Une spiritualité millénaire

 

L’Égypte a été constamment visitée par les bienaimés de Dieu dans la tradition biblique. D’Abraham à Joseph et sa famille en passant par le prophète Jérémie et jusqu’au Christ, ils y ont trouvé un pays polythéiste mais déjà très fortement religieux. Hérodote qualifia d’ailleurs les Égyptiens de « Plus religieux de beaucoup que le reste des hommes… »3 En effet, tous les historiens s’accordent autour de la profonde spiritualité de l’Égypte pharaonique. Les Égyptiens ont donc depuis des siècles et des millénaires fait naître, entretenu et arrosé la graine de l’Amour de Dieu dont l’Église Copte n’est que le fruit. Dans l’obscurcisme du polythéisme, la sensation de l’unicité de Dieu est de plus en plus perceptible. Elle atteint son paroxysme avec le pharaon « hérétique » Akhenaton (1348-1331 av. J.C.) mais déjà la pieuse relation du peuple et de son Dieu prend forme.

Je crois qu’il faut vraiment remonter aussi loin pour comprendre la force qui anime l’Église Copte et pour seulement percevoir une infime partie de l’immense grandeur de la foi de ce peuple. En effet, au-delà de la tradition biblique, Dieu a au fil du temps préparé ce peuple à accepter et surtout à conserver sa foi. Il faut trouver dans les abîmes insondables de cette spiritualité millénaire les raisons qui font que les Coptes sont actuellement la plus grande communauté chrétienne du monde arabe, et ce bien que les coptes ne fassent pas partis, par définition même,  du monde arabe.

Le fleuve des fleuves

Et s’il fallait comprendre d’où est née cette si profonde sensation du divin dans le cœur des Égyptiens, il faut commencer par comprendre ce qu’est l’Égypte. Fille du2 Nil, cadeau des dieux. Sans le plus grand fleuve du monde, le pays ne serait plus qu’un immense désert où seuls quelques courageux oseraient vivre. Le Nil, la force vive de l’Égypte, mère de la vie, des richesses et de la force du pays, fleuve qui allaite ses enfants, fertilisant les terres arides du désert. Cette terre noire et généreuse que les Égyptiens appellent Kémi est un don des immortels, un don du Nil, « fleuve dont la nature diffère de celle de tous les autres fleuves. »4Cadeau du ciel à tout égard. Pour cet Égypte, capable de bâtir plusieurs des sept merveilles du monde antique, de former la première grande civilisation de l’Histoire, d’explorer avec beaucoup d’intelligence les premiers sentiers de la science, il parait bien naturel de devoir remercier le Tout-puissant qui leur a offert cette eau vivifiante même si les pharaons ne le connaissaient pas encore.

L’impulsion helléniste

C’est donc ainsi qu’est l’Égypte lorsqu’Alexandre Le Grand arrive sur les bords du Nil en 332 av. J.C. Accueilli en libérateur, il fonde avec la bénédiction du peuple une nouvelle dynastie de pharaons. La fusion entre les deux cultures est tentée, l’administration est désormais hellénisée mais la foi et les coutumes de l’Égypte millénaire restent inébranlables.

« La ville Lumière »

Alexandre aime l’Égypte, et cela d’autant plus qu’il est persuadé être le fils du dernier pharaon de la XXXe dynastie, Nekhtanebo II, qui aurait connu sa mère, Olympie, en Macédoine. Alexandre rêve de donner à la terre de ses origines une ville digne d’elle : il impulse la construction de la cité qui sera la capitale de l’Égypte jusqu’au VIIe siècle et qui portera son nom : Alexandrie. Là vont se rencontrer les cultures grecques et pharaoniques pour devenir le creuset de la civilisation hellénistique.

Alexandre ne verra pas l’achèvement des travaux de construction de la cité phare de la Méditerranée. Son plan, élaboré par Deinocrates de Rhodes, suit le tracé d’un damier, divisée en cinq quartiers au début de l’époque chrétienne, deux grands boulevards d’une trentaine de mètres de large la partagent horizontalement et verticalement. »5

Au fil des promenades le long des allées aux mille odeurs de l’Empire, à Alexandrie, nous pourrons remarquer une population cosmopolite. La ville d’Alexandrie, qui est romaine depuis la conquête d’Octave en –30 av. J.C., rattachant ainsi l’Égypte entière à la maison de l’Empereur et non au Sénat comme d’accoutumé, est le lieu de rencontre de tous les courants intellectuels de l’Empire. La mégalopole égyptienne est la lumière de tout le monde connu.

