire au Christ: » de peur qu'on n'appliquât ces paroles qu'au Christ né de la vierge Marie, saint Paul ajoute plus bas : « Car vous n'êtes tous qu'un dans le Christ Jésus. Et si vous êtes tous au Christ, vous êtes donc de la postérité d'Abraham (2). » Ailleurs, parlant aux Corinthiens de la charité et empruntant aux membres du corps une comparaison « Comme le corps, dit-il, est un, quoique ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps, quoique nombreux, ne soient cependant qu'un seul corps; ainsi est le Christ. » Il ne dit pas: Ainsi est le corps du Christ; mais « ainsi est le Christ, » pour nous montrer que par le Christ on peut très-bien entendre le tout, c'est-à-dire le chef avec son corps, qui est l'Eglise. En beaucoup d'autres endroits de l'Ecriture nous trouvons qu'on prend le mot Christ dans le même sens, c'est-à-dire du Christ avec tous ses membres, avec ceux à qu'il a été dit: « Vous êtes le corps et les membres du Christ (3). » Il n'est donc point déraisonnable d'appliquer ces paroles : « Alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses, » de les appliquer, dis-je, non-seulement au Christ comme chef de l'Eglise, mais aussi à tous les saints, qui ne font qu'un dans le Christ, une même race d'Abraham, soumise, en contemplant l'éternelle vérité, pour y trouver le bonheur, sans éprouver aucune résistance ni dans le corps ni dans l'âme, « en sorte que, » personne n'aimant plus son propre pouvoir, « Dieu soit tout en tous. »

LXX. — Sur ces paroles de l'Apôtre : « La mort a été absorbée dans la victoire. O mort, où est ta résistance ? Où est, ô mort, ton aiguillon ? Or l'aiguillon de la mort, c'est le péché, et la force du péché, la loi (4). »

Par mort, je perse, l’Apôtre entend ici l'habitude de la chair, qui résiste à la bonne volonté par l'attrait des jouissances temporelles. Il ne dirait pas : « O mort, où est ta résistance ? » s'il n'y avait pas eu résistance et combat. Or la lutte de la chair est décrite dans le passage suivant: « La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair. En effet ils sont opposés l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez (1). » La sanctification parfaite produit donc cet effet que tout appétit charnel est soumis à notre esprit éclairé et vivifié, c'est-à-dire à la bonne volonté. Et comme nous nous voyons maintenant privés de beaucoup de jouissances puériles, dont le refus causait à notre enfance les plus cruels tourments ainsi devons-nous croire qu'il en sera de toute délectation charnelle, quand une sainteté parfaite aura tout réparé dans l'homme. Mais tant qu'il y aura en nous quelque chose qui résiste à la bonne volonté, nous avons besoin du secours de Dieu par l'entremise des âmes pieuses et des bons anges, afin que si notre blessure nous incommode avant d'être guérie, elle ne détruise au moins pas en nous la bonne volonté.

Nous avons mérité cette mort par le péché : péché parfaitement libre, parfaitement volontaire, puisqu'il n'y avait, dans le paradis terrestre, aucune douleur, aucune privation de jouissance, qui pût, comme aujourd'hui, faire obstacle à la bonne volonté. Par exemple, si quelqu'un n'a jamais eu de goût pour la chasse, il reste pleinement libre de chasser ou de ne pas chasser, et on ne lui fait aucune peine en l'en empêchant. Mais s'il a abusé de cette liberté, en chassant contre l'ordre d'un maître, le plaisir s'insinuant peu à peu dans son âme, la blesse, au point que, s'il veut s'en abstenir, il ne le peut plus sans douleur et sans peine : ce qui ne lui fût point arrivé, si son âme avait conservé sa santé parfaite. « Donc l'aiguillon de la mort, c'est le péché,» parce que le péché procure une délectation qui met obstacle à la bonne volonté, et dont la privation cause de la douleur. Or, cette délectation, nous l'appelons mort, et avec raison, parce qu'elle consiste dans un défaut de l'âme devenue plus mauvaise. « Et la force du péché, c'est la loi ; » parce que les actions défendues par la loi sont commises avec plus de méchanceté et de perversité, que si elles n'étaient pas défendues. La mort sera donc absorbée dans la victoire, quand, l'homme étant entièrement sanctifié, les délectations charnelles auront disparu dans la jouissance parfaite des biens spirituels.

LXXI. — Sur ce passage de l'Ecriture : « Portez les fardeaux les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ (2).

1. Comme l'observation de l'ancienne loi avait la crainte pour motif, aucun passage ne prouve mieux que l'amour est le fruit du nouveau Testament, que celui où l'Apôtre nous dit : « Portez les fardeaux les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ. »

On comprend qu'il parle ici de la loi que le Christ nous a faite de nous aimer les uns les autres, et sur laquelle il insiste jusqu'à dire «C'est en cela qu'on connaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres (1). » Or le propre de cet amour est de porter mutuellement nos fardeaux. Mais ce devoir, qui n'est pas éternel, nous conduira certainement à l'éternelle béatitude, où il n'y aura plus de charges mutuelles à supporter. Maintenant donc pendant cette vie, c'est-à-dire pendant cette route, portons les fardeaux les uns des autres, pour mériter de parvenir à cette autre vie où il n'y a de fardeau d'aucune espèce. Ceux qui ont étudié les moeurs des animaux racontent que, quand les cerfs passent un bras de mer pour atteindre un pâturage dans une ale, ils se rangent de manière à supporter mutuellement le poids de leur tète ou plutôt de leurs bois, en sorte que chacun avance sa tête et la pose sur celui qui le précède. Et comme nécessairement le premier n'en trouve aucun autre pour lui rendre ce service, on ajoute que le poste est occupé tour à tour par les membres de la troupe, de manière que celui qui était en avant, fatigué de porter le poids de sa tête, passe en arrière et est remplacé par le second qui s'appuyait sur lui. C'est ainsi que, portant les fardeaux les uns des autres, ils traversent la mer jusqu'à ce qu'ils arrivent à la terre ferme (2). C'est peut-être cette particularité que Salomon avait en vue, quand il disait: « Que ton cerf chéri, que ton poulain bien-aimé s'entretiennent avec toi (3). » En effet, il n'y a pas de plus grande preuve d'affection que de porter les charges d'un ami.

2. Cependant nous ne pourrions mutuellement supporter nos charges, si nous étions affligés du même genre d'infirmité, et en même temps ; mais la diversité du temps et la variété dans les espèces d'infirmité font qu'on peut remplir ce devoir.

Par exemple, tu porteras la colère de ton père, quand tu ne seras point irrité contre lui ; comme lui, à son tour, supportera avec douceur et calme le poids de la tienne, au jour où tu en seras dominé. Ceci se rapporte à la diversité du temps, quand ceux qui se doivent le support mutuel sont sujets à la même infirmité ; il s'agit en effet de la colère des deux côtés. Mais donnons un exemple de faiblesses différentes : quelqu'un a réprimé sa loquacité, mais n'a corrigé son opiniâtreté, tandis qu'un autre; toujours loquace, n'est plus obstiné ; ils doivent supporter charitablement, l'un la loquacité, l'autre l'opiniâtreté de son frère, jusqu'à ce qu'ils soient guéris tous les deux. Mais la même infirmité se produisant chez deux hommes en. même temps, ne peut être l'objet du support mutuel, parce qu'elle devient obstacle pour elle-même. A l'égard d'un tiers, deux hommes irrités peuvent tomber d'accord et se supporter; si tant est qu'on puisse appeler cela support, et non mutuel soulagement. C'est ainsi que deux hommes tristes pour le même sujet, se supportent mieux, s'appuient mieux l'un sur l'autre, que si l'un était triste et l'autre joyeux ; mais s'ils sont la cause de leur mutuelle tristesse, ils ne peuvent plus se supporter. Dans ces sortes d'affections, il faut quelque peu condescendre à la maladie même dont on veut guérir son prochain, et cela, non pour la partager entièrement, mais pour lui venir en aide, absolument comme on se baisse pour tendre la main à quelqu'un qui est à terre. En effet on ne se couche pas à côté de lui pour partager sa situation; on se contente de s'incliner, pour l'aider à se relever.

3. Aucun motif n'est plus puissant pour nous déterminer à remplir volontiers le devoir du support mutuel, que le souvenir de ce que le Seigneur a souffert pour nous.

C'est ce que l’Apôtre nous rappelle quand il nous dit : « Ayez en vous les sentiments qu'avait en lui le Christ-Jésus. Il avait la nature de Dieu, et il n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ; et pourtant il s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors ; il s'est- humilié lui-même, s'étant fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. » Plus haut il avait dit : « Chacun ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d'autrui (1). » C'est à cette pensée qu'il rattache ce que nous venons de citer, puisqu'il le fait suivre immédiatement de ces mots : « Ayez en vous les sentiments qu'avait en lui le Christ Jésus. » Son but est de nous montrer que si le Seigneur, en tant qu'il était le Verbe fait chair et qu'il a habité parmi nous (2), bien qu'il fût sans péché, a cependant porté le poids de nos péchés, ayant égard, non à ses propres intérêts, mais aux nôtres : nous devons, à son imitation, supporter volontiers nos charges mutuelles.