La diaspora juive d’Alexandrie

Cette ville moderne, organisée dans son architecture, alimente pourtant un certain paradoxe. La ville est séparée en cinq quartiers, dénommés par les cinq premières lettres de l’alphabet grec : Α, Β, Γ, Δ, Ε. Les différentes communautés qui s’installent dans ce joyau de l’empire ont alors une tendance naturelle à se regrouper par quartier. Egyptiens, gréco-romains et juifs sont les principales d’entre elles. La diaspora juive d’Alexandrie est d’ailleurs la plus importante du monde romain, à tel point qu’ils occupent presque deux quartiers de la ville. Leurs aptitudes pour le commerce, leurs richesses croissantes et leurs attitudes solitaires, quasi uniquement tournées vers leur seule communauté, vont faire naître un certain nombre de mesures à leur encontre au début du premier siècle.

Le quartier Δ, assigné aux Juifs, se trouvait entre le Palais Royal et le Théâtre. Pendant un certain temps, ils occupèrent presque deux quartiers, mais un ordre « antisémitique » était venu, au temps de Philon, par inspiration de Flaccus, selon lequel les Juifs étaient astreints de se réunir dans un seul quartier : le quartier Δ. Cela devait se passer avant l’an 54, date de la mort de Philon qui rapporte cette anecdote comme témoin contemporain. Il est permis de croire que Julius (Jules) César, par reconnaissance envers les Juifs qui lui avaient prêté main forte pendant la guerre d’Alexandrie (de leur quartier situé à proximité du Théâtre, où il avait constitué le centre de sa résistance), leur avait octroyé des privilèges singuliers.6

Malgré tout, les exilés d’Israël n’en reste pas moins une source vive du constant bouillonnement intellectuel d’Alexandrie. Au milieu de la ville, nous trouvons le Muséum, ensemble de bâtiments comportant une bibliothèque et une université, où éclosent idées et découvertes scientifiques majeures.

Dès sa fondation, la bibliothèque d’Alexandrie compte cinq cent mille volumes, dont cent vingt huit mille livres de grand format. Ptolémée III y fait transférer la bibliothèque d’Athènes, y compris la collection d’Aristote. Cléopâtre, pour sa part, y rassemble deux cent mille manuscrits. En tout, sept cent mille volumes environ se trouvent disponibles dans la plus importante bibliothèque de ce temps.7

Dans cet environnement très intellectuel, ils s’instruisent et initient un certain nombre de projets de plus ou moins grande importance.

La Bible des Septante

Un de ces projets majeurs, d’une importance capitale pour l’Histoire du christianisme et son expansion, à la fois en Égypte et au-delà, est la traduction de la Torah en grec. Il faut savoir que le grec est, pour les hommes cultivés de l’époque, à la manière de l’anglais de nos jours, le langage universel, la langue des savants et les nouvelles générations de juifs alexandrins comprennent parfois bien mieux le grec que l’hébreu. Cette traduction sera appelé, la ‘Bible’ des Septante, le ‘Livre’ universel. Nos amis belges l’ont sûrement déjà compris, cette traduction est dite des Septante en l’honneur des soixante dix intellectuels, savants et théologiens juifs qui l’ont réalisé. Ce texte est d’une importance capitale et servira de base à la christianisation des païens mais elle revêt déjà une grande importance pour la communauté juive d’Alexandrie qui célèbre par une fête annuelle la traduction de la Torah en grec.

La tradition ecclésiastique transmise par les Pères de l’Église universelle nous rapporte cet épisode de la vie de Siméon, théologien juif qui participa à l’élaboration de la Bible des Septante. Il révisa entre autres la traduction du Saint Livre du prophète Isaïe mais son esprit ne put concevoir l’incarnation annoncée par les écritures : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel »8, il voulut alors remplacer le terme ‘vierge’ par ‘jeune fille’. Mais lorsqu’il prit sa plume pour réaliser son dessein, celle-ci se cassa à maintes reprises. Il se rendit compte de la sainteté de la parole divine et sut par l’Esprit qu’il ne mourrait pas avant de voir cette Vierge et ‘Emmanuel’ qui se traduit « Dieu avec nous » ;  il partit alors résider à Jérusalem.

Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit Saint était sur lui. Il lui avait été révélé par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint alors au temple poussé par l’Esprit ; et quand les parents de l’enfant Jésus l’amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet, il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes : « Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvois ton serviteur. Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple. »9

La bénédiction du Christ à l’Égypte

Voici donc le portrait de l’Égypte au début de notre ère. Une Égypte qui possède désormais tous les outils nécessaires à la christianisation. Tout a été préparé pour ce que le Roi des rois bénisse son peuple, comme l’annonçait Osée le prophète, huit siècles auparavant. Quand Israël était jeune je l’ai aimé, et d’Égypte j’ai appelé mon fils.10

Et le Christ naquit ! Ce fût le début de notre ère. L’évangile nous conte la naissance du divin enfant, l’apparition des anges aux bergers clamant des louanges au Seigneur et surtout la visite des rois mages. Ces derniers venus adorer le bébé emmailloté en suivant l’étoile, passèrent d’abord à Jérusalem et rencontrèrent Hérode, le roi des Juifs, qui comprit par eux et les prophéties qu’un roi est né. Il crut que ce nouveau souverain le priverait de son royaume, il voulut alors éliminer le Fils de Dieu ! Il tenta bien de convaincre les mages de le prévenir lorsqu’ils trouveront l’enfant mais ils ne revinrent jamais à lui. Fou de rage, il décida de faire périr tous les nouveaux nés de Bethléem, car le prophète Michée avait prophétisé où devait naître le Messie : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.11

Encore bébé, le Fils de Dieu tout-puissant doit fuir, c’est la fuite en Égypte de la Sainte Famille, la bénédiction du Seigneur à son peuple.

Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, se retira en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils.12

La Sainte Famille descendit le Nil jusqu’aux environs de l’actuelle ville d’Assiout. Un monastère existe aujourd’hui encore à l’emplacement où restèrent le Christ, Joseph et la Sainte Vierge près de cette ville qui se situe au centre du pays. Ainsi il existe bel et bien depuis des siècles « l’autel au cœur de l’Égypte ». Dans chaque ville où le Christ entrait, les statues païennes se renversaient dans les temples et à la mort d’Hérode, ils retournèrent en Palestine pour s’installer à Nazareth. Le Christ accomplira sa mission et l’Égypte, seul pays à avoir connu Jésus de son vivant avec la Palestine, n’attends désormais que l’annonce du Saint « Évangile », la « Bonne Nouvelle ».

Ils se levèrent tous et continuèrent à marcher jusqu’à e qu’ils entrassent dans le territoire du Caire, dans une ville nommée Ayn Shams (Héliopolis). Le vieillard Joseph avait à la main un bâton sur lequel il s’appuyait, qui venait d’un arbre des environs de Jéricho ; le Seigneur (à Lui, la gloire !) le prit et le cassa en morceaux, et il le planta dans ce lieu désert ;  Il mit sa main divine sur la terre, et aussitôt une eau excellente jaillit ; Il en prit de ses mains pures et en but, et il arrosa ces bouts de bois secs qui, aussitôt, devinrent verts et poussèrent des branches dont un parfum agréable émanait—et c’est ce que nous appelons le baumier. Ce lieu se nomme à présent Mararieh et la source s’appelle « le puit sacré ». Le Seigneur bénit cette place en disant : « Quiconque descendra dans ce puit sacré pour s’y baigner ou y boire recevra la guérison de toutes ses maladies. » Et il bénit l’arbre en disant : « Tu ne seras pas anéanti, et aucune feuille ne tombera de toi, jusqu’à ce que Dieu hérite la terre de ceux qui s’y trouvent. » Et il n’y a pas de doute, en effet, que cette histoire de l’arbre ne figure parmi les histoires les plus extraordinaires, puisque tant d’années ont passé et que l’arbre est toujours tel quel : pas une feuille n’en tombe, ni en été ni en hiver, ni au printemps ni en automne, mais il reste là, attendant la visite de ceux qui veulent venir.13
Notations :

3 Histoires 2, 37 d’Hérodote

4 Hérodote, Histoires, Livre II

5 Laurence Albert, Les Coptes

6 Martiniano Rongaglia, Histoire de l’Église Copte

7 Laurence Albert, Les Coptes

8 Matthieu 1:23

9 Luc 2:25-32

10 Osée 11:1

11 Matthieu 2:6

12 Matthieu 2:14-15

13 Homélie de Zacharie, évêque de Sakhâ (Xoïs)