4. A cette pensé s'en ajoute une autre : le Seigneur a revêtu l'humanité, et nous, nous sommes hommes ; et nous devons considérer que nous avons pu, que nous pouvons encore éprouver cette peine d'esprit ou de corps, dont nous voyons le prochain affligé.

Supportons donc son infirmité comme nous voudrions qu'il la supportât en nous, si par hasard nous l'éprouvions et qu'il en fût exempt. C'est le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Je me suis fait tout à tous, pour les sauver tous (1). »Il pensait qu'il aurait pu lui-même être atteint du défaut dont il désirait affranchir les autres. C'était donc chez lui compassion, et non mensonge, comme quelques-uns l'en soupçonnent, surtout ceux qui ont intérêt à abriter sous le patronage d'un grand nom leurs propres mensonges qu'ils ne peuvent plus contester.

5. Tu dois aussi songer qu'il n'est pas d'homme qui ne puisse avoir, quand même on ne la verrait pas, quelque bonne qualité que tu n'as pas encore, et qui lui donne sur toi un avantage incontestable.

Cette pensée est très-propre à refouler et à dompter l'orgueil. Parce qu'il y a en toi quelque bien manifeste, éclatant, ne t'imagine pas qu'un autre n'en puisse avoir qui soit caché, qui soit même d'une plus grande -valeur et l'élève au dessus de toi à ton insu. Car l'Apôtre ne nous commande ni l'erreur ni l'adulation, quand il nous dit : « Rien par esprit de contention ni par vaine gloire, mais par humilité d'esprit, croyant les autres au dessus de soi (2). » Il ne faut pas non plus que ce sentiment ne soit qu'apparent ; nous devons réellement croire qu'il peut y avoir dans un autre quelque mérite secret qui lui donne la supériorité sur nous, bien que notre mérite apparent semble nous placer au dessus de lui. Ces pensées, en abattant l'orgueil et en excitant la charité, font que l'on supporte les fardeaux de ses frères, non seulement avec patience, mais avec un très grand plaisir. Or il ne faut jamais juger un inconnu, et on ne tonnait que par l'amitié. Et si nous supportons avec plus de courage les défauts de nos amis, c'est que leurs bonnes qualités nous charment et nous captivent.

6. Nous ne devons donc jamais repousser l'amitié d'un homme qui cherche à se lier avec avec nous.

Non qu'on doive l'admettre immédiatement ; mais il faut désirer de pouvoir le faire, et le traiter en conséquence. Or nous pouvons appeler ami celui à qui nous nous ouvrons en confiance sur tous nos projets. Et si quelqu'un n'ose aspirer à notre amitié, par égard pour la considération dont nous jouissons dans le monde ou le rang que nous occupons, il faut descendre jusqu'à lui et lui offrir, avec bonté et déférence, ce qu'il n'ose demander par lui-même. Rarement, il est vrai, mais enfin quelquefois, il arrive que nous connaissons plus tôt les défauts que les bonnes qualités de celui que nous voulons admettre dans notre amitié; en sorte que, blessés et en quelque sorte repoussés, nous l'abandonnons, sans avoir cherché à pénétrer ce qu'il recèle de bon au dedans de lui. C'est pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui veut faire de nous ses imitateurs, nous exhorte à supporter les infirmités du prochain, afin d'arriver, à l'aide d'une tolérante charité, à certaines bonnes qualités, où nous puissions nous arrêter avec complaisance. Il dit en effet : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais ceux qui sont malades (1). » Si donc, pour l'amour du Christ, nous ne devons pas repousser d'homme qui est peut-être entièrement envahi par la maladie, parce que le Verbe de Dieu a le pouvoir de le guérir ; beaucoup moins devons-nous éloigner celui qui a7pu nous paraître entièrement malade, parce qu'au début de notre amitié nous n'avons pu supporter en lui certaines blessures, et que nous avons, chose plus grave, osé, dans, un sentiment d'aigreur, porter sur lui un jugement téméraire, au mépris de cette parole : « Ne jugez pas, afin de n'être point jugés; » et de cette autre : « Selon la mesure avec laquelle vous aurez mesuré, mesure vous sera faite (2). » Souvent aussi les bonnes qualités apparaissent les premières ; mais alors encore ii faut se défendre de juger témérairement par bienveillance, pour ne pas être pris au dépourvu et vivement blessé quand le mal se montrera après ces premières apparences, et changera peut-être, ce qui est un crime, ton affection hasardée en une haine violente. Quand même le mal qui se découvre plus tard, frapperait tout d'abord, sans avoir été précédé d'aucun bien, il faudrait pourtant le supporter, en attendant de pouvoir tout mettre en oeuvre pain le guérir : à combien plus forte raison ne le doit-on pas, quand le bien a paru d'avance et s'est présenté comme un gage, pour nous faire supporter le mal qui devait faire suivre ?

7. C'est donc la loi du Christ que nous portions les fardeaux les uns des autres.

Or, en aimant le Christ, nous supportons facilement l'infirmité d'un homme, que nous n'aimons pas encore pour le bien qui est en lui. Nous pensons alors que le Seigneur, objet de notre amour, est mort pour lui. L'apôtre Purifiions inspire cette charité, quand il dit: « Ainsi par ta science, périra ton frère encore faible, pour qui le Christ est mort (1) ! » Que si nous sommes moins disposés à aimer cet infirme, à cause du vice même qui fait son infirmité, voyons en lui celui qui est mort pour lui. Or ne pas aimer le Christ, ce n'est pas une maladie, mais la mort. C'est pourquoi veillons avec soin, implorons la miséricorde de Dieu et prenons garde de manquer d'égards pour le Christ à cause d'uni infirme, quand nous devons aimer cet infirme à cause du Christ.

LXXII. — Des temps éternels.

On peut demander comment l'apôtre saint Paul a pu écrire: « Avant les temps éternels (2) ? » S'il s'agissait du temps, comment est-il éternel? A moins que l'Apôtre n'ait voulu dire: avant tous les temps. S'il avait dit simplement avant les temps, sans ajouter éternels, on pourrait l'entendre de certains temps, précédés d'autres temps. Il a mieux aimé dire temps éternels» que tous les temps, peut-être parce que le temps n'a pas son origine dans le temps. Par temps éternel a-t-il entendu l'immortalité, aevum, qui diffère du temps en ce qu'elle est permanente, tandis que le temps est sujet à variations (3)?

LXXIII. — Sur ces paroles: « Être reconnu pour homme par les dehors, habitus (4). »

1. Ce monde dehors, habitus, peut s'entendre de plusieurs façons: tantôt c'est l'état de l'âme, l'habitude proprement dite, comme l'intelligence d'une science quelconque, confirmée et fortifiée par d'usage; tantôt c'est l'état du corps, dans le sens où-nous disons que l'un a plus d'embonpoint ou de force qu'un autre, ce qu'on appelle proprement état de santé; tantôt c'est l'enveloppe extérieure que nous donnons à nos membres, et dans ce sens nous disons qu'un homme est vêtu, chaussé, armé, et le reste.

Dans toutes ces significations, admettant que le mot habitus vienne du verbe avoir, habere, il est évident que cette expression habitus, ne s'entend que d'une chose accidentelle, qu'on peut avoir ou n'avoir pas. En effet l'instruction est accidentelle pour l'âme, comme l'embonpoint et la force pour le corps, les vêtements et les armes pour nos membres: en sorte que l'âme pourrait rester ignorante, si elle était privée d'instruction ; le corps maigre et languissant, à défaut de chyle et de force; et un homme rester nu, sans armes et marcher nu-pieds. Le mot habitus s'applique donc à tout ce quine nous est qu'accidentel.

Il y a cependant une différence : certains de ces accidents, pour devenir habituels, ne sont point transformés par nous, mais nous absorbent en eux, tout en restant entiers et immuables ; telle est la sagesse, par exemple, qui ne subit pas de changement quand elle vient chez l'homme, mais qui change l'homme lui-même, en le rendant sage de fou qu'il était. D'autres, au contraire, changent et sont changés: comme la nourriture, par exemple, qui perd son espèce propre, pour s'assimiler à notre corps, et, d'autre part, le restaure de manière à changer sa maigreur et sa faiblesse en force et en embonpoint. D'autres enfin subissent un changement pour former l'habit, habitum, et reçoivent en quelque sorte une forme de ceux auxquels ils s'appliquent, comme un vêtement, par exemple, qui n'a plus, quand on l'ôte et qu'on le met de côté, la même forme que quand il couvre nos membres. Il prend donc, quand on le revêt, une forme qu'il n'a plus quand on s'en dépouille, bien que, dans les deux cas, nos membres restent dans le même état. Si ce n'était point pousser les choses jusqu'à la subtilité, on pourrait encore désigner une quatrième espèce : celle des accidents qui ne produisent et ne subissent aucun changement, comme par exemple un anneau au doigt. Mais, à y regarder de près, cette quatrième espèce n'existe pas ou est très-rare.

2. Quand donc l'Apôtre parlait du Fils unique de Dieu au point vue de la divinité, en tant qu'il est très véritablement Dieu, il a dit qu'il « est égal au Père. »

Que ce n'eût point été chez lui « usurpation, » c'est-à-dire convoitise du bien d'autrui, de rester toujours dans cette égalité, de ne point revêtir la nature humaine, de ne point paraître comme homme aux yeux des hommes. Mais il s'est anéanti lui-même; » non en changeant sa propre forme, mais « en prenant la forme d'esclave » non en se transformant en homme, aux dépens de son immutabilité, mais en revêtant la forme humaine, de manière à être fait semblable aux hommes » non pour lui, mais pour ceux aux yeux desquels il apparaissait sous cette forme, « et reconnu pour homme par les dehors, habitu (1), » c'est-à-dire qu'ayant la nature humaine, il a été reconnu pour homme. Car il ne pourrait être reconnu comme Dieu par ceux qui avaient le coeur impur, qui ne pouvaient voir le Verbe au sein du Père, à moins qu'il ne prit une forme visible pour eux, et par laquelle ils pussent être conduits à la lumière intérieure.

Or cette manière d'être n'appartient pas au premier genre d'accidents. dont nous avons parlé ; car la nature de l'homme n'a point, en restant telle, transformé en elle la nature divine; ni au second genre, car l'homme n'a pas changé Dieu, pour être ensuite changé par lui; ni au quatrième, car la nature humaine n'a pas été prise de manière à n'opérer en Dieu et à ne recevoir de Dieu aucun changement; c'est donc au troisième qu'il faut se rattacher. En effet le Seigneur a revêtu la nature humaine, pour la changer en mieux et lui donner une forme ineffable, bien plus parfaite, bien mieux adaptée que celle qu'un vêtement reçoit du corps humain. L'Apôtre a assez indiqué le sens de ce mot « les dehors, » habitus, en disant : « fait semblable aux hommes ; » car ce n'est point par transformation, mais par les dehors, habitu, que le Christ s'est revêtu de la nature humaine, pour se l'unir en un sens, lui donner sa forme, et l'associer à son immortalité et à son éternité. Les Grecs donnent proprement le nom de exeis, habitude, à cet état de l'âme qui résulte de l'acquisition de la sagesse et de la science ; tandis qu'ils réservent le mot de skhema, habit, pour exprimer l'état du corps, vêtu ou armé, par exemple. Or c'est dans ce dernier sens que l'Apôtre parle; car nous lisons skhemati , dans les exemplaires grecs, ce que nous trouvons traduit par habitu dans les exemplaires latins. D'où il faut conclure que le Verbe n'a subi aucun changement en revêtant la nature humaine, pas plus que nos membres en revêtant un habit, bien que l'Incarnation ait uni d'une manière ineffable les deux natures, divine et humaine. Or pour faire comprendre, autant que le langage de l'homme le permet, des mystères si profonds, et pour qu'on ne s'imagine pas que Dieu ait subi aucun changement en revêtant notre faible humanité, on a employé le mot grec skhema et le mot latin habitus pour exprimer l'Incarnation.

LXXIV. — Sur ce passage de l'épître de saint Paul aux Colossiens : «En qui nous avons la Rédemption et la rémission des péchés ; qui est l’image du Dieu invisible (1). »

Il faut distinguer l'image, l'égalité et la ressemblance. Dès qu'il y a image, il y a nécessairement. ressemblance, mais non égalité; dès qu'il y a égalité, il y a nécessairement ressemblance, mais non image ; dès qu'il y a ressemblance, il n'y a pas nécessairement image ni égalité.

Dès qu'il y a image il y a nécessairement ressemblante, mais non nécessairement égalité ; ainsi en est-il de l'image de l'homme dans un miroir, parce qu'elle provient de l'homme même; il y a donc nécessairement ressemblance, mais non égalité, parce que l'image manque de bien des choses qui appartiennent au type dont elle est l'expression. Dès qu'il y a égalité, il y a nécessairement ressemblance, mais non nécessairement image : ainsi dans deux veufs égaux, il,y a ressemblance parce qu'il y a égalité ; car l'un a tout ce qu'a l'autre ; cependant il n'y a pas image, parce que l'un n'est pas le reflet de l'autre. Dès qu'il y a similitude, il n'y a pas nécessairement image, ni égalité; en effet tout veuf, en tant qu'oeuf, est semblable à un autre veuf; cependant quoique un oeuf de perdrix, en tant qu'oeuf soit semblable à un neuf de poule, il n'en est pas l'image, parce qu'il n'en est pas la reproduction, et il n'en est point l'égal parce qu'il est plus petit, et qu'il appartient à une autre espèce d'animal.

Mais quand on dit : il n'y a pas nécessairement, on laisse entendre que cela peut arriver quelque fois. Il peut donc y avoir une image où se trouve l'égalité ; par exemple dans les parents et les enfants, on rencontrerait image, égalité et ressemblance, sauf l'intervalle du temps; car la ressemblance du fils est tellement la reproduction du père, qu'on peut l'appeler image ; et elle peut être assez grande pour être appelée égalité, si ce n'était que le père a précédé le fils dans l'ordre du temps. D'où il suit que l'égalité peut quelquefois emporter non-seulement ressemblance, mais encore image ; comme le prouve l'exemple que nous venons de citer. Quelquefois aussi la ressemblance peut être égalité sans être image, comme on le voit dans deux oeufs égaux. Il peut encore y avoir ressemblance et image, sans égalité, comme nous l'avons prouvé par l'exemple du miroir. Il peut enfin y avoir tout à la fois ressemblance, égalité et image, comme nous l'avons dit des enfants, abstraction faite de la différence des âges. C'est ainsi encore que nous disons une syllabe égale à une syllabe, bien que l'une précède l'autre.

Mais comme il n'y a pas de temps en Dieu, puisqu'il est impossible de supposer que Dieu ait engendré dans le temps Celui par qui il a créé les temps, il en résulte nécessairement que le Fils est non-seulement l'image du Père, puis qu'il est de lui, et sa ressemblance, puisqu'il est son image (1) ; mais encore son égal, et si parfaitement, qu'il n'y a pas entre eux la moindre différence de temps.

LXXV. — De l'héritage de Dieu.

1. L'Apôtre dit aux Hébreux : « Le testament reçoit sa force de la mort du tentateur (2) ; » par conséquent, selon lui, le Christ étant mort pour nous, le nouveau Testament est valide.

L'ancien Testament figurait cela d'avance : car l'immolation d'une victime y représentait la mort du tentateur. Si donc on nous demande comment nous sommes « les cohéritiers du Christ, les enfants et les héritiers de Dieu (3), » nous répondons, que la mort du propriétaire constituant l'hérédité, (ce qui ne pourrait se comprendre autrement,) dès que le Christ est mort, nous sommes devenus ses héritiers, puisque nous sommes appelés ses enfants. « Les fils de l'époux ne jeûnent pas, a dit le Christ lui-même, tant que l'époux est avec eux. (4) » Nous sommes donc appelés ses héritiers parce qu'il nous a laissé en jouissance la paix de l'Eglise, par la foi à l'Incarnation que nous possédons en cette vie, comme il l'atteste en disant: « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (5). » Or, nous deviendrons ses cohéritiers, quand, à la fin des temps, la mort sera absorbée dans la victoire (6). Car alors nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est (7).

Ce n'est point par la mort de son Père que nous obtenons cet héritage, puisque le Père ne peut mourir; et que, de plus il doit être lui-même, notre héritage, selon ce qui est écrit : «Le Seigneur est ma part d'héritage (8). » Mais comme nous avons été appelés étant encore tout petits et peu capables de comprendre les choses spirituelles, et que la divine miséricorde a daigné s'abaisser jusqu'à nos plus humbles pensées, pour nous faire voir d'une façon quelconque ce que nous ne pouvions contempler d'une vue claire: tout ce que nous voyons en énigme doit s'anéantir, dès que nous commencerons à voir face à face. C'est donc avec raison que cette disparition s'appelle anéantissement. « Car, quand viendra ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait (1). » Ainsi, en un sens, le Père meurt pour nous en énigme, et il devient lui-même notre héritage, quand nous le voyons face à face. Non qu'il meure réellement ; mais la connaissance imparfaite que nous en avions est détruite par la vue parfaite ; et cependant si celle-là n'avait d'abord nourri notre foi, nous n'aurions jamais pu parvenir à la plénitude et à la clarté de celle-ci.

2. Que si notre pieuse croyance peut,en admettre autant dans le Seigneur Jésus-Christ, non pas en tant qu'il est le Verbe dans le commencement, Dieu en Dieu, mais en tant qu'il fut un enfant croissant en âge et en sagesse (2), en vertu de cette nature humaine qu'il a prise, qu'il conserve, qui lui est commune avec les autres hommes et dont la mort le met en possession de l'héritage: si, dis-je, il en est ainsi, ce que nous disons est hors de doute.

Car nous ne pouvons pas être ses cohéritiers, s'il n'est lui-même héritier. Mais si la piété repousse cette supposition que l'Homme-Dieu ait d'abord vu imparfaitement et ensuite en entier (3), bien qu'on dise de lui qu'il croissait en sagesse, alors il faut entendre qu'il est héritier dans son corps,c'est-à-dire dans l'Église dont nous sommes les cohéritiers ; comme nous sommes appelés les enfants de cette mère, quoique nous la formions nous-mêmes.

3. On peut encore demander quelle est cette mort qui fait de nous l'héritage de Dieu, suivant cette parole du Psalmiste : « Je vous donnerai les nations pour héritage (4), » à moins qu'on ne l'entende de la mort de ce monde, qui nous tenait d'abord sous sort empire.

Mais dès que nous pouvons dire: « Le monde m'est crucifié et moi au monde (5), » nous devenons la propriété du Christ : celui qui nous possédait en premier lieu étant mort. En renonçant au monde nous sommes morts pour lui, et il est mort pour nous.

LXXVI. — Sur ces paroles de l'apôtre saint Jacques : « Or veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les oeuvres est inutile (5) ?»

1. L'Apôtre saint Paul annonçant que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres n'était pas bien compris par ses auditeurs.

Ceux-ci s'imaginaient que dès qu'ils croyaient au Christ, cette foi suffisait à les sauver, fissent-ils le mai d'ailleurs, vécussent-ils de la manière la plus criminelle. Ce passage de la lettre de saint Jacques explique donc en quel sens les paroles saint Paul doivent être entendues (1) ; et si cet apôtre insiste particulièrement sur l'exemple d'Abraham, pour prouver que la foi est inutile sans les œuvres, c'est précisément parce que saint Paul avait choisi ce même exemple pour démontrer que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi (2). En effet en rappelant les bonnes œuvres qui accompagnèrent la foi d'Abraham, saint Jacques fait assez voir que Paul, en citant ce patriarche, n'a pas voulu dire que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres, en ce sens que celui qui croit soit dispensé de faire le bien; mais que son but a été de montrer que personne ne doit s'imaginer être parvenu au don de la justification par la foi, en vertu des mérites de ses œuvres précédentes. Car les Juifs prétendaient l'emporter sur les païens convertis au Christ, parce que, disaient-ils, ils étaient parvenus à la grâce évangélique pour avoir pratiqué les bonnes oeuvres prescrites par la loi. Aussi beaucoup d'entre eux, qui avaient la foi, se scandalisaient-ils devoir les païens incirconcis participer à la grâce du Christ. Voilà pourquoi l'apôtre saint Paul dit que l'homme peut être justifié par la foi sans les œuvres, c'est-à-dire sans œuvres antérieures. En effet comment celui qui est justifié par la foi pourrait-il faire autre chose que lebien, quoiqu'il soit parvenu à la justification par la foi sans avoir rien fait de bien jusque-là, sans avoir rien mérité par les bonnes oeuvres, mais par la grâce de Dieu, qui ne peut plus être stérile chez lui dès qu'il fait le bien par amour ? S'il mourait immédiatement après avoir embrassé la foi, la justification de fa foi demeurerait en lui, même sans qu'aucunes bonnes œuvres l'eussent précédée, parce qu'il l'a obtenue par grâce, et non par son mérite; et aussi sans qu'aucunes bonnes œuvres l'aient accompagnée, puisqu'il serait retiré de cette vie. Il est donc clair que ces paroles de l'apôtre saint Paul : « Nous pensons que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres (3), » ne doivent pas s'entendre en ce sens qu'il faille appeler juste celui qui vit après avoir reçu la foi, quand même il vivrait dans le péché. Et si l'apôtre saint Paul cite l'exemple d'Abraham, c'est que ce patriarche a été justifié par la foi sans les œuvres de la loi qu'il  n'avait pas reçue ;) et saint Jacques, en démontrant que les bonnes œuvres ont accompagné la foi d'Abraham, fait voir en quel sens il faut entendre la doctrine de- l'apôtre saint Paul.

2. Ceux qui croient que la pensée de l'apôtre saint Jacques contredit celle de l'apôtre saint Paul, pourront aussi croire que saint Paul se contredit lui-même, quand il dit ailleurs : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ce sont les observateurs de la loi . qui seront justifiés (1). »

Et encore: « Mais la foi qui agit par la charité (2) ; » et en un autre endroit. « Si c'est selon la chair que vous vivez, « vous mourrez; mais si, par l'esprit, vous morfiliez les oeuvres de la chair, vous vivrez (3). » Or il énumère ailleurs les oeuvres de la chair qu'il faut mortifier par les œuvres de l'esprit, quand il dit: « On connaît aisément les œuvres de la chair qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, le culte des idoles, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les jalousies, les colères, les dissensions, les hérésies, les envies, les ivrogneries, les débauches de table et autres choses semblables. Je vous le dis, comme je l'ai déjà dit : Ceux qui font de telles choses n'obtiendront pas le royaume de Dieu (4). » Et aux Corinthiens : « Ne vous abusez point: ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les sodomites, « ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu. C'est, il est vrai, ce que vous avez été; mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, « Et par l'Esprit de notre Dieu (5). » Voilà qui prouve bien clairement que les convertis n'étaient point parvenus à la justification de la foi en vertu de leurs bonnes œuvres antérieures, et que cette grâce n'avait point été accordée à leurs mérites, puisque l'Apôtre leur dit : « C'est; il est vrai, ce que vous avez été. » Mais quand il ajoute : « Ceux qui font de telles choses n'obtiendront pas le royaume de Dieu, » il fait assez voir que, du moment qu'ils ont cru, ils sont obligés de faire le bien. Aussi saint Jacques et saint Paul en beaucoup d'endroits, enseignent ouvertement et formellement, que tous ceux qui croient au Christ doivent bien vivre, pour éviter les châtiments. Le Seigneur lui-même a dit expressément : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, « Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui ést aux cieux, celui-là entrera dans le royaume des cieux (1). » Et ailleurs : « Mais pourquoi me dites-vous,: Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je vous dis (2) ? » Et encore : « Quiconque entend ces paroles que je dis et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre, etc... « Mais quiconque entend ces paroles que je dis et ne les accomplit point, je le comparerai à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable, etc... (3). » Par conséquent il n'y a point de contradiction dans le langage des deux apôtres, Paul et Jacques, quand l'un dit que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres, et l'autre que la foi sans les oeuvres est inutile ; parce que le premier parle des oeuvres qui précèdent la foi, le second de celles qui l'accompagnent; comme Paul lui-même l'indique en beaucoup d'endroits.

LXXVII. — La crainte est-elle un péché ?

Tout trouble est une souffrance ; toute passion est un trouble; donc toute passion est une souffrance. Or quand une souffrance quelconque existe en nous, nous souffrons par elle; et nous souffrons par cette passion même, et en tant qu'elle est passion. Or une souffrance, en tant que nous souffrons par elle, n'est pas un péché; par conséquent si nous éprouvons de la crainte, ce n'est point un péché. Si l'on disait : voilà un bipède, donc ce n'est point animal ; cette conclusion serait fausse, parce qu'il y a beaucoup d'animaux bipèdes ; de même ici la conséquence n'est pas juste, parce qu'il y a beaucoup de péchés qui nous font souffrir. Il n'est donc pas logique de dire que si nous éprouvons de la crainte, ce n'est pas un péché. Néanmoins c'est ce que tu prétends, tout en accordant qu'il y a quelques péchés qui nous font souffrir.

LXXVIII. — De la beauté des statues.

Cet art souverain du Dieu tout-puissant, par lequel il a tout tiré du. néant et qu'on appelle aussi sa Sagesse, agit dans les artistes et leur fait faire de beaux et harmonieux ouvrages ; quoiqu'ils travaillent, non pas avec rien, mais avec du bois, du marbre, de l'ivoire ou d'autres matériaux de ce genre, devenus dociles sous leur main. La raison pour laquelle ils ne peuvent rien faire avec rien, c'est qu'ils agissent à l'aide du corps. Mais les proportions, l'accord des lignes qu'ils impriment par leur corps sur un corps, ils les reçoivent par leur intelligence de cette souveraine Sagesse, qui les a gravés elle-même, avec un art bien plus parfait, sur ce vaste corps de l'univers qu'elle a tiré du néant, et qui renferme les corps des animaux déjà formés de quelque chose, c'est-à-dire d'éléments matériels, mais d'une manière plus excellente et plus parfaite que dans les figures et les imitations reproduites par les artistes. On ne trouve pas en effet dans une statue tous les détails du corps humain; cependant tout ce qu'on y en trouve, vient, par la main de l'ouvrier, de cette souveraine Sagesse, qui forme le corps humain lui-même d'après les lois de la nature.

Il ne faut. cependant pas trop estimer ceux qui' fabriquent ou aiment de tels ouvrages; parce que leur âme, préoccupée des objets de moindre importance qu'elle façonne matériellement à l'aide de son corps, s'attache trop peu à la souveraine Sagesse, de qui elle tient ces talents. Et ces talents même, elle en use mal, en les exerçant au dehors; car, affectionnant les objets sur lesquels elle les applique, elle néglige Celui qui en est le type intérieur et immuable, et devient plus vaine et plus faible. Quant à ceux qui ont rendu un culte à de tels ouvrages, ce qui fait comprendre à quel point ils se sont écartés de la vérité, c'est que, quand même ils eussent adoré les animaux, assurément plus parfaits que leurs images, nous dirions encore: Est-il rien de plus misérable ?

LXXIX. — Pourquoi les magiciens de Pharaon ont-ils fait certains miracles comme Moïse, le serviteur de Dieu (1) ?

1. Toute âme est en partie en possession de certain droit privé, et en partie contenue et gouvernée parles lois universelles. Donc comme toute chose visible en ce monde est sous la garde de quelque puissance angélique, ainsi que l'Ecriture sainte l'atteste en plusieurs endroits, cette puissance traite différemment l'objet qui lui est subordonné, selon qu'elle agit en vertu de son droit privé, ou en conformité aux lois générales.

Car le tout l'emporte sur la partie ; et l'exercice du droit privé n'est possible qu'autant que la loi générale le permet. Mais une âme est d'autant plus pieuse et plus pure, qu'elle se complaît moins dans ses intérêts personnels, pour s'attacher à la loi générale, et s'y dévouer avec empressement et bonne volonté. Or la loi de l'univers, c'est la divine sagesse. Donc plus l'âme recherche son bien propre, en laissant de côté les intérêts de Dieu, dont le gouvernement est si utile, si salutaire à toutes les âmes ; plus elle désire s'appartenir à elle-même ou à qui il lui plaît, plutôt qu'à Dieu, préférant le pouvoir qu'elle exerce sur elle ou sur d'autres à celui de Dieu sur toutes les créatures ; plus aussi elle devient difforme et se trouve astreinte, par punition, aux lois divines, comme régulatrice de l'univers. Donc aussi, plus une âme humaine, abandonnant Dieu, se complaira dans des honneurs propres ou dans sa puissance, plus elle est soumise aux puissances qui jouissent aussi de leur droit personnel, et désirent être honorés comme dieux par les hommes. Or la loi divine permet souvent à ces puissances de produire, en vertu de leur droit privé, quelque miracle à la prière de ceux qu'elles ont subjugués, parce qu'ils le méritaient miracles qui n'ont lieu que dans les objets de rang infime, auxquels ces puissances sont préposées dans l'ordre hiérarchique. Mais là où la loi divine commande comme loi générale, elle l'emporte sur tout droit privé ; lequel droit serait absolument nul sans la permission de la puissance divine. D'où il arrive qu'en vertu de la loi générale et en quelque sorte royale, c'est-à-dire par la puissance du Dieu souverain, les saints serviteurs de Dieu, commandent, quand le bien l'exige, aux puissances inférieures, de faire quelques miracles visibles. Car c'est Dieu qui commande en eux: Dieu dont ils sont le temple et qu'ils aiment du plus ardent amour, au mépris de leur propre puissance. Mais dans les opérations magiques, dont le but est de tromper et de subjuguer ceux au profit de qui elles se font, les puissances inférieures cèdent aux prières et à l'intercession de leurs ministres, accordant de leur droit privé ce qu'elles peuvent accorder à ceux qui les honorent, les servent et sont liés avec elles par des pactes mystérieux. Et quand les magiciens ont l'air de donner un ordre, ils frappent de terreur ceux qui sont au dessous d'eux en invoquant des puissances plus élevées, et font paraître, à leur regards étonnés, quelques faits visibles, qui, à raison de l'infirmité de la chair, passent pour merveilleux aux yeux d'hommes incapables de contempler les beautés éternelles, réservées par le vrai Dieu à ceux qui l'aiment. Or Dieu, dans sa justice et dans sa sagesse, permet cela, pour proportionner aux passions et (483) au libre choix de chacun la servitude ou la liberté qu'il mérite. Et si quelquefois c'est en invoquant le Dieu souverain que les passions coupables sont exaucées, c'est de sa part, non une faveur, ,mais un acte de vengeance. Car ce n'est pas sans; raison que l'Apôtre a dit : « Dieu les a, livrés aux désirs de leur coeur (1). » En effet la facilité de commettre certains péchés est la punition des péchés déjà commis.

2. « Quant à ces paroles de notre Seigneur Satan ne peut chasser Satan (2),» on ne doit pas en nier la vérité parce que quelqu'un aura chassé Satan, en invoquant quelques puissances inférieures.

Il faut les entendre en ce sens que, quand Satan épargne le corps ou les sens du corps, il ne le fait que pour mieux triompher et exercer, à l'aide d'une erreur impie, un plus grand empire sur la volonté de l'homme. Dans ce cas Satan ne sort point, mais il pénètre jusqu'au fond du cœur, pour y agir comme le dit l'Apôtre : « Selon le prince des puissances de l'air, qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance (3). » Car il ne troublait point alors, il ne tourmentait point leurs sens corporels, il ne leur brisait pas les membres, mais il régnait sur leur volonté, ou plutôt sur leur passion.

3. En disant ailleurs que les faux prophètes feront beaucoup de signes et de prodiges, au point de tromper, s'il se peut, même les élus (4), le Seigneur nous fait entendre que des hommes souillés de crime peuvent opérer certains prodiges, que les saints mêmes ne pourraient faire.

Il ne faut pas pour cela les croire plus en faveur près de Dieu. Les magiciens d'Egypte n'étaient pas plus agréables à Dieu que le peuple d'Israël, parce que ce peuple ne pouvait faire ce qu'ils faisaient, bien que, par la vertu divine, Moïse ait pu davantage (5). Si ce pouvoir n'est pas accordé à tous les saints, c'est pour que les faibles ne tombent pas dans cette fatale erreur, d'estimer ces dons au dessus des oeuvres de justice qui méritent la vie éternelle. Aussi le Seigneur défendait à ses disciples de s'en réjouir, quand il leur dit : « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis : mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux (6). »

4. Ainsi quand les magiciens opèrent les prodiges que font quelquefois les saints, l'apparence extérieure est la même, mais le but et le droit sont différents. En effet les magiciens cherchent leur propre gloire, les saints cherchent la gloire de Dieu ; les premiers font en quelque sorte un commerce privé, un métier d'empoisonneurs, en vertu de certaines concessions faites aux puissances, suivant leur rang ; les seconds agissent en conformité aux lois générales, par l'ordre de Celui à qui toute créature est soumise.

Autre chose est qu'un propriétaire soit forcé de livrer son cheval à un soldat; autre chose qu'il le vende, le donne ou le prête à qui il lui plaît. Et comme la plupart des mauvais soldats, au mépris de la discipline militaire, abusent du drapeau de leur général pour effrayer certains propriétaires, et extorquer d'eux des contributions illégales ; ainsi quelquefois de mauvais chrétiens, des schismatiques ou des hérétiques, au nom du Christ, ou en employant des paroles chrétiennes et des objets consacrés, exigent quelque chose des puissances qui sont obligées de rendre hommage au Christ. Or, en obéissant à des êtres pervers, ces puissances cèdent au désir de tromper les hommes, dont les égarements font leur joie.

C'est pourquoi les magiciens, les bons chrétiens et les mauvais chrétiens font des miracles d'une façon différente : les magiciens en vertu de contrats particuliers, les bons chrétiens au nom de la divine justice, et les mauvais chrétiens au moyen des signes de cette même justice divine. Et d'ailleurs il n'est pas étonnant que ces signes aient de la valeur, quand ils les emploient; quoique usurpés par des étrangers, qui n'appartiennent en aucune façon au drapeau, il conservent leur force, en l'honneur du très auguste souverain. Tel était l'homme dont les disciples racontèrent au Seigneur qu'il chassait les démons en son nom, bien qu'il ne fût pas, comme eux, de la suite du Sauveur (1). Et quand les puissances n'obéissent pas à ces signes, c'est que Dieu les en empêche par des moyens secrets, pour des raisons justes et utiles. Car il n'est pas d'esprits qui puissent mépriser ces signes; ils tremblent à leur seul aspect. Mais, à l'insu de l'homme, Dieu leur donne quelquefois d'autres ordres soit pour la confusion des méchants, quand les méchants doivent être confondus, comme nous le lisons, dans les Actes des Apôtres, des fils de Scéva, à qui l'esprit immonde dit : « Je connais Jésus et, je sais qui est Paul : mais vous, qui êtes-vous (2) ? » soit pour avertir les bons d'avancer dans la foi et d'user de ces pouvoirs, non par jactance, mais dans des vues utiles ; soit pour établir une différence entre les dons faits aux membres de l’Eglise, comme le dit l’Apôtre : « Tous opèrent-ils des miracles ? Tous ont-ils le don de guérir (1) ? » Pour ces raisons, comme nous l’avons dit, Dieu défend, souvent à l’insu de l’homme, aux puissances de cette espèce d’obtempérer aux volontés humaines, malgré l’emploi de ces signes.

5. Mais souvent ces esprits mauvais reçoivent le pouvoir de causer aux bons un mal temporel, et cela, dans l’intérêt même de ceux-ci et pour exercer leur patience.

Que l’âme chrétienne soit donc toujours attentive dans les tribulations, à se conformer à la volonté de son Maître, de peur de s’attirer un jugement plus sévère en résistant aux ordres divins. Job aurait pu dire au démon ce que le Verbe Incarné disait à Ponce Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut (2) ». Ce n’est donc point la volonté de celui dont le pouvoir malicieux s’exerce sur les bons que nous devons embrasser avec empressement ; mais la volonté de celui qui a accordé le pouvoir. «Parce que la tribulation produit la patience ; la patience, la pureté ; et la pureté, l’espérance. Or l’espérance ne confond point, parce que la charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (3). »

LXXX. — Contre les Appolinaristes.

1. Certains hérétiques, appelés Apollinaristes, du nom, dit-on, d’un certain Apollinaire, leur chef, prétendaient que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu’homme n’a point eu d’intelligence humaine.

Quelques partisans, leurs auditeurs, adoptèrent alors avec joie cette erreur perverse qui amoindrissait l’Homme-Dieu, en affirmant qu’il n’aurait point eu d’intelligence c’est-à-dire d’âme raisonnable, le signe qui distingue l’homme des animaux. Mais, rentrant en eux-mêmes et se voyant forcés de reconnaître que, s’il en était ainsi , il faudrait admettre que le Fils unique de Dieu, la Sagesse et le Verbe du Père, Celui par qui tout a été fait, n’aurait revêtu que le corps d’un animal sous la figure humaine, ils ont été pris de honte, non cependant assez pour se corriger, pour rentrer dans la voie de la vérité et confesser que la sagesse de Dieu a revêtu notre humanité tout entière, sans aucune diminution de sa nature. Poussant même l’audace plus loin, ils lui ont refusé jusqu’à l’âme que possèdent les autres homes, et ne lui ont attribué que la chair humaine, en s’appuyant sur le témoignage même de l’Évangile. Bien plus, ne comprenant pas ce texte, ils osent dans leur perversité, combattre la vérité catholique et dire qu’il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (1). » D’après ces paroles, ils soutiennent que le verbe a été totalement uni, identifié à la chair, qu’il n’y plu de place chez lui pour l’intelligence, ni même pour l’âme humaine.

2. Il faut d’abord leur répondre que ce passage de l’Evangile signifie que le Seigneur est allé jusqu’à prendre une chair visible et que, dans cette unité complète, le principal est le Verbe, l’autre extrémité et le point le plus inférieur, la chair.

Or l’Evangéliste voulant attirer notre attention sur le profond abaissement d’un Dieu et exprimer comment et jusqu’à quel point il s’est humilié, n’a parlé que du Verbe et de la chair, et n’a rien dit de l’âme qui est inférieure au Verbe et supérieure à la chair. En effet, saint Jean rend cet abaissement plus sensible en disant : « Le Verbe s’est fait chair, » que s’il eût dit : Le verbe s’est fait homme. En épluchant ces paroles, un autre esprit non moins pervers pourrait en tirer un sens aussi contraire à notre foi, et dire que le Verbe lui-même s’est changé et transformé en chair et a cessé d’être le Verbe, puisqu’il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair ; » absolument comme notre chair réduite en cendre n’est pas chair et cendre, mais chair devenue cendre. D’ailleurs suivant une formule de langage usuelle et bien connue, tout ce qui devient ce qu’il n’était pas, cesse d’être ce qu’il était. Ce n’est cependant point ainsi que nous entendons ces paroles ; et les Apollinaristes eux-mêmes conviennent avec nous que le Verbe est resté ce qu’il était, et que ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, » signifient qu’il a pris la forme d’esclave, mais non qu’en prenant cette forme sa nature ait subi quelque changement.

Du reste si partout où l’on nomme la chair sans parler de l’âme, il faut supposer qu’il n’y a pas d’âme, ceux-là en seront aussi privés, dont on a dit : Et toute chair verra le salut de Dieu (2) ; » puis le Psalmiste : « Exaucez mes prières : toute chair paraîtra devant vous (3) : » encore, dans ce passage de l’Evangile : « Comme vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin que tout ce que vous lui avez donné ne périsse point mais ait la vie éternelle (4). »

D’où l’on peut voir que quand, dans langage usuel, on ne nome que la chair, on peut entendre l’homme tout entier, en sorte que ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, » signifient simplement : le Verbe s’est fait homme. Car de même que souvent en ne nommant que l’âme, on entend parler de tout l’homme, comme on le voit par ce passage : « Tant d’âmes sont descendues en Egypte (1), » ainsi, sous le nom de chair, comprenons aussi l’homme tout entier, comme le prouvent les exemples cités plus haut.

3. Par conséquent notre réponse à l’objection tirée de l’Evangile, montre qu’il n’y a pas d’homme assez insensé pour que ce texte nous oblige à admettre que le Christ Jésus, médiateur entre Dieu et les hommes (2), n’ait pas eu d’âme. Mais à mon tour, je leur demande comment ils répondront aux objections que nous allons faire, aux innombrables passages de l’Evangile où nous démontrons avec tant de clarté, que l’on attribue au Sauveur des affections que l’âme seule peut éprouver.

Je ne parle pas de ce qu’il a dit tant de fois de lui-même : « Mon âme est triste jusqu’à la mort (3) ; » et encore : « J’ai le pouvoir de donner mon âme et de la reprendre (4) ; » et ailleurs : « Personne n’a un plus grand amour que celui qui donne son âme pour ses amis (5) » parce qu’un contradicteur obstiné peut dire que le Seigneur parlait en figure, comme on sait qu’il l’a souvent fait dans les paraboles. Certainement cela n’est pas. Cependant il n’est pas besoin d’insister sur ce point, quand nous avons les récits des évangélistes, qui nous apprennent que Jésus est né de la Vierge Marie, qu’il a été flagellé, crucifié, mis à mort, enseveli dans le tombeau : toutes choses qui ne peuvent s’entendre que d’un corps. Le plus insensé des hommes n’oserait dire que ce soient là des fictions ou des figures, quand ceux qui racontent ces choses écrivent d’après leurs propres souvenirs. De même donc que cela prouve que Jésus-Christ a eu un corps, ainsi toutes les affections propres à l’âme, mentionnées par ces mêmes évangélistes, démontrent qu’il a eu une âme. Par exemple : Jésus fut dans l’admiration (6) ; il se fâcha (7) ; il fut contristé (8) ; il se réjouit (9), et beaucoup d’autres expressions semblables ; sans compter celles qui indiquent tout à la fois les foncions du corps et de l’âme comme : Il eut faim (1) ; il dormit (2) ; fatigué de la route, il s’assit (3), et autres du même genre.

On ne saurait nous objecter que dans l’ancien Testament on dit que Dieu s’est mis en colère, s’est réjoui ou a éprouvé d’autres affections de cette nature, sans qu’on en puisse conclure que Dieu ait eu une âme. Car alors on employait le langage figuré des prophètes ; on ne racontait pas. D’ailleurs on parle aussi des membres, des mains, des pieds, des yeux, de la face de Dieu et d’autres choses semblables ; et cependant ces expressions ne prouvent point qu’il ait eu un corps ; donc celles-là n’indiquent point qu’il ait eu une âme. Mais comme tous les récits où il est question de la main ou de la tête du Christ ou de quelque autre partie de son corps, indiquent qu’il a un corps ; ainsi tout ce que l’on raconte des affections de son âme, démontrent qu’il a une âme. Or il est absurde de croire à l’évangéliste quand il raconte que le Christ a mangé, et de n’y pas croire quand il dit qu’il a eu faim. Cependant il n’est pas nécessaire d’avoir faim pour manger : car nous lisons qu’un ange a mangé (4), et nous ne lisons pas qu’il ait eu faim ; il n’est pas non plus nécessaire de manger dès qu’on a faim, puisqu’on peut s’abstenir pour remplir quelque devoir, ou par défaut de nourriture, ou parce qu’on n’a pas le pouvoir de manger ; Mais quand l’Evangéliste parle de l’un et l’autre (5), il faut croire l’un et l’autre ; parce qu’il en parle comme de faits qui ont réellement lieu tous les deux. Or comme il n’est pas possible de supposer qu’on mange sans corps, de même on ne peut admettre qu’on ait faim sans âme.

4. Nous ne nous effrayons pas de la vaine et stupide objection que nous font des adversaires aussi obstinés que jaloux : Donc, disent-ils, si le fils de Dieu a vraiment éprouvé ces affections de l’âme, il a subi la loi de la nécessité.

La réponse est facile : Oui, puisqu’il a été pris, flagellé, crucifié, mis à mort ; et cependant, si on veut juger sans parti pris, on comprendra qu’il a éprouvé ces souffrances, c’est-à-dire ces affections, volontairement, quoique réellement, comme il a subi les douleurs de son corps par l’effet de la même volonté libre et sans y être nullement obligé. Chez nous, ni la mort ni la naissance ne sont volontaires , comme cela se devait, et cependant ont été très réelles. Comme donc le mot de nécessité n'empêche ni nous ni nos adversaires de croire à la' réalité de la passion, par laquelle le Christ a prouvé qu'il a un corps; de même ce mot de nécessité ne nous empêchera pas davantage de croire à la réalité des affections qui. nous démontrent qu'il a une âme. Il ne doit pas non plus détourner ces hérétiques d'embrasser la foi catholique, s'ils ne sont misérablement retenus par la honte d'abandonner une op' ion qu'ils ont longtemps et témérairement défendue, malgré sa fausseté.

LXXXI. — Du Carême et de la Pentecôte.

1. Toute la sagesse, toi de la science propre à éclairer l'homme consiste à distinguer le Créateur et la créature, à se soumettre à l'empire de l'un, et à reconnaître la dépendance de l'autre.

Or le Créateur c'est Dieu de qui, par qui, en qui sont toutes choses (1); par conséquent la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Mais la créature est ou invisible, comme l'âme par exemple: ou visible, comme le corps. Le nombre trois est attribué à l'invisible. C'est pour cela qu'on nous ordonne d'aimer Dieu de trois manières : « De tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (2). » Le nombre quatre est attribué au corps: évidemment à raison de sa nature, chaude et froide, sèche et humide. Le nombre' sept représente donc toute le création. C'est pourquoi le nombre dix est la clef de toute la science qui discerne le Créateur et la créature. Exprimée, dans le temps, par les mouvements des corps, cette science consiste dans la foi; elle allaite,' pour ainsi dire, les petits enfants du témoignage des faits qui surviennent et passent, de manière à les rendre capables de la contemplation, laquelle ne vient pas pour passer ensuite, mais reste permanente.

Or tout homme qui apprend par elle ce que le Dieu incarné a fait dans le temps pour le salut des hommes, comme aussi ce qu'il doit faire dans l'avenir; qui persévère dans la foi, compte sur les promesses, accomplit avec un amour constant les préceptes divins: celui-là traversera heureusement cette vie laborieuse et passagère, représentée par le nombre quarante. En effet le nombre dix, symbole de la science parfaite, forme quarante, quand on le multiplie par quatre, c'est-à-dire par le nombre attribué au corps, parce que le monde a pour loi le mouvement corporel, et que la foi repose là dessus, comme nous l'avons dit. En ajoutant dix à quarante, on obtient la sagesse immuable, qui n'a pas besoin du temps et qui est représentée par le nombre dix, puisque les parties égales du nombre quarante, additionnées ensemble font cinquante. En effet le nombre quarante se divise par parties égales: d'abord quarante fois par l'unité, puis vingt fois par deux, dix fois par quatre, huit fois par cinq, cinq fois par huit, quatre foix par dix et deux fois par vingt. Donc un, deux, quatre, cinq, huit, dix, vingt, additionnés, font cinquante. C'est pourquoi, comme le nombre quarante, après l'addition de ses parties égales, produit de plus le nombre dix et s'élève à cinquante ainsi le temps de la foi à ce qui s'est fait et se fera pour notre salut, consacré à une vie régulière, obtient l'intelligence de la sagesse immuable, en sorte que la science s'appuie non plus seulement sur la foi, mais aussi sur l'intelligence qu'on en a.

2. Voilà pourquoi, bien que nous soyions enfants de Dieu, avant qu'on ne voie ce que nous serons, l'Eglise actuelle est dans les peines et les afflictions, et le juste vit de foi dans son sein (1). « Si vous ne croyez pas, est-il écrit, vous ne comprendrez pas (2). »

C'est le temps où nous gémissons et où nous souffrons, en attendant la rédemption de notre corps (3), le temps que nous célébrons pendant le carême. « Mais nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (4) ; » quand on ajoutera dix à quarante, en sorte que nous méritions non-seulement de croire tout ce qui tient à la foi, mais encore de comprendre clairement la vérité. Cette Eglise, où il n'y aura plus de tristesse, plus de mélange de méchants, plus d'iniquité, mais la joie, la paix et le bonheur, est figurée par la célébration des cinquante jours qui suivent la résurrection. En voici le motif: Notre-Seigneur étant ressuscité des morts, passa quarante jours avec ses disciples, pour rappeler, par ce nombre, l'œuvre temporelle de son Incarnation, laquelle est l'objet de notre foi ; puis il monta au ciel (5), et, dix jours après, il envoya le Saint-Esprit (6) ; c'est-à-dire ajouta dix à quarante, afin que l'âme humaine, animée et comme embrasée par le souffle de l'amour et de la charité, fût capable, non plus de connaître les choses humaines et passagères, mais de contempler les vérités éternelles. Voilà pourquoi le total, c'est-à-dire le nombre de cinquante jours, doit être célébré dans la joie.

3. Notre-Seigneur a encore indiqué par les filets jetés dans la mer, ces deux époques, l'une de peine et de sollicitude, et l'autre de joie et de sécurité.

Avant la passion, il est dit qu'on jeta le filet dans la mer, qu'on prit une si grande quantité de poissons qu'on eut peine à les amener au rivage. et que le filet se rompait (1). On ne le jeta point à droite, car l'Eglise actuelle renferme bien des méchants; ni à gauche, parce qu'elle renferme aussi des justes; mais il fut jeté au hasard, pour indiquer le mélange des bons et des méchants. La rupture du filet marque la rupture de la charité par la multitude des hérésies qui ont paru. Mais, après la résurrection, le Sauveur, voulant figurer d'avance l'Eglise des temps à venir, où il n'y aura plus que des parfaits et des saints, ordonna de jeter le filet sur la droite; et l'on prit cent cinquante trois grands poissons, à la brande surprise des disciples qui s'étonnaient qu'une telle capture ne brisât pas le filet (2). La grandeur de ces poissons est le symbole de la grandeur de la sagesse et de la justice, et leur nombre indique la science perfectionnée par l'œuvre temporelle de l'Incarnation et par la régénération éternelle, et exprimée, comme nous l'avons dit, par le nombre cinquante. Car alors il n'y aura plus besoin d'auxiliaires matériels ; l'âme renfermera en elle-même la foi et la sagesse. Or, nous avons dit que lé nombre trois est attribué à l'âme; en le multipliant par cinquante, nous avons cent cinquante, à quoi nous ajoutons la Trinité, puisque toute perfection est consacrée au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Nous aurons ainsi cent cinquante-trois, nombre des poissons pris dans le filet jeté sur la droite.

LXXXII. — Sur ces paroles : « Le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tout fils qu'il reçoit. »

1. Bien des gens murmurent sous la main de Dieu, et voyant les justes souvent accablés d'afflictions pendant cette vie, ils demandent quel profit ils ont à servir Dieu, puisqu'ils partagent les maux communs; qu'ils souffrent autant que les autres dans leur corps, dans leur fortune, dans leur honneur; qu'ils ont part à tout ce que les hommes regardent comme mal; qu'ils souffrent même davantage, à cause de la' parole de Dieu, à cause de la justice dont le joug est douloureux aux pécheurs et qui devient, contre ceux qui la prêchent, une occasion de mouvements séditieux, d'embûches et de haines.

Nous répondons que, si les hommes n'avaient point à attendre d'autre vie que celle-ci, on aurait raison de dire qu'il ne sert à rien, qu'il est même nuisible de mener la vie du juste. Bien qu'il ne manque pas d'hommes qui pensent que les charmes de la vertu et la joie intérieure qu'elle procurent compenseraient tellement les peines et les inconvénients inséparables de la condition humaine, et aussi les injustices que la vertu attire sur ceux qui la pratiquent, qu'on éprouverait, même en dehors de l'espoir d'une autre vie, plus de satisfaction et de bonheur dans les tourments subis pour la vérité, que les débauchés n'en goûtent dans l'ivresse de leur passion.

2. Mais à ceux qui croient Dieu injuste, parce qu'ils voient les justes dans les douleurs et les afflictions; ou qui pensent, s'ils n'osent l'accuser d'injustice, qu'il est indifférent aux choses humaines, ou qu'il a établi de fatales nécessités, contre lesquelles il ne fait rien, pour ne pas paraître intervertir par inconstance l'ordre qu'il a fondé; ou qui s'imaginent qu'il est trop faible pour préserver les justes de ces maux : à ceux-là il faut répondre qu'il n'y aurait pas de justice chez les hommes, si Dieu ne s'occupait point des choses de ce inonde.

En effet cette justice humaine que l'âme peut conserver en faisant le bien et perdre en faisant le mal, ne serait point gravée en elle, s'il n'existait une justice immuable que les justes trouvent dans sa plénitude lorsqu'ils se tournent vers elle, et que les pécheurs abandonnent entièrement, en fermant les yeux à sa lumière. Or cette justice immuable est celle de Dieu; et elle ne se prêterait point à éclairer ceux qui recourent à elle, si Dieu ne prenait aucun intérêt aux choses de ce monde. D'ailleurs s'il laissait les justes sous le poids de l'adversité, uniquement pour ne point déranger l'ordre qu'il a établi, il ne serait point juste lui-même; ce n'est donc point pour cela qu'il le permet, mais parce qu'il entre dans le plan même de sa Providence que les justes soient affligés innocemment. D'autre part, penser que Dieu n'est pas assez fort pour détourner des justes les maux qu'ils endurent, c'est être insensé, c'est ne pas comprendre qu'il y a autant d'impiété à nier la toute-puissance de Dieu qu'à l'accuser d'injustice.

3. Après avoir posé ces principes sur la question proposée, et répondu brièvement et en passant qu'il est souverainement injuste de mettre en doute la justice et la toute-puissance de eu, nous disons que la raison la plus probable pour laquelle les justes souffrent ordinairement en cette vie, c'est que cela leur est avantageux.

Autre en effet est la justice que l'homme possède actuellement pour obtenir le salut éternel, autre celle qu'il a dû poser dans le paradis terrestre pour conserver et ne point perdre ses droits à ce même salut. Si la justice en Dieu consiste à commander des choses utiles, puis à punir ceux qui désobéissent et à récompenser ceux qui obéissent; la justice dans l'homme consiste à obéir à ces utiles commandements. Mais comme le bonheur est à l'âme ce que la santé est au corps, et que le remède qu'on prescrit pour conserver la santé du corps n'est point celui qu'on donné pour la recouvrer quand elle est perdue : de même, dans l'ensemble de l'humanité, les commandements donnés à l'homme pour conserver l'immortalité n'étaient point ceux qu'on lui donne aujourd'hui pour la recouvrer. Et comme celui qui perd la santé du corps, et tombe malade pour n'avoir pas ;observé les conseils préservatifs du médecin, reçoit d'autres remèdes pour se guérir, remèdes souvent insuffisants, à moins que le médecin n'y ajoute d'autres moyens ordinairement pénibles et douloureux, mais efficaces, d'où il résulte que le malade, tout en obéissant au médecin, souffre non-seulement de sa maladie, mais encore du remède : de même l'homme tombé par le péché dans les souffrances et les misères de cette vie mortelle, pour n'avoir pas voulu obéir à un premier commandement destiné à assurer son salut, a reçu de nouvelles prescriptions dans sa maladie. S'il les exécute, on peut avec raison dire qu'il vit dans la justice ; néanmoins il souffre et de sa maladie non encore guérie et des prescriptions de la médecine. C'est à ces remèdes que font allusion ces paroles: « Le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tout fils qu'il reçoit. »

Ceux qui n'obéissent point à ces salutaires commandements, augmentent de plus en plus leurs maux. Et ils souffrent, même en cette vie, des misères et des douleurs innombrables, soit par l'effet même de ces maladies, soit par les punitions qui leur sont infligées dans le but de toucher au vif la partie mal saine, de les avertir charitablement du danger de leur état et de les amener à chercher dans la grâce de Dieu un remède à leurs maux. S'ils méprisent ces moyens, c'est-à-dire les réclamations de la Loi et la voix de la douleur, à juste titre ils encourent, après cette vie, la damnation éternelle. Donc celui-là seul peut voir, là, de l'injustice, qui ne croit qu'à la vie présente, qui n'ajoute point foi à ce que Dieu a prédit de l'avenir; et il se prépare les plus terribles supplices par sa persévérance dans le péché et dans l'infidélité.

LXXXIII. — Sur le mariage, à l'occasion de ces paroles du Seigneur : « Quiconque renvoie sa femme hors le cas de fornication. »

Si le Seigneur n'autorise à renvoyer une femme que dans le cas d'adultère, et que, d'autre part, il ne défende pas de renvoyer un conjoint païen, il s'ensuit que le paganisme est considéré comme une fornication. Or il est évident que, quand le Seigneur parle dans l'Evangile du renvoi d'une femme, il n'excepte que le cas de fornication. D'autre part, nous savons qu'il n'est pas défendu de renvoyer un époux païen, parce que l'Apôtre, en conseillant à la partie fidèle de ne pas renvoyer la partie infidèle, se sert de ces expressions : « Je dis, moi, et non le Seigneur, » pour faire entendre que le Seigneur permet de renvoyer, mais ne l'ordonne pas, autrement le conseil de l'Apôtre serait opposé à l'ordre de Dieu; en sorte que, dans ce cas, personne n'est forcé, mais chacun reste libre.

Cependant si quelqu'un prétend que le Seigneur n'admet pour cause de renvoi de la femme que ce que l'on appelle communément fornication, c'est-à-dire le crime qui se commet par un commerce charnel illicite, on peut lui répondre que le Seigneur, en traitant cette matière, parlait de deux époux fidèles, lesquels, parce qu'ils sont fidèles, ne peuvent se renvoyer l'un l'autre, hormis le cas d'adultère. Or l'un et l'autre sont fidèles, il ne s'agit donc pas du paganisme. Et l'Apôtre semble aussi faire cette distinction quand il dit : « Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui commande que la femme ne ne se sépare point de son mari; si elle en est séparée, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari. » Ici encore on voit que, dans le seul cas où la séparation sait permise, la femme qui quitte son époux, ne doit point se marier ; et que, si elle peut vivre dans la continence, plutôt que de s'unir à un autre homme, elle doit se réconcilier avec son mari s'il est corrigé, ou du moins le supporter s'il ne l'est pas. L'Apôtre continue et dit : «Que le mari de même ne quitte point sa femme, a donnant ainsi brièvement la même règle à l'époux qu'à la femme. Après avoir établi cette doctrine par l'ordre du Seigneur, il ajoute : « Mais aux autres je dis, moi, et non le Seigneur : Si un de mes frères a une femme infidèle, et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne se sépare point d'elle; et si une femme a un mari infidèle et qu'il consente à demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point de son mari. » Par là l'Apôtre donne à entendre que le Seigneur s'est exprimé là dessus en ce cens que, si les époux sont fidèles tous les deux, ils ne doivent se quitter ni l'un ni l'autre.

Du même auteur

De la Genèse contre les Manichéens

La divination des Démons

Questions sur les Nombres

Genèse : Création de la Femme

Les Confessions : Vie de Saint Augustin Livre 8

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Traité de la Foi, de l'Espérance et de la Charité

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Questions sur le Lévitique

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Commentaire de l'épître aux Galates

La Cité de Dieu - Livre X - Le culte de Lâtrie

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Genèse : Les Jours de la Création

Genèse : Le Corps Humain

Genèse : Tout Crée en même Temps

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La Foi et les Oeuvres

Questions sur l'Evangile selon Saint Luc

Genèse : L'âme humaine

La patience

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Questions sur l'Evangile selon Saint Matthieu

L'Utilité du Jeûne

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Le Mensonge

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La Cité de Dieu - Livre IV - A qui est due la grandeur des romains

La Cité de Dieu - Livre V - Anciennes moeurs des Romains

Genèse : Les êtres Vivants

Les Confessions : Vie de Saint Augustin Livre 11

Image de Dieu dans l'Homme

La Cité de Dieu - Livre XIV - Le péché originel

Questions sur le livre de Josué

La Cité de Dieu - Livre VII - Les dieux choisis

Ce qui est bien dans le Mariage

Egalité des Personnes

La Cité de Dieu - Livre XX - Le jugement dernier

Les Confessions : Vie de Saint Augustin Livre 7

Questions sur le livre de la Genèse

Traité de Catéchisme

Genèse : Création du Firmament